PÉCHÉ (6.)
VI Les évangiles.
Jésus, pas plus que ses devanciers, n'est un théoricien ni un
théologien. Il est beaucoup plus et mieux que cela: le Sauveur. Il
veut réconcilier le monde avec son Créateur et son Père: il veut
fonder une humanité nouvelle, le Royaume de Dieu. Sur sa route, voilà
le péché, l'éternel ennemi de la race humaine. Pour réaliser le plan
divin, la première chose à faire, c'est de supprimer l'obstacle.
C'est pourquoi le salut apporté par Jésus-Christ est d'abord la
libération à l'égard du péché. Et l'ange définit exactement la
mission du Rédempteur quand il dit à Joseph: «C'est lui qui sauvera
son peuple de ses péchés» (Mt 1:21).
En un combat semblable à celui que Jésus doit livrer--lutte
tragique dans laquelle il donnera sa vie--, le point primordial est
de connaître l'adversaire, de deviner ses plans, de savoir ses ruses,
de découvrir son repaire. Il suffit d'étudier la pensée de Jésus pour
constater que le Maître possède du péché une connaissance vivante,
pratique, précise et approfondie.
Une telle connaissance, Jésus la puise tout d'abord dans «la Loi
et les Prophètes». Il est essentiellement un continuateur: dans son
enseignement et dans son oeuvre; il prend à son compte les données de
la révélation divine; il les considère comme définitivement acquises;
il en fait son solide point de départ. Nous verrons comment son
autorité souveraine a confirmé et consacré ce que ses prédécesseurs
avaient dit du péché et comment il a dégagé les conséquences
profondes et la signification éternelle du message de l'A.T.
En outre, il y a, nous l'avons dit, une relation étroite entre
l'idée que les hommes de la Bible se font du péché et celle
qu'ils ont de Dieu. En développant le contenu spirituel et moral de
l'A.T., qu'il s'est assimilé d'une manière si parfaite, Jésus éclaire
sa conception du péché par la connaissance intime, vivante, immédiate
qu'il possède du Père céleste. Le sentiment de la culpabilité humaine
ne pouvait que s'approfondir et s'intensifier chez Celui en qui s'est
incarnée la plus haute idée qu'on pût se faire de la majesté, de la
sainteté et de l'amour de Dieu.
Enfin, notons que la sainteté absolue de Jésus-Christ lui
conférait une autorité absolument unique pour reconnaître et pour
définir le péché. Une conscience pure comme la sienne pouvait seule
comprendre le mal dans toute son horreur et le deviner dans ses
sources les plus cachées.
Ainsi, la valeur des révélations apportées par le Maître repose
sur le triple fondement de sa compréhension parfaite de l'Écriture,
de sa communion directe avec le Père céleste et d'une conscience sur
laquelle le mal n'a jamais eu la moindre prise; demandons-nous
maintenant comment la nature du péché va se préciser à ses yeux.
Les contemporains de Jésus, et même l'élite de son peuple, se
sont considérablement éloignés de l'enseignement prophétique. Il y a
cinq siècles que la voix des prophètes a cessé de retentir, et c'est
maintenant le triomphe du légalisme et du formalisme, dont ils
avaient voulu saper les fondements. Pour les représentants autorisés
du judaïsme et les chefs religieux de la nation, la volonté de Dieu,
c'est l'accomplissement de la loi mosaïque, envisagée sous son aspect
le plus extérieur et considérée comme un ensemble de prescriptions
cérémonielles, multiples et précises. Pécher, c'est enfreindre la loi
ainsi comprise. Les pécheurs, ce sont d'abord les païens qui,
étrangers aux promesses et aux obligations réservées à la race
d'Abraham, ignorent complètement les lois et les ordonnances
juives. (cf. Ga 2:15: «Nous sommes Juifs de naissance et non
pécheurs d'entre les païens») Ce sont ensuite, parmi les Juifs
eux-mêmes, tous ceux dont la vie n'est pas réglée sur l'observation
minutieuse des commandements et des traditions rabbiniques, «les
péagers et les gens de mauvaise vie». Seuls les scribes et les
pharisiens, stricts observateurs de la loi, méritent d'être
considérés, au sens complet du mot, comme des justes (Mr
2:15-17,Mt 9:10,13).
