SACRIFICES ET OFFRANDES (3.)

III Etendue de l'expiation par le sacrifice.

Ici nous nous trouvons sur un terrain difficile, et cela à deux
points de vue:

a) l'expiation ne vise pas également tous les péchés;

b) le pardon est souvent annoncé en dehors de toute expiation
par le sacrifice.

Pour arriver à quelque clarté, il faut distinguer
deux domaines:

celui de la loi ou de l'Israélite comme membre de
la communauté,

celui de la piété intérieure ou de l'Israélite
dans ses rapports directs avec Dieu.

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Nous rappelons que dans l'A.T, l'alliance divine
est faite avec la communauté. C'est à la communauté que sont promises
la protection et la bénédiction de l'Éternel; c'est à elle aussi
qu'est donnée la loi dont l'observation est la contre-partie humaine
de l'oeuvre de Dieu. Naturellement tout Israélite, en tant que membre
de la communauté, a droit aux grâces assurées à l'ensemble, s'il
demeure dans la ligne tracée à la communauté et ne se rend pas
indigne d'en faire partie. Normalement c'est ce qui devrait toujours
être. Le membre de la communauté est censé posséder in abstracto
toutes les qualités voulues d'un vrai serviteur de l'Éternel. Mais,
dès qu'il se rend coupable d'une faute quelconque, il brise le lien
qui l'unit à la communauté, il n'est plus dans les conditions voulues
pour en faire partie, il est privé par conséquent des grâces assurées
à la communauté, et la communauté elle-même est souillée par sa
présence. Il faut nécessairement une réparation qui lui rende la
position perdue et fasse disparaître la tache imprimée à la
communauté; ou, si la faute est trop grave, il faut que la communauté
soit débarrassée d'un membre qui attire sur elle la colère de Dieu.
C'est ici que la loi intervient d'un côté avec les sacrifices
expiatoires, de l'autre avec les peines qu'elle inflige; le souci du
bien de l'ensemble nous explique le traitement différent qu'elle
prévoit pour les différentes catégories de péchés.

Elle distinguait, d'après le degré d'intention coupable, entre
péchés commis par «erreur» (bichegâgâ) ou péchés involontaires,
et péchés commis «à main levée» (beyâd râmâh), actes de révolte
ouverte contre Dieu, transgressions réfléchies et intentionnelles des
commandements divins. Les péchés «à main levée» n'étaient pas
expiables par les sacrifices, parce qu'ils étaient une rupture
volontaire de l'alliance qu'il n'était plus possible de réparer; la
seule expiation qui pût mettre la communauté à l'abri était
l'éloignement définitif des coupables par la mort. En revanche, les
péchés involontaires n'étaient qu'une tache faite à la communauté; le
coupable était un membre indigne, mais encore un membre, et Dieu
voulait bien ne pas tenir compte de sa faute, une fois qu'elle avait
été couverte par les sacrifices que lui-même avait institués pour
cela. Voir Le 4 Le 5,No 15:22-31, qui disent très
clairement que le sacrifice pour le péché et le sacrifice de
culpabilité ne sont prévus que pour des fautes involontaires, soit
des individus, soit de l'assemblée dans son ensemble. Notons qu'il ne
s'agit pas uniquement de fautes rituelles, comme on l'a dit, mais de
toute transgression d'un commandement quelconque de l'Éternel, comme
le disent en termes très clairs Le 4:13,27,No 15:22, et comme le
prouvent Le 19:20-22 (inconduite avec une esclave fiancée) et
Le 5:1,6 (où deux des cas prévus sont de nature morale). Mais, dans
certains cas, l'expiation n'était complète que s'il y avait
réparation matérielle du tort fait au prochain (Le 5:14-16, 6:1-7).

--La loi envisageait certains péchés comme toujours
involontaires, donc comme toujours expiables; ainsi ceux qui figurent
dans les passages que nous venons de rappeler, puis ceux que Ps
25:7 et Job 13:26 appellent des péchés de jeunesse, ou les
fautes cachées dont parle Ps 19:13, c'est-à-dire les fautes que
l'on commet sans le savoir, d'une manière générale tous les péchés
qui étaient la conséquence des faiblesses de notre nature ou d'un
entraînement irréfléchi.--En revanche, un certain nombre de péchés
étaient rangés par la loi en tout état de cause dans les péchés non
expiables: ainsi le meurtre volontaire (No 35), l'adultère avec
une femme mariée, l'inceste, les unions contre nature, l'évocation
des esprits, l'adoration des faux dieux (Le 20:1,18,27), la
violation du sabbat (No 15:32,36), toutes ces choses étaient des
souillures pour le pays, qui ne pouvait être purifié que par
l'extermination des coupables.

