PHILÉMON (épître à)

Voir art. Colossiens (1ntrod, sur les «épîtres de la captivité»).

I Le contenu.

1.

LE PLAN. Ce billet de 25 versets est fort bien composé. Son
ordonnance est comparable à celle d'une grande épître.

I LE PRÉAMBULE (verset 1,7).

L'adresse (verset 1-3). Paul s'associe Timothée
dans la salutation initiale; il associe à Philémon: Apphia, Archippe
et l'Église.

L'action de grâces (verset 4,7) mentionna la foi,
la charité de Philémon et prépare finement l'appel que Paul va faire
à cette charité, en faveur d'un esclave qui est un frère en la foi.

II L'OBJET DE LA LETTRE: LA REQUÊTE (verset 8-21).

Paul use de la meilleure diplomatie.

l° Il commence par présenter ses titres de créance (verset 8a);
il énumère ses droits à la reconnaissance et à l'obéissance de
Philémon.

Il continue en désignant à l'affection de
Philémon: Onésime, son' esclave fugitif, devenu maintenant son frère
par la conversion (verset 10-16).

C'est alors seulement qu'il se décide à formuler
sa requête: accueille-le comme moi-même. Il s'engage à dédommager
Philémon. Ce dernier sera toujours, d'ailleurs, vis-à-vis de
l'apôtre, dans la situation d'un débiteur. Fort de son droit
spirituel, Paul renouvelle sa requête; mais il compte que Philémon
fera au delà de ce qu'il demande (verset 17,21).

III LA CONCLUSION (verset 22,23).

Paul espère venir bientôt chez son ami (verset
22);

il le salue de la part de ses compagnons (verset
23);

il achève par une bénédiction (verset 25).

2.

LE STYLE ET LES IDEES.

On a vanté, sans exagération, l'élégance attique
de ces lignes brèves,

où le dialecticien oublie ses préoccupations et paraît allégé du
fardeau habituel de sa théologie. Il ne craint pas de se livrer à une
plaisanterie, à peine voilée, sur le nom d'Onésime qui veut dire:
utile (verset 11,20). Son engagement de player une dette, que sa
créance dépasse infiniment, pourrait être d'une ironie délicate et
enjouée. Il y a, dans la manière dont il présente sa requête, une
bonne humeur, un charme, une finesse qui ont leur marque dans le
style et qui font de ce court billet un chef-d'oeuvre d'esprit, de
grâce et de bon ton.

L'atticisme du style dénote la souplesse et la
richesse d'une pensée qui puise à ces deux sources généreuses:
judaïsme, hellénisme. Il ne faut pas s'attendre à trouver de
nombreuses idées dans une lettre si brève, et de caractère aussi
pratique. L'attitude de Paul en face de l'esclavage est cependant
l'indice d'une théologie sociale remarquable et directement inspirée
de Jésus. Son programme peut s'exprimer ainsi: transformer le monde
sans révolution, non du dehors, mais du dedans, en laissant au
renouveau spirituel le soin de s'exprimer et de porter ses fruits.

II L'authenticité et l'intégrité.

1.

LES TEMOIGNAGES DES PREMIERS SIECLES ont d'autant plus de poids que
l'épître est plus brève et moins doctrinale. Elle se trouvait, à son
rang chronologique, dans le Canon tronqué de Marcion (vers 140). Elle
figure dans le Canon de Muratori (vers 175), au groupe

des épîtres adressées à des particuliers. Écrites «par sentiment
et affection», dit l'auteur, et traitant de cas particuliers, elles
doivent à leur apostolicité et à leur valeur de compter parmi les
livres saints. Dès lors, les témoignages sont nombreux.

2.

L'AUTHENTICITE a été combattue de bonne heure, par des gens
qu'étonnait le caractère spécial et pratique de cet écrit. Jérôme n'a
pas de peine à montrer l'inanité d'une argumentation qui «trahit leur
impéritie». Oubliée pendant des siècles, cette thèse a fait une
réapparition bruyante avec Baur et l'école de Tubingue, mais pour
d'autres motifs. Le principal est que si Philémon est authentique,
Colossiens l'est aussi. Philémon serait la forme élémentaire d'un
roman à thèse destiné à montrer que tous les fidèles sont des frères.
D'après certains extrémistes de Hollande (van Manen) ou de Suisse
(Steck), Philémon serait l'imitation d'une lettre de Pline le Jeune
en faveur d'un esclave. Aucune des raisons invoquées n'a la moindre
valeur. En dehors de l'authenticité, les détails circonstanciés,
personnels et précis, la spontanéité, la grâce, la fraîcheur et
l'esprit de Philémon sont incompréhensibles.

