TEXTE ET VERSIONS DE L'ANCIEN TESTAMENT (2.)

II Versions.

1.

ORIGINE ET IMPORTANCE DES TRADUCTIONS DE L'A.T.

Il ne s'agit ici que des versions anciennes, nées à l'époque où le
T.M. n'était pas encore définitivement fixé ni même complètement
rédigé. Les versions modernes, à partir du Moyen âge, ne sont que des
traductions du texte reçu, celui des Massorètes du IX e ou X e
siècle, ou celui de Jacob Ben-Khovyim.

La canonisation des livres de l'A.T, s'opéra très lentement; il
fallut des siècles pour qu'une autorité indiscutable leur fût
reconnue. Ce phénomène est tout à l'honneur de nos écrits. Devant
cette expression si nette et si rude de la volonté de Dieu et devant
les admonestations impitoyables de leurs auteurs, le coeur d'Israël a
longtemps répugné à s'incliner. Mais c'est aussi tout à l'honneur de
la piété postérieure d'avoir finalement reconnu cette autorité et
conservé pieusement tant de pages douloureuses et amères pour son
peuple. Cette abnégation et la cruelle franchise avec laquelle ils
nous ont transmis ces documents sont une des preuves les plus
certaines de la valeur religieuse et morale de ces pages et de leur
puissance de régénération.

En même temps qu'on en reconnaissait l'autorité, on sentait le
besoin de les mettre à la portée de tous. On n'imaginait pas encore
qu'il fût suffisant de lire ces pages, même dans une langue
incompréhensible, pour que l'effet religieux et moral s'en fît sentir
aux auditeurs. Le sens du texte avait encore toute son importance.

Mais l'époque de la canonisation de nos livres coïncida avec
celle où l'hébreu disparut peu à peu comme langue vivante; beaucoup
de fidèles étant incapables de rien comprendre au texte sacré, il
fallut songer à traduire ce texte dans l'idiome qui leur était
familier. Cette nécessité se fit naturellement sentir tout d'abord
dans les pays étrangers où l'usage et la connaissance de l'hébreu
devaient fatalement disparaître, dès la seconde ou la troisième
génération, chez les Juifs qui y étaient établis. Nous devrions donc,
si nous suivions l'ordre strictement chronologique, commencer par là.
Il est toutefois plus naturel de suivre l'ordre linguistique et
géographique et de voir d'abord les oeuvres qui sont plus proches du
T.M. par l'idiome employé.

Inutile d'insister sur l'importance de ces traductions. Le désir
de posséder dans son intégrité le texte primitif de l'A.T, pousse le
savant à en chercher les traces partout et à solliciter de la façon
la plus pressante les témoignages qui s'y rapportent. Comme ces
traductions remontent à un temps où ce texte n'avait pas encore la
rigidité dans laquelle il se figea plus tard, il y a toutes chances
qu'elles nous fourniront des données du plus grand prix. Ce qui
n'exclut pas, certes, la prudence, car le traducteur, qui ignorait
encore le respect superstitieux de la lettre, a pu, ici et là,
prendre quelque liberté avec la teneur de son verset: les Targums,
par exemple, sont des paraphrases plus que des traductions, et il
convient de passer au crible de la critique plus d'une de leurs
indications.

2.

LES TEXTES SAMARITAINS.

La communauté des Samaritains (voir ce mot) se constitua à la suite
des événements de Jérusalem des années 450 à 430, celles de la
restauration de la nation et du culte juifs par Néhémie et Esdras, et
de l'intransigeance avec laquelle ces deux hommes et leurs
successeurs refusèrent de reconnaître pour leurs coreligionnaires les
Israélites de sang mêlé mais de foi authentique qui habitaient
Samarie. Cette intransigeance s'expliquait sans doute, elle pouvait
même être nécessaire; elle n'en fut pas moins regrettable et
contribua à la création d'un schisme religieux dont la faiblesse des
communautés rivales n'avait nul besoin.

Rejetés par les Juifs de Jérusalem, les fidèles de Samarie
constituèrent leur communauté, bâtirent un temple sur le Garizim, y
installèrent un prand-prêtre et reconnurent solennellement comme
fondement et norme de leur foi le Pentateuque. C'est ce recueil seul
qui constitue la Bible samaritaine, parce que seul il avait déjà, à
ce moment-là, valeur canonique, et cette circonstance est une
précieuse indication pour la détermination de l'époque de
canonisation de la Loi.

Ce Pentateuque, les Samaritains l'écrivirent en caractères
archaïques, avec la forme particulièrement contournée et ornementée
qui caractérise leur écriture. Ce texte n'a aucune voyelle et ne
connaît ni la division en chapitres, ni celle en versets; les
paraches ne correspondent pas non plus à celles des Juifs. On a
relevé entre le Pentateuque hébreu et le Pentateuque samaritain
environ 6.000 divergences qui touchent pour la plupart à
l'orthographe (plus souvent pleine que détective dans le
dernier) et à la grammaire. Il y en a aussi cependant de nature
dogmatique: ainsi, à plusieurs reprises, le Samaritain introduit «un
ange» de Dieu pour éviter les anthropomorphismes qui le choquent. En
tout cela, ce texte samaritain s'avère plus jeune que le T.M. Il n'en
reste pas moins un des meilleurs et des plus anciens témoins du texte
primitif. Il nous est conservé dans une quantité de manuscrits
déposés aux grandes bibliothèques de l'Occident et surtout dans le
Rouleau de la Loi que possède la seule communauté encore
existante des Samaritains, à Naplouse: ce rouleau est, de beaucoup,
le plus ancien manuscrit du Pentateuque qui existe (fig. 233).

A côté de ce Pentateuque samaritain (qui n'est donc pas autre
chose que le texte hébreu transcrit en caractères particuliers à ce
groupe linguistique), et sans parler d'une traduction en grec de ce
texte, le Samareïtikon, dont il nous reste des fragments, il
existe une traduction en dialecte samaritain, rameau de l'araméen:
c'est le Targum samaritain. Les grandes différences que l'on constate
entre les manuscrits existants de ce Targum permettent de conclure
que ces traductions proviennent de mains différentes et qu'aucune
d'entre elles ne fut reconnue définitivement comme traduction
officielle. Ce Targum, qui' n'est pas comme les Targums juifs une
paraphrase du texte mais une traduction mot à mot, est un précieux
monument du dialecte samaritain presque complètement éteint et
contribue à rehausser l'autorité et la valeur du Pentateuque
samaritain.

