SALOMON
1.
Les traditions sur Salomon conservées dans la Bible, puis dans le
Talmud, donnent l'impression d'un personnage extraordinairement
puissant. Il règne de l'Euphrate à l'Egypte. Sa sagesse est célèbre
jusqu'aux extrémités de l'Arabie. Sa piété, non moins éminente,
s'incarne dans l'entreprise fastueuse du temple de Jérusalem. Sa
magnificence et sa richesse sont telles que l'argent devient, sous
son règne, un métal commun. Tout à la fin seulement, on ajoute qu'il
fut induit par ses nombreuses épouses païennes à pratiquer
l'idolâtrie, ce que JHVH punit en détachant de lui les peuples qu'il
avait soumis et en provoquant un schisme dans son royaume aussitôt
après sa mort. On reconnaît dans ce schéma l'esprit des narrateurs
deutéronomistes: d'abord pieux et heureux, finalement idolâtre et
châtié. La réalité fut moins simple. Pour en reconstituer
approximativement un aperçu, il faut faire abstraction des ouvrages
qu'une postérité déjà lointaine attribua au glorieux monarque: les
Ps 72 Ps 127, le livre des Proverbes, l'Ecclésiaste, le Cantique
des Cantiques, les Psaumes et Odes de Salomon, ces dernières plus
chrétiennes que juives.
2.
L'avènement de Salomon est narré en détail; d'après des documents
anciens, David, vieilli et mentalement affaibli, n'avait pourvu à sa
succession ni en la fixant légalement dans sa famille, ni en
exprimant une volonté déterminée. Parmi les fils qui lui restaient
après la mort d'Absalom, Adonija et Salomon avaient chacun des
partisans; le premier, plus âgé, comptait sur l'appui du vieux
général Joab et du prêtre Abiathar. Pour Salomon intriguaient sa mère
Bath-Séba, le prophète Nathan, le prêtre Tsadok et Bénaja, chef de la
garde du corps. Adonija se croyait sûr de réussir, lorsque Bath-Séba
et Nathan parvinrent à décider le monarque presque moribond en faveur
de l'autre compétiteur. Salomon reçut donc l'onction royale et fut
promené en triomphe à travers Jérusalem. Adonija reconnut la royauté
de son frère et tout d'abord rentra en grâce. Salomon saisit la
première occasion pour en finir avec le parti vaincu qui restait à
redouter. Il trouva un prétexte pour faire mettre à mort Adonija,
puis Joab, et il exila Abiathar (1Ro 2:13,35). Ce sanglant lever
de rideau d'un grand règne est présenté comme l'exécution, aggravée
cependant, des dernières volontés de David.
3.
Le règne.
Les chap. 3-11 de 1Ro paraissent empruntés principalement à une
«chronique de Salomon», qui ne relatait que les événements
extérieurs, guerres, alliances, constructions, trafics, sans les
coordonner. C'étaient des annales officielles, accueillant çà et là
diverses traditions populaires. Le règne y apparaît, déjà, vu à
quelque distance. Salomon étant mort vers 935, on peut placer la
composition de la «chronique» au cours de la deuxième génération
suivante, vers 875. L'admiration pour le grand roi y est encore
intacte, mais elle ne va pas jusqu'à effacer la mention de ses revers.
Des enrichissements y furent ajoutés plus tard; ex.: 1Ro 4:29,34.
Puis le rédacteur deutéronomiste, auteur du livre des Rois
actuel, y mit son empreinte, définie ci-dessus. La vieille chronique,
traitée avec circonspection, doit seule servir de base à tout exposé
vraisemblable.
Lorsque Joab avait conquis pour David le pays d'Édom, un enfant
de la famille royale édomite, Hadad, échappé au massacre, s'était
enfui en Egypte où il avait obtenu la main d'une princesse royale.
Son fils, Guénubath, fut élevé dans le palais royal des pharaons.
Ceux-ci tenaient ainsi à leur disposition un ennemi qu'ils pourraient
opposer, le cas échéant, au nouvel empire davidique. Hadad crut ce
moment venu lorsqu'il apprit la mort de David et celle de Joab. Il
fut autorisé à partir, et sans doute appuyé. Il parvint à reconquérir
une partie du territoire d'Édom et demeura l'adversaire de
Salomon (1Ro 11:14,22). Cependant, puisque celui-ci put se
servir librement plus tard de la route reliant la mer Morte à la mer
Rouge, on peut supposer que la paix s'était rétablie, Salomon
admettant la puissance de Hadad sur les montagnes édomites. A la même
époque se constitue le royaume araméen de Damas. Un ancien général de
Hadadézer, roi de Tsoba, nommé Rézon, s'empara de Damas et en fit le
centre d'un État qui manifesta son hostilité contre Israël durant
tout le règne de Salomon (1Ro 11:23,25).