Fidèle à l'inspiration prophétique, guidé par sa notion
profondément spirituelle de la volonté divine, éclairé par une
conscience infiniment délicate, Jésus ne pouvait s'en tenir ni à la
conception purement extérieure et légale de la sainteté et du mal, ni
à la classification tout humaine des justes et des pécheurs. Et ainsi
il allait aboutir à un renversement des valeurs reconnues de son
temps et opérer une véritable révolution morale.
En premier lieu, Jésus se refuse à accepter la notion que ses
contemporains avaient du péché. Les lois mosaïques sont vraies, mais
il faut en faire un autre usage que les pharisiens. Pour éviter le
mal, il ne suffit pas d'en observer la lettre, il faut aussi en
respecter l'esprit. Ainsi l'on commet l'iniquité, non seulement quand
on accomplit un meurtre, mais encore quand on se laisse aller à la
colère et à la haine, sources profondes du crime; non seulement quand
on consomme l'adultère, mais aussi quand on jette un regard de
convoitise charnelle; non seulement quand on viole un serment,
exprimé sous les formes légales, mais encore quand, dans l'exercice
ordinaire de la parole, on s'éloigne de la pure et stricte vérité. Et
il en est ainsi pour tous les points de la loi divine: la
non-résistance aux méchants, l'amour des ennemis, etc (Mt
5:21,48). L'enfant de Dieu doit parvenir à une fidélité intime à la
loi et à une perfection morale, qui fasse de lui un imitateur de son
Père céleste (verset 48, cf. Eph 5:1). Ne pas arriver à ce degré
de sainteté morale, c'est commettre le péché.
En second lieu, ayant une telle idée du mal, Jésus ne pouvait se
satisfaire de la justice apparente des pharisiens, ni les mettre dans
une caste moralement supérieure et opposée à la catégorie des
pécheurs. D'abord, en se plaçant eux-mêmes au pinacle de la sainteté,
lès pharisiens pèchent, parce qu'ils manquent de la charité la plus
élémentaire et qu'ils jugent avec dureté ceux qui ne partagent pas
leurs préjugés. «Allez, leur dit le Maître, apprenez ce que signifie:
Je prends plaisir à la miséricorde et non aux sacrifices» (Mt
9:13, cf. Os 6:6). Ensuite, non seulement les pharisiens
manquent d'humilité et d'amour, mais encore, sous leur piété de
surface, ils cachent la méchanceté et l'injustice. Pour l'apparence,
ils font de longues prières, mais, en même temps, ils dévorent les
maisons des veuves (Mt 23:14). Ils payent la dîme des plus
infimes sources de leurs revenus, mais ils négligent «ce qui est plus
important dans la loi: la justice, la miséricorde et la
fidélité» (Mt 23:23). «Ils nettoient le dehors de la coupe et du
plat et, au dedans, ils sont pleins de rapine et d'intempérance»
(verset 25). Au fond, leur péché est encore aggravé par leur
hypocrisie (voir ce mot). «Ils font toutes leurs actions pour être
vus des hommes» et non pour plaire à Dieu (Mt 23:5; cf. Mt
6:2,5-16); «ils disent et ne font pas» (Mt 23:3). Avec une
éloquente indignation, qui rappelle celle des prophètes, Jésus met au
grand jour toutes les tares morales qui se cachent sous cette fausse
justice. «Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites! parce que
vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui paraissent beaux au
dehors et qui, au dedans, sont pleins d'ossements de morts et de
toute espèce d'impureté. Vous de même, au dehors, vous paraissez
justes aux hommes, mais au dedans, vous êtes pleins d'hypocrisie et
d'iniquité...Serpents, race de vipères! comment échapperez-vous au
châtiment de la géhenne?» (verset 27 et suivant- 33).
Jésus résume le fond de sa pensée tout à la fois sur le sens
véritable de la loi divine et sur l'erreur commise par les pharisiens
en ce qui la concerne, quand il déclare à ses disciples: «Je vous le
dis, si votre justice ne surpasse celle des scribes et des
pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux» (Mt S
20). «Les scribes et les pharisiens sont assis dans la chaire de
Moïse. Faites et observez tout ce qu'ils vous disent, mais n'agissez
pas selon leurs oeuvres» (Mt 23:2 et suivant). «Ceux qui disent:
Seigneur, Seigneur! n'entreront pas tous dans le royaume des cieux,
mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père qui est dans les
cieux» (Mt 7:21).
