ROMAINS (épître aux)

L'année 56 (ou peut-être 57), avec les deux crises de Galatie et de
Corinthe, avait été, pour l'apôtre Paul, particulièrement dramatique.
A l'automne, ces deux crises étaient dénouées, celle de Corinthe tout
au moins, à la satisfaction de l'apôtre. Il avait passé les derniers
mois de 56 (ou de 57) en Macédoine, au milieu d'Églises qui lui
étaient particulièrement attachées et qui venaient de traverser une
période d'épreuves (2Co 8:1,5). Il se peut que ce soit à ce
moment-là qu'il ait poussé la pointe en Illyrie attestée par Ro
15:19 et que, peut-être, il ait fait le projet d'aller passer
l'hiver à Nicopolis si, dans le passage Tit 3:1,12 qui en parle,
a été utilisé, comme cela est au moins possible, un fragment de
billet authentique de l'apôtre.

Tout à la fin de 56 (ou 57) ou au commencement de 57 (ou 58),
Paul vint à Corinthe où il resta trois mois jusqu'à la veille de la
fête des Azymes. Nous savons qu'il s'y heurta à une vive opposition
de la part des Juifs, puisque à la suite de leurs intrigues il dut,
au dernier moment, pour éviter d'être assassiné en cours de route,
changer l'itinéraire qu'il voulait suivre et passer par la Macédoine
et l'Asie au lieu d'aller directement par mer de Corinthe à
Césarée (Ac 20:3-6). Le fait qu'il composa à ce moment l'épître
aux Romains permet, d'autre part, de penser qu'il a joui à Corinthe
d'une tranquillité relative, car un exposé dogmatique comme celui
qu'on y trouve ne peut pas avoir été rédigé dans une période de
luttes intérieures.

Après l'évangélisation de la Macédoine, de la Grèce et de l'Asie,
Paul avait le sentiment que son oeuvre dans le bassin oriental de la
Méditerranée était achevée; c'était en Espagne qu'il comptait
chercher un nouveau terrain d'activité (Ro 15:19). Mais, avant
d'y aller, il avait besoin de mettre au point ses relations avec
l'Église de Jérusalem. Dans ce qui s'était passé en Galatie et en
Grèce, il avait reconnu l'action de contre-missionnaires qui, à tort
ou à raison, se réclamaient des Douze. Il devait donc s'assurer que
l'accord conclu en 44 avec les «colonnes de l'Église» (Ga
2:1,10) restait en vigueur; aussi, parmi les divers projets entre
lesquels il avait hésité (1Co 16:1,4), se décida-t-il pour celui
qui consistait à accompagner lui-même les délégués des Églises
chargés de porter à Jérusalem les dons des Églises de la Diaspora. Il
s'exposait ainsi à de graves dangers, car il n'ignorait pas qu'à
Jérusalem la haine violente des Juifs aurait plus d'occasions de se
manifester que dans les villes grecques, et il ne savait pas dans
quelle mesure l'Église de Jérusalem était disposée à le défendre.

Le temps qui séparait Paul du moment où la reprise de la
navigation lui permettrait de s'embarquer pour la Syrie dut lui
apparaître comme une période, sinon d'inaction--il n'en a jamais
connu d'autre que celle de la prison--du moins de méditation tant sur
les expériences qu'il venait de faire que sur l'activité qu'il
projetait. Ce n'est pas un hasard si l'épître aux Romains, qu'il
écrivit alors pour annoncer sa visite à Rome et prévenir, si
possible, l'action des judaïsants qui pourraient l'y précéder, est
celle des lettres de Paul qui suppose le plus vigoureux effort de
synthèse et de condensation de sa pensée. Pour une part, au moins,
elle s'explique par le besoin que l'apôtre a éprouvé de dresser comme
un bilan de sa pensée, après une période pendant laquelle les
principes essentiels de son Évangile avaient été mis en question par
ses adversaires.

