ROIS (livre des)

1.

Division, nom, sujet.

La division actuelle en 2 livres était inconnue des Juifs encore à
l'époque où Jérôme traduisit la Bible en latin (IV e siècle de notre
ère). Elle vient des LXX, passa dans la Vulgate, et seulement depuis
1517 dans la Bible hébraïque (édition de Bomberg). La version grecque
compte 4 livres des règnes (Basileiôn), et Jérôme 4 livres des
règnes ou des rois (Regnorum ou Regum) ; ce sont les 2 livres
actuels de Samuel et les 2 des Rois. Notre ouvrage est donc en
réalité unique.

Partant de la fin du règne de David (1Ro 1-2), il consacre
les chapitres suivants (3-11) au règne de Salomon. Les destinées des
deux royaumes d'Israël et de Juda jusqu'à la chute du premier sont
exposées parallèlement dans la partie centrale du livre, de beaucoup
la plus étendue (1Ro 12:1 à 2Ro 17:41). Les derniers
chapitres (2Ro 18 à 25) continuent l'histoire de Juda de 722 à
586, c'est-à-dire jusqu'à la prise de Jérusalem par Nébucadnetsar, la
déportation et (sorte d'appendice: 2Ro 25:27-30) la mise en
liberté du roi captif Jéhojakin.

2.

But du livre.

Tout le long de l'ouvrage, le procédé d'exposition est aussi
simple que rigide: chaque règne est raconté séparément; puis ces
petites biographies royales sont rangées par ordre chronologique
d'après la date de l'avènement de chaque souverain. Il en résulte
certaines étrangetés: ainsi Josaphat est devenu roi de Juda après
qu'en Israël Achab a commencé de régner; dans la vie d'Achab, il est
donc plusieurs fois question de Josaphat avant qu'on sache qu'il
occupait le trône de Jérusalem. En outre, toutes les biographies sont
coulées dans un moule uniforme. Pour chaque roi d'Israël on indique
au début la durée de son règne, et l'année du règne du souverain de
Juda coïncidant avec celle de son avènement; à la fin, en mentionnant
sa mort, on renvoie aux sources à consulter pour ce le reste de ses
actions» (plus amples renseignements). Le cadre est le même pour les
règnes Judéens, mais en outre on mentionne au début l'âge de chaque
nouveau monarque, le nom de sa mère, et à la fin le lieu de sa
sépulture.

Plus frappant encore est le soin du rédacteur à caractériser
chaque règne. On constate aisément qu'il juge le roi suivant sa
fidélité plus ou moins grande aux prescriptions du code
deutéronomique, et dans les termes mêmes de cette loi. Il reproche à
peu près exclusivement à ceux des souverains qui «firent le mal aux
yeux de l'Éternel» des manquements aux règles du culte. Cela montre
combien, contrairement aux intentions des prophètes, l'élément
cultuel de la réforme introduite sous Josias avait prédominé.

Les trois principales infidélités sont en effet:

a) de n'avoir pas aboli les hauts-lieux après la construction du
temple; ex.: Roboam (1Ro 14:21 à 34);

b) d'avoir rompu avec le sanctuaire et le clergé de Jérusalem,
«péché de Jéroboam, fils de Nébat», imputé littéralement à cinq
rois (1Ro 15:26,34 16:19 26 31), et, en d'autres termes,
«suivant l'exemple de ses pères», à neuf de leurs
successeurs (2Ro 8:18,27 16:2 21:2-20 23:32,37 24:9-19);

c) d'avoir adoré des dieux étrangers, «le péché d'Achab» ou «le
péché des rois d'Israël».

Par contre, des louanges sont adressées à ceux des rois de Juda qui
ont combattu les cultes des hauts-lieux (2Ro 18:3 22:2 23:25);
l'éloge subit une restriction lorsque le souverain a toléré ces
sanctuaires que condamne le Deutéronome (1Ro 15:11-14 22:43 et
suivant,
2Ro 12:3 14:3 15:3,34).

