RÉGÉNÉRATION
La nécessité d'une nouvelle naissance pour entrer dans la vie divine
est une des préoccupations centrales de la religion des hommes et
tout spécialement du culte des mystères (voir ce mot).
Cette préoccupation ou, pour mieux dire, cette obsession
transverbère les rites de la mort et de la résurrection d'Attis,
Dionysos, Mithra, etc. Le Myste meurt à sa vie ancienne en
participant mystiquement à la mort et à la résurrection de son dieu.
Après quoi il est, comme disent les textes, un «deux fois né», un
«re-né», un «fils engendré aujourd'hui». Parmi ces rites symboliques
de la régénération, le plus caractéristique est celui du mystère
osirien de la renaissance. «On sacrifie des victimes en l'honneur
d'Osiris mort. La peau de ces victimes devient, selon le rituel, la
peau de Sith, le meurtrier d'Osiris, et c'est elle qui va servir de
«berceau» à Osiris. On place dans cette peau la momie qui représente
Osiris, ou bien le prêtre lui-même qui représente Anubis, ou un homme
quelconque appelé «Tikanou» s'y couche en prenant l'attitude du
foetus dans la matrice. Les charmes de la magie imitative rendent
efficace ce simulacre de gestation. Quand Osiris, ou Anubis qui s'est
substitué à lui, ou le Tikanou, sort de la peau, il renaît, comme
s'il sortait du sein maternel.» Ici, les vues ne vont pas plus loin
que dans l'étonnement de Nicodème: «Naître de nouveau», c'est
«rentrer dans le sein maternel pour naître une seconde fois».
L'Inde--dans laquelle on verra peut-être un jour, bien plutôt que
dans l'Egypte, l'inspiratrice des cultes orientaux et la mère de
notre mystique--renferme dans son rituel védique une cérémonie
analogue à la renaissance par la peau, que nous venons de signaler
dans le mystère d'Osiris. On l'appelle la diksa. Cette diksa
remonte aux temps les plus reculés. Les Brahmanas montrent que
l'initié à la nouvelle naissance devait se soumettre à une série
d'actions symboliques très dures, lesquelles reproduisent toutes les
phases de la venue au monde d'un nouveau-né. Cette cérémonie se
pratique encore aujourd'hui; si bien que pour expliquer aux
populations ce que c'est que le baptême d'eau et d'Esprit qui
introduit par la nouvelle naissance dans le Royaume de Jésus-Christ,
les Hindous convertis disent: «C'est la diksa des chrétiens,
c'est l'initiation à la sagesse de Dieu.» Ces derniers mots nous
reportent à la parole de l'apôtre Paul aux Corinthiens: «Nous
prêchons la sagesse de Dieu aux initiés (le mot grec que nos versions
rendent ici par le terme «parfait» signifie dans le langage des
mystères: «initié»), et nous la prêchons dans un mystère; sagesse
cachée, inconnue aux grands de ce monde, mais que Dieu avait
prédestinée avant les siècles pour notre gloire» (1Co 2:7).
Cette nouvelle naissance que les hommes en mal de Dieu
cherchaient «à tâtons» (Ac 17:27), le «mystère du
Christ» (Col 4:3) la leur a apportée en la transposant dans le
monde moral et spirituel. Le terme régénération (lat. regeneratio,
du verbe regenerare =engendrer de nouveau) répond
au grec palingenesia (=nouveau commencement), qui n'est employé que deux
fois dans le N.T. (Mt 19:28: renouvellement de toutes choses, et
Tit 3:5: baptême de régénération, lavacrum regenerationis,
Vulgate). Par ce mot (et le verbe anagennân qui signifie
engendrer de nouveau, régénérer, cf. 1Pi 1:23) est désigné le
point de départ de la vie chrétienne sous l'action de l'Esprit de
Dieu. Il sert à dépeindre le radical changement opéré dans les
sentiments, les pensées, la volonté de l'homme qui est entré par la
foi dans la communion de Jésus-Christ. Révélation, incarnation,
régénération, voilà le triptyque du salut. Ces trois doctrines
constitutives de la rédemption (voir ce mot) sont enseignées dans la
Bible avec une égale clarté, mais c'est dans les paroles de Jésus à
Nicodème (Jn 3) qu'on les trouve le plus organiquement liées.
1.
