PRIÈRE

I La prière chez les Israélites.

La prière des anciens Hébreux est solidaire de celle du reste de
l'humanité par son association primitive à la magie ; et elle
s'élève au-dessus de toutes les autres formes de l'oraison grâce au
radicalisme avec lequel elle s'est dégagée des procédés de
l'incantation, et grâce surtout à la spiritualisation unique en son
genre que lui ont fait subir les grands prophètes.

--Voici quelques-uns des points où survit en elle l'influence
magique.

Longtemps on ne pensait pouvoir s'assurer les faveurs de JVHH
qu'en s'approchant matériellement de lui, c'est-à-dire en se
rendant au sanctuaire où il était censé résider en personne (Ge
28:16 et suivant, Ps 84:2-5,11).

De là, pour dire «prier», les termes synonymes, très concrets, de
«chercher l'Éternel» ou «chercher la face de l'Éternel» au lieu
saint (De 4:29,Ps 24:6 27:8 105:4). La seconde de ces
expressions pouvait même signifier «aller au sanctuaire pour y
demander l'oracle» (2Sa 21:1).

Puis, par crainte des dangers que l'on attribuait à la présence
divine, dans l'enceinte sacrée, on ne priait point sans se diriger
lentement et prudemment vers l'habitation de Dieu (Ex 19:21,24),
ni sans se déchausser (Ex 3:5), ni sans se couvrir le
visage (Ex 3:6,1Ro 19:13).

D'autre part, s'accroupir (1Ro 18:42), étendre longtemps les
bras (Ex 17:11) et accomplir certains rites guerriers (2Ro
13:16-19) passaient, semble-t-il, pour des moyens de forcer
l'exaucement.

En tout cas, l'on «criait» véritablement à l'Éternel afin
d'éveiller son attention et de le faire venir (Ps 17:6 28:1
130:1), si bien que, par exemple, la prière murmurée d'Anne passait
pour une surprenante anomalie (1Sa 1:12-14). Quelquefois même on
allait jusqu'à baiser l'image divine (Os 13:2,1Ro 19:18, cf.
Job 31:27), afin de faire passer en soi une part de la puissance
surnaturelle dont on la croyait chargée. Puis encore: si, d'une
manière générale, l'on présentait la divinité comme réfractaire à
révéler son nom (Ge 32:30,Jug 13:18), c'est parce que, connaître
ce nom et le prononcer à haute voix à l'instant de la prière,
c'était, croyait-on, disposer du moyen de contraindre magiquement le
dieu à comparaître. Or, Israël jouissait du privilège de connaître le
nom propre de son Dieu. Ce nom était JVHH. Il suffisait en
conséquence qu'à l'heure de l'oraison ce nom attractif fût, par les
officiants, matériellement «posé» sur les enfants d'Israël, pour que
la présence et les bénédictions de JVHH fussent sur-le-champ assurées
à ceux-ci;voir (No 6:27) Nom, II; Dieu [les noms de].

Enfin, les psaumes conservent le souvenir de très curieuses
malédictions proférées au nom de JVHH comme une défensive magique.
Les «méchants», «malfaiteurs», «adversaires» dont les fidèles ne se
lassent de dénoncer les embûches (Ps 6:9 22:13,19 31:12 38:20
et suivant) n'étaient primitivement autres, semble-t-il, que les
magiciens qui, par leurs enchantements, faisaient fondre sur les
hommes les mauvais esprits, fauteurs de souffrance et de malheur.
Israël était à même de combattre ces criminels sur leur propre
terrain.

A la magie de la parole maléfique, le peuple élu opposait la
magie de la parole salvatrice. La malédiction prononcée au nom de
JVHH s'affirmait comme le remède par excellence qui confondait l'art
des devins et apportait aux fidèles délivrance, paix et bonheur. Tel
était à l'origine le rôle des nombreuses formules de malédiction que
l'on rencontre, mêlées aux prières, dans le livre des Psaumes (Ps
5:10 12:4 31:18 69:23-26 140:10-12 141:10).

