TYR
Aujourd'hui Soûr (=rocher), petite ville de Phénicie, entre le
Carmel et Sidon.
L'antique cité bâtie dans une île qu'Alexandre le Grand rattacha
à la côte par une grande chaussée, lors du siège mémorable de 333,
fut, d'après la mythologie, fondée par un certain Ousoos. Hérodote
(II, 44) rapporte que les Tyriens faisaient remonter l'origine de
leur ville et du temple de leur dieu Melkart à une date qui pour nous
serait voisine de 2750 av. J.-C.; ce qui n'est pas impossible, si
l'on se rappelle que B\blos, autre cité phénicienne, est déjà en
relation avec l'Egypte vers 3200 avant notre ère.
Les renseignements de Josèphe et de Justin, indiquant l'un et
l'autre le XII e siècle, ne sauraient être retenus, puisque Tyr est
déjà mentionnée dans la correspondance d'el-Amarna (XIV e -XV e
siècle av. J.-C), sous la forme Sur-ri. A juste titre Ésaïe
pouvait donc dire de l'origine de Tyr qu'elle remontait aux temps les
plus reculés (23:7). Comme Sidon, dont Ésaïe dit aussi qu'elle était
la ce fille» (23:12)--sur les monnaies, Sidon est dite «mère de
Tyr»--, Tyr était une double ville: maritime, dans l'île, ou
mieux dans les deux îles, et continentale, sur la terre ferme, en
face.
On distingue ainsi souvent Tyr et Palas-Tyr. A l'abri des îles,
deux ports étaient aménagés, l'un dit port sidonien, l'autre dit port
égyptien, permettant aux bateaux de s'abriter alternativement des
vents du nord ou du sud. La Phénicie était, au temps de la XVIII e
dynastie égyptienne, menacée par le «pays d'Amurru». Les tablettes
d'el-Amarna nous conservent l'écho des craintes d'Abimilki, roi de
Tyr, qui réclame au pharaon vingt hommes de renfort! Les pharaons de
la XIX e dynastie envoyèrent de fréquentes expéditions en Phénicie
(stèles de Ramsès II au Nahr el-Kelb), mais le pays n'échappa pas aux
ravages des Peuples de la Mer et très probablement, comme sa voisine
Sidon, Tyr fut détruite par eux (XII e siècle av. J.-C).
Quand les Israélites arrivèrent en Palestine, le territoire de
Tyr fut attribué à la tribu d'Asser (Jos 10:29), qui ne l'occupa
certainement pas (Jug 1:31). Tyr était une ville forte (Jos
19:29,2Sa 24:7), que l'invasion philistine avait dévastée mais qui
s'était relevée, et sans doute rapidement.
Au temps de David, Hiram, fils d'Abibaal, roi de Tyr, est un
monarque puissant. Il a agrandi sa capitale, qui supplante désormais
Sidon, restauré ses murs et ses temples, réuni les deux îles en une
seule, aménagé les deux ports. Il envoya à David des ouvriers et des
cèdres (2Sa 5:11,1Ch 14:1) et rendit le même service à Salomon,
lors de la construction du Temple de Jérusalem (1Ro 5,2Ch 2). Le
district de Galilée qu'il reçut en échange fut apprécié comme on
sait (1Ro 9:11,13), mais Hiram maintint cette alliance avec
Israël, puisqu'il encadra les marins débutants de la flotte
salomonienne (1Ro 9:26 10:22). Ses vaisseaux sillonnaient depuis
longtemps la Méditerranée, et le X e siècle marque le plein
développement du commerce de Tyr qui trafique avec Chypre, la Sicile,
la Sardaigne, Malte, Gozzo, franchit les «colonnes d'Hercule»
(détroit de Gibraltar) et remonte jusqu'en Cornouailles.