Il importe de noter que, quand bien même les jugements formulés à
propos des rois de Juda présentent quelque variété (quelques-uns ont
«fait ce qui est droit aux yeux de l'Éternel»), le rédacteur leur
reproche à tous de n'avoir pas aboli les hauts-lieux. Font seuls
exception Ézéchias et Josias, auxquels, par erreur, est attribuée à
peu près la même initiative réformatrice. L'infidélité commune à tous
les rois d'Israël est plus grave encore: tous, même Zimri qui régna 3
jours, ont commis le péché de Jéroboam I er, c'est-à-dire ont rompu
avec le temple de Jérusalem. De très bonne foi, le rédacteur commet
en ce qui les concerne le même anachronisme que pour les rois de Juda
antérieurs à Josias: il juge les siècles passés d'après une loi
qu'ils avaient foncièrement ignorée, et pour cause; le culte des
hauts-lieux, l'adoration des images, le sacerdoce accessible à tous,
les dates variées des fêtes locales, tout cela, au temps de Jéroboam,
avait libre cours aussi bien qu'avant l'apparition de la royauté en
Israël.

«Nos pères n'ont pas obéi aux paroles de ce livre.» Telle
pourrait être l'épigraphe de l'ouvrage sur tous les ancêtres de
Josias, à la seule exception d'Ézéchias; l'auteur est obligé de
porter une sentence défavorable, parce qu'il les juge d'après les
paroles du «livre», le Deutéronome.

Même inspiration dans les discours attribués à certains des
personnages dont l'histoire est racontée, en particulier aux
prophètes, qui y interviennent parfois assez inopinément. Même
couleur, à plus forte raison encore, dans les considérations
personnelles que l'auteur formule çà et là, par exemple quand il
définit les causes de la ruine du royaume septentrional (2Ro
17:18,21-23 etc.). Il va jusqu'à citer expressément «le livre de la
Loi de Moïse» (De 24:16,2Ro 14:6). C'est dans les termes mêmes
de la loi découverte en 621 que Salomon fait part au roi de Tyr,
Hiram, de son intention d'élever un temple à l'Éternel (1Ro
5:2-5,De 12:8-11).

Le choix des matières traitées trahit aussi le point de vue
très spécial qui domine tout l'ouvrage. On constate une disproportion
singulière entre les diverses biographies. Pour la plus grande
partie, elles se réduisent au cadre commun à tous les rois, à des
données statistiques, aux appréciations stéréotypées et à des
renseignements tenant en peu de lignes, alors même qu'il s'agit de
souverains aussi importants qu'Omri ou Jéroboam II entre autres. Nous
sommes loin d'une histoire générale des deux royaumes.

Le tableau des éléments plus développés, reliés entre eux par
ces biographies sommaires et quasi uniformes, achève de caractériser
l'esprit qui présida à l'élaboration du livre. Ce sont (abstraction
faite de 1Ro 1 et 2 qui se rattache à l'histoire de David et
dont les sources ne sont autres que celles du livre de Samuel):

le règne de Salomon (1Ro 3:11);

la séparation des deux royaumes, définie par
l'abandon du temple dont les Israélites du N. se rendent
coupables (1Ro 12-14);

les histoires d'Élie et d'Elisée, champions de
l'Éternel, en lutte contre la pénétration du culte de Baal en terre
israélite (1Ro 17 à 2Ro 10);

Athalie et Joas (2Ro 11 2Ro 12); la chute
d'Athalie entraîne l'abolition du culte de Baal en Juda; Joas
instaure une nouvelle administration du temple;

les changements opérés dans le sanctuaire par
Achaz (2Ro 16);

Ézéchias et Ésaïe, épisodes merveilleux qui
culminent dans la délivrance de Jérusalem assiégée par
Sanchérib (2Ro 18 à 20);

la réforme de Josias (2Ro 22 et 2Ro 23).

L'intérêt de l'auteur gravite ainsi essentiellement autour du
temple et de la lutte entreprise par les prophètes contre le
paganisme; plus du tiers de son livre est rempli par les histoires
d'Élie, d'Elisée et d'Athalie. En définitive, il a voulu composer une
histoire religieuse de la période royale, du point de vue du
Deutéronome. C'est à titre très exceptionnel qu'il a admis certains
récits profanes un peu développés, soit dans la biographie de
Salomon, soit à l'état de rares fragments dans les histoires d'Élie
et d'Elisée. Pour l'histoire profane, la note finale insérée après
chaque règne a soin de renvoyer à d'autres ouvrages. Ces vues
essentiellement religieuses et pratiques donnent le secret de
l'interprétation exacte requise par le livre des Rois.

3.

Sources: procédés présidant à leur utilisation.