Il convient d'ajouter qu'Israël connaissait aussi, comme
l'atteste Hab 1:16, les très anciens sacrifices--sans doute
accompagnés d'incantations (voir ce mot)--aux instruments de travail,
tels que le filet du pêcheur. Pourtant, dès avant l'époque des
prophètes, et sous l'influence de la croyance fondamentale à
l'absolue souveraineté de JVHH en tant que puissance personnelle,
agissante et juste, la prière israélite tend à s'affranchir de
l'emprise de la toute naturaliste magie, pour devenir un entretien
vivant et dramatique avec Dieu et obtenir de celui-ci des grâces
librement consenties. C'est ainsi que, par exemple, l'on voit se
mêler étroitement à l'idée magique que suppose No 6:27 le
véritable esprit de prière dont est animée la très vieille
bénédiction «aaronitique» rapportée aux verset 24-26 du même
chapitre.

D'autre part, l'agenouillement (Esa 45:23). l'élévation des
mains vers le sanctuaire (Ps 28:2) ou au ciel (Ex 9:29) et
le prosternement (Ge 24:26) semblent bien s'accomplir en dehors
de toute idée d'une contrainte magique à exercer sur la divinité, et
n'exprimer que l'humble dévotion de l'homme, qui n'est rien (Ge
18:27), en face du Seigneur, qui peut tout (Ps 33:9).

A l'idée de l'action magique se substituent nettement, chez les
pieux Israélites, la certitude de la volonté et du pouvoir de Dieu
d'exaucer les demandes (Ps 65:3,6 66:20 81:8 118:5) et,
symétriquement, la confiance en JVHH, devant qui le fidèle «vide son
coeur» (1Sa 1:15), et qui écoute ceux qui l'invoquent et
accomplit leurs désirs (Ps 65:2 25:5 38:16 145:18 et
suivant
). Aussi, dans la mesure où la prière s'accentue comme
telle, les procédés magiques sont refoulés. Le Décalogue déjà
interdit le recours au nom redoutable de JVHH pour jeter un maléfice
sur un ennemi (Ex 20:7,De 5:11), et peu à peu, dans les psaumes,
les «ouvriers d'iniquité» cessant d'être identifiés avec les devins
et devenant simplement les représentants impies et haineux des
nouvelles classes dominantes, le «juste» persécuté attendra son salut
uniquement des interventions miséricordieuses de JVHH, justicier
incorruptible et vainqueur des méchants.

Les habitudes d'Israël n'excluaient certes pas, en cas de force
majeure, l'invocation de JVHH en un lieu non consacré (2Sa
15:31,Esa 38:2 et suivant, Jon 2:2); pourtant,
d'ordinaire, la prière se disait au sanctuaire comme acte cultuel,
soit individuel soit collectif (Ps 138:2 48:10 5:8 65:5 96:8
100:4), et ce n'est que dans la suite qu'elle s'émancipera de la
tutelle de la vie liturgique. Il semble bien, on le voit, que toute
la littérature hébraïque, y compris ses couches les plus anciennes,
connaisse déjà l'oraison en tant qu'acte religieux, plus ou moins
dégagé des procédés magiques; cependant, la prière au sens profond et
complet du terme ne fut donnée au peuple d'Israël que par les
prophètes (voir ce mot). Et cela en vertu de leur
spiritualisation foncière de la notion de Dieu.

Jusqu'à eux, qu'avait été JVHH? Tout ensemble: le Dieu national
qui, par l'entremise de Moïse, a contracté alliance avec les tribus
israélites, appelées désormais «son peuple»; le Dieu «des armées»,
c'est-à-dire de la guerre, auquel la gloire politique de ce peuple
tient avant tout à coeur; le protecteur sévère du droit et de la
morale; la divinité violente qui suscite éruptions volcaniques et
tempêtes, vents destructeurs du désert et peste; le dispensateur
mystérieux de l'enthousiasme martial et de la fureur «prophétique»;
enfin, en combinaison partielle avec les Baals indigènes, le Maître
bienfaisant qui assure fécondité et prospérité au sol de Canaan ainsi
qu'aux hommes et aux troupeaux qui l'habitent.