Ce règne ne fut donc pas aussi pacifique et glorieux que la
tradition l'a cru par la suite. Mais il ne faut pas exagérer en sens
contraire. La monarchie israélite restait imposante. C'est Salomon
qui sut faire reconnaître son royaume comme grande puissance. Il
maintint et resserra l'amitié avec la dynastie des Hiram, rois de
Tyr (1Ro 5). Il sut faire apprécier à l'Égypte elle-même la
valeur de l'appui qu'il pouvait lui fournir, puisque l'avant-dernier
pharaon de la XXI e dynastie lui donna l'une de ses filles pour
épouse. Privilège envié entre tous: ne s'agissait-il pas d'une des
«filles du soleil»? La princesse égyptienne apportait même en dot la
ville de Guézer que son père venait d'enlever de vive force aux
Cananéens (1Ro 9:16).
Salomon visa donc à assurer à sa monarchie les signes extérieurs
d'une grande puissance. Ses dépenses d'apparat frappèrent les
imaginations plus que tous les autres événements de son règne. Il
avait un harem richement garni (1Ro 11:3, cf. Ca 6:8). En
ce qui concerne sa propre demeure, le donjon de David, exigu et
sombre, sur l'emplacement de la citadelle cananéenne de Sion (la
«ville de David»), ne suffit plus à son fils. II lui fallait un
palais somptueux. Le bois lui fut amené par mer, des cèdres du Liban,
sur des radeaux qui longeaient la côte probablement jusqu'au port de
Dor. Des pierres d'excellente qualité lui vinrent des carrières mêmes
formant le sous-sol de la Jérusalem actuelle; on en tailla des blocs
de 4 m. et de 5 m, de long. Les sculpteurs de Byblos, les fondeurs de
Tyr travaillèrent durant treize années à embellir la nouvelle
résidence royale. Salomon, d'ailleurs, laissa subsister la «ville de
David», qui existait encore au V e siècle (Ne 3:16,19). Là
prirent place les sépultures royales jusqu'au temps d'Ézéchias, ainsi
que la caserne de la garde royale. Au N. de ces bâtiments anciens et
plus haut qu'eux, Salomon fit aménager une série d'esplanades, qui
s'étageaient le long de la crête et qui supportèrent les nouveaux
édifices (au Sud de l'esplanade actuelle où s'élève la mosquée d'Omar
[v. ce mot]).
Ces bâtiments de Salomon comprenaient, du S. au Nord:
1° la «maison de la forêt du Liban», ainsi nommée
parce que son ou ses étages supérieurs servant d'arsenal étaient
portés par quarante-cinq colonnes en bois de cèdre; la salle
hypostyle ainsi formée au rez-de-chaussée donnait l'impression d'une
forêt;
2° la salle des colonnes;
3° la salle du trône, où Salomon rendait la justice;
le trône était imité de modèles babyloniens;
4° dans une enceinte spéciale, la maison
d'habitation, avec un édifice réservé à la reine principale
(maison de la fille de pharaon);
5° au sommet de la colline: le temple (beth Yahvé)
dont l'autel occupait un emplacement actuellement compris
dans la mosquée d'Omar.
Un simple mur séparait le temple du- palais. Ézéchiel s'en
plaindra. Le temple était ainsi inséré dans l'enceinte générale. Cet
édifice si affectionné des Juifs, par la suite, ne fut guère à
l'origine que Sa chapelle particulière du souverain, telle notre
Sainte-Chapelle pour Louis IX Le progrès avait été parallèle entre la
tente qui abritait l'arche précédemment et ce nouveau sanctuaire,
d'une part, la maison royale de David et le palais de son fils,
d'autre part. La somptuosité du temple était destinée, dans la pensée
du roi, à faire connaître au monde à la fois sa propre grandeur et
l'immense puissance de son Dieu. Le temple n'avait pas de porte à
l'Ouest sur la ville. La principale porte était à l'Est, une autre au
Nord Un trône et une estrade étaient réservés au roi dans le temple.
