PALESTINE AU SIÈCLE DE JESUS-CHRIST
Voir Atlas 6
C'est l'histoire politique que nous nous proposons de traiter ici.
SOURCES
La principale: Flavius Josèphe, Guerre juive, en 7 livres;
Antiquités juives, en 20 livres; V Autobiographie; le traité
dit Contre Apion ou de l'ancienneté du peuple juif, en 2 livres
(voir Josèphe). Les auteurs latins comme Tacite, Suétone, Dion
Cassius nous apportent des renseignements précieux sur les relations
de Rome et de la Judée (voir Th. Reinach, Textes d'auteurs grecs et
latins relatifs au judaïsme). Bornons-nous à mentionner, à côté des
dictionnaires et commentaires de la Bible, deux ouvrages capitaux: E.
Schurer, Geschichte des jüdischen Volkes im Zeitalter Jesu
Christi, en 3 volumes, et S. Dubnow, Weltgeschichte des
jiidischen Volkes, en 10 volumes, dont le deuxième raconte la
période qui va du début de la domination grecque en Palestine jusqu'à
la ruine de Jérusalem et nous intéresse particulièrement; l'original
est écrit en russe, maïs il a été traduit en allemand par A.
Steinberg.
1.
Arrivée des Romains en Palestine.
Voir Atlas 11
Voir Atlas 26
Alexandra, veuve d'Alexandre Jannée (voir Macchabées), était morte en
69 av. J.-C, laissant deux fils: Hyrcan II et Aristobule II; leurs
luttes fratricides devaient avoir les plus tragiques conséquences,
puisque, afin d'y mettre un terme, ils firent appel à l'intervention
des Romains, qui pénétrèrent ainsi pour la première fois dans le
pays; ce fut le commencement du drame qui, après des péripéties
diverses et mouvementées, ne devait se terminer que par la
catastrophe de l'an 70 ap. J.-C.
Au printemps de 63 av. J.-C, Pompée est à Damas, il répond
favorablement à la demande d'intervention qui lui est adressée et met
le siège devant Jérusalem; la ville est prise, et ce fait va avoir
pour la Judée des conséquences graves: désormais, elle sera vassale
de Rome. Hyrcan II est nommé ethnarque et grand-prêtre, tandis
qu'Antipater, père d'Hérode le Grand, alors gouverneur de l'Idumée,
s'attache à lui et, sous l'autorité nominale d'Hyrcan, exerce en
réalité le pouvoir et en profite pour faire pommer ses fils à des
postes importants de l'administration du pays: Phasaël est
administrateur de Jérusalem, et Hérode de la Galilée (63 av. J.-C).
Après la bataille de Pharsale (9 août 48) et la mort de Pompée (28
sept. 48), Hyrcan et Antipater se jettent du côté de Jules César,
qu'Antigone, dernier fils survivant d'Aristobule, cherche vainement à
gagner à sa cause. César comble de ses faveurs Hyrcan et Antipater.
Hérode, à ce moment-là, a 25 ans: il fait preuve d'une rare énergie
dans la répression des brigands, et d'une réelle effronterie
vis-à-vis des autorités qui auraient voulu le condamner à cause de
ses procédés trop sommaires; lorsque son père meurt empoisonné (43
av. J.-C), il fait mourir le coupable. Deux incidents compromettent
momentanément les intérêts d'Hérode et de son frère: d'abord lorsque,
devant Antoine, alors en Bithynie, apparaît une députation de la
noblesse juive pour se plaindre d'Hérode; ce dernier réussit à garder
la faveur de son protecteur; ensuite, lorsque Antigone, avec l'appui
des Parthes, réussit à s'emparer du pays, il contraint Hérode à fuir.
Antigone reste maître du pays et, pour une courte période, le pouvoir
royal des Hasmonéens est rétabli en Palestine. Antigone ne possède
pas les qualités nécessaires à un souverain chargé d'exercer
l'autorité dans des circonstances aussi délicates, ni le patriotisme
enflammé, ni le génie politique, tandis que, pour lui arracher le
pouvoir qu'il convoite, Hérode déploie une activité extraordinaire.
Il accourt auprès d'Antoine, qui est acheté à prix d'or, et cela
d'autant plus facilement que le Romain comprend qu'il importe d'avoir
en Judée un instrument docile des volontés de Rome, puisque Hyrcan
est prisonnier des Parthes. Dans une séance solennelle du Sénat,
Hérode est proclamé roi de Judée, allié et vassal de Rome; mais il
lui faudra encore deux années de guerre civile, ensanglantant la
Judée, avant d'être réellement roi. En 39 commencèrent les luttes
entre Antigone et Hérode; elles furent terribles; Hérode fut obligé
de faire le siège de Jérusalem, qui commença au printemps de 38 av.
J.-C, et c'est à ce moment-là qu'il interrompit les opérations
militaires pour épouser Mariamme, fille d'Alexandre, fils lui-même de
cet Aristobule II dont nous avons parlé et d'Alexandra, fille
elle-même d'Hyrcan II: elle était donc la petite-fille d'Hyrcan par
sa mère. Par ce mariage avec une princesse hasmonéenne (ils étaient
fiancés depuis 5 ans), il entrait dans la famille royale des
Macchabées et espérait ainsi se concilier l'appui des patriotes
juifs. Après une résistance désespérée de 40 jours, la ville
succomba, et il y eut des carnages atroces. Hérode eut fort à faire
pour éviter le pillage de la cité et la profanation du temple. Sans
l'appui du général romain Sosius, il n'aurait jamais pu s'emparer de
Jérusalem: le gouverneur de Syrie envoya Antigone à Antioche où se
trouvait Antoine qui, obéissant aux suggestions d'Hérode, le fit
mettre à mort. <(Ce fut le premier Romain, écrit le géographe
Strabon, qui fit décapiter un roi. Il ne voyait pas d'autre moyen
d'amener les Juifs à accepter Hérode, qui avait remplacé Antigone;
les supplices mêmes ne pouvaient, en effet, les décider à le
reconnaître comme roi, tant ils avaient gardé une haute opinion de
son prédécesseur. Antoine pensa que le supplice ignominieux
d'Antigone obscurcirait le souvenir qu'il avait laissé et atténuerait
la haine qu'on avait pour Hérode.» Cette haine ne devait pas désarmer
durant toute la vie du nouveau roi.
