VIE PASTORALE

Dans la vie pastorale, l'homme demande sa subsistance à l'élevage du
bétail et possède en propre les pâturages où paissent ses troupeaux.
Lorsque la terre, les sources et les cours d'eau sont regardés comme
un bien commun, au même titre que l'air et la lumière, et sont, par
conséquent, à la libre disposition du premier occupant, le pâtre ou
le clan ne demeure pas sédentaire; il se déplace constamment de
pacage en pacage selon les besoins de ses troupeaux; la vie pastorale
est alors en même temps nomade: cette existence errante s'impose
partout où, comme dans les steppes de l'Arabie, le sol pierreux et
aride est impropre à toute culture, mais offre pourtant de maigres
herbages à la nourriture des moutons et des chèvres (voir fig. 140 et
291).

Les Israélites, à l'époque patriarcale d'abord, puis en Egypte où
ils purent se fixer probablement à la suite et à la faveur de la
conquête de ce pays par les Hyksos (peuple de pâtres migrateurs
d'origine sémitique comme eux), enfin dans leurs pérégrinations au
désert, ont vécu sous des tentes, se déplaçant avec leurs troupeaux,
dans un rayon plus ou moins étendu, autour de points déterminés qui
étaient généralement des sources ou des puits. Cependant ils n'ont
pas été ce que l'on appelle des bédouins à grands parcours, mais des
demi-nomades, faisant un peu de culture entre deux déplacements,
quand la saison et la nature du sol le permettaient, et
s'approvisionnant ainsi de farine pour leurs besoins (Ge 18:6
26:12 30:14 37:7). Voir Nomade, Hospitalité.

Sur les origines nomades du peuple élu, la littérature hébraïque
fournit d'abondants témoignages. Les anciennes traditions yahviste et
élohiste, qui font d'Abel le premier pâtre (Ge 4:2) et de Jabal
l'ancêtre des bergers itinérants (Ge 4:20), représentent les
patriarches abrahamides comme des chefs de douars en perpétuels
déplacements avec leurs gens et leurs biens (Ge 11 31 12 4,9
13:1,12 20:1 26:1 33:17-20 35:16-21,27 46:32-34 47:3), et rapportent
que Moïse, avant de se mettre à la tête des tribus opprimées et de
les conduire par le chemin du désert, s'initia quelque temps à la vie
pastorale dans le pays de Madian (Ex 3:1). Certaines métaphores
en usage à l'époque de la vie sédentaire ont conservé l'empreinte des
siècles où les tribus n'étaient pas encore bien fixées au sol, par
exemple l'image fréquente du chemin symbolisant la vie ou la manière
de vivre, et les expressions «retourner à ses tentes» et «arracher
les pieux de la tente» signifiant, la première, rentrer chez soi, et,
la seconde, se mettre en route.

La Palestine se prêtant, dans certaines de ses régions, à la
culture plutôt qu'à l'élevage intensif, l'établissement en Canaan
devait amener et amena bientôt, en effet, des modifications profondes
dans le genre d'existence d'une grande partie des populations
israélites. D'une façon générale, la vie pastorale persista au sein
des tribus installées en Transjordanie, pays de sources et de gras
pâturages (No 32:1,4), et dans le sud-judéen ou Négeb, plateau
rocailleux aux villages clairsemés au milieu d'étendues infertiles et
désolées que le langage courant appelait des déserts (Ge 21:14,1Sa
23:24 24:2) et où l'élevage nécessita peut-être la pratique de la
transhumance, si, comme il est vraisemblable, le procédé de Nabal
faisant passer ses troupeaux de Maon à Carmel a été communément
adopté (1Sa 25:2). Chez les tribus qui se fixèrent dans les
régions montagneuses de la Galilée et de la Judée, l'agriculture
supplanta l'élevage, sans que celui-ci fût cependant abandonné tout à
fait: autour des villages, les terres restées incultes et les
hauteurs escarpées servirent de ce que le droit moderne appelle
vaine pâture, c-à-d, de pacage communal où avaient accès tous les
troupeaux de l'endroit. Enfin, la peuplade kénienne, qui avait lié
son sort à celui des Israélites à partir du désert (No 10:29,32)
et qui garda avec eux des rapports de bonne entente et
d'amitié (1Sa 15:6), se fixa dans le désert de Juda, aux confins
S.-O, de la mer Morte (Jug 1:16,4:11-17), en gardant toutes les
habitudes de la vie nomade (Jug 5:24); la confrérie des
Récabites (voir ce mot) qui, six siècles après la conquête de Canaan,
se signalait encore par son attachement aux coutumes nomades,
appartenait à cette peuplade kénienne (1Ch 2:55,Jer 35).