Tandis que les livres qui précèdent celui des Rois dans le canon
biblique ne renvoient que fort rarement à d'autres textes auxquels
ils empruntent de brèves citations (No 21:14, citant le «livre
des guerres de l'Éternel»; Jos 10:13,2Sa 1:18, extraits du
«livre du Juste»), les notes finales de l'histoire des règnes
mentionnent trois sources auxquelles l'auteur a puisé:


le livre des faits et gestes de Salomon (1Ro 11:41);

le livre des annales (ou chroniques) des rois de Juda:
15 références, de 1Ro 14:29 à 2Ro 24:5;

le livre des annales (ou chroniques) des rois d'Israël:
18 fois invoqué, de 1Ro 14:19 à 2Ro 15:31.


S'agit-il d'annales officielles, rédigées par un fonctionnaire
royal, secrétaire (scribe, sôpher, cf. 2Ro 25:3) ou bien
archiviste (mazkîr , cf. 1Ro 4:3),
comme les chroniques ou mémoires des rois de Perse, conservées
dans la «maison du trésor» que les auteurs des livres d'Esdras et
d'Esther (Ne 12:23,Est 2:23) désignent comme ici, sous le nom de
sépher dibré hayyâmîm? L'existence de documents semblables n'est
pas incompatible avec les changements presque continuels de dynasties
dans le royaume du Nord. On sait, par exemple, que les rois de Perse
continuèrent les chroniques des rois caldéens par eux
détrônés (Esd 4:15); des inscriptions cunéiformes rapportent que
Cyrus fit même rédiger celle du règne de Nabonid. Mais le caractère
officiel des recueils auxquels l'auteur des Rois se réfère semble peu
compatible avec la possibilité pour le premier venu d'aller les
consulter comme on l'y invite. C'étaient apparemment des exposés qui,
sous un titre imposant, gardaient une allure plus populaire, en
utilisant peut-être et abrégeant les pièces mêmes de la chancellerie
royale.

Les «annales des rois de Juda» sont citées pour la dernière fois
à propos de Jojakim, qui régna jusqu'en 597. Mais on ne peut pas
savoir à quelle époque exacte les premières pages en avaient été
rédigées. En remarquant que l'auteur du livre biblique des Chroniques
parle indifféremment des «annales des rois de Juda et d'Israël» ou
«d'Israël et de Juda», on pourrait attribuer les trois titres des
sources citées par le livre des Rois comme désignant trois sections
d'un seul et même ensemble relatif aux deux royaumes. Mais la date
tardive où fut compilé l'ouvrage du Chroniqueur ne permet guère de
supposer qu'après les tribulations de l'exil et du retour il ait
encore puisé directement aux mêmes documents que l'auteur des Rois.
Les «annales des rois de Juda» ont fourni à celui-ci des données
statistiques plus étendues que celles «des rois d'Israël»; elles
semblent donc bien avoir eu une existence indépendante.

Au surplus, notre écrivain a-t-il à proprement parler utilisé des
sources auxquelles il n'a recours que pour renvoyer ses lecteurs les
consulter s'ils veulent connaître les faits, spécialement ceux de
l'histoire profane, qu'il s'abstient de narrer lui-même? On n'est pas
rigoureusement fondé à affirmer que les «annales» contenaient aussi
l'histoire religieuse des règnes et furent mises à contribution dans
cet ordre d'idées. Mais l'hypothèse reste fort vraisemblable. Comme
les autres historiographes de l'époque deutéronomique, le rédacteur
du livre des Rois aurait donc seulement retouché des ouvrages
antérieurs au sien. Son rôle aurait consisté:

à entremêler l'histoire des rois d'Israël à celle
des rois de Juda;

à supprimer ou résumer tout ce qui n'intéressait
pas directement l'histoire religieuse;

à formuler ses appréciations et jugements, ainsi
que certaines modifications de détail, le tout conditionné par les
exigences de la loi deutéronomique.

Tel qu'il est, écrit tardivement, racontant les événements de
deuxième ou de troisième main, ce livre garde néanmoins une réelle
valeur historique. Cela ressortirait en particulier d'une comparaison
suivie avec la compilation tardive et autrement tendancieuse des
Chroniques. Mais, même considéré en soi, le travail de notre écrivain
nous apporte directement ou par l'intermédiaire des «annales»
l'utilisation de sources anciennes, quelques-unes très voisines des
faits. La reconstitution de ces sources atteint parfois un degré de
vraisemblance comparable à la solidité de la plupart des résultats
aujourd'hui acquis par la critique de l'historiographie israélite
relative aux temps antérieurs (Hexateuque, Juges, Samuel), car
l'auteur a su respecter les différences de style, de points de vue,
d'esprit, de traditions qui existaient entre ces documents.

On est ainsi amené à reconnaître qu'il utilisa pour son récit du règne de Salomon:

Certains actes officiels de l'époque (1Ro 4:1,6,7-19).