2.
Hérode le Grand (37-4 av. J.-C).
Ce titre de «Grand» qui lui est appliqué doit être compris comme
signifiant l'aîné ou le premier du nom.
1° LA CONQUETE DU POUVOIR (37-25 av. J.-C).
Il est roi, et pourtant il lui faut encore, en réalité, conquérir son
pouvoir. Robuste et endurant, de bonne heure accoutumé à l'effort,
cavalier excellent et chasseur infatigable, il s'est, dès sa
jeunesse, exercé au métier des armes; sauvage et passionné, dur et
inflexible, il est étranger aux sentiments délicats comme aussi aux
impulsions de la tendresse; quand son intérêt est en jeu, il
intervient avec une main de fer, sans reculer devant les plus cruels
sacrifices et les flots de sang. Il se montre prudent, habile, rusé
même dans le choix des moyens, sachant discerner d'un coup d'oeil les
mesures à employer; intraitable envers tous ceux qui dépendent de
lui, il est vis-à-vis des puissants du jour le plus parfait
courtisan. Il comprend que jamais il ne pourra être quelque chose que
grâce à l'appui de Rome; son souci constant sera de garder cet appui
nécessaire; par Rome il arrive et par Rome il se maintient. Pour
conquérir réellement le pouvoir, il faut qu'il se débarrasse de ses
ennemis: le peuple, l'aristocratie sacerdotale, les derniers
Hasmonéens.
Le peuple le déteste et le traite de demi-juif; il ne voit en lui
qu'un roi par la grâce de Rome, souillé du sang des Hasmonéens; il
n'est ni grand-prêtre, ni prêtre-roi, mais souverain purement
temporel: ce n'est pas un Juif authentique choisi par des Juifs, mais
un souverain moitié juif et moitié païen, imposé par l'étranger.
Hérode supprime les résistances: les plus décidés de ses adversaires,
il les brise; les plus souples, il cherche à les gagner par ses
faveurs. Ceux qui sont les premiers par la piété, les pharisiens, le
détestent; ils voient en lui» l'esclave iduméen». Ceux qui occupent
le premier rang et qui furent jadis les partisans d'Antigone, il les
fait égorger en masse; «parmi eux se trouvaient quarante-cinq hommes,
appartenant aux meilleures familles; il n'épargne pas les membres du
sanhédrin, puis s'empare de la fortune de ses victimes» (Graetz).
Enfin il a encore devant lui les derniers Hasmonéens: le vieil
Hyrcan, grand-père de sa femme, puis la mère de sa femme, Alexandra,
le fils de cette dernière, donc le propre frère de sa femme, nommé
Aristobule III Hyrcan fut rappelé de Babylonie, où les Parthes
l'avaient emmené prisonnier; il fut traité d'abord avec respect,
avant d'être mis à mort sous le prétexte qu'il avait trahi. Alexandra
intrigua pour que son fils obtînt le souverain pontificat; Hérode
résista aussi longtemps qu'il put, mais Alexandra ayant réussi à
gagner la faveur de Cléopâtre, Hérode fut obligé, contre son gré,
d'accorder au jeune homme la dignité suprême. Le peuple éprouva une
immense joie en voyant le fils de ses anciens rois, dans tout l'éclat
de sa jeunesse et de sa beauté, remplir avec noblesse ses augustes
fonctions, mais Hérode en conçut une jalousie féroce et résolut de se
débarrasser de lui. La scène se passe à Jérico: «Comme l'endroit
était excessivement chaud, les convives sortirent tous ensemble en
flânant et vinrent chercher au bord des piscines--il y en avait de
fort grandes autour de la cour--un peu de fraîcheur contre les
ardeurs du soleil de midi. Tout d'abord, ils regardèrent nager leurs
familiers et leurs amis; puis le jeune homme se joignit aux
baigneurs, excité par Hérode; alors, certains des amis du roi
auxquels il avait donné ses instructions, à la faveur de l'obscurité
croissante, pesant sans cesse sur le nageur et le faisant plonger
comme par manière de jeu, le maintinrent sous l'eau jusqu'à ce qu'il
fût asphyxié» (Jos., Ant., XV, 54; trad. Reinach). Cité devant
Antoine pour se justifier de ce meurtre, Hérode acheta le Romain et
réussit à se tirer de ce mauvais pas. Mais, avant de partir, il avait
donné l'ordre à son oncle et beau-frère Joseph, tout à la fois frère
de son père et mari de sa soeur, de mettre à mort sa femme, Mariamme,
dans le cas où il ne reviendrait pas. Salomé, soeur d'Hérode, joua
dans cette affaire un rôle particulièrement odieux, accusant son
propre mari d'avoir eu des relations coupables avec Mariamme. On peut
se représenter les sentiments d'Hérode, à son retour. Joseph est mis
à mort, mais Mariamme s'irrite en apprenant l'ordre la concernant que
le roi avait donné à son frère. De nouvelles difficultés se dressent
sur son chemin: il se voit obligé, pour plaire à Cléopâtre, de lui
céder de fort belles parties de son territoire, entre autres la
région de Jérico, et, de plus, de faire la guerre au roi des Arabes:
Hérode n'en retirait aucun profit car, à cette époque, il aurait aimé
voler au secours de son protecteur Antoine, alors en lutte avec
Octave. Ce ne fut pas sans courir de grands dangers qu'il put
terminer la guerre contre les Arabes; enfin il fut victorieux, mais
un tremblement de terre causa de grands ravages dans le pays et coûta