«Si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de
Dieu » (Jn 3:3). L'entrée dans le royaume de Dieu, que Jésus
donne comme thème inaugural de toute sa démonstration, ne dirait rien
aux hommes, si la révélation, c'est-à-dire la parole de Dieu par ses
prophètes, ne leur avait enseigné dans l'A.T, ce qu'est le royaume de
Dieu. C'est ici la révélation par le Père. Dieu: la personne sainte;
son royaume: une société établie dans la justice, la pureté, l'amour,
la confiance et l'obéissance au Père céleste. La condition d'entrée
dans ce royaume est la ressemblance avec Dieu, la communion avec lui,
la sainteté. «Soyez saints car je suis saint» (Le 19:2). Mais
l'homme ayant trahi la cause de Dieu (Ge 3,voir Chute), son
coeur, qui est le siège de la vie intérieure (Pr 4:23), est
tourné vers le mal (Ge 6:5); pour le rendre conscient de cet
état tragique, Dieu lui donne la Loi du Sinaï. Mais «l'efficace de la
Loi est de montrer la maladie sans montrer aucune espérance de
guérison» (Calvin). L'espérance de guérison n'est pas dans l'oeuvre
de l'homme, elle est dans une nouvelle initiative de Dieu en faveur
de ceux que la Loi a amenés au repentir et à un effort pour se
conformer à la volonté de Dieu; voilà pourquoi l'A.T, donne une
importance croissante à l'obéissance par opposition au sacrifice qui
se rencontre dans tous les cultes humains (1Sa 15:22,Esa
1:11-17,Os 6:6,Mic 6:7 et suivant, Jer 7:22 et suivant, etc.).
Dans l'expérience donnée par l'effort d'obéissance grandit le
sentiment qu'une rénovation morale est nécessaire (Ps
6,Ps 19, Ps 25, Ps 32, Ps 38, Ps 51,Ps 130). De l'échec constant de la
prédication des prophètes demandant au peuple élu de renoncer au péché
et de se constituer en peuple de Dieu naquit, vers l'époque de l'exil, la
conviction que la rénovation morale ne pourrait arriver que par une
intervention créatrice, une «nouvelle alliance» dont Dieu prendrait
l'initiative et par laquelle une force nouvelle, divine,
transformerait les coeurs (Jer 24:7 31:33 32:39 et suivant,
Eze 11:19 et suivant Eze 36:25-27). Dans tout le processus de la
prédication des prophètes, entre le VIII e et le V e siècle, nous
surprenons un effort héroïque pour travailler les consciences et les
amener à comprendre que le renouveau moral ne sera pas une affaire
collective mais individuelle (Jer 31:29 et suivant, Eze
18:31 et suivant) et que le salut de la nation de Jéhovah ne se
fera que par la régénération personnelle des jéhovistes. La promesse
messianique apportée par cette prédication prophétique oriente
l'espérance vers le renouveau spirituel et incite les Israélites
pieux à faire appel au secours d'en haut, à la manifestation de
l'envoyé de Dieu. Mais l'A.T, ne dépasse pas ce stade. Il n'apporte
aux hommes que ce qu'on appelle la révélation par le Père. Nous ne
voyons, en effet, nulle part dans la religion de l'ancienne alliance
la régénération, avec la joie qui l'accompagne et les forces
spirituelles qu'elle donne, proclamée comme un fait d'expérience.