Ce Dieu, primitivement localisé soit au sommet du mont Sinaï,
soit dans la mobile «arche de l'alliance», soit encore aux
«hauts-lieux» palestiniens, tendait, très tôt déjà, à trouver sa
résidence définitive, d'une part au temple de Jérusalem, et d'autre
part, vraisemblablement sous l'influence des grands dieux de certains
mythes babyloniens, au ciel, où il trônait en arbitre du genre humain
tout entier, voire même en créateur et conservateur de l'univers. Or,
du chaos de ces notions diverses et en partie opposées, Amos, Osée,
Ésaïe, Jérémie dégagent la vision simple, forte et toute
spiritualisée et unifiée de JVHH, Maître souverain dont l'absolue
Majesté se confond avec la Justice, la Sainteté et la Miséricorde
mêmes. Et ce Dieu fait, dans le monde, son oeuvre à lui. Il a
certes choisi Israël comme objet et organe de son action. Mais, à la
différence des autres dieux dont les intérêts demeurent comme
enfermés dans le rayon des ambitions étroites des peuples qui les
servent, JVHH veut accomplir, dans et par Israël, l'oeuvre de
l'absolue Justice, oeuvre qui tôt ou tard, par delà les limites
de «son peuple» particulier, amènera à la conversion et au salut tout
homme individuel et toute nation. En principe, et dès les premiers
jours, le Dieu qui s'est intérieurement révélé aux prophètes est déjà
le Dieu de l'humanité.

De là, conséquence de la spiritualisation de l'idée de Dieu:
spiritualisation de plus en plus complète, de la prière. D'abord:
rejet de tout vain formalisme liturgique, JVHH hait les offrandes et
les hommages qui lui sont présentés avec indifférence ou d'un coeur
impur. Il n'agrée que ceux qui s'approchent de lui et le prient en
pleine droiture et pureté d'âme (Am 5:21,24,Esa 1:15 29:13, cf.
Ps 50:8-15 Si 18 et suivant). Car il n'est plus le «Saint
d'Israël» au simple sens cultuel et politique (Esa 5:19,Ps 89:18
et suivant); il l'est maintenant au sens moral (Esa 6:1-7
1:4 5:16,24).

Puis: arrière la prière «eudémoniste», celle que le péché fausse
radicalement en abaissant Dieu au rang d'un auxiliaire des appétits
de l'homme et en réduisant le commerce religieux à la mesure égoïste
du «donnant donnant» (Ge 28:20,22 31:42,Jug 11:30 et
suivant
, 1Sa 1:11). Dorénavant, au «pour nous» et même au
«pour Israël», se substituera le «pour JVHH». Que se fasse, non
l'oeuvre des hommes, mais l' oeuvre de Dieu! Qu'elle se fasse
dans le coeur des fidèles (Os 14:2 et suivant, Ps
51:12-14 141:2,4), et puis, à l'heure du jugement final, dans le
monde! (Jer 31:31,37,Ps 82:8 94:1,3) Qu'elle se fasse à la seule
gloire de JVHH (Ps 57:6 108:6), et, s'il le faut, même contre
Israël! (Ps 115:1)

Seuls, dans l'histoire du genre humain, les prophètes israélites
ont publié l'oeuvre, universaliste en principe, du Dieu-Juge et du
Dieu-Sauveur, et seuls ils ont spiritualise l'oraison dans le sens de
la «prière-travail-avec-Dieu», de la prière expression de l' esprit
missionnaire
et moyen de coopération de l'homme à l'oeuvre divine.
Enfin: à la différence des devins de l'antique yahvisme, qui
subissaient passivement la mystérieuse agression de l'enthousiasme
extatique (1Sa 10:9-13), les grands prophètes ressentent la
sollicitation, non moins violente, de l'esprit de JVHH comme une
inspiration d'ordre personnel, qui met en branle leur propre
conscience et rend agissante leur propre sensibilité religieuse et
morale. De là, chez eux, l'éclosion d'une prière qui, dans les
profondeurs de la vie spirituelle et sortant peu à peu de la
subconscience, s'affirme comme réponse personnelle à l'initial
appel personnel de Dieu.