Étendre, bien au delà des étroites limites de la morale
pharisaïque, les exigences de la loi divine, c'était élargir la
notion de ce péché radical qui est une offense faite au Créateur et
constitue une dette (opheïlêma) à son égard;voir (Mt 6:12)
Dette. Dévoiler les tares de ceux qui se prétendent hypocritement
d'accord avec Dieu, c'était découvrir, parmi ces prétendus justes,
des pécheurs semblables aux autres hommes. Et, par conséquent, le
péché compris comme il doit l'être devient un fait réellement
universel. Jésus appelle indistinctement tous les hommes «les
méchants» (Mt 7:11). Ses contemporains forment «une race
adultère et perverse» (Mt 12:39 16:4). Ceux qui, comme le jeune
homme riche, croient être parvenus à la justice, se trompent et ne
sont pas en mesure d'entrer dans le Royaume de Dieu, parce qu'ils
n'ont pas encore pris au sérieux le devoir du renoncement
total (Mt 19:16,26). Et celui qui voit le péché, non pas en lui,
mais chez le prochain, est plus mauvais que lui. «Pourquoi vois-tu la
paille qui est dans l'oeil de ton frère, et n'aperçois-tu pas la
poutre qui est dans ton oeil? Hypocrite, ôte premièrement la poutre
de ton oeil...» (Mt 7:3,5). Seul Jésus, en vertu de sa nature
divine, fait exception à cette corruption universelle (Jn 4:34
8:29-46 17:4).
Jésus ne s'en tient pas aux apparences; il n'envisage pas la
réalité morale seulement de l'extérieur. Pour lui, le péché existe là
même où les hommes ne savent pas le voir, et, comme les prophètes,
Jésus lui reconnaît une retraite cachée, d'où il importe de
l'extirper: les profondeurs du coeur humain. Le mal est aux sources
profondes de la vie, et par là il souille toutes les pensées, toutes
les paroles, toutes les actions humaines. Il empoisonne l'existence à
sa base. «C'est du coeur que viennent les mauvaises pensées, les
meurtres, les adultères, les impudicités, les vols, les faux
témoignages, les calomnies» (Mt 15:19). «Race de vipères,
comment pourriez-vous dire de bonnes choses, méchants comme vous
l'êtes? Car c'est de l'abondance du coeur que la bouche parle.
L'homme bon tire de bonnes choses du bon trésor de son coeur, et
l'homme méchant tire de mauvaises choses de son mauvais
trésor» (Mt 12:34). Le péché se manifeste dans les actes
parce qu'il constitue l'être caché, dans l'homme: les fruits sont
mauvais parce que l'arbre lui-même est mauvais dans son
essence (Mt 7:16,18). Le péché n'est donc pas dans la vie un
simple épisode et, pour parler comme les philosophes, un
«épiphénomène»; il est devenu un trait essentiel de la nature humaine
et donne à sa conduite une direction persistante qui est foncièrement
mauvaise.
Jésus ne se demande pas quelle est l'origine première du mal. Il
en constate l'action néfaste dans le coeur de l'homme et dans
l'ensemble de l'humanité. Le monde est sous la domination de la
«puissance des ténèbres» (Lu 22:53) ou «puissance de
l'ennemi» (Lu 10:19), le diable, que le 4 e évangéliste appelle
le meurtrier et le menteur (Jn 8:44). Quand on demande au maître
de la parabole qui a jeté de l'ivraie dans son champ, il répond:
«c'est un ennemi qui a fait cela»; Jésus précise: «l'ennemi qui l'a
semée, c'est le diable» (Mt 13:28,39). C'est le diable qui,
d'après Jésus, enlève la bonne semence dans le coeur de celui qui a
écouté la parole de Dieu mais ne l'a pas comprise (Mt 13:19).