Jean-Baptiste lui-même appartient encore à l'ère prophétique,
mais il jette le pont entre l'A.T, et le N.T., par l'institution du baptême
(voir ce mot), où la régénération spirituelle est figurée
plastiquement, et qui sert d'introduction à l'oeuvre rédemptrice que
va entreprendre «l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde» (Jn
1:29). C'est à ce baptême que Jésus fait allusion quand il dit à
Nicodème: «Personne, s'il ne naît d'eau... ne peut entrer dans le
royaume de Dieu.» Pour comprendre cette parole, il faut se reporter à
la cérémonie qui s'accomplissait alors au bord du Jourdain et qui
mettait en émoi toute la Palestine. Jean annonçant l'arrivée du
Messie rédempteur lui aplanissait le sentier en prêchant la
repentance et en provoquant dans tous les coeurs bien disposés la
résolution d'entreprendre une vie nouvelle. Il recevait la confession
des néophytes et, pour marquer à leurs yeux comme aux yeux de la
foule le changement radical qui allait décider de leur destinée, il
les plongeait dans l'eau du fleuve. Ce qui disparaissait ici avec
l'homme immergé, c'était la vie mauvaise, la volonté charnelle,
l'orientation animale; ce qui reparaissait avec l'homme qui émergeait
de l'eau et remontait sur la berge, c'était la créature nouvelle,
décidée pour le bien, orientée vers l'Esprit; l'eau du fleuve avait
marqué et séparé les deux humanités. Le nouveau-né par l'eau était
prêt à aller à la rencontre du Messie, à l'acclamer, à se mettre à
son service et à le suivre après lui avoir dit, comme Jacques et
André, deux baptisés de Jean: «Maître, où demeures-tu?» C'est en vain
qu'on cherche à distinguer le baptême d'eau de Jésus du baptême d'eau
de Jean. Rien dans le N.T. n'y autorise. Jésus ne baptisait pas
lui-même (Jn 4:2), et le baptême qu'administraient ses disciples
avait la même signification que celui de Jean. Le Maître et ses
disciples ne connaissaient, comme Jean, que deux baptêmes: le baptême
d'eau inauguré au Jourdain avant que Jésus entrât en charge, et le
baptême d'Esprit qui se rattache au jour de la Pentecôte. (cf. Lu
3:16,Ac 1:5)
On voit donc clairement que le baptême d'eau, dans les évangiles,
était la part de l'homme, comme le baptême d'Esprit allait être la
part de Dieu. Pierre exhorte ses auditeurs, le jour de la Pentecôte,
à se faire baptiser «en vue de la rémission des péchés» (Ac
2:38). Dieu ne peut, en effet, pardonner les péchés qu'à un homme
qui les reconnaît et résolument les condamne. Pour que Dieu travaille
en nous, il faut que nous nous mettions du côté de Dieu: on ne peut
«renaître» que si l'on a accepté de «mourir» (Ro 6:4). Voilà
pourquoi Jésus dit de ceux qui avaient refusé d'aller au baptême de
Jean: «Ils ont rendu inutile à leur égard le dessein de Dieu» (Lu
7:30); à eux-mêmes, il leur déclare: «Vous ne voulez pas venir à Moi
pour avoir la vie» (Jn 5:40).
2.
Par ce «à Moi», Jésus marque la nécessité de son intervention, de son
oeuvre rédemptrice, pour que l'homme qui, dans le baptême d'eau,
demande la régénération puisse l'obtenir par le baptême d'Esprit.
C'est ici la révélation par le Fils. Jésus en a donné la formule dans
l'entretien avec Nicodème: «Dieu a tellement aimé le monde qu'il a
donné son Fils unique afin que quiconque croit en Lui ne périsse
point, mais qu'il ait la vie éternelle » (Jn 3:16). Nous
n'avons pas à insister ici sur ce qui touche à la rédemption; mais il
faut bien faire ressortir que l'incarnation, dont le rôle est méconnu
par les diverses formes de la philosophie kantienne, est présentée
par l'Évangile dans son ensemble comme une condition absolue de la
régénération. L'homme ne pouvait se régénérer lui-même par ses bonnes
résolutions; d'autre part, l'Esprit divin ne pouvait lui être rendu
que si une réparation était accomplie. Cette réparation, le Fils de
Dieu s'est offert pour l'accomplir, et «Dieu a tant aimé le monde
qu'il a donné son Fils unique». C'est ici l'acte central, le pivot de
toute la révélation. Désormais, de l'attitude de l'homme vis-à-vis de
«la Parole faite chair» (Jn 1:14), autrement dit de
l'incarnation, dépend sa régénération par l'Esprit. L'homme avait
besoin de devenir une nouvelle création morale (2Co 5:17), ce
qui nécessitait au point de vue moral un acte créateur. Cet acte, le
Fils de Dieu est venu l'accomplir sur la terre, et nous en avons les
éléments dans l'épître de saint Paul aux Philippiens (Php
2:5-11). Jésus, en effet, ne se contente pas d'appeler ses
compatriotes à la repentance (Mr 1:15), de leur dire qu'ils
doivent devenir «comme des enfants» pour entrer dans le Royaume de
Dieu (Mt 18:2), de déclarer que les hommes sont des «malades»
qui ont besoin de médecin (Mr 2:17), il révèle à ceux qui
l'écoutent que le coeur de l'homme est la source du mal qui entraîne
l'humanité à sa ruine (Mr 7:21), en sorte que le renouvellement
moral permettant l'entrée dans le Royaume de Dieu est impossible à
l'homme (Mr 10:27).