Dans le domaine de l'oraison, il y aura maintenant explosion du
conflit dramatique entre la volonté souveraine de JVHH, qui veut
faire son oeuvre dans et par le prophète, et la volonté de ce
prophète qui, choisi malgré lui du milieu d'Israël, ne s'affranchira
qu'au prix de grandes douleurs des illusions nationalistes de son
peuple, pour devenir finalement un instrument docile de l'absolue et
sainte Volonté qui le travaille. L'oeuvre de JVHH, terrifiante pour
les prophètes d'avant l'exil, éveillera dans leur âme l'effroi,
l'interrogation angoissée, la lamentation, voire le courroux
récriminateur et la malédiction (Jer 4:10 6:11 12:1,6 15:18
20:7,9,14,18), le tout accompagné d'intercessions passionnées:
«Seigneur, pardonne!» (Am 7:2); «Seigneur, arrête!» (Am
7:5); «Jusques à quand, Seigneur?» (Esa 6:11).

Bref: au feu des épouvantements les plus cruels, la prière
individuelle s'élève ici, progressivement, jusqu'au sommet de la
force et de la grandeur spirituelles. Pour Jérémie et, à sa suite,
pour tous les pieux Israélites, c'est JVHH lui-même qui, affranchi de
toute localisation déterminée (Ps 139:7,12), finit par être,
grâce à sa sainte et bienfaisante présence, l'espoir, la consolation,
le réconfort de l'âme en détresse. «Toi Jéhovah, tu me connais, tu me
vois, tu m'as sondé, et tu sais que mon coeur est avec toi» (Jer
12:3,17:14 20:11,13).

Ainsi apparaît pour la première fois la vraie prière faite, tout
entière, d'humilité confiante et de soumission virile à la volonté de
Dieu. Dès lors, dans les âmes d'élite, tourmentées et par les
malheurs extérieurs et par le sentiment du péché (Da 9:6,9), la
recherche de la réconciliation morale (Ps 19:3 51:12-14) et de
la communion immédiate avec JVHH (Ps 73:21,23) l'emportera sur
tout désir inférieur. Et cette recherche, unie à l'attente impatiente
de voir la volonté de Dieu se faire dans le monde, se maintiendra,
inébranlable, en dépit de l'impossibilité qu'il y avait pour les
fidèles Israélites à comprendre les arrêts et retards de
l'accomplissement de cette volonté dans la sphère des réalités
sensibles.

Ni la crise douloureuse et représentative de Job qui, renonçant à
pénétrer les voies de l'Éternel, prononce finalement une prière de
repentance (Job 40:3-5 42:1,6), ni le scepticisme de
l'Ecclésiaste au sujet de l'oraison (Ec 5:1 et suivant)
n'ont prévalu contre la foi et l'espérance implantées dans les âmes
par Osée, Jérémie et le second Ésaïe, ce Jusques à quand, ô
Éternel?» (Ps 74:9 79:5 80:5 89:47 90:13 94:3) --ce fut là comme
le dernier appel, tout de confiance tenace, du peuple juif avant sa
disparition, en tant que nation, de la scène de l'histoire. Et, de ce
peuple, le plus magnifique héritage, quant à la prière, c'est le
Psautier, recueil postexilique de chants cultuels parmi lesquels on
trouve de tout: vieux hymnes liturgiques et guerriers; formules
magiques à peine spiritualisées; manifestations d'orgueil
«pharisaïque» (Ps 17:2-5 Ps 26) ou de haine nationaliste (Ps
79:12 137:7,9); tout comme, d'autre part, effusions d'une fervente
et pure foi individuelle adaptées ultérieurement aux nécessités du
service du temple; plaintes et cris d'espérance; doutes et retours à
la certitude du secours de JVHH; humbles confessions et joyeuses
actions de grâces; combats du fidèle avec son Dieu et vision
glorieuse du futur accomplissement de l'oeuvre divine du salut pour
et par le peuple de l'alliance. (cf. Ps 145 à Ps 150) Voir
Psaumes.

II La prière de Jésus.