Le roi nommait et déposait les prêtres; il pouvait modifier la
disposition et le mobilier du sanctuaire; Achaz encore ne s'en
privera pas. Salomon ne songeait nullement à centraliser le culte à
Jérusalem; les autres lieux saints du pays resteront fréquentés et
vénérés durant plus de trois siècles après lui. Ceci explique les
dimensions restreintes: 30 m. de long, sur 10 m. de large et 15 m. de
haut. De plus, l'autel d'airain était si exigu que, lorsque la vogue
du temple de Salomon alla croissant, il fallut autoriser l'offrande
des sacrifices dans tout le milieu de la cour inférieure (1Ro
8:64).
Les vieux Israélites, habitués à l'extrême simplicité de leurs
sanctuaires, durent d'abord se trouver choqués en présence de tant de
luxe; ils n'y retrouvaient guère l'empreinte personnelle de leur
Dieu, venu avec eux du désert. Les architectes phéniciens avaient
reproduit le plan d'un temple destiné à un dieu-soleil et orienté
vers l'est. Deux obélisques, libres ou encastrés dans le portique
d'entrée, portaient les noms, pour nous mystérieux, de Jakin et Boaz
(sens magique ou païen?); ils laissaient passer entre eux, comme on
l'observe en Egypte, les rayons du soleil levant, qui pénétraient
dans le hékal (futur lieu saint), jusqu'à la porte du debir
(futur lieu très saint), chambre obscure où réside le Dieu.
Les emblèmes païens ne manquaient pas. Dans la cour s'élevait la
mer de bronze, conque supportée par douze statues de taureaux, comme
on en voit en Babylonie. Elle symbolisait sans doute quelque
phénomène cosmique (les eaux d'en haut). Les petits bassins, vases
posés chacun sur un piédestal roulant, étaient aussi copiés sur des
modèles étrangers (Assyrie, Chypre, Crète). Ils comportaient
peut-être à leur tour une signification mystérieuse, en tout cas
inconnue du yahvisme ancien. Dans le bâtiment lui-même les sculptures
reproduisaient des figures égyptiennes ou babyloniennes: chérubins
(keroubim), lotus, palmes, grenades, taureaux.
Ce qui restait spécifiquement yahviste, c'était d'abord
l'emplacement choisi pour l'autel, l'antique roche sainte, dite «aire
d'Oman», sanctuaire d'abord cananéen, où David déjà avait placé un
autel. C'était ensuite et surtout l'arche, que Salomon fit
transporter dans le debir (1Ro 8:3,9) quand, au bout de sept
ans, le sanctuaire fut achevé. On célébra à cette occasion maints
sacrifices, et le roi prononça une formule poétique de consécration,
conservée dans l'antique «livre du Juste» (1Ro 8:12 et suivant).
Puis un nuage, disait-on, vint remplir le sanctuaire, attestant que
JHVH acceptait d'y faire sa résidence. Voir Temple.
Il y a lieu de penser que Salomon voulut assurer à son empire la
richesse et la puissance dont son luxe n'aurait dû être que la
manifestation; au paraître il lui importait de joindre l'être. En
effet, il fortifia diverses villes d'importance stratégique ou
commerciale: Hatsor, Méguiddo, sur la grande route joignant l'Egypte
à Damas; Beth-Horon, Guézer, sur les voies donnant accès de la côte à
Jérusalem; Tamar, à l'entrée de la piste suivie par les caravanes
allant de la Palestine à la mer Rouge (un copiste ambitieux a changé
ce nom en celui de Tadmor, attribuant ainsi à Salomon la fondation de
la fameuse Palmyre, mais le texte parallèle dit bien expressément:
Tamar de Juda; l'hypothèse contraire est soutenue dans l'article
Palmyre). Dans sa capitale même le roi construisit ou acheva le
«millo», sorte de château fort très probablement, de construction
massive (malé =plein) et destiné à «fermer la brèche de la ville
de David», soit, apparemment, à réunir la «ville de David» au mur
d'enceinte de Jérusalem (voir Jérusalem [murs et portes]). Il
constitua de plus les corps de cavalerie et se procura des chars de
guerre.