--Mais, quand il n'y avait que péché involontaire (et la notion
était poussée assez loin), le sacrifice expiatoire, don de la grâce
de Dieu à son peuple, rétablissait le pécheur dans sa qualité de
membre de la communauté et lui assurait à nouveau la protection et la
bénédiction de l'Éternel. Naturellement, l'acte extérieur devait être
accompagné des dispositions intérieures qu'il suppose: la repentance
de la faute et le désir profond d'être vraiment débarrassé de la
coulpe du péché. Aussi la loi réclame-t-elle qu'en offrant le
sacrifice d'expiation le pécheur confesse son péché (Le 5:5
16:21), quoique le plus souvent elle suppose les sentiments voulus
sans les exiger expressément. Une fois l'expiation faite, le coupable
pouvait se sentir parfaitement en règle avec Dieu et compter sur tous
les privilèges accordés à son peuple.

Cependant, quand nous passons au second domaine
dont nous avons parlé plus haut, celui de l'Israélite dans ses
rapports personnels avec Dieu, nous constatons que, soit dans les
psaumes, soit chez les prophètes, le sentiment de la pleine
réconciliation avec Dieu n'est pas rattaché à l'expiation par le
sacrifice. Cela se comprendrait dans une certaine mesure avant
l'exil, quand les prophètes polémisaient contre les sacrifices à
cause de leur couleur cananéenne et des sentiments fâcheux qui les
accompagnaient; mais quand le culte fut définitivement organisé,
qu'il devint une loi positive de l'Éternel et les sacrifices des
moyens de grâce institués par Dieu lui-même, il semblerait que le
pardon dût en tout temps être rattaché à l'expiation par le
sacrifice. Or nous constatons dans les psaumes, qui reflètent
certainement les sentiments de la communauté postexilique, les mêmes
paroles que chez les anciens prophètes. Non seulement le pardon est
attendu et cherché en dehors des sacrifices, mais on met les moyens
qui le procurent dans une certaine opposition avec les prescriptions
légales. C'est ainsi que l'auteur du Ps 51 ne se contente pas
d'attribuer le pardon à la pure grâce de Dieu, mais déclare
positivement (verset 18 et suivant): «Si tu eusses voulu des
sacrifices, je t'en aurais offert, mais tu ne prends point plaisir
aux holocaustes. Les sacrifices qui sont agréables à Dieu sont un
esprit brisé. O Dieu, tu ne méprises pas un coeur froissé et brisé.»
Cf. Ps 50:7,15 69:30,32 32:5 103:8-14 qui expriment les mêmes
pensées. Ailleurs, le pardon est rattaché à un changement de vie, ou
à des oeuvres qui sont particulièrement agréables à Dieu (Mic
6:6,8,Pr 16:6,Da 4:27,Esa 58:6,9 55:7; cf. Joe 2:12,14,Eze
18:21,23, qui insistent également sur le changement de vie). Tout
ce courant de pensées, à côté de la loi, ne se comprendrait pas si
l'expiation par le sacrifice avait pleinement répondu à toutes les
aspirations profondes de l'Israélite.

On ne peut pas résoudre la difficulté en disant que les passages
cités visent uniquement la communauté, que celle-ci pouvait aussi se
rendre coupable de péchés «à main levée», qu'elle n'avait alors
d'autre moyen de salut que la repentance et le changement de vie;
c'est tout à fait contraire au sens de plusieurs d'entre eux, qui
concernent des individus (Ps 51 Ps 32,Pr 16:6,Da 4:27), et du
reste ces passages ne distinguent pas entre péchés volontaires et
péchés involontaires; ils parlent du péché en général.--On ne peut
pas non plus se tirer d'affaire en admettant deux tendances opposées
dans le sein du peuple: les uns cherchant le pardon dans les
sacrifices et les autres ailleurs. L'explication serait possible
avant l'exil, et en fait elle est admissible par Mic 6:6,8, mais
après l'exil les deux tendances existaient paisiblement dans le sein
de la communauté: les sacrifices étaient pratiqués par tout le monde,
et on n'en répétait pas moins les paroles des anciens prophètes ou
des psalmistes, vieux et nouveaux, qui cherchaient ailleurs que dans
les sacrifices le pardon des péchés. Il y a un essai de conciliation
dans l'adjonction faite au Ps 51:18 et suivant: «Répands par
ta grâce tes bienfaits sur Sion. Alors tu agréeras des sacrifices de
justice, des holocaustes et des victimes entières...» Mais d'une
façon générale les deux manières de rentrer en grâce auprès de Dieu
sont exprimées indépendamment l'une de l'autre, sans qu'il soit dit
comment les fidèles de l'A.T, les mettaient d'accord dans leur vie
personnelle.