Une chronique anecdotique de ce règne, dont le
noyau primitif doit remonter à deux générations seulement après
Salomon, c'est-à-dire encore au IX e siècle, 1Ro 5:12-32 7:1-12
13-51 8:1-13 9:11-14,16-17,24 9:26-28 10:16-20,28 11:7
11:14-28,40. Embellissements ultérieurs: le songe et le jugement
de Salomon (1Ro 3:4-13,16-28) la reine de Séba (1Ro
10:1,10,13 etc.). Chronique et amplifications auront formé le
«livre des Actes de Salomon», expressément visé dans 1Ro 11:41.

Dans l'histoire d'Élie et d'Elisée (1Ro 17 2Ro 10), on
reconnaît trois couches de traditions:

Des mémoires sur Achab et Jéhu, écrits
probablement vers l'an 800 par un auteur fort bien informé et aussi
littéraire que celui de 2Sa 9-20. C'est de l'histoire vivante et
vécue, remarquablement impartiale (1Ro 20 et 1Ro 22,2Ro 9
et 2Ro 10; en détacher quelques additions reconnaissables à leur
allure vague, incolore, conventionnelle: 1Ro 20:13,14-22-28
22:28,35,38 2Ro 9:7-10),

Une biographie populaire du prophète Élie, très
idéalisée, mais remarquable par son coloris littéraire et la grandeur
tout épique qu'elle confère aux épisodes narrés. Ces pages sont
postérieures aux précédentes, mais ne se concevraient pas après
l'apparition d'Amos en 760. Ce sont: 1Ro 17-19 21, chapitres
auxquels s'ajoute peut-être 2Ro 1:2-8,17

Un recueil de traditions sur Elisée:
2Ro 2:1,8,15 13:14,21, de valeur religieuse et littéraire très inégale,
et en général très inférieure à celle du cycle d'Élie. Le héros est
surtout exalté comme thaumaturge. Les récits les moins suspects sont
compris dans 2Ro 3 6:24-7:20. La plupart de ces éléments
ressortissent au folklore. L'ensemble était achevé avant 722,
peut-être vers 750; ce cycle émane d'un milieu populaire
religieusement arriéré, resté étranger ou réfractaire au mouvement du
grand prophétisme.

Les récits relatifs à Athalie, Joas, Amatsia (2Ro 11-16)
laissent reconnaître l'utilisation d'au moins trois documents, car la
déposition d'Athalie en combine visiblement deux, d'origine judéenne:
l'un explique l'événement comme une révolution militaire et
politique, l'autre en fait une explosion de sentiments religieux et
populaires; et d'autre part l'histoire de la guerre entre Israël et
Juda sous Amatsia (2Ro 14:8,14) ne peut provenir que du royaume
du Nord. Ces pages d'historiographie furent rédigées entre 760 et 621.

Pour le règne d'Ézéchias (2Ro 18 à 20), on discerne
également trois sources:

une chronique fort exacte, reconnaissant
qu'Ézéchias fut défait par Sanchérib (2Ro18:14,16);

un récit populaire, déjà très idéalisé, célébrant
la retraite de Sanchérib qui accomplit une prédiction
d'Ésaïe (2Ro 18:17,19 19:36 et suivant);

une série de traditions encore plus merveilleuses
sur la maladie et la guérison d'Ézéchias, suivies d'une ambassade de
Mérodac-Baladan (2Ro 20).

Il est possible que primitivement la chronique seule ait figuré
dans le livre des Rois. Le deuxième document est postérieur non
seulement à 621, mais aussi, semble-t-il, à Ézéchiel, de qui doit
provenir l'image comparant l'Egypte à un roseau (Eze 29:6). En
tout cas, le troisième suppose la déportation en Babylonie, au moins
celle de 597, et paraît même trahir l'influence du
Deutéro-Esaïe (2Ro 20:16 et suivant).

Par contre les chap. 22-23, réforme de Josias, doivent
provenir de la main même de l'auteur, qui aura été témoin de ce grand
événement.

En résumé, les sources sont nombreuses et le plus souvent
reproduites avec fidélité. Plusieurs d'entre elles assurent au livre
une sérieuse valeur historique.

4.

Chronologie.

Ses données chronologiques comprennent:

les années de règne, durée de pouvoir de chaque
roi;

les synchronismes entre les règnes en Israël et
en Juda.