La fondation de l'Église de Rome est sensiblement antérieure à
57, elle est indépendante de la mission paulinienne. La théorie
catholique, d'après laquelle elle aurait été fondée par Pierre quand
il quitta Jérusalem après sa délivrance miraculeuse (Ac 12:3 et
suivants
) et dirigée ensuite par lui en qualité de pape pendant
quelque 25 ans, se heurte à de multiples difficultés. Il aurait été
contraire aux principes de Paul, tels qu'il les formule précisément
dans Ro 15:20, de s'adresser à une Église fondée par un autre
apôtre. La présence de Pierre à Rome au moment où Paul écrit à
l'Église est une impossibilité. Paul n'aurait pu ni l'ignorer, ni
éviter d'y faire allusion. Le théologien catholique Maier écrit qu'il
est aussi évident que Pierre n'a pas été à Rome avant la composition
de l'épître aux Romains qu'il est certain que cette épître est de
Paul (Komm. ü. d. Rômerbr., Fribourg-en-Br., 1847, pp. 10ss).

L'Église de Rome paraît s'être constituée spontanément, en ce
sens qu'elle n'est pas née d'une entreprise missionnaire organisée
mais de la venue à Rome de Juifs devenus chrétiens en Orient. Leur
présence et la propagande qu'ils firent parmi leurs coreligionnaires
déterminèrent dans la juiverie de Rome les troubles dont parle
Suétone (Vie de Claude, 25:4), qui décidèrent l'empereur Claude à
expulser les Juifs (sans doute en 49). L'expulsion des Juifs, et avec
eux des chrétiens de race juive, eut pour l'Église romaine une double
conséquence: elle provoqua un déplacement du centre de gravité de
l'Église en donnant un rôle prépondérant aux païens d'origine.
D'autre part, la venue à Corinthe de membres influents de l'Église de
Rome tels que Priscille et Aquilas et leur rencontre avec Paul (Ac
18:2 et suivant) attira l'Église de Rome dans l'orbite de l'apôtre.
Les Juifs et les chrétiens d'origine juive ne tardèrent pas à rentrer
à Rome. C'est ce qui explique qu'en 57 l'Église de Rome paraisse
avoir été formée d'anciens païens et d'anciens Juifs, et que Paul
s'adresse à eux tantôt comme s'ils étaient des Juifs de race, tantôt
comme s'ils ne l'étaient pas. Il faut aussi tenir compte du fait
qu'au moment où Paul écrit, il ne connaît encore l'Église
qu'indirectement et n'a peut-être que des idées un peu vagues sur sa
composition.

L'épître aux Romains est, de toutes les lettres pauliniennes,
celle qui déborde le plus nettement son cadre épistolaire. Dans
beaucoup de ses parties, elle a l'allure d'un exposé objectif et
d'une apologie. Il ne semble pas douteux que plusieurs des
développements qui la constituent reproduisent des instructions que
l'apôtre avait l'habitude de donner dans son enseignement oral. Voici
l'analyse de l'épître:

Introduction. (Ro 1:1,16 a).

Paul, dans une phrase incidente de la salutation, caractérise
l'Évangile, qu'il a été chargé de prêcher. Il le présente comme
annoncé à l'avance par les prophètes et comme se rapportant au Fils
de Dieu, né de la race de David selon la chair, et selon l'Esprit
manifesté ou établi (le mot a les deux sens) Christ, c'est-à-dire
Messie, par sa résurrection (Ro 1:1,7). L'apôtre exprime ensuite
la joie que lui cause l'état florissant de la communauté romaine; il
souhaite la visiter prochainement. Il n'a pu le faire jusqu'ici,
étant absorbé par la prédication de l'Évangile (Ro 1:8,16,a).

Première partie: la doctrine de la Rédemption. (Ro 1:16-11:36)

PREAMBULE. Résumé de l'Évangile (Ro 1:16-17).

Cet Évangile qu'il est chargé de prêcher, Paul n'en rougit pas car il
est la (ou une) puissance de Dieu pour le salut de tous ceux qui
croient, Juifs d'abord, Grecs ensuite. Il révèle la justice de Dieu,
dont le premier et le dernier mot c'est la foi, suivant la parole du
prophète: «Le juste vivra par la foi» (ou «celui qui aura été
justifié par la foi, vivra»: Hab 2:4).

PREMIERE SECTION. Le péché et la justification (Ro
1:18-8:39).