3.

LES TARGUMS ARAMEENS.

Nous désignons ainsi, quoique le Targum samaritain soit aussi un
Targum araméen, les traductions en langue araméenne faites à l'usage
du peuple de Palestine qui ne comprenait plus l'hébreu, et cela dès
le siècle qui a précédé l'ère chrétienne. Ces traductions dans la
synagogue, d'abord orales, ne devaient pas remplacer le texte sacré,
mais le faire comprendre aux assistants; de là leur caractère
approximatif; elles étaient en réalité plutôt des paraphrases. Elles
furent bientôt accompagnées et soutenues par des traductions écrites:
on ne pouvait, à la longue, laisser la fantaisie d'un interprète se
donner libre carrière dans une fonction aussi importante.

C'est au temps de Jésus qu'apparaissent les premiers Targums, ou
plutôt que leur existence est confirmée par les indications du
Talmud. Il en existe pour tous les livres de l'A.T., à l'exception de
Daniel et d'Esdras-Néhémie. Certains livres en ont plusieurs. Ces
traductions, très diverses, proviennent sûrement de mains
différentes; l'histoire de leur rédaction est très difficile parce
qu'elles n'avaient rien d'officiel, n'étaient faites que dans une
intention pieuse et ont été mises au point suivant les époques,
phénomène tout à fait pareil à celui qui se produisit lors de la
rédaction définitive de nos livres sacrés.

Cependant certains de ces Targums reçurent, à un certain moment,
une sorte de consécration: on choisit le meilleur ou le plus répandu
pour le Targum officiel. Pour le Pentateuque, cet honneur échut au
Targum d'un prosélyte nommé Onkélos (déformation probable du nom
d 'Akilas), qui date du II e siècle de notre ère. Il suit assez
exactement le T.M. tel que nous l'avons et ne devient para-phrastique
que dans certaines parties; l'auteur évite soigneusement les
anthropomorphismes et idéalise dans la mesure du possible. Cette
traduction repose sur une tradition orale oui remonte certainement à
l'époque pré-chrétienne. La date de sa rédaction est déterminée en
partie par la langue du document, encore assez voisine de l'araméen
biblique et différente de celle du Talmud. La rédaction définitive du
Targum d'Onkélos a été probablement faite au IV e ou V e siècle de
notre ère.

Nous connaissons plusieurs autres Targums, complets ou
fragmentaires, mais d'époque postérieure et surchargés d'adjonctions
sans grande valeur, le Targum de Jérusalem I, celui du
Pseudo-Jonathan ou Targum de Jérusalem II, etc.

Le Targum des Nebivim, postérieur à celui du Pentateuque, est
attribué à un élève de Hillel, Jonathan (1er siècle de notre ère),
mais la rédaction définitive n'en remonte pas au delà du V e siècle.
Cette traduction, assez littérale dans les livres historiques (Jos.,
Rois), devient une simple paraphrase dans les livres des prophètes
proprement dits. Des fragments d'un autre Targum des Prophètes
(Targum de Jérusalem) existent encore.

Quant aux Targums des «Ecrits», ils sont de nature très diverse,
tantôt traductions assez exactes, tantôt paraphrases qui confinent
aux Midraschim ou développements fantaisistes des rabbins. Ils
sont aussi d'époques différentes; la plupart sont relativement
récents: les éléments anciens qu'ils renferment ont été retravaillés
et surchargés d'adjonctions par des savants d'un temps plus récent,
et leur valeur pour l'établissement définitif du texte hébreu le plus
correct est très approximative.

Le texte de ces divers Targums se retrouve dans les Bibles
rabbiniques, soit de Bomberg soit de Buxtorf, et dans les
Polyglottes. Voir Targum.

4.

LES VERSIONS GRECQUES.

Les versions grecques de l'A.T, ont précédé, dans le temps, les
versions araméennes: celles-ci, nées en Palestine où l'usage de la
langue hébraïque se maintint encore longtemps, étaient moins
nécessaires, tandis que les Juifs dispersés, obligés de s'adapter aux
nécessités des contrées où ils se trouvaient, perdirent très vite cet
usage. Or, en dehors de la Palestine, la langue du commerce et de
l'industrie, des arts et des sciences, c'était le grec. La population
juive parlant exclusivement grec devint avec le temps plus nombreuse
et plus influente que le groupe demeuré en Canaan, et cette influence
devint prédominante dans le monde israélite, même sur le terrain de
la piété et de la foi.

Cette colonie dispersée sur tout le pourtour de la Méditerranée
était particulièrement nombreuse en Egypte, où son centre d'activité
était Alexandrie. C'est là que se manifesta tout d'abord le besoin de
mettre les trésors de l'A.T, à la portée des coreligionnaires qui ne
comprenaient plus l'hébreu, et c'est là que fut réalisée l'entreprise
monumentale dont les témoignages nous sont parvenus dans la version
alexandrine dite des Septante, et dans les traductions postérieures,
filles de celle-là ou rédigées en dehors de sa tradition.

a) La version des Septante (LXX).

Elle doit son nom à la légende que nous a conservée la Lettre
d'Aristée, Pseudépigraphe (voir ce mot) de la fin du III° siècle av.
J.-C.: le roi d'Egypte Ptolémée II aurait, sur le conseil de son
bibliothécaire, fait faire une traduction de la Loi des Juifs par 72
traducteurs de Palestine que le grand-prêtre Éléazar lui aurait
envoyés sur sa demande. En 72 jours ces savants exécutèrent leur
mandat, chacun travaillant dans la solitude pendant le jour, tandis
que le soir était consacré à une comparaison et à une mise au point
des traductions individuelles, d'où devait sortir le texte définitif.
Cette légende a passé de là chez Philon, Josèphe et les Pères de
l'Église, mais avec cette aggravation que le travail s'étendit à tout
l'A.T, et que les traductions individuelles se trouvèrent en fin de
compte absolument identiques, malgré la réclusion rigoureuse de
chaque traducteur.

Les investigations des savants ont confirmé l'exactitude de
plusieurs données de cette légende. La traduction n'a sans doute pas
été faite pour la bibliothèque royale mais pour les Juifs d'Egypte,
dans ce pays, à l'époque indiquée, soit dans la première moitié du
III e siècle av. J.-C. (300-250): nous savons par cette même Lettre
d'Aristée qu'elle jouissait, vers l'an 200, d'une très grande
considération parmi les Juifs. Elle a été faite par des Alexandrins
dans le dialecte courant, la koïnê, et non dans la langue
littéraire, ce qui exclut la rédaction par des Juifs de Palestine.