Jésus explique qu'une parole loyale n'a pas besoin d'une confirmation
extérieure: «ce qu'on y ajoute vient du Malin» (Mt 5:37). C'est
cet esprit du mal qui fait naître la tentation dans le coeur; avant
l'épreuve de sa mort, le Maître avertit son apôtre: «Simon, Simon,
Satan vous a réclamés, pour vous cribler comme le froment» (Lu
22:31).
En un mot, pour Jésus l'homme est foncièrement mauvais, puisque
son coeur est sous la puissance du péché, et il est soumis à une
domination fatale, celle du diable, du moins tant que la grâce divine
n'a pas fait son oeuvre de rénovation en lui et ne l'a pas intégré au
Royaume de Dieu.
Mais quelles sont les tristes conséquences du pouvoir que Satan
exerce dans le monde?
C'est d'abord la privation de cette liberté, qui appartient aux
enfants de Dieu; c'est l'esclavage. «En vérité, en vérité, je vous le
dis, quiconque se livre au péché est esclave du péché» (Jn 8:34,
cf. Ro 6:16,22,Tit 3:3,2Pi 2:19). Il faut faire un choix
entre deux états, entre deux maîtres: ou Dieu ou Mammon; tant que
l'homme n'a pas accepté de se plier à la volonté de Dieu, il est
soumis à la puissance pernicieuse du Malin (Mt 6:21).
En second lieu, la lèpre hideuse du péché offre ce caractère
d'être contagieuse et de faire de ceux qui en sont atteints des
agents actifs de dissolution et de mort. De là viennent les scandales
(voir ce mot), ou occasions de chute pour le prochain, dont le
pécheur porte la lourde responsabilité. «Malheur au monde à cause des
scandales! Car il est nécessaire qu'il arrive des scandales; mais
malheur à l'homme par qui le scandale arrive!» (Mt 18:7). Cette
culpabilité s'aggrave quand elle a pour conséquence de conduire au
mal «un de ces petits qui croient en moi» et qui auraient pu rester
dans l'innocence (Mt 18:6). La contagion du mal, par la force de
la parole et de l'exemple, risque d'atteindre les âmes les plus
éloignées du mal. Jésus lui-même ne se considère pas comme étant à
l'abri de son atteinte. Ne l'entendons-nous pas dire à Pierre, au
moment où celui-ci aurait voulu le détourner de la voie du sacrifice,
et de sa mission rédemptrice: «Arrière de moi, Satan! tu m'es en
scandale; car tes pensées ne sont pas les pensées de Dieu, mais
celles des hommes»? (Mt 16:23) D'ailleurs, Jésus dépeint le
règne de Dieu comme excluant tout ce qui peut faire tomber les
hommes. «Le Fils de l'homme enverra ses anges, qui arracheront de son
royaume tous les scandales et ceux qui commettent l'iniquité» (Mt
13:41). En d'autres termes, partout où le péché existe, il y a
inévitablement une force d'attraction qui entraîne et pervertit les
âmes placées dans sa sphère d'action. Et il est juste d'appliquer à
la puissance du mal la loi de la solidarité énoncée par l'apôtre
Paul: «Nul de nous ne vit pour lui-même, et nul ne meurt pour
lui-même» (Ro 14:7). En troisième lieu, le mal qui fait de
l'homme son esclave, son auxiliaire et son complice, corrompt la
nature tout entière et propage la souffrance, la maladie et la mort.
Sans doute, Jésus s'élève contre la conception courante, suivant
laquelle il y aurait une relation immédiate et directe entre la
douleur et le péché. En présence de l'aveug!e-né, il proteste contre
cette vue étroite des disciples, d'après laquelle une telle infirmité
impliquerait nécessairement la responsabilité directe de ce
malheureux ou de ses parents (Jn 9:1,3). Et quand on lui parle
des Galiléens mis à mort par Pilate, ou des dix-huit personnes sur
lesquelles était tombée la tour de Siloé, il répond: «Croyez-vous que
ces hommes fussent plus coupables que les autres habitants de la
Galilée ou de la Judée?» (Lu 13:1,5). Cependant, il existe pour
Jésus une relation générale et essentielle entre la souffrance et le
péché. Le diable est le chef des démons qui provoquent la maladie.