La prière de Jésus, telle que la présentent plus particulièrement les
trois premiers évangiles, est la prière d'Israël élevée à la
perfection. Demander à JVHH d'accomplir son oeuvre salvatrice dans
tous les coeurs et pour toutes les nations, telle avait été, en
principe, la tendance intime de l'oraison des prophètes et des
psalmistes. Contrecarrée pendant un temps par le règne particulariste
de la Loi, qui réservait le salut au seul peuple juif, cette tendance
fut reprise par Jésus. Son Dieu n'est plus seulement le Créateur et
Maître tout-puissant (Mt 11:25) qui veut être craint (Mt
10:28), et le «Seigneur d'Israël» qui demande à être aimé (Mr
12:29 et suivant). Il est aussi le Père miséricordieux de tous
les hommes, y compris maintenant les «pécheurs», les êtres «perdus»,
qu'il «cherche» afin de les «sauver» (Lu 19:10 15:6,9,32). C'est
sur l'avancement de l'oeuvre de ce Dieu, saisie dans son
individualisme et son universalisme pleinement épanouis, que porte
l'oraison de Jésus. De celle-ci les dernières scories de la prière
israélite se trouvent expulsées.

En disant à Dieu «mon Père», Jésus révèle la relation, unique
quant à sa profondeur et à son intimité, qui l'unit, lui, le «Fils»,
à Celui dont il se sait l'élu et le serviteur. Et, de sa prière,
incomparable et insurpassable, sortira l'économie, toute nouvelle, de
la prière «chrétienne» (Mr 14:36,Ga 4:6,Ro 8:15).

D'après les évangiles, Jésus priait avant ou après tout acte
important de son ministère (Lu 6:12 9:18-29,Mt 14:23,Mr 6:46),
et il le faisait de préférence en se retirant en des endroits
déserts (Mr 1:35-39 Lu 5:16). Quand il prie pour lui-même, comme
à Gethsémané (Mr 14:35) et sur la croix (Mr 15:34,Mt 27:46,Lu
23:46), c'est uniquement pour lui-même en tant qu'agent, fidèle
jusqu'à la mort, de l'oeuvre rédemptrice de son Père céleste--oraison
dont l'écho s'est conservé dans Jn 12:27 et qui, en accordant
héroïquement le vouloir de l'homme avec le vouloir de Dieu, prend le
contre-pied exact de l'originelle prière instinctive.

Ensuite, ému de compassion pour les souffrances de son
peuple (Mt 9:36), Jésus prie pour la réussite de ses efforts.
Cette intercession a pour objet tantôt la suppression de maux
physiques (Mr 7:34, cf. Mt 9:35)--laquelle sera normalement
suivie d'actions de grâces (Lu 17:15-18, cf Jn
11:41)--tantôt le pardon des péchés, seule demande digne de
l'enfant de Dieu en face de ses persécuteurs (Lu 23:34,Mt 5:44
et suivant, Lu 6:28).

Puis encore, ayant obtenu de Dieu les collaborateurs qu'il lui a
demandés (Lu 6:12 10:1 et suivant), Jésus prie pour le
succès des efforts de ceux-ci. Les actions de grâces de Lu
10:21,24 supposent (voir verset 17,20) l'exaucement de cette
prière. D'autre part, l'intercession de Jésus en faveur de Pierre, la
future intercession de Pierre pour «ses frères» (Lu 21:31 et
suivant
) et les supplications des disciples pour eux-mêmes (Mr
14:38,Mt 26:41,Lu 22:40,46) portent sur l'affermissement de
l'oeuvre de Dieu dans l'âme de ceux qui prolongeront l'activité du
Maître.

Ce que Jésus invite ses fidèles à demander pour eux-mêmes
(Mr 13:18,Mt 24:20), tout particulièrement dans les trois
dernières requêtes de l'oraison dominicale (Mt 6:12 et
suivant
, Lu 11:4), il l'a, en leur faveur, vraisemblablement
demandé avec eux. Et quel est le but de sa critique, toute
religieuse, des pratiques courantes de l'oraison? Pourquoi combat-il,
dans celles-ci, l'esprit d'orgueil (Mt 6:5,Mr 12:40 Lu 20:47),
et la tendance «eudémoniste», voisine de la contrainte
magique? (Mt 6:7 et suivant) Pourquoi, luttant contre le
découragement, exhorte-t-il par ailleurs, dans la prière, à la foi
inébranlable (Mt 21:21 et suivant) et à la
persévérance (Lu 11:5,8 18:1,8 11:9,13,Mt 7:7,11), auxquelles
l'exaucement demeure assuré (Mr 11:22-25 Matthieu 21:22),
d'autant qu'une sérieuse préparation par la prière (Mr 9:29) et
le jeûne (Mt 17:21) vaut à l'homme le pouvoir de chasser les
démons? Tout comme les intercessions mentionnées, ces recommandations
visent à l'accomplissement, dans les coeurs, de la divine et
universelle oeuvre d'affranchissement.