la vie à 30.000 personnes. Sur ces entrefaites, la bataille d'Actium
(2 sept. 31 av. J.-C.) se terminait par la victoire d'Octave et
l'effondrement de la puissance de son protecteur Antoine. Alors, sans
hésiter, Hérode abandonne le vaincu pour se tourner du côté du
vainqueur; il s'empresse auprès de lui, lui narre un service qu'il
vient de lui rendre: une troupe de gladiateurs, entretenue par
Antoine en Syrie, aurait voulu passer en Egypte pour aider son patron
à reprendre l'avantage; unissant ses forces à celles du gouverneur de
Syrie, il avait défait les rebelles. Avant de partir, il avait
renouvelé l'ordre, déjà donné dans une précédente occasion, de mettre
à mort Mariamme s'il ne revenait pas. Il accourut à Rhodes, se
présenta devant Octave, se couvrit du masque de l'humilité, comme un
humble vassal de Rome, montra que son concours avait été dans le
passé profitable à Rome et qu'il en serait de même dans l'avenir. En
politique avisé, Octave discerna ce qu'il y avait de vrai dans les
affirmations du royal suppliant et lui rendit, avec la dignité
royale, les territoires que Cléopâtre lui avait ravis. Mais, à son
retour, ayant appris l'ordre que, pour la seconde fois, son mari
avait donné de la mettre à mort s'il ne revenait pas, Mariamme ne lui
cache pas son horreur. Et de nouveau Salomé joue son rôle de perfide
calomniatrice. Mariamme est condamnée à mort et exécutée, non sans
avoir, avant de marcher au supplice, été couverte d'injures par sa
propre mère. «La plus belle fille de Juda, la belle Hasmonéenne,
l'orgueil de la nation, marcha du tribunal à l'échafaud. Elle y monta
calme et résolue, sans faiblesse et sans crainte, et resta digne de
ses aïeux. Mariamme était l'image de la Judée, livrée à la hache du
bourreau par l'intrigue et la haine.» (Graetz; cf. Ant., XV, 236;
l'historien juif trace de la princesse juive un portrait fort
remarquable.)
2° LES ANNEES DE GLOIRE (25-13 av. J.-C).
En cette période de sa vie, le roi est au comble de la puissance:
rien ne trouble ses relations avec Rome. Agrippa (Marcus Vipsanius
Agrippa), le général, l'homme d'État, gendre d'Auguste, vient à
Jérusalem rendre visite à Hérode. Ce dernier se montre habile
politique et guerrier éprouvé dans la répression des désordres causés
par les tribus arabes pillardes dans le voisinage de ses États, qu'il
réussit à agrandir par l'adjonction de la Batanée, de l'Auranitide et
de la Trachonite. Il est passionné pour les constructions
somptueuses: il reconstruit Samarie de la manière la plus brillante;
il la nomme Sébaste-Auguste; il transforme la tour sur la place du
Temple, qui devient l'Antonia dont nous aurons l'occasion de
reparler. A la place de la Tour de Straton, sur les bords de la mer
Méditerranée, s'élève, après 10 ans de travaux, la ville fameuse de
Césarée de Palestine; son port est tout particulièrement remarquable:
une digue puissante, qui s'avance bien avant dans la mer, est bâtie
de matériaux amenés de fort loin. La plus célèbre de ses
constructions est le Temple de Jérusalem (voir Temple). «Il fit part
de son projet aux chefs de la nation, qui en furent effrayés. Ils
craignaient qu'Hérode ne voulût seulement démolir l'ancien sanctuaire
ou que la reconstruction ne traînât en longueur. Hérode les rassura
en leur promettant de ne pas toucher au vieux temple avant que les
matériaux du nouveau et les ouvriers ne fussent tous rassemblés. Des
milliers de chariots amenèrent sur le chantier d'énormes pierres de
taille, des blocs de marbre. Dix mille hommes, experts dans l'art de
la construction, se mirent à l'oeuvre. Ce travail commença dans la 18
e année du règne d'Hérode (janvier 19 av. J.-C). L'intérieur du
temple fut achevé en un an et demi. La construction des murs, des
colonnades et des portiques demanda 8 ans, et, longtemps après, on
travaillait encore aux parties extérieures. Le temple d'Hérode était
un chef-d'oeuvre, que les contemporains ne pouvaient assez admirer.
Il se distinguait du sanctuaire de Zorobabel par des proportions plus
vastes et une splendeur plus grande. Au-dessus de l'entrée
principale, Hérode avait, au grand scandale des pieux Israélites,
fixé une aigle d'or, symbole de la puissance romaine» (Graetz,
Hist, des Juifs). Malgré cela, comme aussi en dépit de sages
mesures qu'il prend en allégeant les impôts en des temps
particulièrement difficiles ou en intervenant en faveur des Juifs de
Cyrénaïque ou de certaines régions de l'Asie Mineure pour que leurs
privilèges soient respectés, la population le déteste: à cause des
charges accablantes qui pèsent sur elle, des édifices païens qu'il
fait élever en Palestine et dans les villes voisines, de son attitude
de valet de Rome, de son système perfectionné d'espionnage, de son
entourage de Grecs et de Romains, comme aussi à cause des forteresses
qui se dressent pour rappeler à la nation qu'elle a perdu sa liberté:
Hérodeïon, Masada, Machéronte, etc.
