PRÉDICATION

Le mot (hébreu qeriyâh, gr. kérugma, lat. proedicatio) désigne
une publication, une criée, l'acte du héraut publiant un
message. Dans son acception originelle le terme s'applique exactement
à la prédication des prophètes (Esa 40:2-6,Jon 3:2), de
Jean-Baptiste (Mt 3:1), de Jésus-Christ (Mt 4:17), des
apôtres en présence des Juifs et des païens (Ac 2:14-36
17:22-31), à l'exclusion de toute idée d'enseignement discursif.
Dans la suite, les deux éléments, le message et l'enseignement, le
kérugma et la didascalia, se sont rapprochés et fondus,
donnant naissance au type de discours religieux connu sous le nom de
prédication.

Ancien Testament.

Les notions fondamentales de la religion d'Israël, toute-puissance et
sainteté divines, péché, justice, pardon, expiation, symbolisées puis
étouffées par les cérémonies cultuelles, reprennent vie sur les
lèvres des prophètes qui, en réaction contre le ritualisme du Temple
et l'autoritarisme sacerdotal, proclament hautement le droit de Dieu
et les exigences de la piété. Ils unissent dans un étroit lien de
dépendance la gloire de Dieu et le salut d'Israël; par suite, leur
prédication a une portée surtout sociale et politique; de tendance
collective plus qu'individuelle, elle se rapporte avant tout aux
questions d'ordre public, aux péchés nationaux, aux châtiments, aux
délivrances où l'avenir d'Israël est engagé (voir cependant Eze
18:1,32). Cette prédication est improvisée, en tout cas orale. Le
prophète parle sous l'impulsion de l'Esprit; il n'a recours à
l'écriture que réduit au silence par la persécution ou l'isolement
(Jer 30:3, peut-être Eze 2:9 et De 1 à De 4:40 De 4
44 à De 11). La vocation du prophète n'implique aucune
préparation professionnelle; l'appel de Dieu suffit (Jer
1:4,10,Am 7:14 et suivant). Sa parole est occasionnelle: elle
retentit au gré des événements, dans les lieux les plus divers, place
publique, parvis du temple, palais des rois, etc.; elle ne s'attache
pas à un texte et ne rentre pas dans un ordre liturgique ou cultuel.
Rédigés après coup, les discours prophétiques nous sont parvenus à
l'état fragmentaire. En dépit de leur caractère d'actualité, ils
renferment des vérités permanentes que la prédication de Jésus-Christ
reprendra en les élargissant (Mt 5:17).

Après l'exil nous assistons à une transformation de la mentalité
et des moeurs religieuses d'Israël. Le prophétisme épuisé fait place
au culte du passé; de nouvelles méthodes cultuelles apparaissent; la
tradition des pères, «la Loi et les prophètes», deviennent objets
d'étude et moyens d'édification; la synagogue remplace le Temple; le
docteur de la Loi succède au prophète; le culte sabbatique
s'organise, comportant, outre la prière, la lecture et la traduction
en langue araméenne, puis le commentaire explicatif ou édifiant
(Midrasch) du texte sacré. Ce commentaire était ou bien juridique
(Halachah), minutieux et subtil et de la compétence du seul
Rabbi (Ne 8:4); ou bien parénétique, voisin de l'homélie (Haggada),
et tout Juif pieux pouvait s'en acquitter. L'Haggada
affectait l'allure gnomique, parabolique et le parallélisme cher au
génie oriental.

Moins servilement liée que l'Halachah au texte sacré, elle devait
pourtant se plier aux règles suivantes:

exposer le sens simple du texte,

en déduire les applications pratiques,

en développer le sens caché ou mystique (sod).
Elle tendait à la consolation pour le présent et à
l'encouragement des fidèles par les glorieuses perspectives du
messianisme juif. C'est ici proprement l'origine de la prédication au
sens usuel du mot.

Nouveau Testament.