Enfin, l'ultime sujet des requêtes de Jésus, c'est la venue du
royaume de Dieu en tant que don libre de la grâce du «Père».
Cette prière est sous-jacente à toutes ses déclarations touchant la
grande attente finale (Mr 13:32,Mt 10:23,Mr 9:1 1:15,Mt 4:17
5:1-12,Lu 6:20,22).

Vu qu'une tradition très ancienne rattache intimement le «Notre
Père», destiné aux disciples, à la prière de Jésus (Lu 11:1,4),
il est permis d'en conclure que la demande centrale de l'oraison
dominicale (voir art.), à savoir: «Que ton règne vienne» (qui ne fait
qu'un avec celle qui précède et celle qui suit: Mt 6:9 et
suivant
, Lu 11:2), exprime bien la tendance profonde et
constante et le point culminant de la prière du Maître lui-même. Ici,
la prière israélite réalise l'idéale prière humaine. Sans perdre
contact avec les exigences de la vie naturelle qui est, elle aussi,
bonne et voulue de Dieu (Mt 6:11,Lu 11:3,Mr 14:22 6:41 8:6, cf.
Jn 6:11), elle place cependant la recherche du «royaume»
au-dessus de tout (Mt 6:33,Lu 12:31) et, dans ce royaume, dont
l'accès n'est ouvert qu'à la repentance (Mr 1:15,Mt 4:17), les
privilèges de la nation d'Israël disparaissent (Mt 8:10,12),
pour ne laisser place qu'à l'élémentaire et suprême guerre entre Dieu
et Satan (Lu 10:18 11:17,26).

Transposés en langage johannique et dépouillés de leur
orientation «eschatologique», les motifs essentiels de la prière de
Jésus d'après la tradition synoptique se retrouvent dans l'oraison
«sacerdotale» du 4 e évangile;voir (Jn 17) Prière sacerdotale.
Quant aux disciples, cet évangile les présente comme appelés, après
le retour du Seigneur à son Père, à «l'adoration de Dieu en esprit et
en vérité» (Jn 4:24) et, en conséquence, à la pratique de la
prière «au nom de Jésus», c'est-à-dire en vertu du pouvoir inhérent à
la sphère de vie «pneumatique» et salvatrice réalisée par la présence
du Seigneur vivant dans la future communauté de ses fidèles; et à
cette prière-là l'exaucement est à jamais assuré. Car, selon la
promesse du Christ johannique, l'accomplissement de l'oeuvre du Verbe
incarné (Jn 1:14) vaudra aux croyants, outre le revoir du
Seigneur (Jn 14:19) et le don de l'Esprit (Jn 14:26),
l'efficacité certaine--et inconnue antérieurement--de
l'oraison (Jn 14:13 15:16 16:23, 11:42).

III La prière de saint Paul.

L'oraison de la primitive communauté «chrétienne» fut une prière
«pneumatique», c'est-à-dire suggérée par la puissance enthousiasmante
du Saint-Esprit (Ac 2:16-18,42 4:24-31 10:45 et suivant) et
visant, d'une manière ou d'une autre, à l'avancement de l'oeuvre du
Christ dans l'Église et dans les âmes.
(Ac 6:6 8:15,17,22,24 9:10-16,40 10:2,30)

De même, et à plus forte raison, vu l'expérience mystérieuse de
sa conversion, Paul conçoit la prière comme un acte de l'Esprit de
Dieu suscitant dans les fidèles et les soupirs inexprimables d'une
foi qui se cherche, et le témoignage de la filialité divine, et le
cri enthousiaste et pacificateur d'Abba, «Père» (Ga 4:6,Ro
8:15-26 et suivant). Car, pour l'apôtre, Dieu n'est plus
seulement le JVHH incorruptiblement juste et redoutable
d'Israël (Ro 2:5,11), mais, «Père de notre Seigneur
Jésus-Christ» (Ro 15:6,2Co 1:3 11:31), il est le Dieu
d'amour (2Co 13:11) qui appelle les hommes au salut (1Co
1:9) et enrichit infiniment ceux qui l'invoquent (Ro 10:12
et suivant).