Les Israélites ont pratiqué principalement l'élevage du petit
bétail: leurs troupeaux de brebis et de chèvres pouvaient être très
considérables (1Sa 25:2). Mais ils possédaient aussi, en moins
grand nombre, des boeufs, ou plutôt probablement des buffles, et,
comme montures ou bêtes de somme, des ânes et des chameaux (Ge
12:16 13:5 22:3 24:35 26:14 32:5,15 42:26 43:18,24,Jug 5:10 10:4
12:14); ils paraissent n'avoir adopté le mulet et le cheval que
d'une façon exceptionnelle et tard, une fois fixés en Canaan (De
17:16,2Sa 13:29 18:9,1Ro 18:5,2Ro 3:7). Voir art. à ces différents
noms d'animaux.

Le travail du pâtre commençait dès l'aube. Tous les troupeaux
d'un douar ou d'un village se trouvant réunis pour la nuit dans le
même enclos, son premier soin était de rassembler ses brebis, qui
reconnaissaient sa voix et dont chacune portait un nom rappelant,
sans doute, une particularité de son pelage, de sa taille ou de son
caractère. Puis il les conduisait, marchant à leur tête, au pâturage
où elles se dispersaient, broutant à leur fantaisie. Au milieu du
jour, il les menait à l'abreuvoir qui était, le plus souvent, un
puits fermé par une grosse pierre (Ge 29:2); on attendait, en
général, que tous les troupeaux du voisinage fussent rassemblés pour
rouler la pierre et puiser l'eau, dont on remplissait les auges où le
bétail venait boire (Ge 24:20 29:3,8,Ex 2:16); c'était l'heure
où les bergers se retrouvaient ensemble, et cette rencontre
quotidienne donnait lieu à des scènes variées: idylles (Ge
29:10 et suivant), prévenances (Ge 24:10,27), querelles (Ge
21:25 26:20 et suivant), expulsions (Ex 2:17). A la tombée de
la nuit, ayant à nouveau rassemblé son troupeau, le berger le
ramenait au gîte, portant dans ses bras l'agneau fatigué, ou, autour
de son cou, la brebis malade (Esa 40:11, cf. Ge 33:13);
arrivé au parc, bergerie ou étable, il comptait ses bêtes à mesure
qu'elles rentraient (Jer 33:13) et, s'il en manquait une, il
partait aussitôt à sa recherche (Lu 15:4). Cette routine
quotidienne se trouvait rompue, chaque année, à l'époque de la tonte,
qui durait plusieurs jours et se terminait par des festins et des
réjouissances (Ge 31:19 38:13,1Sa 25:7-36,2Sa 13:23,28).

L'office du berger n'était pas de tout repos; il comportait des
fatigues et des dangers et nécessitait un dur entraînement. Le jour,
en effet, le pâtre avait à subir les ardeurs du soleil et, la nuit,
les rigueurs du froid (Ge 31:40). De plus, et surtout, il avait
à compter avec des ennemis de toutes sortes qui pouvaient assaillir
le troupeau à tout instant: dans les gorges et dans les fourrés se
cachaient des fauves, le loup, le chacal, la panthère, l'ours, le
lion, qui surgissaient à l'improviste et faisaient des ravages parmi
le bétail (Ex 22:13,1Sa 17:34,Esa 31:4,Jer 5:6 12:9,Am 3:12);
d'autre part, il y. avait à se défendre contre les pillards qui
rôdaient en quête de larcins dans les régions écartées, et parfois
même contre des hordes entières se livrant à des razzias hardies et
soudaines (Jug 6:3,5).