D'abord Paul expose les conditions de fait (le péché) qui rendent la
justification nécessaire. Il insiste sur l'universalité du péché et
montre que le peuple juif n'est pas à l'abri de ses
conséquences (Ro 1:18-3:20), puis il expose comment la foi
justifie, sans le concours des oeuvres prescrites par la Loi (Ro
3:21-5:21), enfin il explique quel est le rôle véritable de la
Loi (Ro 6 1-8:39).

1.

Le péché (Ro 1:18-3:20).

Il est la conséquence de l'idolâtrie. Au lieu de rendre à Dieu le
culte qu'ils auraient dû et qu'ils auraient pu lui rendre puisqu'ils
avaient de lui une certaine connaissance naturelle, les hommes ont
adoré des images; aussi Dieu les a-t-il abandonnés à leurs passions
déréglées; et ainsi l'humanité a roulé au dernier degré de
l'abjection, se livrant à des actes qui méritent la mort (Ro
1:18,32). Nul ne peut donc échapper à la colère de Dieu, et le Juif
se condamne lui-même puisqu'il est coupable des actes qu'il réprouve
chez les païens. Au dernier jour la colère de Dieu viendra sur les
Juifs et sur les païens (Ro 2:1,11). Les hommes seront condamnés
avec ou sans intervention de la Loi, suivant qu'ils l'auront connue
ou non. Connaître la Loi ne suffit pas, il faut la pratiquer (Ro
2:12-24) Le fait d'avoir reçu la circoncision ne met pas non plus
les hommes à l'abri de la colère de Dieu. Le circoncis qui viole la
Loi est comme s'il était incirconcis, mais l'incirconcis qui
l'observe est comme s'il était circoncis (Ro 2:25-29).
L'affirmation de l'égalité du Juif et du païen devant la justice de
Dieu appelle une objection. Quel est donc alors le privilège des
Juifs? Paul le déclare grand. D'abord, dit-il, les oracles de Dieu
leur ont été confiés. Ici se présente une réflexion incidente.
L'infidélité des hommes n'abolit pas la fidélité de Dieu. Par là
cependant le péché de l'homme ne cesse pas d'être coupable, comme
quelques-uns reprochent faussement à Paul de l'avoir enseigné (Ro
3 1-9 a). Cette remarque par laquelle Paul se défend contre une
calomnie lui fait perdre de vue l'énumération des privilèges d'Israël
qu'il avait commencée au verset 1. Le développement sur le péché se
termine par l'affirmation que tous les hommes, Juifs et païens, sont
sous la domination du péché, et cette thèse est confirmée par la
citation de toute une série de passages de l'A.T (Ro 3:9-20).

2.

La justification par la foi (Ro 3:21-5:21).

Cette doctrine est d'abord présentée sous la forme d'une thèse. En
dehors de la Loi, mais attestée par elle et par les prophètes, est
manifestée une justice de Dieu par la foi (c-à-d, une puissance de
Dieu qui proclame justes les croyants et par là les admet dans le
Royaume de Dieu). Cette foi qui sauve a pour objet Jésus-Christ
établi par Dieu hilastèrion, c'est-à-dire moyen de rédemption par
son sang pour tous ceux qui croiront en lui. Par cette rédemption, la
justice de Dieu (entendue cette fois au sens subjectif comme un
attribut et non comme une action de Dieu) est manifestée, car il est
expliqué que Dieu n'était pas injuste alors qu'il paraissait négliger
de punir le péché. Ce n'était pas, en effet, indifférence de sa part
à l'égard du mal, mais patience destinée à permettre aux hommes de
bénéficier du salut (Ro 3:21,31). Après l'énoncé de la thèse
vient, pour la justifier, un argument tiré de l'histoire d'Abraham,
de qui la Genèse (Ge 15:16) dit qu'à un moment où il était
encore incirconcis, il eut foi en Dieu et que cela lui fut imputé à
justice. Les héritiers de cette promesse ne sont pas ceux qui sont
circoncis comme le fut plus tard Abraham, mais ceux qui ont la même
foi que lui (Ro 3:31-4:25). Le développement qui suit et qui est
consacré aux conséquences et à la portée de la justification se
présente sous la forme d'une exhortation. C'est que, bien que la
justification soit accomplie et que, par elle, le croyant soit devenu
un être spirituel, il continue à vivre dans la chair. Il faut
donc--c'est là le paradoxe de la morale paulinienne--qu'il fasse
effort pour réaliser les conséquences logiques de la rédemption. La
justification donne la paix avec Dieu. Jésus-Christ ouvre au croyant
accès auprès de Dieu et lui assure l'espérance de la gloire,
c'est-à-dire l'entrée dans le Royaume céleste. Le fidèle à qui Dieu a
témoigné son amour alors qu'il était encore pécheur peut, maintenant
qu'il a été réconcilié avec lui, être assuré de son salut (Ro
5:1-11). Pour marquer qu'il est appelé à bénéficier de la
justification, Paul développe, d'une manière qui n'est pas
strictement logique, un parallèle entre Adam et Jésus-Christ. Il se
présente ainsi:

Premier exposé (incomplet) de la comparaison
(verset 12). Le péché est entré dans le monde par Adam. Le second
terme de la comparaison: «la justice y est entrée par le Christ»
reste sous-entendu.

Digression sur le règne du péché
(verset 13 et suivant). Le péché a régné même sur ceux qui,
vivant en dehors ou avant l'économie de la Loi, n'ont pas comme Adam
transgressé un commandement positif.

Divergence entre les deux termes comparés (voir
15-17). La grâce a un effet plus puissant que le péché.

Deuxième énoncé (complet celui-là) du parallèle
(verset 18 et suivant). La condamnation vient sur tous les hommes par
le péché d'un seul. La justice sera donnée à tous par l'acte de
justice d'un seul. En conclusion, Paul explique que la Loi est
intervenue pour donner corps au péché afin de le faire abonder pour
que la grâce puisse surabonder (Ro 5:20 et suivant).

3.

La Loi (Ro 6:1-8:39).

La fin du développement sur la justification amorce les explications
que Paul a à donner sur le rôle de la Loi. Il ne faut pas dire que
l'homme peut, sans scrupule, pécher pour provoquer une surabondance
de la grâce. Le croyant baptisé dans la mort du Christ est ressuscité
avec lui à une vie nouvelle, il ne peut donc plus continuer à vivre
dans le péché et dans la chair (Ro 6:1,6). En mourant avec le
Christ, le pécheur acquitte la dette qu'il avait contractée et
échappe à la domination de la Loi (Ro 6:7,11). Suivent une
exhortation à rompre avec le péché (Ro 6:12,14) et une
argumentation d'ordre juridique. Par la justification le pécheur
n'est pas rendu à lui-même, en sorte qu'il serait libre d'agir à sa
guise. Il est devenu l'esclave de Dieu et doit obéir à la justice,
porter, pour la gloire de Dieu, des fruits de sanctification pour
aboutir à la vie éternelle (Ro 6:15,23). La rupture avec le
péché est encore attestée par l'exemple du lien conjugal dont la
femme est affranchie par la mort de son mari (Ro 7:1-6).

Ce qui précède pourrait suggérer l'idée d'une relation si étroite
entre la Loi et le péché qu'il faudrait dire que la Loi est péché.
Paul écarte cette opinion (Ro 7:7). La Loi révèle le péché en
transformant un état latent en désobéissance formelle. Le
commandement donné à l'homme pour lui révéler ce qu'il doit faire
pour obtenir la vie devient ainsi une puissance qui le fait
mourir (Ro 7:7,12). C'est que la Loi, spirituelle par essence,
s'adresse à un homme qui est charnel. A propos de ce conflit entre la
Loi et la chair, Paul décrit l'état de l'homme partagé entre le bien
qu'il voudrait faire et qu'il approuve et le mal qu'il fait tout en
le condamnant. Ce morceau--un des plus difficiles à interpréter de
toutes les épîtres pauliniennes--se termine par une exclamation de
désespoir: «Misérable que je suis, qui me délivrera de ce corps de
mort?» et par un cri de triomphe: «Grâces à Dieu, par Jésus-Christ
notre Seigneur!» (Ro 7:13-25). Paul, pensons-nous, n'expose pas
des expériences qu'il aurait faites avant sa conversion, puisque
Php 3:6 («Quant à la justice légale, j'étais irréprochable»)
prouve qu'il n'a pas été poussé à la conversion par le sentiment du
péché. Il expose une expérience humaine de caractère général, mais en
la jugeant à la lumière de cette révolution morale que représente la
substitution par Jésus de l'obligation, pour l'homme, de réaliser la
perfection divine (Mt 5:28) à la nécessité de ne pas violer les
commandements de la Loi. Nous avons donc ici le document d'une crise
morale qui n'a pas été la cause ou l'antécédent de la conversion,
mais sa conséquence.

