THESSALONICIENS (1re épître aux)
Les deux épîtres aux Thessaloniciens sont généralement situées à
la fin de la série des lettres pauliniennes adressées à des
communautés; on considère habituellement que leur brièveté relative
en est la cause (sur l'ordre et le principe du classement des
épîtres, cf. M. Goguel, Introd., IV, 1, pp. 51ss). Ce sont
vraisemblablement les plus anciens écrits non remaniés du N.T. Quant
à dire, avec certains auteurs, que 1 Thess, soit la première
absolument de toutes les productions épistolaires de Paul, c'est une
conjecture qui, d'emblée, apparaît aussi improbable que vaine. 2Th
2:2 3:17 supposent une correspondance antérieure de l'apôtre avec
les Églises.
I Le contenu.
1.
ANALYSE ET PLAN.
Notre épître a d'un bout à l'autre le caractère d'une lettre
spontanée, dont les développements sont réglés par des associations
concrètes plutôt que par des raisonnements abstraits. L'apôtre n'a
aucune thèse particulière à y soutenir, aucun danger bien défini à y
signaler, aucune prérogative à y défendre; la composition n'offre
rien de saillant, d'où la difficulté d'établir un plan. On s'accorde,
pourtant, à reconnaître deux parties: la première traitant des
relations de Paul avec ses lecteurs; la deuxième, des devoirs de
l'Église. Cette division, sans rigueur, paraît conforme à la réalité.
Salutation fort simple, où, sans faire valoir son titre d'apôtre,
Paul nomme ses compagnons, Silas et Timothée.
1re PARTIE: L'ÉGLISE DE THESSALONIQUE ET SES RAPPORTS AVEC
PAUL (1Th 1:2-3:13).
De la salutation fort brève (verset 1), l'apôtre passe à
l 'action de grâces, où il mentionne les sujets de satisfaction que
lui donnent les Thessaloniciens (1Th 1:2,10). Suivant une
ordonnance qui sera (en y faisant entrer l'intercession) celle de
presque toutes ses épîtres, Paul passe de la prière à des
considérations personnelles. Il évoque les circonstances dans
lesquelles il a fondé l'Église (1Th 2:1,12); la manière dont les
Thessaloniciens ont accueilli sa prédication, manifesté leur foi et
leur fidélité (1Th 2:13-16); son départ forcé, ses tentatives ou
espoirs de retour (1Th 2:17,19); l'envoi de Timothée (1Th
3:1,6) - L'apôtre dit sa joie aux nouvelles reçues, et il formule
ses voeux dans une intercession .(1Th 3:7-13)
2° PARTIE: EXHORTATIONS ET INSTRUCTIONS (1Th 4:1-5:22).
Se référant a l'enseignement qu'il leur a donné (1Th 4:1,2),
Paul exhorte les Thessaloniciens à la sanctification dans la
pureté (1Th 4:3,8). Après avoir rendu témoignage à leur esprit
fraternel (1Th 4:9,10), il recommande la paix, le travail et
l'honnêteté (1Th 4:11-12).
Au verset 13, l'auteur change assez brusquement de sujet. Il
affirme sa foi en la résurrection des morts, et particulièrement des
chrétiens qui n'auront pas vécu jusqu'à la parousie (1Th
4:13,18). Le jour du Seigneur viendra soudainement, comme un voleur
dans la nuit. Que les fidèles soient donc vigilants (1Th 5:1,11).
Les exhortations qui suivent ont trait aux rapports des chrétiens
avec ceux qui dirigent l'Eglise et entre eux (1Th 5:12,17). Puis
viennent quelques conseils sans lien direct: il faut rendre grâces,
entretenir en soi la flamme de l'Esprit, éprouver toutes choses et
s'abstenir du mal (1Th 5:18-22).
La CONCLUSION s'ouvre par une prière et s'achève sur une bénédiction (1Th 5:23-28)..
2.
LE STYLE ET LES IDEES.
Comparé à celui des grandes épîtres et des épîtres
de la captivité, le style de 1 Thess, apparaît
assez pauvre: il comporte moins d'incidentes; il a des développements
plus brefs. Mais c'est bien le même style, à des moments différents
et dans des circonstances diverses. On ne saurait tirer, ni de
quelques hapax, ni de légères nuances, un argument contre
l'authenticité.