Il paraît aussi avoir compris, à l'exemple des Phéniciens, quelle
source de richesse pouvait devenir le commerce (voir ce mot). Israël,
peuple agricole et sans industrie, manquait, il est vrai, d'objets
d'échange pour un trafic rémunérateur, mais vu sa situation
géographique, le rôle d'intermédiaire s'offrait à lui. Ainsi, des
maquignons israélites allaient chercher en Egypte ou en Cilicie des
chevaux qu'ils revendaient dans toute la Syrie et même aux princes
hittites. Pour favoriser le commerce, un accès à la mer était
indispensable; aussi Salomon s'assura-t-il la route de la mer Rouge,
où, de concert avec Hiram, il équipa une flotte. Celle-ci rapportait,
dit-on, tous les trois ans, du mystérieux pays d'Ophir (Arabie du
S.?) des objets que les Arabes pouvaient s'être procurés dans les
Indes ou en Afrique, par exemple l'ivoire, et des animaux inconnus en
Palestine: singes, paons. Mais ces entreprises restèrent assez
factices et, semble-t-il, peu productives. C'est en blé et en huile
que Salomon promit de payer les matériaux de construction fournis par
le roi de Tyr. Le moment vint même, où, pour se procurer cent vingt
talents d'or, il dut céder vingt villes de Galilée. Son opulence n'a
donc pas été égale à ce qu'on en racontait. En réalité, pour subvenir
à ses dépenses, à l'Entretien de sa cour, à l'administration de
l'État, il établit tout un système de tailles et de corvées analogues
à celles de l'Egypte, et qui pesa lourdement sur ses sujets.
La main-d'oeuvre courante, il se la procura par des corvées.
Trente mille travailleurs israélites, se relayant à raison de dix
mille par mois, abattaient les cèdres du Liban. Ailleurs,
soixante-dix mille porteurs et quatre-vingt mille carriers
accomplissaient le même labeur (chiffres incertains d'ailleurs). Le
roi partagea le pays en douze districts placés chacun sous l'autorité
d'un préfet, qui y percevait en nature les provisions nécessaires à
l'entretien de la cour et des chevaux de guerre. A part quatre ou
cinq cas, ces circonscriptions ne coïncident pas avec les anciens
territoires des tribus: Salomon, tels nos Constituants de 1790,
entendait briser les cadres de la vie provinciale autonome. Juda
paraît n'avoir été compris dans aucun des douze districts; le roi
aurait, en ce cas, exempté des redevances la tribu royale. Cela
expliquerait déjà l'animosité du N. contre le roi de Jérusalem, cause
active de la révolte de Jéroboam qui s'essaie une première fois,
après le milieu du règne (1Ro 11:26 et suivants).
Salomon porte ainsi une grande part de responsabilité dans la
rupture de l'unité nationale, survenue après sa mort. Il voulut faire
avancer trop vite Israël dans la voie de la grande civilisation, dont
souvent il ne copia que les dehors. Et cependant ses efforts pour
faire participer son peuple à la vie générale du monde civilisé
s'inspiraient d'une pensée féconde.
Plus tard, on lui a reproché d'avoir accueilli non seulement des.
formes païennes de l'art, mais les religions étrangères. Or, en son
temps, l'autorisation d'ériger un autel au dieu de Moab sur le mont
des Oliviers ne choquait personne (cf., dans 2Ro 5:17 et
suivants, l'allusion à d'autres dieux que l'Éternel). Salomon
n'exerça, soit en bien soit en mal, aucune action religieuse
profonde. Il fut un roi civilisateur; et son influence sur le
développement religieux, tant bienfaisante que funeste, resta
indirecte. C'est aux hommes du VII° siècle que le temple par lui
fondé devra la grande place qu'il occupe dans l'histoire du judaïsme.
Quant à sa sagesse, d'après les textes anciens, elle n'eut rien
de religieux; c'était une habileté toute politique (1Ro 1,2). La
réputation de sa perspicacité dans l'exercice de la justice peut
reposer sur un fond historique. Il dut avoir certaines prétentions
littéraires et il fit, semble-t-il, réunir de vieux poèmes (1Ro
4:29-34). Une légende plus récente le représente résolvant les
énigmes de la reine de Séba (voir ce mot).
Sa renommée subit une éclipse au temps du Deutéronome, mais
reprit ensuite un éclat toujours plus vif. Après l'exil, on lui
attribue les poésies gnomiques des moralistes de l'époque, ou les
poèmes d'amour, oeuvre du folklore hébreu, réunis dans le Cantique
des Cantiques (voir art.). Plus tard encore, il passe pour un
pessimiste désabusé (Ecclésiaste), ou pour le profond auteur de la
Sapience. Enfin, on l'identifie aux poètes franchement religieux qui
composèrent les «Psaumes de Salomon» (voir art.) et les «Odes de
Salomon» (voir Pseudépigraphes). Et nous ne parlons pas du prétendu
magicien cher à la légende musulmane aussi bien qu'au judaïsme
rabbinique. Jg. M.
Salomon et le jéhovisme.