Après Hiram régnent successivement Baalutsur, puis Abdashtart
qu'une révolution détrône. La dynastie n'est restaurée, vers 875,
qu'après une période d'anarchie. Ithobaal, prêtre d'Astarté et roi de
Tyr, donne sa fille Jézabel au roi d'Israël, Achab (1Ro 16:31),
et ce mariage marque une recrudescence des cultes païens en Israël et
en Juda (1Ro 16:32 18:19,2Ro 8:18). A Tyr, la mort d'Ithobaal
est suivie d'une nouvelle série de troubles auxquels on rattache la
fondation de Carthage (vers 814 av. J.-C), par Elissa,
arrière-petite-fille d'Ithobaal.
On connaît le fameux récit de Virgile (En., 1, 341SS), qui
donna au personnage de Didon le relief que l'on sait; si de cette
histoire bien des traits sont légendaires, on peut noter que Carthage
(Qart Hadasht =la nouvelle ville), fondée par des Tyriens, se
réclama longtemps de sa métropole. Chaque année les Carthaginois
envoyaient une ambassade pour offrir des sacrifices à Tyr, dans le
temple de Melkart. Ce lien ne se relâcha qu'au VI e siècle, au moment
où Tyr fut abattue par le roi de Babylone. Depuis le IX e siècle, la
menace assyrienne pesait sur la cité phénicienne. Comme Sidon, Tyr
apporta son tribut à Ashour-nazirpal (876 av. J.-C), à Salmanasar II
(860-825), à Tiglath-Piléser III qui, en 741, nomme Hirom de Tyr
(donc Hiram II, dont le nom se retrouve encore sur une coupe trouvée
à Chypre).
Par contre, son roi Elulaeus (en assyr., Luli), qui était en même
temps celui de Sidon, tint tête à Salmanasar V (727-722). Malgré
l'appui que lui prêtaient les villes de la côte, le roi assyrien vit
sa flotte détruite (12 navires de Tyr avaient eu raison de 60 bateaux
de Salmanasar) et il ne put que bloquer l'île. Sargon II (722-705)
n'eut pas plus de succès, quoi qu'il en dise. Ésaïe annonçait
pourtant la ruine de Tyr (Esa 23). Elle fut l'oeuvre de
Sanchérib, qui remplaça le roi Luli par Ithobaal II (701 av. J.-C).
Assarhaddon, qui fit périr Abdmilkut, roi de Sidon, rebelle, traita
avec Baal, roi de Tyr, mais les Assyriens, ayant à tenir tête aux
Babyloniens, n'étaient plus aussi redoutés. Les Phéniciens
regardèrent vers l'Egypte, dont ils recherchèrent l'alliance. Tyr se
révolta contre Assourbanipal (vers 668), mais dut traiter après un
siège. La ruine de Ninive et l'avènement de la dynastie
néobabylonienne lui rendirent son indépendance et sa prospérité.
Ézéchiel nous a donné un tableau qui reste unique en son genre
(Eze 27 et Eze 28); c'est en même temps une complainte, car
Tyr et Sidon, toujours alliées avec l'Egypte, connaîtront à nouveau
les guerres. Nébucadnetsar, vainqueur à Carkémis (605 av. J.-C.) du
pharaon Néco (2Ro 23:29), réoccupa la Phénicie et, après avoir
tenu tête à une révolte générale, s'empara de Jérusalem (586 av.
J.-C.) et mit le siège devant Tyr. La ville tint treize ans; sans
doute les Babyloniens ne purent la prendre--du moins la ville
insulaire--car Palas-Tyr fut certainement ravagée (Eze 26:7,12).
