SALUTATION
Les salutations ont toujours joué un très grand rôle dans la vie de
l'Oriental, à la politesse exubérante; elles joignent aux paroles
généralement prolixes les gestes démonstratifs (Ex 18:7), et
elles ont autant d'importance lors des séparations que lors des
rencontres.
On salue les supérieurs, les grands personnages,
en se prosternant devant eux jusqu'en terre (Ge 33:6 42:6 etc.),
en s'agenouillant (Mr 10:17 etc.);
on se tend les mains, on s'embrasse: (2Sa 15:5 etc.)
voir Gestes.
Les formules de salutation sont tenues pour solennelles; elles se
confondent assez souvent avec de véritables bénédictions (voir ce
mot) auxquelles est attribué un pouvoir caché et une sorte
d'existence indépendante. (cf. Lu 10:6)
Le verbe hébreu bârak (=bénir) peut donc se traduire aussi
dans bien des cas par saluer, (cf. Ge 47:8,1Sa 13:10,Pr 27:14,
etc.) et le grec aspazesthaï s'applique tout à la fois au salut
respectueux ou fraternel, au baiser, à l'accueil en général, au
message affectueux dont on charge un ami pour des amis (Mt 5:47,Ac
25:13,1Th 5:26 2Jn 1:10).
Les saluts des Israélites s'exprimaient surtout par le terme de
châlôm, qui signifie: paix, dans un sens très large comprenant à
la fois santé, sécurité, prospérité, bien-être (1Sa 1:17,1Ch
12:18 etc.); «s'informer de la paix» est une locution équivalant
au verbe saluer (Jug 18:15 etc.).
Les questions personnelles se pressent autour de ces
informations (Ge 43:27-29,2Sa 20:9 etc.); en général elles se
prolongent et se répètent interminablement (voir dans Beedeker,
Palestine et Syrie, p. CIX, les salutations et formules de
politesse des bédouins et des paysans d'aujourd'hui, qui reprennent
volontiers une demande une douzaine de fois; il en est de même chez
bien des peuples primitifs, au témoignage des voyageurs et
missionnaires); ainsi s'explique la consigne d'éviter les
salutations, lorsqu'on ne doit perdre son temps à aucun prix (2Ro
4:29,Lu 10:4).
Le terme péjoratif de salamalec, qui s'applique aux
politesses exagérées, est précisément la forme francisée du salam, ou
salut, musulman: es-salam aleïka, qui est calqué sur le salut
hébreu: «La paix soit avec toi!» Cette expression est la plus commune
dans l'A.T., et aussi dans le N.T., où elle est parfois littéralement
traduite (Jug 19:20,1Sa 25:6,Jn 20:19,21,26,1Pi 5:14 etc.).
C'est à cette formule de salutation que Jésus fait allusion dans la
chambre haute: «Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix; je ne
la donne pas comme le monde la donne» (Jn 14:27), c-à-d, «je
vous dis adieu; c'est mon adieu que je vous adresse; mon adieu n'est
pas comme l'adieu du monde...l'adieu du monde est pour toujours; moi,
je vais revenir» (A. Westphal).
Les protestations verbales du monde oriental sont d'ailleurs en
fonction de son imagination sans mesure; la courtoisie et la faconde
en varient à l'infini des développements improvisés, suivant les
circonstances les plus diverses.
Ceux qu'a conservés l'A.T, sont du reste modérés (par ex. les
habiles compliments d'Abigaïl à David: 1Sa 25:23 et
suivants). Les salutations spécifiquement religieuses y sont
fréquentes: voir les saluts échangés entre Booz et ses moissonneurs,
entre Booz et Ruth (Ru 2:4-12); ce salut des moissonneurs est
repris dans Ps 129:8.
Quant à la bénédiction de Ps 118:26, ce devait être un des
répons, prononcé par un choeur ou par un prêtre, dans ce chant de
fête au temple de Jérusalem (cf. Bbl. Cent.); elle sera lancée comme
acclamation messianique devant le cortège du Seigneur entrant dans la
ville (Mt 21:9), et les parallèles des quatre évangiles donnent
une idée des variantes individuelles qui devaient s'entrecroiser à ce
moment.d'enthousiasme populaire (voir Hosanna). Les vivats réservés
aux rois étaient plus ou moins stéréotypés (1Sa 10:24,1Ro 13:9,2Ro
11:12,Ne 2:3,Da 2:4 5:10); ils se sont perpétués à travers les
siècles.
Le N.T. adopte parfois la forme de salutation grecque, en rendant
par khairé, khaïreïn (=réjouis-toi), le châlôm hébreu;
littéralement, ce n'est plus la paix, mais la joie (en latin, ce sera
la santé: vale =porte-toi bien), la portée de la formule de
politesse demeurant la même: salut! (Lu 1:28,Mt 26:49,Mr 15:18)
Dans la correspondance écrite officielle entre les rois de Perse
et leurs gouverneurs apparaît la salutation araméenne chelâm,
chelâmâ =salut, prospérité, paix parfaite! (Esd 4:17 5:7)
De même, dans deux lettres de l'époque apostolique, c'est la
salutation classique du temps: khaïreïn (Ac 15:23 23:26).
Comme le Maître avait tiré enseignement du châlôm hébreu,
ainsi l'apôtre Paul tire enseignement de ce khaïreïn grec lorsque
dans son «épître de la joie» il donne à ce mot d'adieu alors devenu
banal toute sa force d'exhortation chrétienne:
«Réjouissez-vous!» (Php 3:1 4:4). Et l'épître de Jacques,
aussitôt après le «salut» (khaïreïn) à ses lecteurs, en prend
texte pour sa première exhortation: «Parfaite joie, mes frères, les
diverses épreuves qui vous surviennent» (Php 1:1 et
suivants).
La correspondance populaire des premiers siècles, retrouvée
depuis quelque cinquante ans dans les innombrables papyrus d'Egypte,
prouve que le plan même des épîtres du N.T. était exactement celui
des lettres entre particuliers: nom et titre de l'auteur, nom et
titre du destinataire, et une brève salutation de l'un à l'autre,
consistant en un souhait de joie, de paix, de bonne santé; puis
généralement une action de grâces, suivie enfin de l'objet de la
lettre, et de nouveau des actions de grâces et des voeux de bonne
santé, enfin une salutation plus ou moins élaborée, désignant souvent
un certain nombre de personnes.
C'est ainsi que le chap. 16 de l'épître aux Romains, avec tant de
salutations, ressemble tout à fait à ces fins de lettres du I er ou
du II° siècle: «Salue Diodore avec les autres; salue
Harpocrate...Salue bien fort Capiton et mes frères, Serènille et mes
amis, etc.» L'expression de 3Jn 1:14: «Salue les amis, chacun en
particulier» (grec, kat'onoma) y est aussi très fréquente. La
salutation isolée, à la 1re personne du singulier, de Tertius le
scribe qui avait écrit l'épître aux Romains dictée par saint
Paul (Ro 16:22), trouve aussi un cas similaire: une lettre du
III° siècle envoyée à son frère par une certaine Hélène, se termine
par ce post-scriptum de la même écriture que la lettre: «Et moi
Alexandre, votre père, je vous salue beaucoup» (VGT, p. 85).
Jn L.