BAAL (dieu)
1.
Dans son acception originelle et la plus large, ce mot avait pour
l'Orient syro-phénicien le sens de possesseur, maître; s'appliquant à
quiconque exerce un droit de propriété, d'autorité ou de contrôle, il
désignait le propriétaire d'un esclave, d'une bête, un chef et même
les citoyens d'une ville (Ex 21:28,Jug 19:22 9:2,Esa 16:8), et
par extension l'époux, «maître et seigneur» de sa femme (2Sa
11:26). Enfin, il fut couramment attribué aux nombreuses divinités
cananéennes, sous le nom générique de Baal au singulier ou Baalim au
pluriel (Jug 2:11 3:7 8:33 10:10,1Sa 12:10,1Ro 18:18).
2.
Les Baalim étaient des dieux locaux associés aux destinées des cités
et des. bourgades. Chaque ville, chaque sanctuaire avait son baal
particulier qui se distinguait des autres par un titre spécial
(Baal-Zébub, Baal-Péor, etc.), et qui se doublait ordinairement d'une
déesse ou baalat (voir Achéra, Astarté).
Le baalisme était une religion essentiellement agricole. Les
Baals étaient, en effet, les époux et seigneurs du sol; d'eux
dépendaient la croissance des récoltes, la maturité des fruits, la
prospérité: du bétail; ils étaient associés à toutes les entreprises
rurales, et le cultivateur, le vigneron, le berger leur vouaient une
dévotion fervente. L'inspiration animiste de leur culte n'est donc
guère contestable; ils personnifiaient des forces naturelles
(fertilité, germination), et on les adorait sur les hauts-lieux et
dans les bocages sacrés. Les Arabes appellent encore terres de
Bahl les régions rendues fertiles par une nappe d'eau souterraine.
3.
Sur les hauts-lieux et dans leurs bosquets, les Baalim avaient à leur
service des prêtres (kemarini), chargés de présider aux
rites (Sop 1:4). Ces rites, très sensuels et très cruels,
comprenaient des incantations prophétiques (1Ro 18:25 et
suivants) et une grande variété d'offrandes (Jer 7:9).
Les Baals, d'un «tempérament farouche et envieux, réclamaient
impérieusement le sang, non seulement des animaux, mais de l'homme.
En temps ordinaire, celui-ci se rachetait en se mutilant; dans les
circonstances graves, cette substitution légère ne suffisait plus et
le dieu voulait la mort des premiers-nés. Même, dans les cas de
danger public, le roi et les nobles présentaient non plus une seule
victime, mais tous ceux de leurs enfants que le dieu choisissait. On
les brûlait vifs devant lui et l'odeur de leurs chairs apaisait sa
colère: le chant des flûtes et le fracas des trompettes couvraient
leurs cris de douleur et, pour que l'offrande fût efficace, la mère
devait être là, impassible et vêtue de fête» (Maspéro, Hist.
Anc., p. 401. Cf. 1Ro 18:28,Jer 19:5).
4.
Par suite de circonstances mal définies et de la prépondérance de
certaines villes ou de certains sanctuaires, il arriva que les Baals
locaux prirent le pas sur les autres (Baal-Péor, No 25:3;
Baal-Zébub, 2Ro 1:2). On leur accorda même des pouvoirs plus
abstraits, moins directement utilitaires (Baal-Bérith: Dieu du pacte,
Jug 8:33); dans la Syrie du Nord, on trouve l'expression Baal
des cieux (Baal-Chamaïm). Quelques-uns, étendant l'action de leur
culte, devinrent des Baals types et souverains, tel le Baal ou
Melkart de Tyr (1Ro 16:31-32 18:26 19:18), introduit à Samarie.
Il semble donc bien que la multitude des Baalim ait graduellement
tendu à se hiérarchiser et à se fondre dans une unité supérieure.
Mais cette ascension vers le monothéisme ne fut jamais consommée et
les Baals locaux subsistèrent à côté de Baals supérieurs, comme
l'atteste ce reproche de Jérémie (VI e siècle av. J.-C.): «Tu as
autant de dieux que de villes, ô Juda!» (Jer 11:13).
5.