Pour conclure, Paul résume la doctrine de la rédemption. Le péché
et la mort n'ont plus de pouvoir sur celui qui a été affranchi par
l'esprit de vie qui est en Jésus-Christ. Ce que la Loi rendue
impuissante par le péché n'avait pas pu faire, Dieu l'a réalisé en
envoyant son Fils dans une chair semblable à celle du péché et en
condamnant le péché dans sa chair. Ainsi l'homme passe à la vie de
l'Esprit et devient capable d'être agréable à Dieu (Ro 8:1,8).
L'Esprit est la caractéristique de ceux qui appartiennent au
Seigneur (Ro 8:9,11). Celui qui l'a reçu a été adopté par Dieu
et est assuré d'être plus tard associé à la gloire du Christ, à
condition de l'avoir été d'abord à ses souffrances (Ro 8:12-17).
Paul est ainsi conduit à parler de la souffrance. Il affirme qu'il
n'y a pas de proportion entre celles du temps présent et la gloire
qui doit être manifestée. Ce n'est pas seulement l'homme qui attend
l'achèvement de la rédemption. C'est la création tout entière qui
soupire en attendant la manifestation des fils de Dieu, afin d'être
affranchie de la corruption. Quant au croyant, il est secouru par
l'Esprit qui inspire ses prières (Ro 8:18,27). Et le
développement s'achève sur l'affirmation que Dieu fait concourir
toutes choses au bien de ceux qui l'aiment. Les élus n'ont donc rien
à craindre. Dieu qui n'a pas épargné son propre Fils leur donnera
toutes choses avec lui. Aucune puissance au monde ne peut nuire aux
croyants et les séparer de l'amour de Dieu (Ro 8:28-39).

DEUXIEME SECTION. Le peuple d'Israël (Ro 9:1-11:36).

Paul commence par affirmer son amour pour son peuple et son désir
d'être anathème, c'est-à-dire séparé du Christ, pour son salut. Il
énumère les titres du peuple élu à qui appartiennent la filialité, la
gloire, les alliances, le culte, les patriarches et de qui est sorti
le Christ quant à la chair (Ro 9:1-5). Si, malgré tous ces
privilèges, Israël a été rejeté, ce n'est pas que Dieu ait été
infidèle à sa promesse, car celle-ci n'a pas été faite à la
descendance charnelle d'Abraham (Ro 9:6,13). Dieu est libre
d'élire et de rejeter qui il veut, cela ressort des déclarations de
l'A.T, comme celle de Ex 33:19 (Ro 9:14-29). Israël, en
s'attachant à la Loi, n'a pas atteint ce qu'il poursuivait parce que
la justice vient de la foi et non des oeuvres (Ro 9:30,33).
L'Écriture avait déjà d'ailleurs annoncé le rejet d'Israël. Le peuple
élu a bien du zèle pour Dieu, mais un zèle qui n'est pas éclairé;
c'est pour cela que, méconnaissant le vrai caractère de la justice de
Dieu, les Juifs ont tenté de le réaliser par eux-mêmes (Ro
10:1-4). La Loi repose sur le principe de la rétribution et du
salaire alors que, pour être sauvé, il faut confesser le Seigneur
Jésus et croire que Dieu l'a ressuscité Ro 10:5,13). Mais, pour
que les hommes puissent croire, il faut que l'Évangile soit prêché;
par là est justifiée la mission des apôtres (Ro 10:14 et
suivant
). En annonçant leur prédication, l'Écriture a aussi prophétisé
qu'elle ne serait pas écoutée par Israël et que Dieu exciterait la
jalousie du peuple élu en appelant les païens (Ro 10:16,21).
Cependant, Dieu n'a pas complètement abandonné son peuple, c'est
Israël qui, sauf un petit reste, s'est perdu par son
incrédulité (Ro 11:1,10). Toutefois son rejet n'est pas
définitif. Les païens ne doivent pas s'enorgueillir parce qu'ils ont
été appelés à sa place (Ro 11:11,24). Paul en effet
expose--c'est là pour lui un mystère, c'est-à-dire une vérité qu'il
connaît par une révélation--que l'endurcissement d'Israël n'est pas
définitif. Il permet l'entrée des païens dans l'économie du salut,
mais à la fin Israël se convertira et sera sauvé car les desseins de
Dieu à son égard sont immuables (Ro 11:25,32).