Aussi, poussé par l'esprit de ce Dieu, Paul, en suivant les
traces de Jésus, ne prie en définitive que pour l'avancement et le
triomphe de l'oeuvre divine dans les âmes et dans le monde. Il le
fait, d'abord, en priant pour lui-même en tant qu'apôtre et en
demandant aux autres de s'associer à ses supplications en intercédant
en sa faveur. Cette prière est faite, avant toutes choses,
d'effusions de gratitude pour les bénédictions multiples dont il a
été l'objet (1Co 15:10,Ro 7:24 et suivant, 2Co 2:14,1Co
15:27,2Co 9:15).

S'il demande à Dieu des délivrances matérielles
(2Co 12:7-9,Php 2:25,27,1Th 3:10,Ro 1:9 et suivant, 1Co
16:7), c'est exclusivement en vue de l'accomplissement de son
ministère. C'est également afin de promouvoir son activité
apostolique qu'il exhorte ses amis à combattre pour lui en le
soutenant de leurs prières (2Co 1:11,1Th 5:25,Ro 15:30,32).
Celles-ci lui permettront d'étendre ses conquêtes (cf. Col 4:2
et suivant, Eph 6:19,2Th 3:1), et leur exaucement unira
l'apôtre et les jeunes communautés dans l'élan des mêmes actions de
grâces (2Co 13,4,6,10).

Puis, saint Paul intercède lui-même pour les Églises et ses
collaborateurs. Que Dieu les fasse croître spirituellement! (1Th
3:12 et suivant, Ro 15:5,7-13,Phm 1:6,2Co 13:9-11, cf.
Eph 1:17,19,2Th 1:11). Qu'il fasse du bien même aux ennemis et
calomniateurs de l'apôtre! (1Co 4:12 et suivant, Ro
12:14-18,21). S'il y a dans 1Ti 2:1 et suivant quelque
réminiscence paulinienne, l'apôtre aurait aussi prié pour les
autorités constituées (Ro 13:1,7), afin que l'ordre et la paix
permissent à la connaissance de la vérité de se répandre sans
entraves (1Ti 2:3 et suivant). Mais Paul savait aussi
maudire (1Co 16:22,Ga 1:8,1Co 5:5) et--survivance probable de
son passé pharisaïque--s'il a bien entendu intercéder pour
Israël (Ro 10:1), il n'a pas, à notre connaissance, malgré son
universalisme (Ga 1:16,Ro 5:18 11:32), prié pour les
«infidèles», les païens (1Co 6:6 10:27 14:24,2Co 6:14). Sur ce
point, en exhortant à prier pour tous les hommes, l'auteur de 1Ti
semble avoir suppléé au déficit de son grand devancier (1Th
2:1). [Pour l'auteur de 1 Tim., voir Pastorales.--N.D.L.R.]

Quoi qu'il en soit, le coeur de Paul débordait de gratitude,
quand ses prières d'intercession étaient exaucées (1Th 1:2 et
suivant
, 1Co 1:4,9,Phi 1:3,11,Phm 1:4 et suivant, 2Co
4:15). Enfin, saint Paul soupire dans ses requêtes après
l'accomplissement glorieux et définitif de l'oeuvre de Dieu à la face
de l'univers. Toutes ses recommandations et supplications supposent
l'imminence du «jour» du jugement divin (Ro 2:5-16,1Co 3:12 et
suivant
), où s'achèvera l'oeuvre de Dieu commencée dans les
coeurs (Phi 1:3-6 2:15 et suivant, 1Th 2:19 et
suivant
).