Ces deux séries de chiffres ne concordent pas. Si les totaux sont
sensiblement égaux pour la période comprise entre la séparation des
deux royaumes et la chute de Samarie: 258 et 260 ans, les nombres
partiels diffèrent parfois considérablement. De ces deux ordres
d'indications, les années de règne ont à priori le plus de chances de
reposer sur une tradition ancienne, les contemporains se rappelant
sans beaucoup de peine la durée du règne de chacun de leurs rois. Au
contraire, les synchronismes trahissent des calculs faits après coup,
suivant une chronologie divergente.

D'autre part, les années de règne donnent, d'abord depuis la
séparation des deux royaumes jusqu'à la mort simultanée de Joram
d'Israël et d'Achazia de Juda, tués par Jéhu à Jizréel, ensuite de
Jéhu jusqu'à la chute de Samarie:


Pour Israël Pour Juda

Jusqu'à Jéhu...98 ans 95 ans

De Jéhu à la fin de Samarie.. 143 ans 7 mois 165 ans

________________________

Totaux...241 ans 7 mois 200 ans



Aucun de ces chiffres ne s'accorde avec les données absolument
sûres que fournit la chronologie assyrienne et qui sont: pour
l'avènement de Jéhu (mention de son tribut sur l'obélisque de
Salmanasar III): 842; pour la prise de Samarie: 722/721. Entre ces
deux dates, il n'y eut donc que 121 ans, au lieu de 143 et 7 mois ou
165 des années de règne, et des 170 des synchronismes. Nous savons
encore, par les inscriptions assyriennes, que le tribut de Ménahem se
place en 738; entre cette année-là et celle de la prise de Samarie,
on compte 16 ans, contre les 31 que donnent les années de règne et
les 38 des synchronismes.

Pour expliquer ces désaccords, on a supposé des fautes de
copistes, des corrections inexactes (synchronismes), ou que, dans
l'un des royaumes, la dernière année d'un souverain et la première de
son successeur n'en faisaient qu'une, l'autre royaume datant du
nouveau règne l'année seulement qui suivait celle de la mort du roi
précédent (système babylonien). On remarque aussi que les années
partirent tantôt du printemps, tantôt de l'automne. Toutes ces
observations ou conjectures ne sauraient suffire à trancher la
difficulté. Il semble qu'en fait on n'ait guère compté en Israël
d'après les années de règne avant le VII e siècle (cf. Jér., puis
Ezéch.); auparavant, on prenait surtout pour point de repère un
événement fortuit, resté fameux, tremblement de terre (Am 1:1);
mort d'un roi (Esa 6:1 14:28), siège (Esa 20:1), et
seulement par exception un avènement (1Ro 14:25,2Ro 12:7). Il
semble en résulter que les données traditionnelles sur les anciens
règnes présentaient des lacunes, que l'on chercha à combler au moyen
d'évaluations approximatives, par exemple en comptant par
générations, en tout cas jusqu'à l'époque des Juges. Le problème ne
peut donc aboutir à une solution satisfaisante. On retiendra
seulement deux conclusions:

Les synchronismes ont été calculés par un auteur
autre que celui des années de règne. Dès lors, ou les années de règne
sont attribuables au rédacteur même du livre des Rois, et les
synchronismes furent ajoutés après coup à son oeuvre achevée; ou les
années de règne remontent aux «annales», et notre auteur aurait la
paternité des synchronismes, ce qui s'expliquerait assez
vraisemblablement dans son oeuvre de fusion entre Annales des rois
d'Israël et Annales des rois de Juda.

La chronologie réelle de la période royale ne
peut partir que des données sûres résultant de la liste assyrienne
des éponymes. Cette grande inscription énonce pour 228 années
(893-666) une série de personnages d'après lesquels chacune reçoit un
nom; ce sont en majeure partie des rois, éponymes pour la seconde
année de leurs règnes respectifs. La liste mentionne aussi les
principaux événements de l'année. Elle concorde en partie avec le
canon de Ptolémée demeuré célèbre, qui date de 150 environ ap. J.-C,
et qui donne la durée de tous les règnes de Babylone et de Perse
depuis Nabonassar (747) jusqu'à Alexandre le Grand, mort en 323.
Grâce aux éclipses mentionnées dans ces deux documents, l'astronomie
permet d'en contrôler la rigoureuse exactitude. Il suffit enfin de
ramener leurs chiffres à notre numération chronologique fondée sur
l'ère chrétienne.