On peut en dire autant des idées, qui sont aussi simples que
le style: point d'exposé systématique, nul théorème théologique. Et
cependant, il ne faut rien exagérer: les grands traits de la pensée
paulinienne sont déjà bien marqués, ou clairement supposés: la
divinité du Christ, la rédemption par sa mort, sa résurrection, le
salut dans sa communion. La place qu'y tient la parousie, comme
ensuite dans 2 Thess., est une particularité qui ne doit pas
surprendre. C'est seulement à partir de 2 Cor., et, sans doute, à la
suite d'expériences décisives, que Paul relègue à l'arrière-plan
l'attente parousiaque, spirituellement dépassée (voir 1 et 2
Corinthiens, I, 2°,b)
II L'authenticité et l'intégrité.
1.
LES TEMOIGNAGES DES PREMIERS SIECLES, 1 Thess, se trouve dans les
plus anciens manuscrits (Sin., A, B, etc.), dans les premiers Canons
(Marcion, Muratori). Elle est citée, vraisemblablement par Polycarpe,
et certainement par Irénée, Tertullien, Clément A., etc. avec
attribution à Paul. Étant donné son caractère peu dogmatique, ces
témoignages antiques ont une réelle valeur.
2.
L'AUTHENTICITE reste indiscutée jusqu'à la fin du XVIII e siècle;
elle a été rarement contestée depuis; elle est admise actuellement
par la grande majorité des critiques. Parmi ses adversaires, il faut
mentionner Christian Baur, le chef de l'école de Tubingue, et ses
premiers partisans, Schrader, Holsten, etc. L'auteur de 1 Thess,
serait un faussaire, se prévalant de l'autorité de l'apôtre pour
essayer un compromis entre judéo-chrétiens et pagano-chrétiens.
On invoque en faveur de cette thèse les particularités,
d'ailleurs peu nombreuses et peu marquées, de langue, de style,
d'idées; mais l'on a vu plus haut ce qu'il fallait en penser; un
faussaire eût vraisemblablement surchargé plutôt qu'atténué le dessin
de la théologie paulinienne. On a fait ressortir quelques analogies
entre 1 Thess, et Cor.; mais à supposer qu'elles soient réelles, il
n'y a rien à en tirer contre l'authenticité. 1Th 2:16 ferait
allusion à la ruine de Jérusalem, en 70; ce passage imprécis ne
permet nullement de préciser ainsi.
Les derniers adeptes de Baur ont désavoué leur maître sur ce
point, et la thèse de l'inauthenticité n'a plus guère été soutenue
que par des extrémistes, dont les fantaisies exégétiques et critiques
n'ont que le faible attrait d'une curiosité passagère.
3.
L'INTEGRITE a été plus sérieusement contestée, par des auteurs qui
admettent l'authenticité paulinienne de la plus grande partie de la
lettre. Moffatt, Loisy, etc. considèrent le court passage 1Th
2:14,16 comme interpolé, sous prétexte que le jugement sévère
contre les Juifs ne se justifie point, et ferait allusion, comme le
pensait Baur, à la ruine de Jérusalem. Plusieurs interprétations,
dont l'eschatologique, peuvent être proposées dans le cadre de
l'intégrité; la sévérité se conçoit parfaitement pour qui admet la
valeur du récit des Actes sur la manière dont l'apôtre a dû fuir
Thessalonique, poursuivi par les intrigues et les complots des Juifs.
Loisy conteste encore 1Th 3:3 et suivant, brève allusion, qui
n'a vraiment rien de suspect, aux épreuves des Thessaloniciens; et,
surtout, le développement eschatologique 1Th 4:13 à 1Th
5:11, qui s'insère mal dans la partie parénétique. L'interpolateur
de ce dernier passage serait le faussaire de 2Thes., qui se serait
ainsi ménagé une espèce d'introduction à son oeuvre apocryphe. Cette
hypothèse complexe se heurte à des difficultés insurmontables.
Comment, en particulier, ce machiavélique auteur commet-il la bévue
de faire écrire à Paul qu'il vivra encore au moment de la parousie,
quand il est mort depuis longtemps lorsqu'est commis le faux? Quant à
la maladresse de l'insertion, elle n'est pas la seule à signaler dans
la correspondance de Paul, et tire d'autant moins à conséquence que
l'épître en question est l'une des plus spontanées, et des plus
libres de tout dessein systématique (cf. Loisy, N.T., pp. 135SS;
Moffatt, Introd, to the N.T., pp. 72SS; et critique de Goguel,
avec bibliographies complètes, Introd., IV, 1, pp. 303SS).