3° LE DECLIN (13-4 av. J.-C.)
est marqué par la plus épouvantable des tragédies dans le palais
royal. Hérode s'était marié plusieurs fois; chacune de ses femmes
habitait, avec ses enfants, un quartier particulier du palais;
quelques-uns de ses enfants étaient mariés et avaient eux-mêmes des
enfants (voir Hérodes [les], tableau généalogique). Il y avait là les
fils de Mariamme, qui étaient de race royale, et Antipater, fils aîné
du roi, sorti des rangs du peuple, d'abord exilé de la cour, puis
rappelé; il devait être un des mauvais génies de ce drame. A la suite
d'atroces calomnies, les fils de Mariamme, Alexandre et Aristobule,
sont condamnés à mort et étranglés à Samarie (7 av. J.-C). Antipater,
désireux comme il l'avait été de mettre de côté ses frères, croit
être alors parvenu à son but; il complote la mort de son père, de
concert avec son oncle Phéroras, frère du roi, et la ruine de deux de
ses plus jeunes frères, Archélaüs et Philippe; mais, à la mort de
Phéroras, toute l'intrigue se découvre. Antipater est rappelé de Rome
pour être jeté en prison en attendant que, de Rome, vienne
l'autorisation de le faire mettre à mort. Secoué par tous ces
événements, le roi tombe gravement malade, et le peuple, le croyant
perdu, manifeste sa haine contre le despote. Deux docteurs de la loi
poussent leurs disciples à enlever l'aigle d'or placée au-dessus de
la porte principale du temple, symbole doublement odieux de
soumission politique et de violation de la loi. L'aigle est arrachée
vers midi, au moment où les fidèles sont le plus nombreux. Les
mercenaires royaux s'emparent des 40 jeunes gens coupables de ce
crime et des instigateurs, qui sont deux pharisiens. Cités devant le
roi, ils font de courageuses déclarations. Le roi leur demande s'ils
ont réellement osé abattre l'aigle d'or; ils l'avouent. «--Qui vous
l'a ordonné?--La loi de nos pères.--Et pourquoi tant de joie au
moment où vous allez être mis à mort?--C'est qu'après notre mort nous
jouirons d'une félicité plus parfaite.» Envoyés a Jérico, ils y
furent sévèrement punis: les chefs brûlés vifs, les plus coupables
des jeunes gens mis à mort par le bourreau, et les moins coupables
frappés de diverses condamnations. La maladie du roi s'aggrave sans
cesse; un séjour aux célèbres eaux thermales de Callirhoé, sur les
bords de la mer Morte, à une dizaine de kilomètres de Machéronte
(voir plus loin), ne lui apporte aucun soulagement. Ramené à Jérico,
il reçoit d'Auguste-l'autorisation de disposer à son gré d'Antipater;
le roi se hâte de profiter de la permission, d'autant plus qu'il a
appris qu'Antipater cherche à corrompre son geôlier pour recouvrer sa
liberté et, à la fin prochaine de son père, s'emparer du pouvoir:
Hérode fait donc tuer Antipater. Il meurt lui-même à Jérico avant la
Pâque de l'an 4 av. J.-C, et il est enterré en grande pompe dans la
forteresse d'Hérodeïon, à 3 lieues au Sud de Jérusalem. (Sur
Hérodeïon, voir plus loin, parag. 9, 3° et 5°.)
3.
Au lendemain de la mort d'Hérode.
1° CE QUI SE PASSE EN PALESTINE.
Pour entrer en vigueur, le testament d'Hérode devait être ratifié par
l'empereur; néanmoins, Archélaüs agit en roi; bien qu'ayant fait au
peuple les plus généreuses promesses, il fut obligé d'user de mesures
cruelles pour ramener la paix, ce qui lui fit perdre sa popularité
naissante. Alors se déchaîna ce qu'on appelle la guerre de Varus:
elle fut provoquée par les exactions du trésorier d'Auguste, envoyé
dans le pays pour confisquer les trésors d'Hérode; ce Sabinus se vit
bientôt assiégé dans le palais d'Hérode; il appela à son secours
Varus qui, après avoir soumis à son autorité le reste du pays,
réussit sans trop de peine à terminer la campagne par la prise de
Jérusalem. Il fit rechercher les véritables auteurs du soulèvement;
les plus compromis, au
nombre de 2.000, furent mis en croix, les autres gardés en
prison. Quant à Sabinus, qui avait mauvaise conscience, il prit soin,
avant l'arrivée de Varus, de quitter Jérusalem.
2° CE QUI SE PASSE A ROME.
Archélaüs, Antipas et Philippe sollicitent de l'empereur la
validation du testament de leur père, en vertu duquel Archélaüs
obtiendrait la couronne royale avec la Judée, la Samarie et l'Idumée;
Antipas, la Galilée et la Pérée; Philippe, la Batanée, l'Auranitide
et la Trachonite. Après de longues et violentes discussions, deux
comparutions devant l'empereur et un temps de réflexion, Auguste fit
connaître sa décision: le testament, tel que nous venons d'en
déterminer les dispositions essentielles, était confirmé; mais aucun
des trois prétendants ne recevait la couronne royale: Archélaüs
devenait ethnarque; ses deux frères, tétrarques; les revenus du
premier étaient de 600 talents, ceux du second de 200 et ceux du
troisième de 100 talents. Les villes de Gaza, Gadara et Hippos
étaient enlevées à Archélaüs et jointes à la province de Syrie. Il
faut mettre ici en évidence un fait d'une importance capitale:
l'arrivée à Rome, sans doute entre les deux séances, d'une ambassade
des Juifs, venus, avec l'autorisation de Varus, pour demander à
l'empereur de les délivrer de tous les princes de la famille
d'Hérode, contre lesquels ils prononcent un réquisitoire fortement
motivé, et de bien vouloir les faire administrer par un gouverneur
particulier, rattaché à la province de Syrie; ils ne désirent qu'une
chose: l'autonomie religieuse. C'est le point de vue des pharisiens,
c'est-à-dire la prédominance des intérêts spirituels sur les intérêts
civils, la possibilité de vivre conformément à leurs propres lois.