L'Évangile marque un réveil de l'esprit prophétique. Par son cadre et
son inspiration, la prédication de Jean-Baptiste et de Jésus-Christ
rappelle la manière des anciens prophètes. Sans autre titre que
l'appel de Dieu, l'un et l'autre proclament leur message devant la
foule, au gré du moment et des rencontres, au désert, sur la
montagne, au bord de la mer, etc. Toutefois, Jésus n'a pas négligé ce
moyen de propagande que lui offrait le culte de la synagogue; il y
prend une part active (Mt 4:23 9:35,Mr 6:2) et sait avec
à-propos tirer parti de la coutume rabbinique en rattachant son appel
au texte prophétique (Lu 4:15-21). Ailleurs il prend comme point
de départ une rencontre fortuite, un fait: le puits de Jacob, la tour
de Siloé, les pierres du Temple; il approprie son langage au milieu
et à l'occasion; il parle autrement à Jérusalem et en Galilée, aux
pharisiens et au peuple, à Nicodème et à la Samaritaine. Devant la
foule sa parole se fait imagée, pittoresque, parabolique; dans le
cercle des disciples elle devient plus intime et directe. La
prédication de Jésus nous est parvenue sous forme condensée; les
évangélistes n'ont retenu que le trait, le mot caractéristique, la
pointe où venait s'aiguiser en aphorisme ou en paradoxe la pensée du
Maître. Aussi ne faut-il pas chercher dans nos évangiles des
spécimens de prédication conformes au type traditionnel du sermon, et
cela d'autant moins qu'à la différence de notre rhétorique latine qui
aime à développer logiquement un thème donné, le génie sémitique
procède par touches successives, antithétiques, et se plaît aux
imaginations matérielles. Mais de tout ce que nous en savons par les
évangiles, il ressort que la prédication de Jésus, à l'inverse des
enseignements rigides et secs des scribes, commandait l'attention par
son accent d'autorité (Mr 1:22), sa spontanéité (Jn 6:63
et suivant), sa nouveauté (Mr 1:27), la fraîcheur et le
charme (Lu 4:22). Jaillissant toute chaude du coeur de Jésus,
elle ignore nos cadres et nos règles et justifie le mot des agents:
«Jamais homme n'a parlé comme cet homme!» (Jn 7:46).

Les Actes et les épîtres nous renseignent sur le mode et le fond
de la prédication apostolique. Celle-ci offre un double aspect:
missionnaire et homilétique. Elle est missionnaire, propagandiste
(kérugma) quand elle s'adresse aux Juifs et aux païens; dans ce
cas, elle retentit sur une place publique (Ac 2:14,36), dans les
parvis du Temple (Ac 3:12-26), au sanhédrin (Ac 7:2,53),
dans l'Aréopage (Ac 17:22,31), dans les synagogues (Ac
13:16-41 14:1 18:19 etc.); elle part d'un fait occasionnel: les
langues de feu, la guérison d'un boiteux à la Belle Porte, un
mouvement de la foule (Ac 14:12-18). Elle est homilétique
(homilia) quand elle s'exerce au sein des assemblées de croyants
et s'insère dans la série des actes (chant, prière, eucharistie) qui
constituent dès l'origine le culte chrétien; les directions de
l'apôtre Paul dans 1Co 14 se rapportent à cette forme de la
prédication primitive. Le kérugma
tend à la conversion, l' homilia à l'enseignement et à l'édification. De cette différence
d'objectifs découle une différence de méthodes. La prédication
missionnaire ou de conquête est essentiellement apologétique.
S'adressant aux Juifs, elle veut prouver la messianité de Jésus par
les prophéties et par la résurrection du Christ; elle fait dépendre
le salut de la foi au Christ ressuscité (Ac 2:32 et suivant).
S'adressant aux païens, elle oppose à l'anthropomorphisme
polythéiste (Ac 14:15), à l'idolâtrie (Ac 19:19), la
doctrine du Dieu Esprit et Père de tous (Ac 17:24-28) qui fait
miséricorde à ceux qui se repentent (Ac 17:30) et qui croient au
Seigneur Jésus-Christ (Ac 16:31). Dans la phase antérieure à
l'apôtre Paul, la mort de Jésus envisagée dans le plan de la
prophétie n'a pas encore sur les lèvres des prédicateurs la valeur
expiatoire qu'elle prendra dans la suite (1Co 2:2).

La prédication homilétique, destinée aux croyants, revêt une
allure plus familière; dans les locaux privés où se réunissent les
fidèles, elle consiste, à l'origine, en libres entretiens sur les
faits de l'histoire évangélique, en exhortations mutuelles, en
effusions pieuses. Dans ces humbles assemblées règne une liberté
illimitée; le charisme individuel l'emporte sur la fonction; tout
fidèle, poussé par l'Esprit, peut s'ériger en prédicateur.
L'inspiration, seule condition requise, donne lieu à des
manifestations verbales tantôt convulsionnaires et inintelligibles
(glossolalie), tantôt plus conscientes et assimilables (prophétie),
tantôt réfléchies et de portée instructive (didascalie); voir 1Co
14:2,3,19. Peu à peu cependant, la liberté initiale subit des
restrictions; l'inspiration se plie aux exigences de l'ordre; en
principe et souvent en fait la parole reste permise à tout croyant,
mais elle tend à devenir le monopole des chefs de communauté. La
fonction va se substituer au charisme; et dans le culte, en voie
d'organisation, la prédication prend graduellement la place qu'elle
n'a cessé d'y occuper depuis lors (1Ti 3:2 4:13,15). G. C.

Voir Prophète, Culte, Charisme, Langues (don des), etc.