Cet enseignement, qui coupe le chemin à toute illusion
relativement à la possibilité du salut par l'amélioration progressive
de l'homme naturel, est précisé dans l'entretien avec Nicodème dans
ces mots: «Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de
l'Esprit est esprit. Ne t'étonne donc pas de ce que je t'ai dit: Il
faut que vous naissiez de nouveau [ou d'en haut]» (Jn 3:6
et suivants); ce qui est impossible à l'homme est, en effet,
«possible à Dieu» (Mr 10:27), et Dieu l'a accompli dans la
personne de son Fils «donné», mais aussi venu de lui-même (Jn
10:17), pour «sauver ce qui était perdu» (Lu 10:10), Jésus, le
Christ, le Verbe incarné, recommencement de l'innocence sur la terre;
inauguration de la nouvelle humanité, mais aussi expiation de
l'ancienne! Car il vient, innocent, dans un monde pervers, usurpé par
l'Ennemi: Satan. Il y souffrira, il y mourra crucifié. Mais sa chair
sainte, clouée sur une croix, y transforme l'ignominie en victoire.
La souffrance, sur la croix, n'est plus ce qu'elle a été jusque-là
dans l'humanité: un obstacle. Elle se mue en moyen de grâce. Par son
obéissance absolue, Jésus crucifié contraint les puissances
démoniaques qui ont dressé la croix à collaborer aux desseins
salvateurs de Dieu. La croix, dressée pour ôter le Christ du monde,
devient dans le monde la suprême attirance du Christ, proclamant
ainsi la défaite de tout ce qui est offensive contre Dieu. Comment
Jésus après cela serait-il resté dans le tombeau? Quel pouvoir aurait
pu l'y retenir? 11 en sort vivant et vivifiant le matin de Pâques. Au
jour de son ascension «le filin du plus grand sauvetage que la terre
ait connu s'est déroulé jusqu'au ciel». Le contact est rétabli. La
vie peut circuler de nouveau entre le ciel et la terre. L'Esprit peut
descendre et créer pour Dieu la nouvelle humanité justifiée en Christ.
3.
La régénération spirituelle est la révélation par l'Esprit. Ici,
c'est l'Esprit qui parle (Jn 16:13), il nous enseigne (Jn
16:14), il nous console (Jn 14:16), il subvient à notre
faiblesse (Ro 8:26), il rend témoignage à notre esprit que nous
sommes enfants de Dieu (Ro 8:16). Nous avons vu plus haut que le
baptême d'eau symbolisait dans l'oeuvre de la régénération la part de
l'homme. Ainsi se trouvait établie la valeur morale de la
régénération dans son principe. Née d'une initiative de Dieu--car
tout ce qui remonte vers Dieu a commencé par descendre de Dieu--,
l'oeuvre surnaturelle de l'Esprit n'est en rien une opération magique
obtenue par des rites, des paroles, un sacrement; elle est un
exaucement, car elle est la conséquence d'un état d'âme, d'une
attitude de la volonté, dont l'acte baptismal est le symbole. St
Pierre le montre nettement quand il dit que la vertu salvatrice du
baptême d'eau pour le chrétien est tout entière «dans l'engagement
d'une bonne conscience devant Dieu» (1Pi 3:21). Aussi
n'aurait-il pas accepté la formule du concile de Trente (7e session)
qui fait du baptême d'eau non seulement le symbole, mais le sacrement
de la régénération, sacrement qui confère la grâce par sa vertu
propre: ex opere operato. Le baptême d'eau en lui-même est si peu
l'agent indispensable de la régénération que nous voyons celle-ci,
dès les premiers jours de l'Église, accordée par le baptême de
l'Esprit à des croyants qui, sans le baptême d'eau, s'étaient mis
dans les conditions morales voulues pour bénéficier du salut par
Jésus-Christ. Dans leur cas, le baptême d'Esprit a précédé le baptême
d'eau (Ac 10:44,48). «Le vent souffle où il veut et tu en
entends le bruit, mais tu ne sais ni d'où il vient ni où il va; il en
est de même de quiconque est né de l'Esprit. » Par cette
déclaration, Jésus indique à Nicodème les deux caractères de
l'opération de l'Esprit:
(a) elle est mystérieuse et dépasse nos connaissances
dans son origine comme dans ses moyens;
(b) elle se manifeste par des états qui sont mouvement
et vie; l'Esprit, comme le vent, démontre sa puissance dans ce qu'il
anime. Toutes les définitions ou les allusions que nous trouvons dans
le N.T. relativement à la régénération se rattachent à cette
déclaration de Jésus.