Quand le Sauveur libère une malheureuse possédée, il s'écrie avec un
accent de miséricorde: «Cette femme, qui est une fille d'Abraham, et
que Satan tenait liée depuis dix-huit ans, ne fallait-il pas la
délivrer de cette chaîne le jour du sabbat?» (Lu 13:16). Quand
il guérit le démoniaque aveugle et muet, il montre aux pharisiens
l'absurdité qu'il V a à l'accuser de chasser les démons par
Béelzébul, le prince des démons et l'auteur des maladies et des
infirmités (Mt 12:22-30). Avant de rendre la liberté de ses
mouvements au paralytique de Capernaüm, il lui pardonne ses péchés,
origine première de sa maladie (Mt 9:2,6). Et à l'infirme de
Béthesda il dit, après avoir accompli son miracle: «Voici, tu as été
guéri; ne pèche plus de peur qu'il ne t'arrive quelque chose de
pire» (Jn 5:14). En somme, si Jésus s'interdit tout jugement
sévère sur ceux qu'il a la mission de conduire à la vie (Jn
8:15: «Vous jugez selon la chair et moi je ne juge personne»), et
si, par conséquent, il se refuse à toute application trop étroite de
la loi qui unit la douleur au péché, il n'en affirme pas moins
l'existence de cette loi générale et il voit dans l'opposition de
l'homme à la volonté divine la source de tous les maux qui ont fondu
sur l'espèce -humaine.
C'est sur cette terre douloureuse, profondément atteinte par le
péché, que Jésus est venu accomplir son oeuvre rédemptrice, «Le Fils
de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu» (Lu
19:10, cf. Mt 20:28). Seulement, pour obtenir ce salut, il
faut que l'homme accepte de passer par la voie de la repentance,
c'est-à-dire qu'il reconnaisse son état de péché et qu'il s'en
détourne. Les prophètes l'avaient déjà affirmé. Jean-Baptiste, le
précurseur, avait préparé le chemin du Sauveur en éveillant chez les
multitudes la vive conscience de leur misère et en les conduisant à
l'aveu de leurs fautes (Mr 1:4). Jésus ouvre son ministère en
proclamant le même message: «Repentez-vous, car le royaume des cieux
est proche» (Mt 4:17). Ainsi Jésus, grâce à la puissance divine
qui l'habite, accomplit et achève ce qui avait été révélé avant lui.
Son enseignement sans égal, son ministère si court, mais si rempli,
sa mort expiatoire sur le Calvaire, terme dernier de toute l'action
éducatrice et salvatrice du Dieu d'amour, conduisent une humanité
perdue au salut depuis si longtemps désiré. Pierre le déclare à ses
compatriotes: «C'est à vous premièrement que Dieu, ayant suscité son
serviteur, l'a envoyé pour vous bénir, en détournant chacun de vous
de ses iniquités» (Ac 3:26). «Dieu l'a élevé par sa droite comme
Prince et Sauveur pour donner à Israël la repentance et le pardon de
ses péchés» (Ac 5:31).
Mais, en présence du salut désormais réalisé, un grand devoir
s'impose à tous les hommes: celui de l'accepter; car, sans cela, ils
n'ont aucun moyen de se soustraire eux-mêmes et de soustraire le
monde à l'odieuse domination de Satan. Ne pas se plier à cette
obligation sainte, c'est commettre un péché d'un genre nouveau, le
péché suprême, celui qui consiste à repousser la grâce divine et à
fermer son coeur et sa vie à l'amour divin, manifesté en
Jésus-Christ. C'est sur ce point que nous voyons s'éclairer la
conception propre à Jésus et se manifester la révolution morale et
spirituelle accomplie par le Sauveur.
En face de lui et de son oeuvre, il y a deux attitudes possibles,
mais deux seulement, et ces attitudes sont adoptées par deux
catégories d'hommes, opposées l'une à l'autre.--D'abord, «les justes
qui n'ont pas besoin de repentance»...Nous (Lu 15:7) savons ce
qu'il faut penser de cette prétendue justice, soi-disant exempte de
péché. Parce qu'ils estiment ne pas avoir besoin du salut, parce
qu'ils ferment volontairement les yeux sur leur situation misérable,
parce qu'ils se drapent orgueilleusement dans le manteau de leur
hypocrite suffisance, de tels hommes se privent du pardon et de la
paix, dont ils ont tout autant besoin que les autres hommes. Pas plus
que son Père céleste, Jésus, son fidèle représentant sur la terre, ne
songe à violenter la liberté humaine. Il propose, mais il n'impose
pas son salut. Le Sauveur ne peut rien contre le refus obstiné de
ceux qui s'opposent à sa grâce. Et avec la douceur, mais aussi avec
la fermeté qui le caractérisent, il déclare: «Ce ne sont pas ceux qui
se portent bien qui ont besoin du médecin, mais les malades...Je ne
suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs» (Mt 9:12
et suivant).