III La composition.
1.
LES CIRCONSTANCES.
Quelques mois se sont écoulés depuis la fondation de l'Église; elle
s'est organisée; mais l'autorité de ses chefs paraît mal
établie (1Th 5:12 et suivant). L'apôtre n'y est pas revenu
depuis son premier séjour; il l'a tenté à deux reprises, mais il a dû
y renoncer (1Th 2:18). Cette lettre est la première
communication directe avec eux. Il a cependant eu de leurs nouvelles
par Timothée, qu'il leur a envoyé d'Athènes, pour les affermir et les
exhorter (1Th 3:2). Ils en avaient besoin, dans les épreuves
survenues depuis le départ de l'apôtre (1Th 3:3,5). La
persécution a sévi (1Th 2:14). Les persécuteurs n'ont pas été
exclusivement des Juifs (Hilgenfeld, Sabatier), ni exclusivement des
païens (Hoffmann, Bornemann), ni des judéo-chrétiens (Lipsius); mais
des païens (1Th 2:14) et des Juifs (1Th 2:15 et suivant) à
la fois (Goguel, o. e, p. 297). La persécution est passée; les
Thessaloniciens sont demeurés fidèles (1Th 3:6), et sont en
exemple aux chrétiens de Macédoine et d'Achaïe (1Th 1:7).
Les renseignements de Timothée ont donc été très favorables. Il y
avait bien, sans doute, quelques ombres au tableau: un peu
d'indiscipline (1Th 4:10-12 5:12). de l'insuffisance doctrinale
quant à la certitude de la vie future (1Th 4:13-18) et à
l'attente de la parousie (1Th 5:1-11) certaines lacunes dans la
foi (1Th 3:10); peut-être quelques différends (1Th 3:12
5:11,15); assurément des tentations; mais, dans l'ensemble, rien de
grave, et un esprit très fraternel (1Th 4:9).
2.
LE LIEU, LE TEMPS DE LA COMPOSITION.
La suscription: apo Athênôn (d'Athènes), dans quelques manuscrits
(A, K, L), s'explique vraisemblablement par une fausse interprétation
de 3:1 et suivant où Paul ne dit nullement qu'il écrit d'Athènes,
mais simplement qu'il a envoyé Timothée d'Athènes. Les données de
l'épître doivent être mises en parallèle avec celles des Actes;
malgré l'opinion de quelques auteurs, il ne semble pas qu'il y ait
entre elles aucune contradiction. Les unes et les autres sont
incomplètes; diverses conjectures également plausibles permettent de
les accorder.
Au moment où l'apôtre écrit, Silas et Timothée sont avec
lui (1Th 1:1). Il les avait laissés en Macédoine, au moment de
son départ forcé (Ac 17:14); dès son arrivée à Athènes, il leur
avait envoyé l'ordre de le rejoindre au plus tôt (Ac 17:15). En
l'absence d'une mention particulière, on peut cependant supposer que
cet ordre fut exécuté sans délai, soit par Timothée seul (Godet),
soit par tous les deux (Bornemann, Lake); la mention de Timothée seul
dans 1Th 3:1 ne semble autoriser à aucune précision. Timothée
repartit donc d'Athènes pour Thessalonique (et Silas également pour
la Macédoine, s'il était revenu). Ils rejoignent de nouveau Paul, au
moment où il est en pleine activité à Corinthe (Ac 18:5). C'est
alors, semble-t-il, que l'apôtre a dû écrire sa lettre.