D'après Josèphe, huit mille Juifs de Rome appuyèrent cette démarche.
4.
Les fils d'Hérode.
1° ARCHELAÜS.
Il avait été élevé à Rome; il reçut, au moment de sa comparution
devant l'empereur, le conseil de se comporter avec douceur dans ses
relations avec ses administrés; ethnarque (ce titre désignait un
prince d'un rang plus élevé que le tétrarque), il recevrait la
couronne royale, s'il savait s'en montrer digne. Il ne put, ni ne
voulut le faire. Il paraît cependant avoir respecté les scrupules de
ses administrés, en ne faisant pas frapper de monnaies portant des
images choquantes pour la piété des Juifs. Il donna aussi, grâce à la
construction d'un aqueduc, un grand développement aux plantations de
palmiers qui constituaient une des richesses de Jérico. Comme il
avait traité les Juifs et les Samaritains avec une égale cruauté, ses
ennemis héréditaires s'unirent pour l'accuser auprès d'Auguste.
N'ayant pu se justifier des accusations portées contre lui, il fut
envoyé en exil en Gaule (6 ap. J.-C). Il est certain que sa cruauté
fut le principal motif de cette sentence; on peut supposer, d'après
un passage de l'historien Dion Cassius, qu'il aura manqué de la
souplesse qui distinguait ses frères, dont nous allons parler.
Lui-même, aussi bien que sa femme Glaphyra, fut averti en songe de la
destinée qui les attendait. Réduit en province romaine, son
territoire fut désormais géré par des procurateurs, et sa fortune fut
confisquée.
2° PHILIPPE (de 4 av. J.-C, à 34 ap. J.-C).
A la suite des calomnies d'Antipater, il avait été complètement
déshérité par un précédent testament de son père Hérode, et c'est
seulement dans le dernier qu'il obtenait les territoires qui lui
furent dévolus par Auguste. Il pouvait, vis-à-vis de ses frères, se
vanter de la pureté de sa descendance: tandis qu'ils étaient fils
d'une Samaritaine, lui-même l'était d'une femme juive de Jérusalem.
Il éleva, ou plutôt réédifia en l'embellissant, la ville de Panéas,
qu'en l'honneur d'Auguste il nomma Césarée ou Césarée-Sébaste: c'est
la Césarée de Philippe de nos évangiles (Mt 16:13,Mr 8:27). Il
fit de même pour
Bethsaïda, bourgade de la basse Gaulanitide, non loin de
l'embouchure du Jourdain dans le lac de Génézareth, sur la rive
orientale du fleuve; il lui donna le nom de Julias, en l'honneur de
Julie, fille d'Auguste; c'est la ville de Philippe, d'André et de
Pierre, apôtres. Ce que nous savons encore de lui est tout à son
honneur; il menait un genre de vie mesuré et tranquille; il passait
sa vie dans ses États, d'où il ne sortait guère. Quand il se
produisait en public, il ne se faisait entourer que d'une petite
troupe de soldats d'élite, tant il avait confiance dans le respect et
l'affection de ses administrés. Et de plus, dans ses voyages, il
était accompagné de son siège de juge que l'on dressait partout où
cela était nécessaire: il pouvait ainsi rendre la justice, sans faire
perdre de temps aux plaignants. Nous savons peu de chose de sa vie de
famille: il avait épouse sa nièce, fille de son frère Hérode et
d'Hérodiade, cette Salomé qui dansa lors du festin qu'Hérode Antipas
donna au jour anniversaire de sa naissance, festin qui se termina par
la mort du Baptiste (Mt 14:6,Mr 6:22). Ses funérailles furent
magnifiques; il fut enseveli dans un sépulcre préparé d'avance par
ses soins à Bethsaïda Julias. Les monnaies frappées par lui sont
toutes païennes d'aspect; au dire des numismates, elles furent les
premières monnaies juives à porter une tête humaine, celle de
l'empereur; au revers, elles ont toutes l'image d'un temple
tétrastyle.
3° HERODE ANTIPAS (de 4 av. J.-C, à 39 ap. J.-C).
Celui-ci, ainsi que son frère Philippe, paraît avoir abandonné son
frère Archélaüs dans les circonstances relatées plus haut et montré
vis-à-vis du pouvoir romain une obséquiosité satisfaisante; aussi
put-il conserver ses États tandis qu'Archélaüs les perdait. Celle de
ses constructions qui intéresse le plus le lecteur du N.T. est
Tibériade, dont la situation était fort remarquable; les Juifs
fidèles n'eurent pendant longtemps que de la répugnance pour elle,
parce qu'elle était bâtie sur des tombeaux; aussi, pour peupler la
ville nouvelle, appelée du nom de Tibériade pour honorer l'empereur
Tibère, fallut-il avoir recours à la violence. Il avait épousé la
fille du roi des Arabes Arétas IV (2Co 11:32,Ac 9:24 et suivant)
Rencontrant Hérodiade, il conçut pour elle une vive passion; elle
était la femme de son frère Hérode, simple particulier qui avait été
rayé du testament de son père à la suite de la découverte d'un
complot auquel avait pris part sa mère Mariamme, fille du
grand-prêtre. Hérodiade accueillit ses ouvertures; ils convinrent
entre eux qu'elle irait habiter avec Hérode Antipas dès qu'il serait
de retour de Rome. Son épouse légitime ayant eu vent de la trahison
de son mari, se fit conduire à Machéronte, forteresse à l'Est de la
mer Morte; de là, elle se retira auprès de son père.