Quant à la rédaction en une seule fois de tout cet A.T. en grec,
elle est exclue par le simple fait qu'au moment où elle fut
entreprise le canon de l'A.T, n'était pas clôturé et que plusieurs
des livres qu'il renferme n'étaient pas encore rédigés. Elle est donc
une oeuvre de plusieurs générations, qui a suivi pas à pas la
confection du canon juif. La Loi, canonisée dès le V° siècle, fut
traduite la première, précisément au cours de ce III° siècle. La
traduction des Prophètes suivit bientôt et était certainement achevée
vers 150, peut-être même avant; le succès, dont nous avons des
preuves, de la traduction de la Loi auprès des Juifs d'Egypte devait
hâter cette rédaction: en tout cas le prologue de l'Ecclésiastique,
rédigé en 132 par le petit-fils de l'auteur et qui désigne l'A.T, par
la triple mention: «la Loi, les Prophètes et les autres Écrits»,
prouve que cette traduction était oeuvre accomplie, même pour une
bonne partie du 3 e recueil non encore clôturé ni canonisé. Ceci nous
empêche de déterminer exactement quels livres de ce 3 e recueil y
étaient déjà compris. Philon, contemporain de Jésus, cite tous les
livres de l'A.T., à l'exception, due au hasard, d'Ezéch., de Da et
des cinq Rouleaux; Josèphe de même. Le N.T. cite toujours l'A.T,
d'après les LXX, jamais d'après l'original hébreu, et ses citations
s'étendent à tous les livres, à part quelques petits prophètes,
Esth., Eccl., Cant, et Esd.- Ne La plus grande partie de ces
Ketoubim étaient déjà traduits dans le courant du II e siècle av.
J.-C. Ceci n'exclut pas la possibilité, voire la certitude, que
certains livres aient été traduits après cette époque.

Les LXX nous ont conservé un A.T. sensiblement différent de celui
du T.M., mais les différences portent sur des détails. Tout d'abord
ils répartissent les livres autrement, et telle a été l'autorité de
cette traduction que cette répartition a prévalu et que nous la
retrouvons aujourd'hui dans toutes nos Bibles modernes. Elle est due
sans doute à des motifs de piété et à des besoins pratiques; des
rapprochements extérieurs et assez superficiels ont été parfois
prépondérants: ainsi l'intercalation du livre de Ruth entre Juges et
Samuel à cause de Ru 1:1; celle des Chroniques et
d'Esdras-Néhémie après le livre des Rois parce que traitant les mêmes
sujets; celle d'Esther à la suite de ceux-là parce qu'on croyait y
trouver une page de l'histoire des Juifs. Ils ont relégué les
Prophètes proprement dits tout à la fin de leur canon parce que ces
livres leur paraissaient d'un tout autre contenu que les livres dits
historiques, etc. Mais, même à l'intérieur de ces grandes divisions,
l'ordre des livres diverge de celui du T.M.: ainsi le recueil des
prophètes commence par la collection des douze petits (Michée est au
troisième rang, Joël au quatrième), après quoi viennent Ésaïe,
Jérémie, Ézéchiel et Daniel, ce dernier rangé parmi les prophètes à
rencontre des indications du canon juif. Après quoi, ils ont réuni en
un seul groupe les livres poétiques et sapientiaux, mais Job y
précède les Psaumes, au moins dans certains manuscrits, car cet ordre
n'est nullement fixe, etc.

Ensuite la version des LXX répartit souvent le texte des livres
autrement que l'hébreu; ainsi elle a deux livres de Samuel, deux des
Rois, deux des Chroniques là où le T.M. n'en avait qu'un: c'est de la
Bible grecque que cette division aujourd'hui usuelle est passée, au
XVI e siècle seulement, dans les éditions du T.M. C'est la version
grecque aussi qui a donné aux livres de l'A.T, de nouveaux noms tirés
de leur contenu même, tandis que les Juifs les désignaient tout
simplement par le premier mot du livre; et c'est elle qui a créé et
popularisé les noms de Genèse, Exode, Lévitique, etc.; elle qui a
fait attribuer à Jérémie le petit livre des Lamentations, pour lequel
elle a une introduction inconnue du texte massorétique.

Ce n'est pas tout. La Bible grecque datant d'une époque où le
canon juif n'était pas clôturé, elle renferme toute une série
d'oeuvres que la Bible hébraïque a rejetées et dont le texte hébreu
ne nous est pas parvenu, quoique nous sachions, par les fragments
retrouvés du plus important d'entre eux, que cet original a existé.
Ce sont les livres dits apocryphes (c-à-d, inconnus,
suspects, avec un sens péjoratif que ne comportait pas du tout le
terme hébreu traduit par ce mot grec), de nature assez diverse, les
uns historiques comme les deux premiers livres des Macchabées, ou
fictions à base d'histoire comme 3 Macchabées, Judith, Tobit;
d'autres prophétiques comme Baruch et la lettre de Jérémie; d'autres
enfin poétiques et didactiques comme le livre de la Sagesse de Jésus
fils de Sirach (appelé aussi Ecclésiastique), le livre de la Sapience
de Salomon et 4 Macchabées. Cette liste ne comprend pas les
adjonctions aux livres canoniques d' Es et surtout de Dan., qui sont,
dans certaines Bibles, considérées comme des oeuvres indépendantes:
ainsi l'histoire de Suzanne et celle de Bel et du Dragon (voir
Apocryphes).

Mais le texte des LXX n'est pas non plus absolument identique au
T.M. dans les livres canoniques: les divergences sont nombreuses et
parfois considérables, dans 1Sa par exemple, 1 Rois, Ezéch., Jér.,
plus court de 2.700 mots environ, soit de 1/8, que le texte hébreu.
L'ordre des Ps 11 est pareil à celui du T.M. que pour les dix
premiers et les trois derniers, et cette répartition est encore celle
de la Bible catholique, grâce à la Vulgate. Les suscriptions des Ps
sont assez différentes, etc. Tout cela sans préjudice des
innombrables variantes répandues sur toute l'étendue du texte de
l'A.T.