L'armée de Nébucadnetsar avait été durement éprouvée par ce siège
prolongé (Eze 29:18), mais Tyr avait souffert tout autant. «Ce
rocher...qui avait vu décamper de la plaine voisine Salmanasar et
Nabuchodonosor» (Renan), n'était pourtant pas mis à nu comme
l'avaient espéré les prophètes (Eze 26:4,14,21). Ceux-ci
n'avaient jamais eu de sympathie pour la ville orgueilleuse (Eze
28:2), qui vendait aussi bien de l'ivoire (Eze 27:6) que des
esclaves (Am 1:9). Tyr, devenue une république, administrée par
des suffètes, passa sous la tutelle perse. Cyrus autorisa les Tyriens
à fournir des cèdres du Liban aux Juifs pour reconstruire leur
Temple (Esd 3:7). Les Phéniciens, d'abord vassaux soumis--leur
flotte fut aussi bien à la disposition de Cambyse contre l'Egypte
(526) qu'à celle de Xerxès contre la Grèce--, se montrèrent de plus
en plus récalcitrants.
En 302, Tyr s'était rendue au Grec Évagoras. En 362, elle dut
suivre avec sympathie la révolte des satrapes. La répression
d'Artaxerxès III, brûlant Sidon, l'épargna. La Phénicie, lasse de la
domination perse, accueillit avec joie Alexandre le Grand. Tyr lui
envoya des présents mais, seule, refusa de lui ouvrir ses portes.
Alexandre mit alors le siège devant la ville rebelle et, pour
l'atteindre, rattacha l'île au continent, en lançant contre elle une
énorme chaussée. Les Tyriens résistèrent furieusement; mais après
sept mois d'une lutte acharnée--en plus de son armée, Alexandre avait
réuni 224 bateaux--la ville fut prise d'assaut et sa population
durement traitée (2.000 personnes furent crucifiées, 8.000 massacrées
et 30.000 emmenées en esclavage). Ces chiffres sont certainement
forcés. Ils attestent l'acharnement de la lutte et la rigueur des
représailles.
La digue d'Alexandre a subsisté et aujourd'hui nul ne
soupçonnerait que Tyr fut d'abord et pendant longtemps une île. Comme
Sidon, Tyr appartint tantôt aux Ptolémées, tantôt aux Séleucides.
Indépendante en 126 av. J.-C, puis soumise à Tigrane (83 à 69 av.
J.-C), elle fut sous la puissance romaine qui lui laissa toutes ses
franchises. Elle est quelquefois mentionnée dans le N.T (Mr
3:8,Mt 11:21). en compagnie de Sidon. Jésus parcourut son
territoire (Mr 7:24,Mt 15:21). Lorsque saint Paul rentra de son
3 e voyage missionnaire, il aborda à Tyr où il demeura sept jours
avec les chrétiens de l'endroit (Ac 21:3,6)
Une église fut construite sur le site du temple païen. Tyr était
un centre florissant aussi bien pour le christianisme d'alors
(Origène, le maître de l'école d'Alexandrie, y vint finir sa vie) que
pour la philosophie païenne (Maxime, Porphyre). Les musulmans y
entrèrent en 638, mais les croisés s'en emparèrent (1124) et
repoussèrent l'assaut de Saladin (1187). Frédéric Barberousse y
mourut, et la tradition place son tombeau dans l'église des croisés
(aujourd'hui ruinée) qui avait succédé sans doute à la basilique du
IV° siècle. En 1291, après avoir perdu Saint-Jean-d'Acre, les Francs
quittèrent Tyr, que détruisirent les musulmans.
Aujourd'hui c'est une petite ville de 7.000 hab., sans
importance, où les vestiges encore apparents des monuments antiques
sont presque inexistants (fig. 287). La digue d'Alexandre ensablée,
des débris de colonnes dans le port, un prétendu «tombeau de Hiram»
dans la campagne environnante, le Tell Maachouq, qui fut
peut-être au centre de Palae-Tyr, approvisionné en eau par les
réservoirs de Ras el-Ain, c'est tout ce qui reste de Tyr. Les
fouilles de Renan (1861) et celles qu'on y reprit en 1921/22 n'ont
dégagé que des objets insignifiants en regard de la prospérité de
cette ville assise «sur un trône digne des dieux» (Eze 28:2).
Pour la Tyr ancienne, la prophétie se vérifie littéralement: «Quand
on te cherchera, on ne te trouvera plus jamais» (Eze 26:21). A.
P.