Après la Pentecôte, les deux baptêmes d'eau et d'Esprit devaient
être réunis en un seul. Jésus l'annonce: «Allez, dit-il à ses
apôtres, et baptisez toutes les nations au nom (=dans la puissance)
du Père, du Fils et du Saint-Esprit» (Mt 28:19). Révélation,
rédemption, régénération: tout le contenu de l'Évangile «puissance de
salut pour quiconque croit» (Ro 1:16). Il y a, dit saint Paul,
«un seul baptême» (Eph 4:5), «le baptême de la régénération»,
(Tit 3:5) et ce baptême renferme les deux éléments
révélés par Jésus à Nicodème. Reprenant le symbole du baptême d'eau
tel que nous l'avons présenté, et l'appliquant à l'expérience
chrétienne, Paul décrit la régénération en disant: «Nous avons été
ensevelis avec lui par le baptême en sa mort, afin que, comme Christ
est ressuscité..., nous aussi nous vivions d'une vie
nouvelle» (Ro 6:4). Mourir pour renaître. La mort dont il est
ici question est avant tout la mort à la vie ancienne, charnelle,
pécheresse: «Faites mourir l'homme terrestre» (la vie dans la chair,
Col 3:5); dépouillez-vous «du vieil homme avec ses
oeuvres» (Col 3:9,Eph 4:22); travail de sanctification chez les
chrétiens, mais d'abord résolution initiale de changer de conduite
chez ceux qui aspirent à «ressusciter avec le Christ» (Col 3:1).
Dans le passage cité plus haut (Ro 6:4), Paul entend si bien
désigner cette condition première: la renonciation volontaire à un
état antérieur, qu'il emploie les termes: «mort, enseveli,
ressuscité,» allusion directe au baptême symbolique tel que le
pratiquaient Jean-Baptiste et Jésus par ses disciples: immersion,
disparition, émersion. Comme Jésus a accepté volontairement de se
dépouiller de sa vie céleste toute glorieuse (Php 2:6 et
suivants), l'homme doit vouloir se dépouiller de sa vie terrestre
toute pécheresse pour s'unir mystiquement à Jésus dans sa mort; alors
le don du Saint-Esprit lui apportera la force de réaliser son dessein
d'atteindre à la vie nouvelle (Ro 6:4), laquelle fera de lui
«une nouvelle créature» (2Co 5:17), un être spirituel qui a
«revêtu le Christ» (Ga 3:27). L'explication de Jn 3:5 et
suivant est dans Ga 5:17 et suivant et dans Ro 7 et Ro
8.