3.

L'INTEGRITE a été contestée par Holtzmann, l'un des principaux
maîtres chirurgiens de la critique négative, et pour des raisons qui
n'ont jamais touché que lui. L'intégrité et l'authenticité de
Philémon sont admises par presque tous les critiques. Renan déclare:
«Peu de pages ont un accent de sincérité aussi prononcé. Paul seul a
pu écrire ce petit chef-d'oeuvre.» Or, l'authenticité de Philémon
fonde solidement celle de Colossiens par l'identité des situations.

III La composition.

1.

LES CIRCONSTANCES, LE LIEU, LE TEMPS (voir COLOSSIENS, III, 1°,2°).

2.

LE DESTINATAIRE.

Philémon, auquel Paul associe Apphia et Archippe (verset 2), a
généralement été considéré comme le mari de l'une et le père de
l'autre. Ce sont des conjectures, dont la seconde est la moins
probable, étant donnée l'exhortation que Paul fait adresser à
Archippe en Col 4:17 et qui, de toutes manières étrange, l'est
peut-être surtout si celui-ci est le fils de Philémon; il pourrait
être simplement le pasteur provisoire, en l'absence d'Epaphras, de la
communauté qui se réunit chez Philémon. La tradition fait habiter
Philémon à Colosses, où l'on montrait encore sa maison trois siècles
et demi plus tard, au temps de Théodoret. Col 4:9, en désignant
aux Colossiens comme un des leurs Onésime, esclave de Philémon, donne
un grand poids à l'opinion traditionnelle. Quelques rares auteurs
(Wieseler, Pommier) se fondent sur la recommandation faite à
Archippe, en Col 4:17, immédiatement après la mention de
Laodicée (voir ce mot), pour soutenir que cette ville était la
résidence d'Archippe et de Philémon: l'avertissement au pasteur se
comprendrait mieux venant d'une autre Église (Colosses) que de sa
propre Eglise (Laodicée). Le contraire est plus vraisemblable et
l'opinion traditionnelle, appuyée par Col 4:9 comme par le
renseignement, digne d'attention, de Théodoret, n'a pas été
sérieusement ébranlée.

3.

LE BUT.

Le but essentiel est d'obtenir la rentrée en grâce d'Onésime. Son
affranchissement est-il, sinon clairement exigé, du moins suggéré, au
verset 21, comme le pensent Reuss, B. Weiss, Godet? D'autres le nient
(von Soden, Lightfoot). On peut même estimer, par la comparaison des
verset 13,14,19,21, que Paul a songé à garder Onésime à son service;
il n'a cependant pas voulu le faire sans l'assentiment de Philémon.
Il suggère peut-être qu'après une réconciliation fraternelle avec son
maître l'esclave lui revienne pour le servir désormais.
L'affranchissement d'Onésime n'est pas nécessairement impliqué. Mais
qu'importe, puisque, de toutes manières, Onésime est le frère
bien-aimé de Paul et de Philémon! (v.. 10,12,16 et suivant, cf.
Col 4:9). Paul, pas plus que Jésus, n'a lancé le cri de
Spartacus, signal de révolte sans espoir, de massacre et de ruine. Il
a fait mieux, en visant aux principes et aux âmes. Le reste viendra
par voie de conséquence. Les noms de maître, d'esclave, d'affranchi
pourront subsister encore; mais ils n'auront plus le même sens dans
une société chrétienne où tous les hommes sont frères, quelles que
soient leurs fonctions diverses. L'institution de l'esclavage est
vidée de son paganisme et virtuellement détruite par l'attitude
chrétienne. Cf. Ga 3:28: «Il n'y a plus ni esclave, ni libre;
vous êtes tous un en Jésus-Christ.»

H. Cl.