Aussi l'essentielle demande de Jésus: «Que ton règne vienne» se
retrouve, chez Paul, dans la magnifique paraphrase de Ro 8. Ce
texte n'est qu'un long sanglot de l'homme qui, devenu dès maintenant
enfant du «Père», réclame, au milieu des angoisses de ce monde, la
venue de la future liberté et félicité, et le passage de l'espérance
à la vue immédiate. Ce que Dieu lui-même veut et poursuit en secret
depuis des siècles, ce qu'il porte maintenant, mystères
révélés (Ro 11:25 16:25), à la connaissance des nations (Ro
16:25,27),--soumission des peuples à «l'obéissance de la
foi» (Ro 1:5 16:26), conversion et réhabilitation
d'Israël (Ro 11:25,32), achèvement du mandat du «Fils» et retour
de l'univers à Dieu dont il est issu (Ro 11:33-36 1Co
15:25,28),

--Paul prie implicitement pour tout cela dans le chapitre
mentionné, et ses supplications saintement impatientes se résument
elles-mêmes dans ce cri: «Maranatha! Viens, Seigneur!» (1Co 16:22
Ap 22:17-20). Ici, la prière biblique, et par elle la prière du
genre humain tout entier, s'élève à son faîte qui, dans ce monde, ne
pourra plus être dépassé.

IV La prière à Jésus-Christ.

Vu que la foi chrétienne repose, dès l'origine, sur la croyance à
l'élévation de Jésus à la droite de Dieu le Père et à son
action--concomitante avec celle de Dieu--comme Seigneur «glorifié» de
l'Église; vu, d'autre part, que la littérature néotestamentaire est
elle-même, tout entière, un fruit de cette croyance, il n'y a rien de
surprenant à voir des affirmations comme Mt 11:27 et suivant ou
Mt 18:19 et suivant amener les fidèles, très tôt déjà, à
adresser au Christ céleste des hommages, des soupirs, des cris
invocatoires (Mr 10:47 et suivant, Mt 9 27 15:22, Jn
20:28, Ac 7:59 et suivant, Ap 22:20).

Ceux qui tombaient en extase pendant la prière
(Ac 10:9 11:5 22:17) s'entretenaient, pleins de respect, avec
leur Maître glorifié et tout-présent (Ac 9:10-16 10:11-16 11:5,11
22:18-21).

Or, Paul a consacré, quoique avec beaucoup de réserve, ce
dédoublement du destinataire de l'oraison chrétienne. D'ordinaire, il
est vrai, Paul s'adresse, dans ses prières, à Dieu, soit «par
Jésus-Christ» (Ro 1:8), soit comme au «Père de notre Seigneur
Jésus-Christ» (Ro 15:6,2Co 1:3,11:31).

Comme missionnaire et pédagogue, il recommande toujours de prier
Dieu. C'est l'orientation que supposent, par exemple, 1Th 5:17
ou Ro 12:13. Mais, sur cette base large et commune de la piété
des Églises, s'érige la sphère de vie, tout individuelle, en laquelle
Paul communie spirituellement, mystiquement avec la personne du
Christ glorifié (Php 2:10 et suivant), auteur, pour
l'apôtre, de visions (2Co 12:1) et de révélations
particulières (Ga 1:12 2:2,2Co 12:1,1Th 4:15), voire du salut
qui l'a délivré «du présent siècle mauvais» (Ga 1:4).

Néanmoins, la prière paulinienne au Christ demeure infiniment
discrète, austère et sobre, vu que, tout comme la prière de Jésus
lui-même, elle n'a d'autre objet que l'accomplissement de l'oeuvre
divine du salut dans le monde.

V Autres textes.

En dehors des textes cités, la prière néotestamentaire ne fait
que s'élargir en adoration collective et liturgique (Ap 4:8,11
5:9,14 7:10,13 etc.) ou se préciser, en vertu d'expériences
pratiques, quant aux conditions de l'exaucement (Jas 1:5,7 4:2,4
5:13,18, 1Jn 3:21 5:14,16). Entretien personnel et acte de
coopération des hommes et de l'Église avec Dieu, cette prière, faite
d'humilité, de confiance et de charité, forme la source régénératrice
et le critère de toute prière «chrétienne». Parfaitement équilibrée,
tendant entièrement à la réalisation du «royaume de Dieu», simple et
accessible à tous, elle exclut, comme égocentriques et périmées, et
la grossière oraison «eudémoniste» et--quand elle s'affirme à l'état
pur--la savante et difficile «ascension mystique» des aristocratiques
«virtuoses» de la vie et de la pensée religieuses.

F. M.