THYATIRE
(=encens broyé, ou, plus probablement, ville de thuya [bois
d'encens]). A l'époque du N.T., petite ville de Lydie, à =50 km. au
Nord de Sardes. Nommée auparavant Pelopia, puis Sémiramis. Dès le
peuplement du pays, un village a dû s'établir en cet emplacement,
pour son importance stratégique, sur un couloir qui réunit du N. au
Sud les vallées parallèles du Caïcus, avec Pergame, et de l'Hermus,
avec Sardes et Magnésie en direction de Smyrne; la ville est sur les
berges d'un affluent de l'Hermus. Ce fut de tout temps une grande
route, de Constantinople vers le sud: la voie postale romaine la
suivait au I er siècle; aujourd'hui, c'est la voie ferrée.
L'emplacement resserré de cette ville frontière, sans disposition
défensive naturelle, lui valut à travers les vicissitudes des grandes
guerres le rôle ingrat de sentinelle qui se fait tuer pour donner au
pays le temps de mobiliser. Entre 300 et 282, Séleucus, pour se
protéger contre Lysimaque, y établit une garnison macédonienne. La
création du royaume de Pergame (282) accrût l'importance de Thyatire,
au cours de rivalités qui durèrent plus d'un siècle entre l'Orient
(Syrie) et l'Occident (Pergame). Plus tard elle vit les luttes entre
chrétiens et musulmans, d'abord les Arabes, puis les Turcs.
Aujourd'hui Akhissar
Son caractère militaire de ville-garnison s'exprimait dans sa
religion. Les soldats macédoniens de Séleucus avaient donné au dieu
local l'aspect nouveau de leur héros Tyrimnos, qui paraît sur les
monnaies, souvent à cheval, la hache d'armes sur l'épaule gauche:
figure anatolienne, mais qui prend peu à peu le caractère composite
si fréquent en Asie Mineure, à la fois anatolien et grec, sous les
titres d'Hélios Tyrimnaïos Pythios Apollon. Il était considéré comme
l'ancêtre de la ville et de ses principales familles, et son temple
était le lieu de fête et de jeux à la façon des jeux pythiques,
auxquels on vit s'associer, au III° siècle ap. J.-C, le triste
empereur Héliogabale et quelques-uns de ses successeurs.
Séleucus ayant admis une nombreuse colonie juive dans la ville
qu'il avait fondée, il s'y trouvait une synagogue importante, avec
des prosélytes «craignant Dieu», comme Lydie la marchande de pourpre
qui reçut saint Paul à Philippes (Ac 16:14). Une sorte de
syncrétisme religieux assez curieux avait dû s'établir à Thyatire,
dont profita l'influence des Nicolaïtes.
Avec la paix romaine, la ville-garnison n'eut plus sa raison
d'être; l'esprit militaire céda devant l'artisanat, et c'est
précisément au I er siècle, à la fin duquel furent écrites les
lettres de l'Apocalypse aux Églises d'Asie, que Thyatire connut sa
plus grande prospérité. Les monnaies de cette époque y attestent
l'existence de nombreuses et florissantes corporations: tissage de
laine et de lin, taille de vêtements, tannerie, travail du cuir
poterie, fonderies renommées d'un bronze très fin et brillant,
commerce des esclaves. Teinturerie aussi, de pourpre surtout, nom qui
désigne plus exactement la garance, produit du rhizome de la rubia
tinctoria, abondante dans la région. On a trouvé cette inscription
sur une tombe de Thessalonique: «La corporation des marchands de
pourpre, à Ménippe fils d'Ammias, de Thyatire, en souvenir.»
La lettre écrite à l'Église de Thyatire (Ap 2:18-29) est la
plus longue des sept: la plus obscure aussi, vu notre ignorance des
circonstances locales. Le point capital en est la condamnation de la
tolérance à l'égard des hérétiques que deux lettres
précédentes (Ap 2:6-15) ont appelés Nicolaïtes (voir ce mot).
Ceux-ci, essayant de concilier les coutumes et les exigences de la
société païenne avec celles du christianisme dans une sorte de
syncrétisme à tendance gnostique (ils prétendaient connaître «les
profondeurs de Satan»), rivalisaient avec les simples chrétiens de
bonne volonté pour les oeuvres extérieures de l'Église. D'où les
éloges détaillés du début (Ap 2:19). Mais ils étaient
immanquablement entraînés au relâchement et aux désordres des repas,
fêtes et relations du paganisme (Ap 2:20); aussi la «prophétesse»
qui les mène est-elle sévèrement qualifiée du nom de Tézabel (voir ce
mot) et encore plus sévèrement condamnée, en termes crus qui
rappellent les malédictions de l'A.T. L'infidélité de la doctrine et
de la foi dans l'Église chrétienne est comparée à un adultère qui
outrage l'Éternel (cf. Osée, etc.); du reste, l'hérésie doctrinale,
en de tels milieux, s'accompagne souvent des pires tentations d'ordre
moral. D'où l'annonce de souffrances, de maladies pour la femme
coupable et pour ceux qu'elle entraîne, et de la mort pour «ses
enfants», pour ceux qui ont pris parti définitivement et délibérément
dans la corruption de leur temps (Ap 2:21-23). Aux fidèles,
l'auteur n'impose pas d'autres charges que celles du concile de
Jérusalem, concernant les viandes consacrées aux idoles et
l'immoralité, (cf. Ac 16:28 et suivant) règles dont ladite
prophétesse encourageait la violation.
Nous avons vu la faiblesse naturelle de la ville de Thyatire: à
son Église, le Fils de Dieu promet la conduite des nations; ce sera
la faiblesse faite force. Il ne s'agit plus de glaive à deux
tranchants, emblème de la ville officielle avec son dieu
gréco-asiatique, mais de sceptre de fer (citation de Ps 2:9),
image de la royauté du Messie. Noter les allusions aux industries de
Thyatire: on y connaît l' «airain brillant» (voir Airain) auquel sont
comparés les pieds du Fils de Dieu (Ap 2:18), et la fragilité des
poteries condamnées à être brisées (Ap 2:27). Après cette rude
prédiction des rétributions nécessaires, une douce promesse
d'ineffable espérance: il lui sera donné «l'étoile du matin»,
lumineuse image du Christ lui-même (Ap 22:16), qui garantit la
fin de la nuit et la venue du nouveau jour. A. R.