Cette union fut pour Antipas une source de malheurs. Elle
scandalisait ses sujets parce que contraire à la loi: il y avait, en
effet, double adultère. En outre, Hérodiade était tout à la fois sa
belle-soeur comme femme de son frère, et sa nièce comme fille de son
autre frère Aristobule, ce fils d'Hérode le Grand et de Mariamme, qui
avait été mis à mort avec son frère Alexandre, comme il a été dit
plus haut. Sur la mort de Jean-Baptiste, Josèphe (Ant., XVIII,
116-119) fournit des renseignements précieux, que voici en résumé:
parlant de la défaite essuyée par les troupes d'Antipas auquel Arétas
avait déclaré la guerre pour venger l'honneur de sa fille, outragée
par la répudiation dont elle avait été la victime, Josèphe expose
que, «à quelques-uns des Juifs, il paraissait que cette défaite
devait être expliquée comme une punition méritée, en expiation du
meurtre de Jean, surnommé le Baptiste. C'était un homme de bien qui
exhortait les hommes à la vertu et au baptême, envisagé non pas comme
un moyen de détourner de soi-même un châtiment, mais d'obtenir (ou de
produire) la pureté du corps, attendu que leur âme avait été
précédemment purifiée par la justice. Le grand succès que remportent
les prédications de Jean fait craindre que, par ces discours mêmes,
ils ne soient entraînés à quelque rébellion; c'est à cause de ces
appréhensions que Jean est d'abord jeté dans la prison de Machéronte,
puis mis à mort. L'opinion des Juifs était que la destruction qui
avait anéanti son armée n'était pas autre chose qu'un châtiment qui
lui avait été infligé par Dieu qui avait voulu par là le rendre
malheureux» (Jos., Ant., XVIII, 116ss). L'authenticité de ce
passage a été contestée; on y a vu une interpolation due à une main
chrétienne. L'historien juif Simon Dubnow croit, au contraire, que
ces lignes sont de la main de Josèphe, et il a certainement raison.
Nous trouvons donc, dans Josèphe, des renseignements d'une réelle
valeur; Jean avait acquis sur le peuple une autorité extraordinaire,
aussi bien par ses prédications qui attiraient les foules que par la
sainteté de sa vie; l'influence qu'il exerçait sur les masses
populaires était telle que le tétrarque ne tarda pas à en prendre
ombrage; il craignit enfin que cet enthousiasme ne devînt le point de
départ d'un soulèvement préjudiciable à la paix de l'Etat; aussi,
avant qu'il fût trop tard, fit-il mourir à Machéronte le prédicateur
redouté. La grande popularité de Jean est attestée par nos
évangiles (Mr 1:5 11:27,33). Jean fut jeté en prison par Hérode:
«Mais Hérode le tétrarque, étant repris par Jean au sujet
d'Hérodiade, femme de son frère, et de tous les autres crimes qu'il
avait commis, ajouta encore à tous les autres celui de faire jeter
Jean en prison» (Lu 3:19 et suivant). «Jean lui disait: Il ne
t'est pas permis de prendre la femme de ton frère» (Mr 6:18).
Les deux récits que nous possédons de sa mort se lisent Mt
14:1-12,Mr 6:21-29. D'après les renseignements de Josèphe, c'est à
Machéronte qu'il aurait été mis à mort (voir Rev. Bbl. 1909, pp.
386SS, art. de F.-M. Abel). Cette ville, couronnée d'une forteresse,
est pour Josèphe l'extrémité méridionale de la Pérée; il en fait une
description détaillée (G.]., VIII, 66ss); à ses yeux sa situation
naturelle comme l'industrie des hommes en ont fait une forteresse
imprenable; elle domine de plus de 1.100 m. les eaux de la mer Morte,
que l'on aperçoit à une dizaine de km. à vol d'oiseau. Machéronte fut
détruite une première fois par Gabinius, lors de la venue de Pompée
en Palestine. Reconstruite par les soins d'Hérode, elle devait tomber
au pouvoir des Romains lors de la dernière guerre (voir plus loin, 9,
5°). Antipas apparaît encore dans deux passages des évangile: Lu
13:31-33 23:1-16 (voir Jésus-Christ); bornons-nous à rappeler ici
que si Jésus l'appelle un «renard», c'est à cause de sa ruse et de sa
cruauté. Voici les derniers renseignements que nous possédons à son
sujet (Jos., Ant., XVIII, 240SS): l'ambition d'Hérodiade
l'empêcha de passer dans le calme les dernières années de sa vie; son
frère Agrippa I er étant devenu roi, elle aurait aimé voir son mari
porter la couronne royale; elle chercha à le persuader d'aller
mendier auprès de Caligula cette dignité ardemment convoitée. Pour
tâcher de l'y décider, elle excita sa jalousie: si César avait fait
d'un simple particulier un roi, hésiterait-il à donner le même titre
à un tétrarque? A ces assauts réitérés, Antipas opposait son désir de
repos et sa méfiance de Rome, qu'il connaissait pour y avoir vécu
dans sa jeunesse et y être retourné à maintes reprises; mais il finit
par céder aux objurgations de sa femme. Comparaissant devant
l'empereur, il fut accusé par un messager qu'Agrippa avait dépêché à
Rome, d'avoir, au temps de Tibère, été en relations avec Séjan et
plus récemment avec Artaban, roi des Parthes; cette dernière
assertion était appuyée par l'affirmation qu'Antipas avait préparé
des armements considérables, ce qui faisait supposer en lui des
intentions guerrières. Au lieu d'obtenir la dignité royale, Antipas
fut condamné à l'exil; alors se passa une scène d'une incontestable
grandeur: Caligula voulait laisser à Hérodiade la libre disposition
de sa fortune personnelle et, supposant qu'elle ne serait pas
disposée à partager le malheur de son époux, la remettre à la garde
de son frère. Elle lui répondit: «Certes, toi, empereur, c'est avec
magnanimité et comme il convient à ta race que tu viens de parler; il
y a quelque chose qui m'empêche de jouir de la faveur de ton présent,
c'est l'amour que j'ai pour mon mari; il ne serait pas juste que
celle qui fut sa compagne dans le bonheur l'abandonnât dans le
malheur.» L'empereur, âme vile s'il en fut jamais et perdu de vices
et de crimes, n'était certes pas capable de comprendre la noblesse
d'une telle attitude; il l'envoya donc, elle aussi, en exil avec
Hérode et fit présent de sa fortune à Agrippa. Ils moururent, soit en
Espagne (d'après G.J.), soit à Lyon, ville des Gaules (d'après Ant.)