Divers auteurs considèrent la houlette et le bâton du
berger (Ps 23:4) comme deux synonymes désignant «une seule et
même chose, à la fois appui pour le berger et signal pour la brebis»
(Bible annotée). Mais le plus souvent on les distingue comme deux
objets différents, connus encore aujourd'hui chez les Arabes sous les
noms de nabout (rac. frapper) et d'asseia (rac. appuyer): le
bâton, gros et court, à tête ronde souvent cloutée, que le berger se
pend à la ceinture ou au poignet par une courroie, sert à frapper
l'ennemi (hyène, serpent, voleur, etc.); la houlette, perche longue
et plus fine, qu'il porte à la main comme une haute canne, lui sert
d'appui pendant ses longues heures d'immobilité. Sans doute elle peut
aussi servir à grouper ou compter les brebis (Le 27:32, cf.
Jer 33:13,Eze 20:37), à les diriger (Mic 7:14), à aider une
bête à se relever, mais guère à «houler», c'est-à-dire à lancer
cailloux ou mottes pour ramener l'animal qui s'écarte, comme font nos
bergers avec leur houlette terminée par une plaque de fer. Bâton et
houlette «consolent», comme défense, guide et soutien.

Pour faciliter sa tâche de gardien et parer à toutes les
surprises possibles, le berger se tenait sur une terrasse
rustiquement construite en bois (cf. t. I, fig. 50), ou, le plus
souvent, sur une tour bâtie au centre du pâturage (fig. 285) et que
l'on appelait tour de garde ou tour du troupeau (2Ro 17:9
18:8,Esa 32:14,Mic 4:8); il n'avait d'autre arme qu'un bâton et
parfois une fronde (1Sa 17:40,43) et son chien était son seul
auxiliaire (Job 30:1); aussi était-il heureux s'il pouvait se
recommander à la protection de gens armés campés dans le
voisinage (1Sa 25:16). La nuit, selon les régions où il se
trouvait, il abritait son troupeau, soit dans des grottes à l'entrée
desquelles il s'étendait lui-même pour en barrer l'accès et se
trouver prêt à toute éventualité fâcheuse, soit dans des enclos faits
de pierres superposées et surmontées de ronces et d'épines,
difficiles à escalader; en vue d'obtenir une sécurité plus grande et
de s'assurer une mutuelle protection en cas d'alerte, les bergers
d'une même région rassemblaient volontiers leurs troupeaux dans un
même parc et veillaient à tour de rôle (Lu 2:8).

La vie pastorale a fourni aux écrivains israélites les éléments
de maintes comparaisons suggestives. C'est, en particulier, le plus
souvent, sous l'image du berger et de son troupeau qu'ils ont dépeint
les rapports des chefs et du peuple; les prophètes se sont plu à
rappeler leurs devoirs aux rois, aux prêtres et aux grands à l'aide
de cette similitude (Jer 3:15 23:4 25:24-36 Eze 34:2-10,Zach,10 2
11:3,5,7-17). C'est surtout la sollicitude de Dieu envers son
peuple, envers ses fidèles, que le berger représente pour la piété
israélite: (Ge 48:15 etc.) tout le monde connaît le psaume du
Berger (Ps 23); le recueil des Psaumes abonde d'ailleurs en
images pittoresques empruntées aux moeurs pastorales (Ps 44:12,23
49:15 78:71 79:13 80:2 95:7 100:3 119:176).

Les plus émouvants appels des serviteurs de l'Éternel s'expriment
au moyen de paraboles du même ordre (Esa 40:11 53:6,Jer
50:6,17,Eze 34:11-31,Mic 2:12). Jésus, à son tour, s'est servi des
mêmes comparaisons: il a, en particulier, fait ressortir le caractère
de sa vie et de son oeuvre, de la façon la plus touchante, dans la
similitude bien connue du bon Berger (Mt 7:15 9:36 10:6-16 25:32
26:31,Lu 12:32 15:3-6,Jn 10:2,10 21:15-17). Les apôtres enfin ont
eu, à l'occasion, recours aux mêmes images (Ac 20:28 et suivant,
1Pi 5:2 et suivant), et deux d'entre eux ont symbolisé le
Rédempteur sous les traits du grand Pasteur des brebis (Heb
13:20,1Pi 2:25 5:4). De la vie pastorale en Israël sont restées,
dans le langage ecclésiastique, les expressions: «le pasteur et son
troupeau», «les brebis du Seigneur», «la brebis du bon Dieu», «une
brebis galeuse», etc.

Voir Bertholet, Hist. Civ. Isr., 1 re part., ch. IV

Ch. K.