POSSESSION DÉMONIAQUE

État d'un homme au pouvoir d'un démon qui exerce une action
malfaisante sur son esprit et parfois sur son corps. Il est dit d'un
tel homme qu'il est possédé d'un démon, ou d'un esprit impur, ou d'un
esprit mauvais.

La croyance aux démons avait pris chez les Juifs, à partir de
l'exil et surtout dans la période hellénistique, un très grand
développement (voir Démons, Satan), et, à l'époque de Jésus, elle
était très répandue, non seulement dans les milieux populaires, mais
aussi parmi les rabbins. C'est à la présence de démons qu'on
attribuait certaines maladies psychiques et physiques. Pour obtenir
la guérison, on pratiquait l'exorcisme qui, par l'emploi de
conjurations, avait pour but de chasser les démons. (ex.:
Tob 6:8) La méthode la plus courante consistait à invoquer le nom
d'un être saint, ce nom ayant la vertu magique d'expulser l'esprit
mauvais en l'obligeant à reconnaître une puissance qui lui était
supérieure et devant laquelle il devait s'enfuir (voir Magie). Il y
avait des exorcistes professionnels (Ac 19:13); mais, en dehors
d'eux, l'exorcisme était d'un usage courant et nous savons par une
parole de Jésus (Mt 12:27) qu'il était en honneur parmi les
pharisiens.

Dans les évangiles, il est souvent fait mention de possessions
démoniaques. D'une façon générale, il semble que l'on ait considéré
comme possédé d'un démon tout homme présentant un aspect étrange et
dont la conduite insolite ne pouvait être expliquée par des raisons
ordinaires. C'est ainsi que certains disaient de Jean-Baptiste: «Il
est possédé d'un démon» (Mt 11:18); et, à plusieurs reprises,
Jésus fut traité de même par ses ennemis (Jn 7:20 8:48,52
10:20). Dans l'un de ces passages, possédé est synonyme de fou:
«C'est un possédé, c'est un fou» (Jn 10:20). Dans une autre
circonstance, tandis que ceux de sa parenté disaient qu'il avait
perdu l'esprit, les scribes, eux, disaient: «Il a en lui
Béelzébul» (Mr 3:21 et suivant), ou: «Il a en lui un esprit
impur» (Mr 3:30). Il est parlé ailleurs d'hommes ou de femmes
tourmentés par des démons ou par des esprits impurs, sans aucune
indication de maladie, ce qui laisse supposer qu'il s'agissait là de
troubles purement psychiques (Mr 1:23 et parallèle, Mt
15:22 et parallèle, Lu 6:18 8:2).

L'histoire dramatique du démoniaque du pays des
Géraséniens (Mr 5:1,20 et parallèle), sur laquelle nous aurons à
revenir, nous montre combien pouvait être grand le déséquilibre
mental de certains possédés. Parfois ces troubles psychiques
s'accompagnaient d'infirmités physiques: de mutisme (Mt 9:32);
de surdité et de mutisme (Mr 9:25); de cécité et de
mutisme (Mt 12:22); de contracture (Lu 13:11);
d'épilepsie (Mt 17:14-18,Mr 9:14,27,Lu 9:37-43). Pour ce dernier
cas, les trois récits parallèles offrent des variantes intéressantes:
dans Matthieu l'enfant est présenté comme un lunatique; sa maladie
est donc attribuée à une influence néfaste de la lune; mais, en même
temps, elle est bien une possession démoniaque puisque la guérison
est obtenue par l'expulsion du démon; d'après Marc l'enfant est
possédé d'un esprit muet (Mr 9:17) ou sourd-muet (Mr 9:25);
dans Lu 1 l est simplement parlé d'un esprit impur; mais les
trois textes montrent clairement qu'il s'agit là de crises
d'épilepsie: «L'enfant tombe à terre, écume, grince des dents et
devient tout raide.» Voir Maladie.

Si certaines maladies sont considérées comme des possessions
démoniaques, beaucoup d'autres, que Jésus guérit, n'ont rien à voir
avec ce phénomène. Exemples: guérison d'un paralytique (Mr
2:1,12); d'un sourd-muet (Mr 7:32-35); d'aveugles (Mt
9:27-31,Mr 8:22,26 10:46,52); de lépreux (Mt 8:3,4 et
parallèle, Lu 17:11-19), etc. La distinction des deux sortes
de maladies est explicitement faite dans plusieurs passages: «On lui
amena beaucoup de démoniaques et, d'un mot, il chassait les esprits;
il guérit aussi tous ceux qui étaient malades» (Mt 8:16, cf.
Mr 1:32,Lu 4:40 et suivants; voir aussi Mt 4:24 10:1,8,
Lu 7:21 13:32). D'ailleurs, cette distinction n'implique nullement
que Jésus admettait que les maladies autres que les possessions
étaient voulues de Dieu, car, si telle avait été sa conviction,
comment aurait-il pu, en les guérissant, se mettre pareillement en
opposition avec la volonté de son Père? Son attitude constante de
guérisseur montre' que, pour lui, la souffrance, sous quelque forme
qu'elle se présente, vient, non de Dieu, mais de Satan (voir ce mot).