La solution du problème doit être cherchée dans le sentiment que
la grâce de Dieu était à la base des deux conceptions. L'expiation
par le sacrifice était un moyen que l'Éternel lui-même avait donné à
son peuple pour lui assurer la continuation de ses bienfaits. Mais
les fidèles vraiment désireux de se sentir en parfaite communion avec
lui ne pouvaient pas ne pas se rendre compte que les sacrifices
d'animaux étaient incapables d'effacer toutes les fautes dont ils
étaient coupables. Les péchés étaient trop nombreux et trop divers
pour qu'il fût possible d'offrir chaque fois un sacrifice. Une
conscience droite devait, ne fût-ce qu'au point de vue quantitatif,
constater un grand écart entre la somme des péchés et la somme du
sang versé. A cela s'ajoutait une raison plus profonde. Une
conscience troublée n'était pas apaisée par la simple présentation
d'un sacrifice; il n'y avait pas, au point de vue qualitatif,
correspondance entre la grandeur de la culpabilité et le sang d'une
victime animale. (cf. Heb 9:9,14 10:1,4) Pour trouver la paix,
l'âme devait saisir en quelque sorte au delà du sacrifice la grâce
qui l'avait institué. Mais cela, elle ne pouvait le faire que si elle
apportait à Dieu les sentiments qui rendaient la grâce possible: une
sincère repentance et le désir profond d'obéir désormais aux
commandements de la loi. Il va sans dire que l'acte extérieur et
l'acte intérieur ne s'excluaient pas. Le second aurait dû toujours
accompagner le premier. Mais cet acte intérieur, qui donnait au
sacrifice sa véritable valeur, n'était pas nécessaire seulement
devant l'autel. L'esprit froissé et brisé, la repentance sincère, le
désir vrai d'une vie plus fidèle devaient se retrouver dans le coeur
de l'Israélite après chaque faute, qu'il se présentât ou ne se
présentât pas à l'autel pour offrir un sacrifice, s'il voulait
continuer à être l'objet de la grâce divine. Les dispositions intimes
devenaient par là même en dehors du sacrifice un moyen propre
d'expiation. Et, puisqu'elles étaient nécessaires même quand il y
avait sacrifice, elles s'imposaient comme ayant une valeur supérieure
à la présentation des victimes. Les actes rituels n'avaient plus
qu'une place secondaire. Il fallait avant tout les dispositions
agréables à Dieu, en d'autres termes l'expiation spirituelle. C'était
en réalité cela seul qui assurait d'une manière durable la
continuation des liens personnels de chaque membre de la communauté
avec le Dieu de l'alliance. On laissait donc aux sacrifices la place
qui leur était réservée, et on s'en remettait directement à la grâce
d'En-haut pour obtenir le pardon de ses fautes, en attendant que vînt
le moment où, dans le sacrifice d'une victime digne de Dieu, le
fidèle trouvât à la fois une expiation valable pour tous ses péchés
et la pleine assurance de la réconciliation avec le Maître des cieux
et de la terre devenu son Père céleste. Voir Expiation, Propitiation,
Rédemption.
CONSULTER

--Les divers manuels de Théologie de l'A.T., d'Histoire
de la religion d'Israël ou d'Antiquités bibliques.

--G.B. Gray, Sacrifice in the O.T. 1925.

--A. Loisy, Essai historique sur le sacrifice , 1920.

--Ad. Lods, Eléments anciens et éléments modernes dans le rituel du
sacrifice israélite
(Rev. Strasb. 1928).

-R. Dussaud, Les origines cananéennes du sacrifice israélite,

1921. L. A.