La partie dogmatique de l'épître se termine par une doxologie
dans laquelle l'apôtre célèbre la profondeur et la richesse de la
sagesse de Dieu, de qui tout vient, par qui et pour qui tout
est (Ro 11:33,36).

Deuxième partie: exhortations pratiques (Ro 12:1-15:13).

Comme cela est naturel, l'enchaînement des idées dans cette seconde
partie est moins étroit et rigoureux que dans la première. Après une
exhortation adressée aux lecteurs pour qu'ils offrent leur corps à
Dieu en sacrifice vivant et saint et pour qu'ils se conforment à sa
volonté qui est bonne, agréable et parfaite (Ro 12:1 et
suivant
), vient un premier développement sur les devoirs de l'amour
fraternel illustrés par l'image du corps et des membres (Ro
12:3,21), puis un second sur les devoirs des chrétiens à l'égard des
autorités établies dont le pouvoir vient de Dieu et auxquelles il
faut se soumettre en payant le tribut et l'impôt (Ro 13:1,7).
Paul revient ensuite sur l'amour fraternel qui est l'accomplissement
de toute la Loi (Ro 13:8,10) et sur le devoir de la
sanctification rendu plus pressant par la proximité de la
parousie (Ro 13:11,14). Au commencement de Ro 14 s'ouvre un
important développement sur les devoirs des forts vis-à-vis des
faibles, c'est-à-dire de ceux qui ont des scrupules relatifs à
certains aliments ou à certains jours. Paul estime indifférente la
consommation de la viande, mais ne veut pas que ceux qui la jugent
permise condamnent ceux qui la croient interdite, ou réciproquement.
Chacun agit pour Dieu, et c'est à lui qu'il aura à rendre compte de
ses actes (Ro 14:1,12). Mais il faut éviter d'être une cause de
scandale pour un frère pour qui le Christ est mort. Les forts doivent
porter les fardeaux des faibles comme le Christ qui s'est chargé de
nos faiblesses et soumis à la Loi (Ro 14:13-15:12). Suit une
bénédiction (Ro 15:13).

Conclusion (Ro 15:14-16:27).

Après avoir exprimé la confiance qu'il a dans ses lecteurs et leur
avoir rappelé la mission qu'il a reçue de prêcher l'Évangile aux
païens, Paul jette un coup d'oeil sur son activité passée. Depuis
Jérusalem jusqu'à l'Illyrie, il a porté l'Évangile. Maintenant, pour
trouver un nouveau terrain d'activité, il va aller en Espagne et, en
passant, réalisera le désir qu'il a depuis longtemps de voir les
Romains. Auparavant, il doit encore aller à Jérusalem porter le
produit de la collecte. Il demande aux Romains d'intercéder avec lui
pour qu'il soit délivré de ses adversaires en Judée [il s'agit des
Juifs] et pour que l'offrande qu'il porte soit bien accueillie à
Jérusalem: et il termine par une bénédiction: «Que le Dieu de paix
soit avec vous tous» (Ro 15:14,33).

