PAPYRUS ET OSTRAKA

1. Généralités.

Sur la nature des divers matériaux utilisés pour l'écriture, on se
reportera à notre art. Écriture.

Nous envisagerons seulement ici les papyrus et les tessons de
poterie (ostraka) dans leurs rapports avec les sciences
bibliques, en particulier avec la philologie du N.T.

Ces inscriptions ont sur les autres l'avantage d'être rédigées
dans la langue commune de l'époque et de nous éclairer sur la vie
populaire et privée. De là leur double importance: philologique
et historique. Recueillies en de vastes collections, ces
inscriptions ont permis de pénétrer plus avant dans la vie sociale,
économique et spirituelle du judaïsme postexilique et du
christianisme primitif; elles ont, dès à présent, modifié la
conception traditionnelle qui tenait la langue du N.T. (la koïnè)
pour un langage propre, «sorte d'entité linguistique» dont la
morphologie, fortement influencée par les sémi-tismes, ne se serait
guère modifiée. Il apparaît, au contraire, de plus en plus à la
lumière de ces inscriptions que le grec de la version des LXX et
surtout le grec du N.T. plongent leurs racines dans la langue du
peuple.

2. Papyrologie.

L'usage du papyrus en Egypte (voir Jonc, parag. 2) remonte à la plus
haute antiquité. Le plus ancien papyrus connu est une feuille de
comptes de l'époque du roi Assa (3500 av. J.-C). Les premiers
papyrus furent mis au jour au XVIII° siècle par des paysans égyptiens
qui fouillaient, sans doute pour se procurer de la terre végétale,
les immenses dépotoirs où s'étaient accumulés, pendant des siècles,
les résidus de la vie sociale et privée. Un grand nombre de ces
papyrus ont disparu, brûlés par ceux qui les découvraient, sans doute
à cause de la fumée odoriférante que dégageait leur combustion. Le
premier papyrus parvint en Europe en 1778; c'est le célèbre Papyrus
Borgianus,
dont le déchiffrement marque les débuts de la
papyrologie. Mais ce n'est guère qu'un siècle plus tard que les
savants concertèrent leurs efforts et créèrent une véritable science
qui s'appliqua à déchiffrer et à classer les documents,
méthodiquement cherchés et exhumés, dont le nombre dépasse
aujourd'hui cent mille. L'organe officiel de la papyrologie est la
collection allemande Archiv fur Papyrusforschung, longtemps
dirigée par Ulrich Wilcken. Parmi les savants qui se sont distingués
dans cette science nouvelle, il faut nommer Flinders Pétrie, Grenfell
et Hunt, qui s'illustrèrent dans les célèbres fouilles d'Oxyrhynchus,
et le Français G. Lefebre.

Parmi les papyrus, un certain nombre ont un intérêt purement
littéraire: fragments d'oeuvres d'écrivains classiques. Beaucoup plus
importants sont ceux qui nous font entrer dans le détail de la vie
privée: contrats, livres de comptes, lettres, hymnes religieux,
formules liturgiques, minutes administratives, exercices scolaires,
horoscopes, etc. Grâce à eux on a pu reconstituer, dans leur
diversité, la vie villageoise et la vie citadine des trois
millénaires avant J.-C, et des premières générations chrétiennes.
Divers points de l'histoire du judaïsme ont pu être éclairés grâce,
entre autres, aux papyrus araméens d'Assouan, édités par Sayce et
Cowley en 1906, et aux papyrus d'Éléphantine, édités par Sachau en
1907.

3. Les papyrus et les sciences bibliques.

Moins nombreux, mais non moins importants que les papyrus littéraires
sont les papyrus versés à l'immense dossier des sciences bibliques.

Citons d'abord, pour l'A.T, hébreu, le papyrus de Nash, qui
contient une très ancienne transcription du Décalogue. On a
catalogué, en outre, une vingtaine de papyrus portant des fragments
de la version grecque de l'A.T, par les LXX Les plus célèbres sont
ceux dits de Leipzig pour les Psaumes, et ceux dits de Heidelberg
pour les «Petits Prophètes». Des papyrus coptes nous ont transmis, en
surplus, des fragments de la version copte de l'A.T.