Il ne faut pas que 1Co 15:29 nous incite à voir dans la
notion paulinienne du baptême un réalisme que ne justifierait pas
l'enseignement de Jésus. En effet, dans son allusion au baptême pour
les morts, Paul ne parle pas d'une doctrine générale du christianisme
ni même d'un usage qu'il approuve, mais seulement d'un rite que
pratiquaient certains chrétiens de Corinthe encore mal dégagés des
mystères païens. L'apôtre, rappelant ce rite, en fait simplement
argument pour montrer aux Corinthiens combien ils sont inconséquents:
si vous pratiquez des rites qui supposent la résurrection de vos
morts, comment refusez-vous de croire à la résurrection de
Jésus-Christ! Quant à l'idée que l'homme doit accepter pour lui la
croix, mourir de la mort du Christ et s'assimiler cette mort, elle
appartient déjà aux expériences de la régénération spirituelle
(baptême d'Esprit). Il faut être «ressuscité avec Christ» pour se
rendre compte à quel point il est nécessaire de «mourir avec Christ»,
et de souhaiter cette mort totale qui nous identifie à lui et fait de
nous ses co-ouvriers. Kierkegaard le montre fort bien: «Christ ouvre
ses bras et dit: Venez tous! Le pasteur s'empresse d'ajouter: Ayez ce
courage, jetez-vous dans ses bras, c'est la vie! Très bien, mais
prenez garde; cet embrassement, c'est d'abord la mort. Il se nomme
lui-même la Vie, il dit: venez tous, et si vous vous abandonnez
complètement à lui, vous mourrez totalement. Car il n'est pas la vie
«sans autre», il est la vie à travers la mort.» (Trad. Foi et Vie
1934, p. 690). Mais ici nous sommes déjà dans le symbolisme de la
sainte Cène. Le baptême est un moyen de grâce en vue de la
régénération, comme la sainte Cène est un moyen de grâce pour «la vie
cachée avec Christ en Dieu» (Col 3:3), et c'est pourquoi on les
appelle des sacrements. Mais ils ne sont ni l'un ni l'autre un rite
d'initiation ramenant le christianisme au type des mystères païens.
Méconnaître, dans la notion du baptême de Paul, la part du baptême
d'eau, et la distinguer ainsi de l'enseignement de Jésus sur le
baptême, ce serait oublier que toute la prédication de Paul avait
pour but d'amener l'homme pécheur, principalement le Juif, à
reconnaître ses fautes et à se détourner de sa vie charnelle pour
pouvoir accéder au baptême d'Esprit. Ce serait aussi fournir des
arguments à ceux qui ne veulent voir dans le christianisme que la
forme la plus évoluée des religions à mystères. Prenons garde, en
confondant baptême et sainte Cène, de donner au baptême de
régénération un sens qu'il n'a jamais dans l'Évangile et que les
théologiens postérieurs lui ont donné: le sens d'un acte rituel qui
marque l'entrée dans l'Église par la vertu d'un rite magique. Nul
apôtre n'a aussi énergiquement que saint Paul mis l'accent sur la
nécessité du repentir et de la conversion comme condition du miracle
tout gratuit de la régénération. C'est au point que le programme de
son apostolat Ac 26:20 rejoint la prédication de Jean-Baptiste
Mr 1:4 et Lu 3.
On peut voir par tout ce que nous venons de dire que
l'enseignement donné par Jean aux foules, par Jésus à Nicodème et par
saint Paul dans ses épîtres aux Églises ne fournit aucun fondement au
baptême d'êtres qui, à cause de leur âge, ne peuvent avoir nulle
conscience de l'acte accompli à leur égard. Le baptême des enfants ne
se justifie au point de vue biblique que par le désir éprouvé par des
parents chrétiens de mettre leurs nouveau-nés au bénéfice de
l'alliance de grâce.
Le baptisé «d'eau et d'Esprit» (Jn 3:5) «né de Dieu»
(Jn 1:12 et suivant) est une nouvelle créature (2Co 5:17), un
ressuscité (Eph 2:5 et suivant) par un acte de la
toute-puissance de Dieu comparable à la résurrection de Jésus-Christ
d'entre les morts (Eph 1:19 2:1-6). Cet acte a pour
effet de transformer, de renouveler complètement notre être
intérieur, le coeur, d'où procèdent les sources de la vie et qui,
empoisonné par le péché (Ro 12:2,Col 3:10,Eph 4:23,Tit 3:5),
était devenu incapable de retourner de lui-même à Dieu (Ro
7:15-23,1Co 2:14 etc.). Tout cela marque le caractère mystérieux et
divin de la régénération. Voici maintenant ce qui nous apprend
qu'elle n'a rien de magique: obtenue par le Christ qui a vécu parmi
les hommes dans l'intimité de ses disciples, elle s'opère
rationnellement par la contemplation du Christ, son exemple, sa
parole. Jésus avait déclaré que la parole était la semence du
Royaume (Lu 8:11), il avait demandé à son Père: «Sanctifie-les
par ta vérité, ta parole est la vérité» (Jn 17:17); saint
Pierre, à son tour, faisant allusion à l'Évangile qui avait déjà
opéré des miracles (Ac 11:19,24, cf. 1Th 2:13 2Th 2:13-16 Eph
1:13 Col 1:5 Jas 1:18), écrit: «Vous avez été régénérés non par
une semence corruptible, mais par une semence incorruptible, par la
parole de Dieu qui est vivante et qui dure à jamais...,
l'Évangile» (1Pi 1:23-25).