La version des LXX, avons-nous dit, est en réalité une collection
de traductions faites à des époques et dans des conditions diverses.
Le caractère et la qualité de ces traductions sont donc très
différents et toutes ne méritent pas la même considération. Ainsi le
Pentateuque est traduit assez exactement, mais la version d'Esaïe est
fort défectueuse, celle des Psaumes n'est pas non plus très réussie.
Tantôt la traduction est juxta-verbale au point de faire de la phrase
grecque quelque chose de monstrueux, tantôt, comme dans les
Proverbes, le traducteur use à l'égard de l'hébreu d'une liberté qui
rend son texte souvent inutilisable pour le rétablissement de
l'original altéré. Dans le livre de Daniel nous avons presque une
paraphrase. Certains mots ou certains noms ne sont pas toujours
rendus de même façon: tantôt le grec reproduit simplement l'hébreu,
tantôt il traduit; ainsi (JHVH) Tsebaoth est rendu Esa 6:5
par Sabaoth, Ps 80:15 par ton dunaméôn, Am 6:14 par Pantocratôr.
Pour les noms propres, le grec semble avoir eu sous
les yeux une autre lecture que celle que nous donne aujourd'hui le
T.M., ou entendu prononcer ces noms autrement que nous ne les rendons
d'après l'hébreu. Là aussi l'araméen a exercé une certaine influence:
le grec Samaria, par exemple, se rapproche de l'araméen Châmerîn
plus que de l'hébreu Chômerôn

Il est du reste difficile de rétablir le texte exact des LXX, qui
a été corrigé et souvent déformé sous l'influence d'autres
traductions grecques et dont aucun manuscrit ne nous offre la teneur
primitive: tous sont la reproduction de recensions postérieures. La
raison en est sans doute la même que celle qui nous prive d'un T.M.
très ancien: on a utilisé ce texte grec pour les lectures de la
synagogue, à côté du T.M., et comme il s'agissait d'édification et
non de science, on adaptait le texte aux exigences de la piété du
moment.

Très nombreuses ont été, au cours des siècles, les reproductions
et les éditions du texte des LXX Cela n'a rien d'étonnant. Non
seulement cette traduction constitue le plus ancien monument de la
transposition de toute une littérature dans une langue complètement
étrangère, et cela sans aucun des moyens extérieurs dont dispose
aujourd'hui la science pour des travaux de ce genre, mais c'est elle
encore qui a légué l'A.T, à l'Église chrétienne, et que citent les
auteurs du N.T. auxquels elle était seule familière; elle encore qui
est, avec le Pentateuque samaritain, le plus ancien témoin de ces
pages que la piété chrétienne, héritière de la piété juive, a
appelées la Parole de Dieu. Ce texte grec est de plusieurs siècles
antérieur au T.M. tel que nous le possédons, et nous ne saurions en
exagérer l'importance pour la reconstitution du texte primitif de
nombre de passages altérés.

Cette importance a été si grande et les chrétiens des premiers
siècles firent des LXX un usage si exclusif que les Juifs auprès
desquels cette traduction avait eu d'abord la plus haute autorité
changèrent complètement d'avis à son égard: les rabbins prétendirent
qu'elle ne rendait pas le texte exact, que l'ordre où elle donnait
les livres n'était pas celui de la version primitive et que, par
conséquent, son autorité était de beaucoup inférieure. Le Talmud
raconte qu'au moment où la traduction fut achevée, une éclipse
obscurcit le ciel pendant trois jours. Le jour de cette traduction,
ajoutaient certains scribes, a été aussi funeste pour Israël que
celui où l'on a fabriqué le veau d'or! Cela ne diminue en rien le
prix que la science et la piété ont toujours attaché à cette oeuvre,
et, tout autant que le T.M. lui-même, la version des LXX a été depuis
le XVI e siècle l'objet d'innombrables études non terminées encore.

Les manuscrits des LXX sont extrêmement nombreux. Les plus
célèbres et les plus anciens sont le Vaticanus (à Rome) du IV e
siècle, le Sinaïticus
(à Londres) du IV e siècle et l' Alexandrinus (à Londres) du V e siècle, qui tous trois renferment
l'A.T, en entier, à côté du N.T. Les autres, dispersés dans presque
toutes les bibliothèques importantes d'Europe, n'ont que des
fragments plus ou moins étendus de l'A.T, et sont de valeur et
d'époques très diverses.

Les premières éditions imprimées furent celles de la
Polyglotte de Complut (1514-17), dont le texte a été reproduit dans
les Polyglottes d'Anvers et de Paris; puis l'Aldine, de Venise
(1518), et la Sixtine (1586) publiée sous le patronage de
Sixte-Quint, reproduite par la Polyglotte de Londres. Les éditions
les plus récentes, en particulier celle de H. Swete (Cambridge 1887 à
1894), offrent un choix abondant de variantes mais n'essaient pas de
rétablir le texte tel qu'il a dû exister primitivement. L'édition en
cours de publication à Stuttgart, sous la direction du professeur
Rahlfs, tentera cette reconstitution d'après les meilleures Sources.

b) Les autres traductions grecques et l'oeuvre d'Origène.
De même que le T.M., avant d'être canonisé, a été maintes fois
recopié et modifié par la piété des scribes, de même beaucoup de
traductions en grec furent entreprises avec des succès divers et dans
une indépendance plus ou moins grande à l'égard des LXX Aucune ne
nous est parvenue en entier; nous les connaissons surtout par les
allusions des Pères de l'Église, Irénée, Jérôme, Épiphane, etc. Trois
d'entre elles sont particulièrement intéressantes parce que des
fragments nous en ont été conservés dans les débris des Hexapla
d'Origène.

La première est celle d'Aquilas, Grec du Pont, contemporain et
peut-être parent de l'empereur Adrien. Converti au christianisme,
mais bientôt excommunié parce qu'adonné à l'astrologie, il passa au
judaïsme et devint un élève du célèbre R. Akiba (voir plus haut). Il
résolut de traduire en grec le T.M. afin de faire ainsi échec à la
version des LXX dont les chrétiens faisaient le cas que nous avons
vu. Cette traduction date probablement des années 130 à 140 de notre
ère. Elle est strictement littérale, au mépris flagrant des règles de
la grammaire et de la syntaxe grecques, et ceci non par ignorance
mais par volonté de rendre scrupuleusement toutes les particularités
du texte hébreu. Elle eut naturellement un grand succès auprès des
Juifs; Origène et Jérôme rendent aussi hommage à la conscience
d'Aquilas. Des fragments de son oeuvre ont été retrouvés dans une
synagogue du Caire, et Origène la cite dans ses Hexapla