Lorsque les Hébreux pénétrèrent en Canaan, le baalisme y était
fortement et depuis longtemps établi, comme le prouvent les
innombrables noms propres où entre le nom de Baal. (Noms de villes et
de lieux: Baal-Hermon, Jug 3:3,1Ch 5:23; Baal-Thamar, Jug
20:33; Baal-Gad, Jos 11:17 12 7 13:5; Baala, Kirjath-baal ou
Baalé de Juda, Jos 15:9 15:60,2Sa 6:2; Baal-Pératsim, 2
Sam 5:20,1Ch 14:11; Baal-Hatsor, 2Sa 13:23: Baal-Salisa,
2Ro 4:42. Noms de personnes: Baal-Hanan, Ge 36:38; Baalis,
Jer 40:14). Le baalisme était incorporé à l'existence et aux
usages des populations rurales. En s'adaptant eux-mêmes à la vie
agricole, les Israélites, jusqu'alors nomades, eurent tendance à
s'approprier telles quelles les institutions et les coutumes
imprégnées de baalisme cananéen et à admettre l'ingérence des Baals,
divinités spécifiques de la culture du sol, en un domaine où ils
n'avaient pas encore eu l'occasion de voir s'exercer l'empire de
JHVH. A cette tendance naturelle, l'attrait sensualiste de leur culte
ajoutait une tentation. Aussi des noms baalistes sont-ils bientôt
adoptés par les Hébreux, soit pour leurs villes, (Baal-Méon, No
32:38) soit pour des personnes (Jérubbaal ou Gédéon, Jug 6:32
8:35; Esbaal, fils de Saül, 1Ch 8:33; Mérib-Baal, fils de
Jonathan, 1Ch 9:40; Béeljada, fils de David, 1Ch 14:7;
Béaliah, soldat de David, 1Ch 12:5). Jéhovah même, leur Dieu,
est appelé Baal (Os 2:16). Mais dans une telle ambiance païenne,
la religion du peuple élu risquait de se corrompre et de sombrer. Ses
chefs spirituels, comprenant l'extrême gravité des compromissions
baalistes, dénoncèrent le péril sans relâche. De là, entre JHVH et
les Baa-lim, un conflit qui ne prit fin qu'avec la chute de Jérusalem
et l'exil (voir L. Gautier, Études, pp. 112SS).
Dès la mort de Josué (Jug 2:11-13), au temps de
Gédéon (Jug 6:25) et de Jephté (Jug 10:6), les Hébreux sont
attirés par l'idolâtrie des Baals et reçoivent de sévères
avertissements de leurs guides religieux. Au lendemain du schisme, le
baalisme phénicien est introduit dans le royaume du Nord par Jézabel,
femme d'Achab (1Ro 16:31-33) et combattu par Élie le
Thisbite (1Ro 18) et par Jéhu (2Ro 10:18-28); il n'en
relève pas moins la tête et se maintient à Samarie malgré les
objurgations et les menaces d' Osée (Os 2 8:13 11:2). Dans le
royaume de Juda, il est favorisé par Athalie, fille de Jézabel,
supprimé par Jéhojada, tuteur de Joas (2Ro 11:18). Les rois
Achaz (2Ro 16,2Ch 28:1-4) et Manassé (2Ro 21:2 ss) l'y
restaurent. Josias l'abolit en réalisant la réforme
deutéronomique (2Ro 23:1-20), mais ses successeurs le
rétablissent dans toute sa vigueur. Les livres d' Os et de Jérémie
nous apportent l'écho de cette lutte dramatique entre le
spiritualisme jéhoviste et le paganisme baaliste. Si les efforts des
prophètes échouèrent à provoquer un redressement collectif de leur
peuple, ils déterminèrent néanmoins la naissance d'une élite et d'une
minorité fidèles. Après le VIII° siècle av. J.-C., le terme même de
Baal fut à ce point odieux aux Israélites pieux que non seulement il
cessa d'être appliqué à JHVH, mais qu'il fut encore éliminé des noms
composés et remplacé par la particule hochet (=honte); c'est ce
qui ressort de certaines corrections apportées aux textes sacrés par
les copistes de cette époque: Jérubbaal devient Jérubbéseth (2Sa
11:21); Esbaal, Isboseth (2Sa 2:8); Mérib-Baal,
Méphi-boseth.--Voir (2Sa 9:6) Bertholet, < Hist. Civ. Isr., pp. 120ss. Jean R.