Au chap. 16, nous trouvons une recommandation en faveur de
Phoebé, diaconesse de l'Église de Cenchrées (Ro 16:1 et
suivant
), une longue suite de salutations envoyées par Paul (Ro
16:3,15), une salutation générale et une salutation de la part des
Églises du Christ (Ro 16:16). Après cela, on lit encore un
avertissement contre ceux qui causent des divisions et des scandales;
il faut se détourner d'eux, car ils ne servent pas notre Seigneur
Jésus-Christ mais leur ventre. Paul se réjouit de ce qu'on parle
partout de l'obéissance des Romains. Le Dieu de paix écrasera Satan
sous leurs pieds (Ro 16:17,20). Puis vient une bénédiction: «La
grâce de notre Seigneur Jésus soit avec vous» (Ro 16 20b). Dans
les versets 21,23, il y a des salutations de la part de quelques
compagnons de l'apôtre, notamment de Tertius, qui a écrit la lettre
sous sa dictée, puis (dans quelques manuscrits d'importance
secondaire) une nouvelle bénédiction qui reproduit presque
textuellement celle du verset 20b, et enfin une doxologie développée
dans laquelle il est question du mystère scellé depuis les temps
éternels et révélé maintenant par des écrits prophétiques sur l'ordre
du Dieu éternel (Ro 16:25,27).

Les deux derniers chapitres de l'épître ont été analysés
ci-dessus d'après le texte des éditions ordinaires, mais il est
incertain. La doxologie finale (Ro 16:25-27) se trouve à la fin
de l'épître dans la majorité des témoins du texte, elle est donnée à
la fin du chapitre 14 dans le ms. L et dans la majorité des
manuscrits antiochiens (famille K de von Soden), etc., et à la fois
au chap. 14 et au chap. 16 dans A, P, 33, l, 934. Elle semble avoir
manqué dans l'archétype commun de D, F, G, dans le fragment gothique
de Milan, dans un ms. latin (Ambrosianus E. lnj.), Marcion et
Priscillien paraissent ne l'avoir pas connue. Il y a tout lieu de
penser, sans qu'il soit possible d'exposer ici les raisons de cette
opinion (cf. 11otre Intr., IV, 2, pp. 244SS):

que la doxologie finale ne vient pas de Paul mais
qu'elle est d'origine marcionite;

qu'il a existé une recension de l'épître sans les
deux derniers chapitres mais que néanmoins le morceau Ro
15:1-16:22 doit être tenu pour authentique.

Beaucoup de critiques ont pensé que le chap. 16 avec toutes les
salutations qu'il contient, alors que Paul n'avait pas encore visité
l'Église de Rome, était un billet adressé à l'Église d'Éphèse et
incorporé accidentellement à l'épître aux Romains. Mais il est
naturel que Paul, cherchant à se ménager un accueil favorable à Rome,
ait pris soin de mentionner tous les membres de l'Église qu'il
pouvait connaître pour les avoir rencontrés au cours de ses voyages.
L'hypothèse d'un fragment de lettre à l'Église d'Éphèse soulève, en
tout cas, plus de difficultés qu'elle n'en résout.

L'intégrité de l'épître a parfois été mise en doute en raison des
multiples conclusions qui paraissent s'y trouver (Ro 8:35-39
11:33-36 15:13,33 16:20,24) Ce fait n'a pas la portée qu'on lui a
parfois prêtée. Il est impossible, vu sa longueur, que l'épître ait
été composée d'un seul jet, et il n'est pas surprenant qu'en
terminant chacun des développements qu'il a successivement dictés
Paul ait prononcé, avant de s'interrompre, une formule de bénédiction
comme celle qu'il devait sans doute prononcer quand, dans ses
instructions orales, il traitait des points qu'il reprend dans
l'épître. La répétition de bénédictions dans Ro 15:13,33
16:20,24 s'explique aussi aisément. Plusieurs des salutations et,
par exemple, un morceau comme Ro 16:17-20 peuvent facilement
avoir été successivement ajoutés entre l'achèvement de l'épître et
son expédition. Il y a dans l'épître une cohérence, non seulement de
la pensée mais encore de l'exposition et de l'enchaînement des idées,
qui empêche absolument de la comprendre comme la juxtaposition de
morceaux composés à divers moments.