La méthode que Jésus employait pour guérir les démoniaques était
bien différente de celle des exorcistes. En effet, le Maître n'avait
recours à aucun moyen magique. Son action était toute spirituelle;
c'est par son ascendant moral qu'il s'imposait aux esprits impurs:
«Esprit impur, sors de cet homme» (Mr 5:8). «C'est moi qui te
l'ordonne, sors de cet enfant» (Mr 9:25,1:25-27). Et, tandis
qu'il faisait toujours appel à la foi des autres malades pour les
guérir, il n'attendait rien des possédés. Il les regardait donc comme
des êtres, anormaux qui n'avaient plus le contrôle de leurs actes et
sur lesquels il fallait agir sans compter sur leur collaboration. Son
intervention avait, en général, pour premier effet d'exciter les
possédés et parfois de déclencher en eux une crise violente. Et ces
démoniaques, attirés vers lui en même temps que remplis de crainte et
subjugués par sa puissance, faisaient preuve d'une lucidité
extraordinaire: «Je sais qui tu es: le Saint de Dieu» (Mr 1:24);
«Jésus, Fils du Dieu Très-Haut» (Mr 5:7); «Tu es le Fils de
Dieu» (Lu 4:41).

Jésus a conféré à ses disciples le pouvoir de chasser les
démons (Mt 10:1,8,Mr 3:15), et ils ont exercé ce pouvoir aussi
bien durant son ministère (Mr 6:13,Lu 10:17) qu'après sa
résurrection (Ac 5:16 8:7 19:12). C'est au nom de Jésus qu'ils
guérissaient (Lu 10:17,Ac 16:1 et suivant). L'invocation de ce
nom semble, au premier abord, rappeler le procédé habituel de
l'exorcisme; mais, pas plus chez les disciples que chez le Maître,
nous ne découvrons trace de magie.

C'est bien la puissance spirituelle de Jésus qui continue à agir
à travers eux. Voir Nom.

Qu'étaient ces possessions démoniaques? La question est délicate,
car nous n'avons pas assez de renseignements pour pouvoir juger
exactement de la nature de ces affections. Pourtant la description du
mal dont était atteint l'enfant guéri par Jésus (Mr 9:14 et
suivants
) nous a permis d'affirmer qu'il s'agissait là d'attaques
d'épilepsie. Le cas du démoniaque du pays des Géraséniens est
également fort instructif par sa grande ressemblance avec certaines
maladies psychiques: dissociation de la conscience, dédoublement de
la personnalité, désintégration de la personnalité, que l'on connaît
bien aujourd'hui et dont nous pourrions citer de nombreux exemples.
Un des plus remarquables est celui qui nous est rapporté par le Dr
Morton Prince dans son livre: The Dissociation of a Personality
Il s'agit d'une jeune fille chez laquelle apparurent quatre
personnalités différentes dont l'une, appelée Sally, en guerre
ouverte avec les autres, suggère, par son activité malfaisante,
l'idée d'une véritable possession démoniaque. Comment, en présence
d'une conscience pareillement dissociée, ne pas penser à ce pauvre
être qui, à la question de Jésus: «Quel est ton nom?» répond: «Mon
nom est Légion, car nous sommes plusieurs»? (Mr 5:9) Si les
autres cas de possession démoniaque nous avaient été relatés avec
assez de détails, nous pourrions vraisemblablement les faire entrer
aussi dans la catégorie des névroses et des psychoses.

Est-ce à dire qu'il faille écarter l'explication de ces maladies
par la présence de démons? Que l'on ait été tenté de faire intervenir
trop facilement des puissances surnaturelles pour rendre compte de
phénomènes dont on ignorait les causes naturelles, cela était
inévitable à une époque où la science médicale était quasiment
inexistante. Et nous savons que cette tendance à considérer toutes
sortes de maladies comme des possessions démoniaques était allée
s'accentuant. Il est donc nécessaire, pour apprécier sainement les
faits, de tenir compte de ce facteur historique.

Cette réserve faite, nous ne voyons pas quelles raisons valables
on pourrait donner pour nier la possibilité de possessions
démoniaques. En tout cas, ces raisons, on ne saurait légitimement les
demander à la psychopathologie, car, si certaines maladies mentales
qu'étudie cette science ont des causes organiques, il en est d'autres
pour lesquelles on ne peut découvrir aucune lésion des centres
nerveux. Bien plus, même si la psychiatrie arrivait à donner une
explication naturelle de toutes les maladies psychiques, elle
n'aurait pas prouvé pour cela l'impossibilité de la possession
démoniaque. En effet, d'une part, si une telle possession existe, les
troubles qu'elle entraîne ressemblent aux autres phénomènes
pathologiques et ne permettent donc pas de déceler sa présence; et,
d'autre part, son origine, qui par définition est supranaturelle,
échappe nécessairement à toute investigation scientifique.

La question étant hors du domaine de la science, c'est sur le
terrain religieux qu'il faut se placer pour essayer de la résoudre.
Or, sur ce terrain, l'expérience nous montre que la puissance du mal
dans le monde dépasse la capacité humaine. Nous avons donc le droit
de penser qu'il existe des forces démoniaques de séduction, de
perversion et de corruption qui sont la cause première du désordre
moral universel et qui, dans certains cas, peuvent manifester leur
action malfaisante sous la forme de véritables possessions. Nous
avons le droit de croire cela, parce que Jésus lui-même l'a cru et
parce qu'il nous a donné, par ailleurs, assez de preuves de sa
clairvoyance spirituelle et de sa connaissance de réalités cachées à
la perception ordinaire, pour que nous puissions, ici aussi, nous
incliner devant son autorité. Alb. D.