Symmaque (Symmakhos) était, au dire d'Épiphane, un Samaritain
qui se convertit au judaïsme à l'époque de Marc-Aurèle (vers 170) ou
de Sévère (vers 200). C'est aussi probablement son zèle de néophyte
qui le poussa à entreprendre une nouvelle traduction de l'A.T. Il
peut se trouver cité dans le Talmud sous le nom de Soumekos. A
l'encontre d'Aquilas il s'efforce de rendre, dans le meilleur grec
possible, le sens de l'hébreu. Il ne reste de son oeuvre que les
passages conservés dans les Hexapla

Théodotion d'Éphèse était aussi un prosélyte à peu près
contemporain de Symmaque et dont la traduction fut faite vers la fin
du II e siècle (sous Commode). Elle peut avoir été une révision des
LXX plutôt qu'une oeuvre absolument originale. Dans ses Hexapla
Origène la place en sixième rang, et elle semble lui avoir servi à
combler les lacunes qu'il trouvait dans les LXX En tout cas sa
traduction du livre de Daniel a supplanté celle des LXX, et nous
pouvons ainsi nous rendre compte beaucoup mieux de la valeur de son
travail, Théodotion a ceci de particulier qu'il transcrit simplement,
sans en donner l'équivalent grec, les mots hébreux pour lesquels il
hésite, ce qui nous permet de constater quelle était alors la
prononciation de l'hébreu.

A côté de ces traductions-là, il en a existe d'autres dont nous
connaissons des fragments par l'oeuvre d'Origène, mais dont les
auteurs sont inconnus.

Impossible de traiter ce sujet des traductions de l'A.T, en grec
sans dire un mot du grand exégète alexandrin déjà souvent cité,
Origène (Mort en 253 ou 254). Au moment où il entreprit ses travaux,
une grande confusion régnait chez les Juifs et chez les chrétiens
relativement au texte de l'A.T. Le T.M. était bien à peu près fixé
depuis les travaux de R. Akiba et de son école, mais les traductions
grecques étaient nombreuses; celle des LXX, vieille de plus de cinq
cents ans dans certaines parties, pouvait revendiquer le droit de
donner le texte exact des écrits hébreux; elle avait cependant été
corrigée de maintes façons et à toutes les époques; les traductions
relativement récentes d'Aquilas, de Symmaque et de Théodotion, qui
prétendaient à une plus grande exactitude, ne taisaient en définitive
qu'ajouter à la confusion.

Origène entreprit vers la fin de sa vie (232) de mettre quelque
ordre dans ce chaos et dressa pour cela un grand ouvrage, les
Hexapla. Comme le nom l'indique, il transcrivit tout l'A.T, sur
six colonnes parallèles; dans la première il mit le texte hébreu
en caractères hébraïques; dans la seconde, le même texte en lettres
grecques; dans la troisième, le texte d'Aquilas; dans la quatrième,
celui de Symmaque; dans la cinquième, les LXX; et dans la sixième,
Théodotion. Lorsqu'il se trouvait devant une variante indépendante de
ces traductions, il la rangeait dans une septième, voire dans une
huitième colonne (Heptapla ou Octapla). Tout ce texte était
réparti dans chaque colonne en fragments très courts, de deux ou
trois mots. C'est la cinquième colonne qui nous intéresse le plus
parce que c'est elle qui donne le texte des LXX le plus ancien, avec
les corrections qu'Origène crut devoir lui faire subir d'après
l'hébreu. Il tenait celui-ci pour le plus exact, mais, ce vieux texte
grec lui apparaissant à maintes reprises plus correct que le T.M., il
marquait nettement sa préférence. Pour rendre tout cela clair à ses
lecteurs, il affubla de signes particuliers (obélos, astérisques,
etc.) soit les mots des LXX que ne renferme pas le T.M., soit
l'inverse (dans ce dernier cas, il comblait une lacune des LXX par un
emprunt à d'autres traductions, surtout à Théodotion), soit encore
les divergences des deux textes dans l'ordre des mots, etc. Travail
énorme, d'une inestimable valeur (quoique Origène n'ait pas toujours
appliqué avec rigueur sa méthode) et que l'on regrette de ne plus
posséder entièrement. Il fut probablement détruit par les musulmans
lors de la conquête de Césarée, où il était resté depuis la mort de
son auteur. En 1896 le savant Mercati en a retrouvé, à la
Bibliothèque Ambrosienne de Milan, des fragments qui confirment tout
à fait la description que nous en a laissée Eusèbe. Cet ouvrage ne
fut jamais reproduit dans son ensemble, mais la colonne des LXX,
qu'Eusèbe considérait comme le meilleur texte de cette version, fut
souvent recopiée, et beaucoup de manuscrits de cette version reposent
précisément sur cette rédaction d'Origène. Son autorité était si
grande qu'on en fit une traduction en syriaque qui reproduit
exactement le texte grec: c'est la fameuse Syrohexaplaris, du
début du VII e siècle, qui nous a été conservée mais qui
malheureusement ne s'étend pas à tout l'A.T. Ces reproductions ne
renfermaient pas les indications relatives aux modifications
introduites par Origène; on eut ainsi bientôt un texte mélangé d'où
il était fort difficile de dégager soit le texte primitif des LXX,
soit celui des traductions auxquelles on avait emprunté des
corrections.

Pour être complet, il faut encore mentionner les traductions
qu'Origène a employées pour certaines parties de l'A.T., les Psaumes
par exemple, et qui constituent, à côté des quatre traductions
principales (LXX, Aquilas, Symmaque, Théodotion), les cinquième
(Quinta), sixième (Sexta), voire septième. Il ne nous en est
parvenu que des fragments.

Ajoutons enfin que d'autres recensions des LXX furent
entreprises, entre autres par le prêtre Lucien d'Antioche, par
Hésychius en Egypte au IV e siècle, etc.

5.

LES VERSIONS SYRIAQUES, LA PESHITO.

Nous n'avons pas traité ce sujet en même temps que celui des
traductions araméennes de l'A.T., malgré la parenté des dialectes,
parce que la traduction en syriaque de l'A.T, a été faite
probablement par des chrétiens et dans l'intérêt des Eglises de Syrie.