De la destinée de Salomon se dégage un enseignement religieux qu'il
faut retenir. Pourquoi Salomon, qui commença si bien, finit-il si
mal? D'où vient que ses échecs n'ouvrirent pas les yeux de la
postérité et que l'histoire juive, après le silence de la période
deutéronomique, exalta sa gloire et l'amplifia dans la mesure même où
le sacerdoce d'Israël s'éloignait de la religion des prophètes? Tout
cela s'explique par l'attitude de Salomon vis-à-vis du jéhovisme
(voir Yahvé). Car le jéhovisme révélé au Sinaï, prêché par Moïse et
par ses successeurs les prophètes, avait inauguré dans le monde
l'adoration du Dieu unique, vivant et moral qui s'est choisi un
peuple destiné à répandre parmi les hommes la religion du culte en
esprit. Ce culte devait peu à peu se dégager des intérêts d'une
nation et régner sur les âmes. Son impérialisme, pour devenir
universel et éternel, devait répudier toute suprématie temporelle.
Position haute et difficile, malaisément conciliable avec la royauté
d'ici-bas. Voilà pourquoi Samuel appréhendait si fort l'élection de
Saül et pourquoi les prophètes, authentiques représentants du pouvoir
spirituel de Jéhovah, eurent presque toujours maille à partir avec la
cour. Déjà David, enivré par ses victoires, veut bâtir un temple à
son Dieu, annexant ainsi ce Dieu à son royaume. Un prophète lui est
envoyé pour lui dire que Jéhovah n'a jamais demandé de maison
matérielle, de temple national. Son temple, c'est l'homme, et, dans
l'espèce, la maison vivante de David, sa postérité fidèle. Salomon ne
l'entend pas ainsi. Il n'a pas la piété de son père; il ne se repent
pas comme David, et sa fortune ne profite qu'à lui, non à son peuple.
Dans la gloire de Jéhovah, il cherche sa propre gloire. Il veut, par
un temple qu'il est incapable de bâtir mais que les païens lui
bâtiront, lier la fortune politique de la dynastie à la puissance de
Jéhovah. «Il s'est efforcé de doubler la domination spirituelle de
son peuple de l'hégémonie matérielle. Il n'a pas réussi. Et il ne
pouvait pas y réussir, car la greffe qu'il a voulu administrer au
vieil arbre juif était empoisonnée» (N. Politis, préface du
Salomon de M me G.R. Tabouis, 1935). En effet, l'impérialisme
temporel est fondé sur la force, l'intolérance, il ne peut s'accorder
avec l'impérialisme spirituel qui règne par la persuasion. En
agissant comme il l'a fait, Salomon, loin d'assurer l'avenir
politique du peuple élu, a montré combien l'impérialisme temporel
était périssable. Il mourut déconsidéré et ruiné. Son vaste empire ne
lui survécut pas. Les prophètes désertèrent Jérusalem pour un temps.
Le schisme qui poussa aux invasions étrangères, les luttes
fratricides et l'infidélité des monarques imitateurs de Salomon
aboutirent à la destruction des deux royaumes: Israël et Juda. Ce ne
fut qu'après leur ruine, quand le temple de Salomon eut été détruit,
emportant avec lui les espoirs d'hégémonie temporelle, que le dernier
des grands prophètes, le 2 e Esaïe, s'éleva aux accents
universalistes qui introduisirent les paroles du Christ: «L'heure
vient où ce n'est ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous
adorerez le Père, car Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui
l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité.)> Un deuxième temple fut
construit, et les jours vinrent où les Juifs, cherchant la
consolation de leur infortune dans les gloires du passé d'Israël,
représentèrent Salomon comme le roi de renommée universelle.
L'orgueil pharisaïque, le messianisme juif ne se réclament pas du
somptueux bâtisseur, mais sont imprégnés de son esprit. Le deuxième
temple fut détruit; un troisième s'éleva, et dans l'ombre de ce
troisième temple fut ourdi le complot qui tua Jésus. Encore ici
l'oeuvre était périssable. Dans le siècle même de Jésus, ce troisième
temple périt dans les flammes, tandis que la prédication de saint
Paul avait déjà porté «jusqu'au terme de l'Occident» (Clément de
Rome) l'Évangile de l'Esprit. Plus tard, quand le Pape, grisé par le
triomphe du christianisme, reprendra l'utopie orgueilleuse de réunir
le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, il échouera à son tour
devant l'insurmontable obstacle contre lequel s'était brisé, à
l'aurore du jéhovisme, le rêve salomonien. Alex. W.
- Pour le portique de Salomon, voir Temple
- Pour les serviteurs de Salomon, voir Néthiniens.