5.
Les procurateurs romains (6-41 ap. J.-C).
Pour la détermination exacte de leurs pouvoirs, voir Gouverneur,
Archélaüs ayant été déposé en 6 ap, J.-C, la Judée et la Samarie
furent, dès cette date, administrées par Rome; il en fut de même de
la tétrarchie de Philippe, de 34 à 37, c-à-d, de la mort de Philippe
jusqu'au moment où Caligula fit présent de cette tétrarchie à
Agrippa. Quant à celle d'Antipas, elle passa directement des mains du
prince envoyé en exil à celles de son accusateur Agrippa. Voici les
noms des procurateurs: Coponius, Marcus Ambibulus, Annius Rufus,
Valerius Gratus, Ponce Pilate, Marcellus, Marullus. Ils ne restèrent
pas longtemps en fonction, à l'exception de Valerius Gratus et de
Ponce Pilate, qui furent envoyés dans leur province par Tibère;
c'était un procédé dont celui-ci usait souvent, de conserver
longtemps aux mêmes fonctionnaires la charge d'administrer les
provinces, pour éviter qu'elles ne fussent pressurées à nouveau par
un autre gouverneur.
1° PONCE PILATE (26-36 ap. J.-C).
Tacite écrit, parlant de l'incendie de Rome dont on accusa les
chrétiens (Ann., XV, 44): «Ce nom leur vient du Christ qui, sous
le règne de Tibère, fut condamné au supplice par le procurateur Ponce
Pilate» (voir Rome). Le philosophe Philon, dans une lettre qu'il
aurait écrite à Hérode Agrippa II, déclare que Pilate était d'un
caractère indomptable et d'une dureté sans égard pour personne, et,
quant à son gouvernement, il lui reproche sa vénalité, sa violence,
ses pillages, les mauvais traitements qu'il faisait subir à ses
administrés, ses vexations, ses exécutions capitales continuelles et
prononcées sans jugement régulier, ses cruautés sans fin et
insupportables.--L'affaire des aigles. Les procurateurs qui
avaient précédé Pilate, voulant ménager les scrupules religieux des
Juifs, avaient évité d'introduire dans Jérusalem les enseignes qui,
surmontées d'un aigle, symbole de la puissance romaine, et ornées du
médaillon de l'empereur (personnage divin), étaient particulièrement
odieuses aux Juifs. Pilate, à la faveur de la nuit, les introduisit
dans la ville. Le peuple ameuté se précipita à Césarée pour supplier
Pilate de faire cesser ce scandale, se déclarant prêt à mourir plutôt
qu'à subir un pareil outrage; Pilate céda.--Le pillage du trésor du
temple et la construction de l'aqueduc. Un peu plus tard, nouvelle
émeute. Pilate pilla le trésor sacré et, à l'aide des sommes d'argent
ainsi acquises, il amena l'eau à Jérusalem. Pour calmer le peuple,
violemment irrité de cette profanation, il envoya ses soldats qui,
déguisés en simples particuliers et armés de gourdins, se
dispersèrent dans la foule; comme elle refusait d'obéir et de se
retirer, elle fut frappée à coups de bâtons. Ce n'est que par ces
cruautés qu'elle fut réduite au silence.--Les Galiléens
massacrés. Ce fait ne nous est connu que par Lu 13:1. Mais
nous savons que, lors des discussions qui eurent lieu à Rome à
l'occasion de la demande que firent les fils d'Hérode pour obtenir
l'investiture du testament de leur père, on reproche à Archélaüs
d'avoir fait massacrer autour du temple un grand nombre de Juifs
venus pour la fête et qui furent immolés de la façon la plus barbare
au moment où eux-mêmes allaient offrir leurs sacrifices. Les
Galiléens avaient, il est vrai, un fort penchant aux séditions, et
Pilate était aussi violent que cruel.--Les boucliers dorés. Dans
une oeuvre historique perdue en partie, Philon racontait comment les
persécuteurs des Juifs avaient péri de mort violente. (Ce thème
devait être plus tard repris. par l'orateur chrétien Lactance, vers
312, dans son «Au sujet des morts des persécuteurs».) Dans ce traité,
il raconte que Pilate avait fait placer aux murs de sa demeure à
Jérusalem (l'ancien palais d'Hérode) des boucliers richement dorés
portant le nom de l'empereur. Le peuple en conçut une vive irritation
et, comme Pilate refusait obstinément d'éloigner ces objets de
scandale, quelques personnages haut placés et quatre des fils
d'Hérode intervinrent auprès de lui, mais sans succès. Ils
s'adressèrent à l'empereur Tibère qui, discernant les vrais mobiles
de Pilate, donna l'ordre d'enlever ces boucliers et de les suspendre
à Césarée dans le temple d'Auguste. Malheureusement, la date de cet
événement n'est pas connue, parce qu'elle n'est pas fixée par Philon,
mais les savants croient pouvoir la placer à une époque tardive de
l'administration de Pilate. S'il en est réellement ainsi, nous