Les pharisiens refusent, et avec eux, dans tous les pays et dans
tous les temps, ceux qui s'endurcissent dans leur péché et dans leur
incrédulité. Tant que la lumière n'était pas venue dans le monde, la
culpabilité n'existait pas, ou, du moins, elle était considérablement
atténuée. Savoir la vérité et ne pas vouloir se repentir: voilà le
grand crime contre Dieu, la néfaste révolte contre sa volonté sainte
et miséricordieuse. «Si je n'étais pas venu et que je ne leur eusse
point parlé, ils n'auraient pas de péché; mais maintenant ils n'ont
aucune excuse de leur péché» (Jn 15:22,15:24 9:41). Et, dans de
multiples occasions, Jésus montre aux hommes de son pays quelles
lourdes responsabilités cette incrédulité fait peser sur leurs
épaules (Lu 10:13 et suivant, Mt 12:41 23:37). Cet
endurcissement irrémédiable de l'âme, qui a été mise en présence de
la lumière et de la grâce, mais qui s'y oppose absolument, c'est ce
que Jésus appelle «le péché contre le Saint-Esprit» (Mr
3:22-30,Lu 12:10,Mt 12:22,32), «péché éternel» et pour lequel aucun
pardon n'est possible, parce que, en le commettant, l'homme se ferme
toute issue qui puisse le conduire à la vérité et au salut.
Mais, en face de ceux qui s'enferment dans leur irréductible
opposition, il y a ceux qui acceptent et qui, humblement et
simplement, reçoivent le pardon et pénètrent dans le Royaume de Dieu.
Ces hommes qui arrivent au salut et à la vie éternelle appartiennent
bien souvent à cette classe méprisée de Juifs que leurs compatriotes
appellent «les pécheurs», ou bien ils peuvent être au nombre de ces
païens pour lesquels les enfants d'Abraham professent le plus
souverain mépris. Mais Jésus déclare à ceux qui se croient justes:
«Je vous le dis en vérité, les publicains et les prostituées vous
devanceront dans le royaume de Dieu» (Mt 21:31). Et dans la
touchante parabole dite «en vue de certaines personnes se persuadant
qu'elles étaient justes, et ne faisant aucun cas des autres», Jésus
montre comment le pharisien, fier de sa prétendue valeur morale et
religieuse, n'a pas trouvé dans son orgueilleuse prière la paix qui
descend d'En-haut, alors que le péager, «se tenant à distance,
n'osant pas même lever les yeux au ciel, et se frappant la poitrine
en disant: Ô Dieu, sois apaisé envers moi qui suis un pécheur!», est
retourné dans sa maison, enrichi par le pardon divin et renouvelé
dans son être spirituel (Lu 18:9-14). Merveille de la grâce
céleste, que les hommes ne peuvent songer à s'acquérir par leurs
propres mérites, mais qu'ils trouvent dans l'aveu de leur misère.
Combien Jésus a eu raison de dire, par conséquent, que les premiers
seront les derniers et les derniers les premiers! (Mt 19:30
20:16,Mr 10:31,Lu 13:30) C'est au salut que la grâce divine appelle
tous les hommes. Jésus l'affirme: «Ce n'est pas la volonté de votre
Père qui est dans les cieux qu'il se perde un seul de ces
petits» (Mt 18:14). Mais pour parvenir à l'affranchissement et à
la vie éternelle, il importe d'accepter le message du Sauveur,
d'arriver d'abord, sous l'influence du Saint-Esprit, au sentiment
véritable de notre tragique culpabilité, puis de passer par cette
nouvelle naissance qui fait de nous des êtres complètement
régénérés (Jn 3:1,7).