En ce qui concerne le texte du N.T., les papyrus collationnés ne
présentent guère de leçons nouvelles, sauf le groupe d'Oxyrhynchus
dont le texte relève d'ailleurs des deux grands manuscrits: le
Vaticanus et le Sinaïticus. Le nombre de ces papyrus, d'après la
classification de Gregory, atteint à peine la vingtaine.

Nous possédons en outre sur papyrus des fragments d'écrits
extra-canoniques: portions d'évangiles apocryphes, et des Logia
(paroles) de Jésus (voir Agrapha), dont l'authenticité est d'ailleurs
très problématique.

Enfin signalons des fragments des Pères, d'écrits gnostiques, des
hymnes, des textes liturgiques, etc., en grec et en copte. Nombre de
lettres privées, de mains chrétiennes du III° siècle et des siècles
suivants, des libelli officiels nous permettent de pénétrer dans
les milieux chrétiens de l'époque et de connaître les rapports de la
religion nouvelle avec l'Empire. Telle la lettre du presbytre
Psenosiris, de l'époque de Dioclétien, relative à une femme exilée,
une certaine Politikè.

La valeur historique de ces documents est incontestable:
ainsi que l'écrit A. Deissmann, professeur à l'Université de Berlin
et papyrologiste éminent, «plus nous serons persuadés que le
christianisme primitif fut avant tout un christianisme missionnaire,
plus nous serons saisis par la grandeur de l'apôtre Paul travaillant
au sein des grands centres prolétariens de l'époque, plus aussi nous
sentirons la nécessité de connaître ces hommes à qui l'Évangile était
annoncé. Je veux dire qu'il serait insuffisant de connaître leur
situation économique ou leur vie familiale; c'est leur âme qu'il nous
faut approcher. Or, en ce qui concerne l'Egypte, les papyrus nous
mettent en mains des documents uniques; en particulier les lettres,
non destinées à la publicité, reflètent, avec une admirable naïveté,
cette âme populaire...Et s'il est vrai que la civilisation impériale
était à peu près identique dans tous les centres qu'elle touchait, en
connaissant la mentalité des Égyptiens contemporains de saint Paul
nous ne sommes pas loin de connaître l'âme des Corinthiens et des
habitants de l'Asie Mineure auxquels il s'adressait.»

A côté de cette valeur historique, ainsi relevée, l'importance
philologique des papyrus n'est pas moindre.

Extérieurement d'abord, l'écriture des papyrus employée pour
les documents privés et les lettres nous permet de nous représenter
l'aspect des autographes du N.T. Tandis que, pour les copies
d'oeuvres littéraires, on employait des lettres majuscules, on usait,
pour les documents privés, d'une écriture irrégulière où apparaît
déjà la ligature: c'est le type intermédiaire entre l'écriture
majuscule et la scriptio continua. C'était très probablement le
type des autographes néotestamentaires. Déjà l'étude des caractères
de cette écriture moyenne a permis d'expliquer quelques variantes du
texte.

Sans parler de l'orthographe de certains mots bibliques que les
parallèles des papyrus ont permis de rectifier, le résultat le plus
important de l'étude des papyrus concerne la langue même du N.T.

Dans ses travaux sur le sujet (Licht vont Osten), Deissmann a
prouvé que le grec du N.T. n'est autre que le grec parlé aux environs
de l'ère chrétienne dans les pays du bassin oriental de la
Méditerranée. Il a été suivi dans cette voie par des grammairiens
tels que Winer et Schmiedel, Blass, J.H. Moulton, Helbing et Rouffiac.

Le grec des LXX lui-même aurait fait de nombreux emprunts à la
langue populaire, ainsi que le prouvent les papyrus de l'époque
ptolémaïque, qui est celle où fut élaborée la célèbre traduction.