Cependant, reprenant certains arguments de Köhler, Schrader,
etc., Hadorn a soutenu récemment que 1 Thess, fut composée au cours
du troisième voyage missionnaire de Paul. La situation serait celle
de la crise corinthienne (cf. 1 et 2 Cor.). La même vague d'anarchie,
d'antinomisme et de matérialisme aurait déferlé, simultanément, sur
les deux Églises, où l'autorité de l'apôtre aurait été, en même
temps, compromise. D'autre part, la propagation de l'Évangile en
Macédoine, en Achaïe (1Th 1:7 4:10), la mort de plusieurs
membres de la communauté (1Th 4:13 et suivants) supposeraient un
intervalle de plusieurs années. Ces derniers arguments sont d'une
grande faiblesse, et peuvent être négligés. Les premiers n'ont guère
plus de poids, car les quelques analogies signalées sont fort
exagérées, et, du reste, ne prouvent rien quant à la date de la
composition. On a vu que, dans l'ensemble, la situation à
Thessalonique était excellente, au moment où l'apôtre écrit sa
première lettre; son autorité n'était aucunement compromise; il n'est
même pas dit, comme le croient quelques auteurs, que le rappel de ce
que les Thessaloniciens lui doivent implique, à cet égard, la moindre
appréhension. Que certaines exhortations, celles à la pureté par
exemple, supposent à Thessalonique des tentations analogues à celles
de Corinthe, c'est évident; mais cela n'entraîne nullement identité
de situation et encore moins de temps. On pourrait d'ailleurs
invoquer ici, bien qu'il n'y ait aucune nécessité à le faire,
l'argument psychologique, d'après lequel un auteur fait toujours
entrer, fût-ce inconsciemment, dans sa composition, quelque chose de
ses expériences du moment; ce serait une raison de plus pour que
l'épître eût été écrite à Corinthe, la cité classique de la licence
et du désordre. Quant aux analogies prétendues de 1Th 4:13 et
suivants et de 1Co 15 sur la question de la résurrection, elles
ne dépassent pas le thème général. En réalité, lorsqu'on entre dans
le détail, on s'aperçoit, d'une part, qu'il ne s'agit nullement du
même aspect de ce vaste problème (pour les Thess., le fait
élémentaire de la résurrection; pour les Cor., plutôt le mode et la
nature de ce fait), et, d'autre part, que l'apôtre lui-même n'en est
pas exactement au même point; il est en progression vers l'attitude
définitive, hautement spiritualiste, celle de 2Co Enfin, un long
intervalle entre la fondation de l'Église et la composition de la
lettre ne s'accorde pas avec l'état d'esprit de Paul, sa douleur du
départ, son regret de n'avoir encore pu effectuer un retour, etc. La
thèse communément admise est donc de beaucoup la plus raisonnable:
l'épître a été composée à Corinthe, lors du premier séjour, et
quelques mois seulement après le départ forcé de Macédoine, soit,
d'après la chronologie qui paraît la plus probable, en l'an 51, sans
doute au début de l'année.
3.
LE BUT DE LA COMPOSITION.
Le but paraît à la fois simple et complexe; il n'a rien de
systématique.
Il est simple, parce que, même sans intention particulière,
l'apôtre, après la relation de Timothée, aurait écrit de pur
contentement et par affection.
Il est complexe, parce que, tout de même, en l'absence d'une
thèse particulière à défendre, l'apôtre vise à exhorter, à affermir,
à clarifier, sur des sujets et des points variés. Rendel Harris,
Bacon, Lake estiment que Paul a comme but essentiel de répondre à des
questions écrites que les Thessaloniciens lui auraient posées,
notamment sur la parousie. Il y aurait là une ressemblance avec 1Co
C'est une conjecture purement gratuite. L'usage parallèle d'une
préposition (péri), dans 1Th 4:13 5:1, et 1Co 7:1, ne
prouve rien; la 1 re personne du pluriel, dans 1Th 2:13, peut
englober Timothée, ou être, comme ailleurs, purement littéraire
(pluriel de majesté), sans faire aucunement allusion à une lettre,
que Paul d'ailleurs aurait certainement mentionnée de manière
explicite. Il est même peu probable que les Thessaloniciens aient
chargé Timothée de poser à Paul des questions précises, car celui-ci
en aurait fait mention. Il est plus simple d'admettre que, sur le
rapport de son compagnon, l'apôtre a résolu de leur écrire pour leur
exprimer sa satisfaction, son affection, et pour les exhorter, en
s'inspirant de ce qu'il vient d'entendre. Parmi les points qui ont
retenu son attention, et qui lui paraissent motiver une mention
spéciale, il y a la question de la parousie, qui reviendra en 2
Thess., plus difficile et plus brûlante. Pour le moment, Pau! se
contente d'affirmer ces deux choses: ceux qui sont morts dans la foi
ressusciteront, pour assister, au même titre que les vivants, à la
parousie du Seigneur; nul ne connaît les temps et les moments de cet
avènement. Le mot d'ordre est la vigilance.
H. Cl.