La plus ancienne de ces traductions porte le nom de Peshîto
(fém. de peshît =simple), avec l'article Peshîtto ou Pechitto
=la simple, terme que l'on explique de diverses façons:
la traduction littérale, sans paraphrase, ou bien la traduction
ordinaire, la plus répandue, ou encore, selon Steuernagel, la
traduction unique, par opposition à la version quintuple ou sextuple
des Hexapla. Ce ternie n'est pas très ancien et n'est courant que
depuis le VIII° siècle. La Peshîto de l'A.T, a été traduite
directement de l'hébreu, on ne sait exactement à quel moment. Le plus
ancien manuscrit conservé date de 464, mais comme la Peshîto est déjà
utilisée par les Pères de l'Église syrienne au IV e et suivant.
(Éphrem) et que cette Église fut fondée vers l'an 100, nous ne nous
trompons guère en plaçant la rédaction de cette oeuvre vers 150; la
tradition lui donne une origine plus ancienne encore: il faut retenir
de là que la première communauté chrétienne syrienne comptait de
nombreux Juifs et pouvait être née d'une synagogue qui, probablement,
possédait déjà une partie de l'A.T, en syriaque. Le caractère très
judaisant de la traduction confirme cette supposition. On ne peut
dire si elle a été faite par un seul traducteur; c'est toutefois peu
probable. La méthode, au dire de certains savants, est partout la
même; d'autres y relèvent des divergences assez considérables, ce qui
est en tout cas certain pour le livre des Chroniques. Elle est en
général soigneusement faite et rend fidèlement l'original hébreu avec
quelque liberté dans l'emploi de certaines formes. Si le T.M. est à
la base de presque toute la traduction, on retrouve cependant ici et
là l'influence des LXX, ainsi chez Ésaïe et dans les Psaumes, mais il
est difficile de dire si le traducteur a utilisé la version grecque à
côté du T.M., ou bien si la Peshîto a été dans la suite corrigée
d'après les LXX La traduction syriaque primitive renfermait tous les
livres de l'A.T, à l'exception des Chroniques, qui ne furent ajoutées
que plus tard et qui manquent dans le canon de plusieurs sectes
syriennes. D'assez bonne heure les livres apocryphes qui en étaient
d'abord exclus y furent réintroduits.

L'importance de cette oeuvre pour l'établissement d'un texte
définitif de l'A.T, est très grande, à cause de la parenté des
langues et de la fidélité de la plus grande partie de la traduction.
Malheureusement, aucune édition critique de la Peshîto n'existe
encore; les Polyglottes de Paris et de Londres ont donné pour la
première fois le texte complet d'après des manuscrits orientaux, et
ce dernier a été reproduit dans la Bible syriaque publiée à Londres
en 1824 par la Société Biblique britannique et étrangère. La dernière
édition de la Peshîto est celle des Dominicains de Mossoul (1888-92).
1l n'existe d'édition critique que pour quelques livres isolés.

Après la Peshîto, d'autres traductions en syriaque furent
entreprises sur le texte grec. La plus importante est celle que fit
en 616-617 l'évêque Paul de Tella sur le texte des Hexapla
(la Syrohexaplaris, voir plus haut). Elle est précieuse parce qu'elle
suit mot à mot son guide et permet de reconstituer celui-ci assez
exactement. Il reste d'assez nombreux fragments d'autres traductions
des V° et VI e siècle, mais toutes dépendantes du texte ordinaire des
LXX

6.

LES VERSIONS LATINES.

Tandis que l'A.T, a été traduit en grec de très bonne heure, pour
répondre aux besoins religieux des Juifs établis en Egypte, aucune
nécessité de ce genre n'existait dans les pays où le latin était la
langue dominante. Ce n'est que par l'expansion du christianisme en
Occident que le besoin se fit sentir de donner aux fidèles, dans la
langue qui leur était familière, les livres qui constituaient la
norme de la foi: les écrits du N.T. et ceux de l'A.T., sur lesquels
les premiers reposaient d'aplomb. Ce travail de traduction n'a donc
commencé en Occident qu'au I er siècle de notre ère, et l'histoire
des versions latines de la Bible et particulièrement de l'A.T, est
toute différente de celle des versions grecques. Elle s'y rattache
pourtant étroitement parce que, comme nous l'avons dit, la version
des LXX étant pour les chrétiens le texte courant de l'A.T., c'est du
grec que ces premières traductions latines ont été faites et c'est
l'écho du texte grec que nous y retrouverons.

(a) La Vetus latina. La plus ancienne dont il nous
reste d'importants fragments est celle que l'on appelle la Vetus
latina,
pour la distinguer de la version plus récente et plus
célèbre de Jérôme. On l'appelle aussi l' Itala: Augustin désigne
ainsi, dans un de ses écrits, l'édition latine de la Bible qu'il
avait rapportée d'Italie en Afrique, par opposition aux éditions
africaines; mais ce terme n'a aucun sens scientifique. Il convient
d'ajouter que les premières traductions latines de la Bible ont été
faites très probablement en Afrique où le latin était seul parlé à
côté de la vieille langue punique, tandis qu'en Italie, à Rome tout
spécialement, le grec fut longtemps la langue de la communauté
chrétienne et ne fut supplanté qu'assez tard par le latin. La vieille
traduction latine, déjà citée peut-être par Tertullien, et en tout
cas par Cyprien (Mort en 258), doit donc dater de la fin du II°
siècle environ. Elle existait en plusieurs textes dont aucun n'avait
autorité prépondérante, si peu même qu'on ne craignait guère de la
modifier sans scrupule. La traduction est rigoureusement littérale:
le rédacteur s'est tenu le plus près possible du texte grec sans se
laisser détourner par rien de ce principe, au point même que son
texte fourmille d'erreurs de grammaire et de syntaxe.

Au IV e siècle, le désordre était devenu si grand dans l'Église
latine et les manuscrits de la Bible différaient tellement entre eux
que le pape Damase (Mort en 384) chargea le savant dalmate Jérôme de
réviser ce texte latin. Celui-ci s'y appliqua d'abord à Rome et,
après avoir mis au point le N.T., donna deux éditions du Psautier,
l'une à Rome même (psalterium romanum), la seconde en tenant
compte des Hexaples d'Origène, qu'il avait appris à connaître à
Césarée (psalterium gallicanum). Son travail de révision se
poursuivit sur les autres livres de l'A.T. Plus tard, cependant,
lorsqu'il eut appris l'hébreu, il entreprit une nouvelle traduction
directement sur le texte original. Son oeuvre, sur laquelle nous
allons revenir, relégua peu à peu dans l'ombre la vieille version
dont nous ne possédons plus qu'un petit nombre de manuscrits. A cet
égard les citations des plus anciens Pères de l'Eglise latine sont
d'un très grand prix parce qu'elles nous aident à reconstituer le
texte primitif. Pour l'étude de la Vetus latina, le grand ouvrage
du bénédictin P. Sabatier (1739-49) est encore indispensable: il y a
réuni les fragments connus de cette traduction et les citations des
Pères. Aucune édition plus récente n'a remplacé celle-là, malgré les
beaux travaux de nombreux savants.