De la sorte, la première date sûrement établie pour l'histoire
d'Israël est celle de la bataille de Karkar (854), à laquelle Achab
participa. Puis viennent: le tribut de Jéhu (842), celui de Ménahem
(738), l'hommage de Ménahem à Tiglath-Piléser à Damas (732), la prise
de Samarie (722/721), le siège de Jérusalem par Sanchérib (701), la
première année de Nébucadnetsar (604), la ruine de Jérusalem (586).
Il ne reste plus qu'à insérer dans les mailles de ce réseau les
règnes des rois d'Israël et de Juda, en modifiant par des conjectures
vraisemblables les nombres d'années que donne le livre des Rois.
Ainsi avons-nous procédé pour les dates attribuées à chaque souverain
dans l'article qui lui est consacré. Comp. art. Chronol. de l'A.T.

5.

Date de rédaction.

Étant donné le coloris si authentiquement deutéronomiste, le livre ne
peut pas avoir été composé avant la réforme de 621. D'autre part il
est antérieur au code sacerdotal, qui apparaîtra avec Esdras en 458,
car il ignore tous les éléments caractéristiques de cette
législation, par exemple la distinction entre prêtres et lévites, la
descendance aaronide du clergé, l'existence d'un sanctuaire central
pour tout Israël avant la construction du temple de Salomon. Seules
quelques rares interpolations très récentes trahissent l'influence du
code sacerdotal (dans la description du temple).

Entre 621 et 458 se place la date capitale de 586. prise de
Jérusalem, fin de l'existence proprement nationale du peuple de
l'Éternel, qui ne se relèvera guère plus, au retour de l'exil, qu'à
l'état de communauté religieuse. Notre livre est-il antérieur ou
postérieur à ce tournant décisif? De nombreux passages supposent la
déportation comme un fait accompli; ex.: 2Ro:24 et 25, récit des
débuts de l'exil;1 Ro 5:4 et suivant, où Palestine et Syrie
sont appelées pays d'au-delà de l'Euphrate. Plusieurs prédictions
décrivent l'exil de visu: 2Ro 22:15-20.

Mais ces différents passages semblent bien appartenir à un
rédacteur moins ancien que l'auteur du grand ensemble. Si l'on
convient d'appeler celui-ci RD, l'amplificateur animé du même esprit
pourrait se désigner par RD 2 (cf. Bible de Kautzsch: Dt, Dt 2).

Cette hypothèse repose sur trois observations:

Des traits comme 1Ro 11:36, qui ne peuvent
remonter à l'auteur, ne sauraient davantage dater d'après 586, sans
tomber dans une cruelle ironie.

Salomon avant la construction du temple est tour
à tour blâmé et excusé (1Ro 3:2 et suivant) pour son attitude à
l'égard des hauts-lieux. Mêmes divergences entre 2Ro 17:18,21-23
et v. 7-17: causes de la chute de l'Israël du Nord.

Certains passages supposant l'exil viennent de
toute évidence en surcharge: 1Ro 5:4 9:1-9, 2Ro 17:19.

La première rédaction est donc très vraisemblablement comprise entre
621 et 586. Pouvant encore espérer le salut national par la fidèle
observation de la loi, l'auteur vise à obtenir cet urgent résultat.
Peut-être remontera-t-on au règne même de Josias, entre 621 et 608,
après la réforme, mais avant le désastre de Méguiddo. L'ouvrage alors
composé se serait achevé sur le récit de la réapparition de la loi.

Survient 586. Toute espérance subit le plus terrible des
démentis. RD 2 s'attache alors à mettre les livres des Rois en
harmonie avec la douloureuse réalité; cf. 2Ro 21:7-15 22:15-20
24:2,4, 1Ro 8:46 9:6 et suivant, 2Ro 17:19 et suivant, etc.
Les synchronismes, la notice 1Ro 6:1, les récits populaires
2Ro 18:17-20 19 peuvent aussi lui appartenir.

Cette seconde rédaction deutéronomiste fut achevée après la
libération de Jojakin (561) et même, semble-t-il, après sa mort. On
salue ce petit fait comme un gage de la délivrance prochaine, mais le
livre ne s'achève pas moins sur une note désolée qui fait penser aux
disciples d'Emmaüs. Wellhausen appelait le livre des Rois: «la grande
confession de la nation exilée se remémorant son passé».

Comme additions post-exiliques notons des retouches dans les
synchronismes, deux petits midrachîm (contes à la manière de Ru
ou de Jonas, dans 1Ro 13 et 2Ro 1), etc. Les remaniements,
de peu d'importance, duraient encore lorsque fut entreprise la
traduction grecque des LXX Jq. M.