On ne va pas jusqu'à dénier toute influence aramaïsante sur la
langue du N.T. Mais il apparaît aujourd'hui que nombre de formes
étrangères au grec classique et taxées de sémitismes ne sont que des
emprunts à la langue populaire de l'époque. Tel serait le datif
instrumental avec èn ; telle encore la forme être (eïnaï) avec eïs ;
ou encore le renforcement de l'idée par la répétition d'un
mot de même racine (akoê akousété), l'absence de toute particule
de subordination, etc. Le style des écrits johanniques, en
particulier, apparaît à Deissmann comme très proche de la langue
populaire et il cite, en parallèle d'expressions typiques, des formes
empruntées à l'inscription de Nysa.

Mais si la morphologie et la syntaxe du grec néotestamentaire ont
tiré profit de ces études, celles-ci ont eu surtout comme résultat de
diminuer le nombre des termes que l'on croyait propres exclusivement
au N.T. (hapax légoména). On en a catalogué environ 350. Ces
termes, qui se rencontrent surtout dans les épîtres pauliniennes, il
est désormais imprudent de penser qu'ils ont été forgés de toutes
pièces. C'est ainsi qu'on attribuait à Paul l'adjectif kuriakos
dans 1Co 11:20: kuriakon deïpnon, le repas du Seigneur; or
les papyrus rapportent cette épithète avec le même sens que dans le
récit de l'institution.

Enfin, en dehors de leur haute importance au point de vue
philologique, les papyrus apportent des renseignements qui
corroborent ou éclairent certains faits historiques. Citons, entre
autres, des rôles d'un recensement analogue à celui que mentionne
Lu 2:1 et suivant; ces rôles sont désignés par le terme même
qu'emploie Luc: apographaï

4. Les ostraka.

Ce que nous avons dit des papyrus s'applique aux tessons de poteries
que l'on a exhumés par milliers. On utilisait surtout, pour écrire,
la surface convexe, plus rarement la surface concave. On a justement
appelé ces ostraka «le papier du pauvre», et, comme tels, ils
nous introduisent dans la vie même de la masse la plus déshéritée.
Parmi les savants qui ont étudié les ostraka, il faut mentionner en
tout premier lieu Ulrich Wilcken pour le grec et W.E. Crum pour le
copte. Un savant français, G. Lefebre, a publié vingt ostraka, de
diverses origines, qui rapportent des fragments grecs des quatre
évangiles. Fait curieux et dû au seul hasard: ces fragments réunis
offrent le récit complet de l'agonie de Jésus, de son arrestation, de
sa comparution devant le Sanhédrin et du reniement de Pierre. Peu
importants au point de vue de l'histoire du texte, ils ont surtout,
comme les papyrus, une valeur philologique et nous renseignent sur le
grec populaire contemporain. Ce sont pour la plupart des lettres, des
contrats de mariage, des formules d'impôts, des bons de réquisition,
etc.

On voit toute l'importance qu'il faut attribuer à l'étude de ces
antiques documents. Quels que soient les résultats déjà acquis, il
faut se garder cependant d'attendre de la papyrologie un
bouleversement des connaissances actuelles sur la langue et l'exégèse
du N.T., comme certains disciples de Deissmann se sont hâtés de
l'annoncer. La part des sémitismes dans la langue du N.T. a, certes,
été faite trop grande, et en la réduisant Deissmann et ses élèves ont
assurément vu juste. Mais si le grec néotestamentaire s'alimente
généreusement au fonds populaire, on ne saurait méconnaître le
caractère très littéraire de certains écrits, l'épître aux Hébreux
par exemple. N'y aurait-il pas lieu aussi de pousser les recherches
du côté de certains écrivains contemporains tels que Polybe ou
Josèphe?

D'autre part, ramener la prodigieuse propagation du christianisme
à une question philologique, n'est-ce pas méconnaître l'élément
psychologique qui, toujours, commande l'histoire? A mieux connaître,
par les papyrus et les ostraka, l'âme profonde du peuple, on sent
plus intensément le contraste entre cette âme, si rudimentaire à tant
d'égards, et le message chrétien. C'est bien le lieu d'évoquer ce
quid divinum en dehors duquel toute l'histoire du salut demeure
une impénétrable énigme. A.W. D'A.