En rédigeant l'épître, Paul a voulu se ménager un bon accueil à
Rome. A-t-il voulu aussi, comme on l'a supposé, prévenir l'action que
ceux qui avaient troublé les Églises de Galatie et de Grèce
pourraient avoir été tentés d'y exercer? Le caractère apologétique de
l'exposé doctrinal dans l'épître aux Romains est favorable à cette
hypothèse, que recommande aussi le parallélisme qu'il y a sur nombre
de points entre elle et l'épître aux Galates. Mais les chap. 9-11, qui
sont une véritable apologie du peuple d'Israël, ne peuvent être
dirigés contre des judéo-chrétiens. S'ils avaient un caractère
polémique, ce qui du reste n'est pas certain, et, en tout cas, pas
très marqué, ils seraient dirigés contre des païens portés à
méconnaître les privilèges d'Israël. Il ne faut donc pas chercher
dans la situation de l'Église de Rome toute l'explication de
l'épître; il faut aussi faire état des dispositions personnelles de
l'apôtre au sortir des luttes de Galatie et de Grèce, à un moment où
il n'est pas déraisonnable de supposer qu'il a éprouvé le besoin de
se recueillir après une période agitée et de faire, en quelque sorte,
le bilan de sa pensée. Paul a écrit aux Romains pour préparer sa
visite. Les circonstances dans lesquelles il se trouvait expliquent,
pour une part, qu'il leur ait envoyé un exposé qu'il n'est pas
excessif de qualifier de systématique de sa pensée, sur les points où
elle avait été attaquée.

L'épître aux Romains est nettement attestée comme ayant fait partie
du recueil des épîtres de Paul au temps de Marcion. Les traces
qu'elle a laissées dans la littérature antérieure ne sont pas très
précises. Les réminiscences que l'on a cru trouver dans l'épître aux
Hébreux et dans l'épître de Jacques sont très contestables. Elles ne
portent que sur quelques idées courantes du christianisme primitif.
Celles que l'on a relevées dans la première ép. de Pierre ne sont
guère plus précises si on les prend isolément, mais leur accumulation
ne laisse pas que d'être significative et rend au moins très
vraisemblable que l'auteur de i Pierre a connu l'épître aux Romains.
L'utilisation de l'épître par Clément romain et Ignace, puis par
Justin et Athénagore, est certaine. L'ép. aux Romains est ainsi un
des écrits les plus anciennement attestés du recueil
néo-testamentaire.

Il est superflu de discuter l'authenticité de l'épître; elle n'a
été contestée que par ceux qui rejettent toute la littérature
paulinienne et suppriment la personnalité même de l'apôtre,
renversant ainsi ce qu'il y a de plus solide dans l'histoire
primitive du christianisme, sans d'ailleurs se soucier de substituer
une explication plausible à celle qu'ils écartent. S'ils voulaient
bien appliquer à la manière dont ils expliquent l'origine des lettres
transmises sous le nom de Paul, - une très petite partie de la
sévérité avec laquelle ils jugent la thèse de l'authenticité, il y a
beau temps qu'ils auraient abandonné leurs théories.

Nous n'avons à nous occuper ici que de l'épître aux Romains et non
de l'histoire de son influence dans le christianisme. Il faut
cependant dire que, parce qu'elle est l'exposé le plus complet et le
plus cohérent que nous ayons de l'Évangile paulinien, l'épître aux
Romains a exercé une influence décisive sur le développement de la
pensée chrétienne et que son action se retrouve dans tous ses grands
renouvellements. Des mouvements comme l'augustinisme et la Réforme,
pour ne donner que ces deux exemples, n'ont été, en un certain sens,
que des renaissances du paulinisme, et l'influence que l'épître aux
Romains a exercée sur eux est de première importance.
BIBLIOGRAPHIE.--Les diverses Introd, au N.T.--Commentaires
(français): Godet 1882-1890; Kruger (ch. 1-8) 1899; Lagrange 3
1922;--(anglais): Sanday et Headlam 1905;--\danois): Torm 1931. M.G.

Voir aussi les art. Paul (l'apôtre) et Paul (ses voyages).