(b) La Vulgate de Jérôme. C'est vers l'an 390 que
Jérôme, tenant compte des expériences faites, entreprit l'oeuvre
nouvelle; il commença par les livres de Samuel et des Rois et
poursuivit son propos jusqu'en l'an 405 où il traduisit le livre des
Psaumes. Tout l'A.T, était compris dans cette nouvelle édition, à
part le livre de Baruch, la Sapience de Salomon, l'Ecclésiastique et
les deux livres des Macchabées, ouvrages apocryphes qui continuèrent
à figurer dans la Bible latine avec le texte de la Vetus latina

L'oeuvre était fort belle quoique Jérôme l'eût, de son propre
aveu, faite trop hâtivement parfois, et qu'il eût, à maint endroit,
tenu trop grand compte de l'ancienne traduction. Il traduisait
d'après le T.M., et nous pouvons ainsi constater que ce texte hébreu
était presque exactement celui que nous possédons (voir plus haut);
mais il avait aussi sous les yeux le texte des LXX et des autres
traductions grecques de l'A.T., et il ne négligeait point, au besoin,
les données de l'exégèse des rabbins. Le principe qui le guidait
était celui-ci: rendre non pas le mot à mot du texte hébreu, mais le
sens exact de la phrase dans un latin aussi élégant que possible.
C'était le contre-pied direct de l'ancienne traduction. Cependant son
visible souci de respecter cette dernière, afin de ne pas trop
désorienter les lecteurs de la Bible en leur mettant sous les yeux un
texte absolument nouveau, donne quelquefois à son travail l'apparence
et les faiblesses d'un compromis.

Quoique ordonnée par le pape et donc couverte du prestige du
siège apostolique, la traduction de Jérôme ne fut pas accueillie avec
la satisfaction que l'on penserait et que ferait supposer l'autorité
qu'elle acquit plus tard. Elle fut attaquée violemment par des
chrétiens éminents comme Rufin (traducteur latin d'Origène); Augustin
ne s'en montra pas absolument content. On était trop habitué au vieux
texte en usage dans le culte, et l'autorité de la Vetus latina
était telle que jamais la traduction nouvelle des Psaumes que Jérôme
fit d'après le T.M. ne trouva accueil dans la Bible complète: c'est
sa traduction révisée d'après les Hexaples (le psalterium
gallicanum),
qui resta et reste encore aujourd'hui le texte
officiel de l'Église romaine. Les V e et VI° siècle sont remplis,
dans ce domaine, de la compétition entre les textes de la Vetus
latina
et de la traduction de Jérôme, celle-ci ne refoulant la
première que très lentement. Le pape Grégoire le Grand (Mort en 604)
nous apprend lui-même que de son temps le siège apostolique se
servait encore des deux traductions. Dès cette époque, toutefois, le
texte de Jérôme l'emporte; au IX e siècle 1l est presque seul en
usage, si bien même que dès le XIII e siècle sa traduction reçoit le
nom sous lequel elle est connue aujourd'hui: editio vulgata, la Vulgate

Elle triomphait, mais la lutte avait trop duré pour que l'oeuvre
du grand savant n'eût pas souffert beaucoup de ces contestations; du
reste Jérôme lui-même nous avertit qu'il n'a pas «écrit» de sa propre
main le texte de sa traduction mais qu'il l'a dictée à un secrétaire:
première source d'erreurs dont il n'est naturellement pas possible de
mesurer l'étendue. Ensuite, comme elle n'était pas reconnue par tous
pour la version officielle, on ne se fit guère de scrupules d'y
introduire des corrections empruntées pour la plupart à la Vetus
latina.
Il est donc difficile, en définitive, de se faire une idée
exacte du travail de Jérôme.

La multiplication des manuscrits, qui tous avaient leurs
particularités (si bien qu'il était impossible de savoir quel était
le véritable texte), obligea assez tôt les docteurs de l'Église à un
travail de révision pour l'établissement d'un texte officiel. Nous en
trouvons les premières traces au VI° siècle (Cassiodore); plus tard
Charlemagne chargea Alcuin d'une édition corrigée pour l'Église
franque (801). D'autres savants poursuivirent plus tard ce labeur
jusqu'au moment de l'invention de l'imprimerie, mais sans que le
dommage fût corrigé: en 1267, Roger Bacon se plaignait au pape de
l'état désastreux (horribiliter corrupium) du texte latin de la
Bible et, sans succès du reste, suggérait au souverain pontife l'idée
d'en ordonner une révision totale.

Les premiers textes imprimés: le Psautier de Gutenberg (1457), la
Bible de Mavence (1462), firent éclater les déficits de ces
manuscrits. Les éditeurs de la Polyglotte de Complut, Robert Estienne
(dès 1528 pour l'A.T.), d'autres encore s'efforcèrent, sur le
témoignage des manuscrits les plus anciens et les meilleurs, de
reconstituer le texte de Jérôme; mais seuls la décision du Concile de
Trente et les travaux qui en résultèrent marquèrent une étape
véritablement nouvelle. Dans sa session du 8 avril 1546, la grande
assemblée décida que tous les livres de l'A.T, et du N.T. y compris
les Apocryphes constituaient le canon biblique de l'Église et que le
texte officiel et obligatoire en était celui de la Vulgate; qu'à cet
effet une édition nouvelle et définitive de ce texte devait être
confectionnée par les soins du siège apostolique.

Chose curieuse, cette décision ne fut suivie d'effet qu'un
demi-siècle plus tard: en 1590 l'édition nouvelle, dont le pape
Sixte-Quint ordonna l'établissement, sortit enfin des presses du
Vatican: c'est la fameuse Sixtine, que les Jésuites attaquèrent
avec violence, qu'ils réussirent à faire condamner par le pape
Clément VIII (il n'en reste que quelques exemplaires) et qu'ils
remplacèrent par une nouvelle édition, la Clémentine (1592).
Celle-ci différait de la précédente en quelque 3.000 endroits; malgré
ces améliorations, elle était pleine de fautes; dans les éditions
suivantes encore du XVI e siècle, on s'appliqua à les corriger, mais
on se permit aussi nombre de modifications. Depuis lors, la
Clémentine a été reproduite sans grands changements et constitue le
texte officiel de la Bible de l'Église romaine.