Par ce mot «l'Évangile», nous sommes ramenés à la parole vivante,
au Christ dont l'Évangile présente en même temps l'oeuvre et
l'exemple; si donc, la parole écrite nous fait passer, grâce à son
enseignement, par tout un processus d'expériences qui constituent la
psychologie de la régénération (éveil de l'âme, contrition,
illumination croissante, nouvelle orientation de la volonté, apport
spirituel d'énergie, abandon total de l'homme au Christ qui l'a
attiré, persuadé, sauvé, baptisé de puissance et couronné de joie),
cette régénération elle-même, dans ses effets, se modèle sur la vie
du Christ et s'exprime dans la conscience qu'a le chrétien d'être
l'imitateur du Christ, son co-ouvrier, et de vivre au sein d'une
atmosphère nouvelle qui lui permet de marcher dans le dynamisme divin
et d'être, à la suite du Christ, un «pêcheur d'hommes» (Mt
4:19). Le nouvel état où ils sont entrés est si riche dans ses
ressources, si multiple dans ses manifestations, il est en même temps
si nouveau dans l'expérience humaine, que les apôtres ont recours aux
expressions les plus variées pour essayer de le décrire; on sent que
le sujet les émerveille et les déborde et qu'ils ne peuvent autrement
que d'y revenir sans cesse pour exprimer leur joie d'être, pour la
première fois au cours des siècles, des hommes unis au Dieu vivant,
porteurs auprès de l'humanité malheureuse de l'Évangile universel.
Jacques parle du Père des lumières qui nous a «engendrés par la
parole de vérité implantée en nous» et faisant de nous «les prémices
de ses créatures» (Jas 1:18-21); Pierre écrit à ses lecteurs
qu'ils sont régénérés pour une «espérance vivifiante» (1Pi
1:3,23) comme des «enfants nouveau-nés» (1Pi 2:2), «pierres
vivantes d'une maison spirituelle» (1Pi 2:1,5). Jean attribue la
nouvelle naissance à un acte de «conception» dont Dieu est
l'auteur (1Jn 2:29 3:9 4:7 5:1,4,18) et qui permet de demeurer
en lui (1Jn 2:6), d'avoir la vie par le Christ (1Jn 4:9),
de reproduire la vie du Christ (1Jn 3:16) en attendant le jour
glorieux où nous lui serons faits semblables (1Jn 3:2). C'est
Paul qui présente à ce sujet la plus grande variété d'expressions:
«le vieil homme a été crucifié avec le Christ» (Ga 2:20,Ro
6:3,6), un nouvel homme est paru, créé à l'image de Dieu, ressuscité
avec Christ et devenu «une même plante avec lui» (Eph 4:24,Col
2:20 3:1 et suivants, Ro 6:5, cf. Jn 15); la «nouvelle
créature» (Ga 6:15,2Co 5:17,Tit 3:5 etc.) marque pour lui le
passage de l'esclavage à la filialité (Ro 8:15), l'entrée dans
une vie libérée de la chair et de la loi, animée et conduite par
l'Esprit (Ga 5:16,18,Ro 7:8), de sorte que le chrétien vit en
fils de Dieu (Ro 8:14) et en cohéritier de Christ (Ro
8:17); la vie a remplacé la mort, la lumière a chassé les ténèbres,
l'inimitié a fait place à la paix avec Dieu, la faiblesse à la
puissance, la crainte à l'amour, la perdition à la vie éternelle et
glorieuse: «Les choses anciennes sont passées, et toutes choses sont
devenues nouvelles» (2Co 5:17).
De tout ce qui précède, il résulte que l'expérience de la
régénération n'est pas réservée à une élite dans la race ou dans
l'Église, mais que, née d'un geste de miséricorde envers toutes les
créatures, elle est accessible à toutes; les plus humbles, les plus
ignorants, les plus déshérités de la terre sont en état de la saisir.
L'histoire montre même que c'est dans les rangs de ces petits qu'elle
a été, d'emblée, le mieux comprise et le plus joyeusement
acceptée (1Co 1:26). Quelle qu'ait été la vie antérieure de
celui à qui Dieu accorde la grâce de la régénération, celle-ci
produit chez tous des effets identiques auxquels on la reconnaît et
qui se peuvent résumer en un mot: le renouvellement des inclinations.