Il y a plusieurs éditions modernes de la Vulgate, celles de: van
Ess, 1822; Hetzenauer, 1906; Heyse et Tischendorf, 1873. Malgré la
valeur de ces travaux, surtout du dernier, aucune édition critique
n'existe encore, et cette absence d'un texte digne de confiance
affaiblit beaucoup l'autorité que cette vénérable traduction pourrait
avoir dans l'élaboration d'un texte définitif de l'A.T. Cela n'enlève
du reste rien au prix des lectures originales de beaucoup de passages
et des corrections qu'elles suggèrent. Il est à craindre que la
grande édition critique que les bénédictins sont chargés de publier
ne soit pas encore l'édition définitive, vu les réserves que
l'autorité supérieure de l'Église ne peut manquer de faire quant à la
liberté des éditeurs.

Les traductions latines assez nombreuses qui ont paru après celle
de Jérôme en sont toutes dépendantes, à des degrés divers.

7.

AUTRES VERSIONS ANCIENNES.

Encore une fois il s'agit ici uniquement des traductions de l'A.T,
faites aux premiers siècles de l'ère chrétienne, avant que le texte
de l'A.T, fût définitivement figé dans la tradition massorétique, et
qui peuvent, par leurs lectures variées, nous aider à reconstituer un
texte primitif plus exact. Malheureusement elles ont toutes été
faites d'après les LXX et n'en sont que des échos, précieux tout de
même étant donné que ce texte des LXX a subi lui aussi bien des
retouches et que telle de ces traductions peut nous en révéler un
autre que le texte traditionnel.

(a) Versions coptes. Les LXX furent traduits très
tôt dans les divers dialectes parlés en Egypte et dérivés de l'ancien
égyptien. On ne peut dire à quel moment ce travail commença:
apparemment peu après que la version grecque eut été achevée, vers
l'an 300, au témoignage assez unanime des savants. Celles que nous
possédons, versions bohaïrique, sahidique, etc., et qui sont
fragmentaires, reposent pour la plupart sur la recension des LXX
faite par Hésychius à la fin du III e ou au début du IV e siècle;
telle d'entre elles cependant peut avoir été faite sur des textes
plus anciens, même antérieurs à Origène.

(b) Version éthiopienne. Celle-ci, qui semblerait
devoir nous être de grand secours pour la reconstitution du texte
primitif à cause de la parenté des langues, n'a malheureusement vu le
jour qu'assez tard. Une légende pieuse en attribue bien la rédaction
à Frumentius, l'apôtre de l'Abyssinie au IV e siècle, mais cette
indication est suspecte. Il est probable qu'elle fut faite dans les
dernières décades de ce siècle, lorsque le christianisme eut pénétré
partout dans le pays. D'après une autre tradition, des missionnaires
syriens traduisirent en éthiopien le texte des LXX dans la recension
de Lucien d'Antioche. Malheureusement cette première rédaction ne
nous est pas parvenue, car, après de longs siècles où elle subit de
graves altérations, elle fut soumise, au XIV e siècle, à une révision
totale ayant pour base non le texte hébreu primitif mais probablement
la traduction arabe de Saadja (X e siècle). Cette rédaction-là semble
avoir encore subi d'assez nombreuses modifications, comme en font foi
les manuscrits conservés qui ne remontent pas au delà du XIII e
siècle; Ludolf au XVIII e siècle et Dillmann dès 1853 en ont publié
une grande partie, mais aucune édition critique de l'A.T, entier
n'existe encore, et le secours qu'elle nous donne pour le
redressement du texte hébreu de l'A.T, est assez minime.

(c) Version arabe. On en peut dire autant de la
traduction en arabe de l'A.T. Il y en eut probablement des fragments
dès les premiers siècles de notre ère, car Juifs et chrétiens
s'étaient établis en assez grand nombre dans le sud de l'Arabie, et
les générations nouvelles ne comprenant sans doute ni l'hébreu ni le
grec, il fallut mettre les livres saints à leur portée dans la langue
du pays, comme les LXX l'avaient fait pour les Juifs d'Egypte. Une
preuve de la diffusion de ces textes ou tout au moins de leur
importance auprès des Arabes pourrait être l'influence que Mahomet a
subie et dont la trace se retrouve si nette dans sa doctrine et dans
le Coran. Mais rien de tout cela ne nous est parvenu, sauf un
fragment du VIII° siècle d'une traduction des Psaumes qui reproduit
tout à fait le texte grec. Il faut descendre au X e siècle pour
trouver une traduction faite directement du texte hébreu par le
savant juif Saadja (Mort en 942), et dont il reste des fragments
considérables. L'attitude indépendante de ce savant nous est une
garantie de la valeur de son travail, et son aide nous permet de
contrôler et de corriger maintes données des autres versions. Quant
aux autres traductions, elles sont toutes postérieures et dépendantes
en définitive du texte des LXX

(d) Version arménienne. Nous la mentionnons à
cause de son antiquité: les plus anciens témoignages de son existence
la font dater du V e siècle; elle fut faite d'abord sur un original
syriaque, puis sur un texte grec. La traduction conservée suit
servilement les LXX d'Origène dans ses Hexapla. Elle est donc
précieuse parce qu'elle nous permet de déterminer exactement ce
qu'était cette recension grecque dont nous n'avons plus que des
fragments. Ici et là cependant des variantes caractéristiques
semblent provenir des originaux syriaques.

Ce bref résumé de l'histoire de ces traductions fait toucher du
doigt les vicissitudes du texte de la Bible et surtout de l'A.T. Bien
loin d'avoir été donné en une seule fois de façon définitive, ce
texte a passé par une longue période de gestation où il était exposé
à toutes sortes de corrections, d'autant plus dangereuses qu'elles
étaient faites avec plus de sincérité et de piété. Ce sont bien les
hommes qui ont fait la Bible, et leurs faiblesses et leur ignorance
en auraient sûrement compromis la merveilleuse mission si Dieu
n'avait veillé. L'histoire de ces transformations est donc, par
contre-coup, l'histoire de la sollicitude de Dieu pour les hommes
auxquels Il voulait conserver sa Parole, et c'est encore sa gloire
que nous voyons resplendir au travers des péripéties de la rédaction
et de la conservation du texte sacré.