Quelles que soient les lenteurs et les difficultés que la diversité
des tempéraments et des circonstances oppose à la sanctification
progressive, au bout, le résultat est toujours le même: «La
régénération ne signifie rien moins qu'une révolution telle, que tout
homme, dépouillant toute manière mondaine de sentir, de penser, de
vouloir, est amené à être en harmonie avec l'Esprit et la volonté de
Dieu, à connaître vraiment le point de vue de Dieu, en sorte qu'il
voit maintenant les choses comme Dieu les voit, sent les choses comme
Dieu les sent, juge les choses comme Dieu les juge; aime ce que Dieu
aime, hait ce que Dieu hait, et fait des fins de Dieu les siennes
propres» (J. Orr). Il suffit d'avoir sérieusement constaté la portée
de ce changement et les conditions dans lesquelles il s'opère, pour
comprendre qu'il n'était pas au pouvoir de l'homme de le provoquer et
pour saisir toute la vérité de la parole de Jésus à Nicodème: «Il
faut que vous naissiez d'en haut. »
St Jean affirme (1Jn 3:9) que «quiconque est né de Dieu ne
peut pécher parce que la semence de Dieu demeure en lui». Cette
parole, à laquelle on consent plus aisément sur le terrain de la foi
que sur celui de l'expérience, est-elle en contradiction avec cette
autre parole, de Paul: «Si vous vous faites circoncire, vous êtes
déchus de la grâce»? (Ga 5:4) Nous ne le pensons pas, car s'il
en était ainsi Jean se contredirait lui-même. N'a-t-il pas dit à ses
lecteurs chrétiens: (1Jn 1:8) «Si nous disons que nous n'avons
pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité n'est pas
en nous...Si quelqu'un a péché, nous avons un défenseur auprès du
Père, Jésus-Christ, le juste»? (1Jn 2:1) Mais le contexte de
1Jn 3:9 nous montre qu'il s'agit dans ce passage de quiconque se
remet sous l'inspiration du diable, se laisse diriger par lui et
participe à l'oeuvre néfaste qu'il poursuit depuis qu'il a introduit
le mal dans le monde. Paul, dans 2Co 1:21 et suivant, se
tient sur le même terrain que Jean: les régénérés sont pour lui,
comme pour son compagnon d'apostolat, marqués du sceau de Dieu et
possesseurs des «arrhes de son Esprit» (cf. Php 2:13 et Heb
8:10 10:16).
«L'engravure que Dieu met au coeur de ceux qu'il adopte pour ses
enfants, ne se peut jamais effacer» (Calvin). Il y a dans cette
certitude un grand réconfort pour le chrétien, lequel sait sans doute
qu'il aura à lutter contre les surprises les plus subtiles du péché
tant qu'il sera condamné «à vivre dans la chair» (Phi 1:22), aux
prises avec les misères de son «corps de mort» (Ro 7:24), mais
il sait aussi que la semence de Dieu qui est en lui est sauvegardée
par Dieu dans les mauvais jours et qu'elle aboutira au triomphe sur
toutes les formes du mal. Réconfort qui implique un avertissement à
la vigilance (1Co 10:12), au contrôle incessant de
soi-même (2Co 13:5,Ro 8:9). Quiconque, après avoir fait
profession d'être chrétien, retombe dans une vie de péché, montre par
là non que l'Esprit qui régénère est impuissant à garantir ceux qui
lui ont ouvert leur coeur, mais que sa régénération personnelle à lui
n'était pas arrivée à maturité, qu'il avait, lui, mal «crucifié la
chair avec ses passions et ses convoitises» (Ga 5:24), qu'il ne
s'est pas «gardé lui-même» (1Jn 5:18) et qu'en conséquence il
n'était pas «né de Dieu». Par contre, les régénérés qui, «vivant par
l'Esprit», s'efforcent de «marcher selon l'Esprit» (Ga 5:25),
font l'expérience qu'à mesure qu'ils avancent dans leur vie de
«nouvelles créatures», la grâce de la régénération devient chaque
jour plus inamissible (Jn 10:27,29,Ro 8:31,39).
Alex. W.