aurions l'explication de ce que Luc dit (Lu 23:12) de l'inimitié de
Pilate et d'Hérode, qui aura pris naissance à propos de la
participation d'Hérode Antipas à l'ambassade auprès de Tibère; elle
cessa lors du procès de Jésus, Et si Pilate (voir Jésus-Christ)
hésite aussi longtemps à condamner le Christ, c'est qu'il voudrait
refuser aux Juifs ce qu'ils lui demandent, afin de ne pas faire
plaisir à ceux qui l'ont accusé auprès de l'empereur; lorsqu'il finit
par céder, aux cris de la foule disant: «Si tu le relâches, tu n'es
pas l'ami de César! Quiconque se fait roi se déclare contre
César!» (Jn 19:12), c'est parce qu'il y entend, nettement
exprimé, le grief que les Juifs porteront à Rome contre lui s'ils
vont de nouveau s'y plaindre comme ils l'ont déjà fait.--Le
massacre des Samaritains et la déposition de Pilate. Un faux
prophète avait engagé les Samaritains à monter avec lui sur le mont
Garizim et leur avait promis qu'il leur montrerait les vases sacrés
enfouis par Moïse. A sa voix, ils se rassemblèrent dans une bourgade,
Tirathana, quand une armée de soldats romains, sur l'ordre de Pilate,
fit un massacre de ces malheureux, tandis que d'autres furent mis en
fuite ou emmenés en captivité. Sur plainte portée devant Vitellius,
légat de Syrie, Pilate fut envoyé à Rome pour se justifier: le
gouverneur resta fort longtemps en voyage, près d'un an! Quand il
parvint à Rome, Tibère était mort et l'affaire n'eut pas de suite. On
croit que Pilate mourut de mort violente; Eusèbe affirme qu'il se
serait suicidé. La légende s'est beaucoup occupée de lui: comme son
corps semait partout la terreur, il aurait été transporté à Vienne en
Gaule, puis à Lausanne, d'où il aurait été emmené jusque dans le
voisinage de Lucerne; de là le nom du mont Pilate.
6.
Les troubles sous Caligula.
Le pays jouit d'un peu de calme pendant un certain temps. Vitellius,
père du futur empereur, légat propréteur de Syrie (35-39 ap. J.-C),
vint à deux reprises à Jérusalem et y fit preuve de dispositions
bienveillantes envers les Juifs. Il eut pour successeur Pétrone, qui
administra la Syrie de 39 à 42 environ. (Il ne faut pas le confondre
avec le Romain du même nom qui vivait à la cour de Néron et qui était
appelé par lui «arbitre des élégances».) La ville de Jamnia (voir
Jabné) était alors peuplée en majorité de Juifs; leurs concitoyens
païens, autant pour les irriter que pour faire preuve de dévotion à
l'empereur, lui élevèrent un autel, que les Juifs s'empressèrent de
renverser. Pour tirer une éclatante vengeance de ceux-ci, Caligula
donne l'ordre d'ériger sa statue dans le temple de Jérusalem: cet
ordre doit s'exécuter avec le secours de l'armée. Les Juifs opposent
à cette odieuse profanation une résistance acharnée. Comprenant à
quel point il lui sera difficile, sinon impossible, de vaincre cette
violente résistance, Pétrone cherche à gagner du temps: la
préparation de la statue doit être faite avec tant de soin qu'il
faudra bien des jours pour l'achever; ensuite, l'époque, celle des
récoltes, est défavorable. Caligula cède quand Pétrone lui écrit pour
solliciter un délai; puis il se ravise; il exige que la statue soit
dressée. Hérode Agrippa 1 er intervient et réussit à obtenir de
l'empereur qu'il renonce à son projet. Sur une nouvelle démarche de
Pétrone, la colère de Caligula s'enflamme; ordre est envoyé au
magistrat de se donner la mort. Les messagers, arrêtés par la
tempête, arrivèrent en Palestine après que d'autres messagers eurent
apporté la nouvelle de la mort de Caligula, assassiné le 24 janv. 41.
7.
Hérode Agrippa I er et ses enfants.
1° HERODE AGRIPPA I er.
Celui-ci était né en 10 av. J.-C, car c'est à 54 ans qu'il mourut, en
44 ap. J.-C. Il avait passé dix ans à Rome pour son éducation. Aussi
longtemps que vécut sa mère, il dissimula ses penchants à la
dissipation, dans la crainte d'attirer sur lui sa colère; mais, après
sa mort, il dépensa sa fortune en prodigalités et en largesses de
tous genres, si bien qu'en peu de temps il fut réduit à la gêne: ce
qui l'empêcha de vivre à Rome. Il épousa une noble femme, Cypros, sa
cousine germaine, fille d'un frère aîné de son père. Il revint en
Palestine; sur l'intervention de sa femme, il obtint d'Hérode
Antipas, son beau-frère parce qu'époux de sa soeur, la place
d'intendant du marché de Tibériade. Malheureusement, tous les deux
étaient grands buveurs et, dans la chaleur d'une dispute, ils en
vinrent aux insultes et se séparèrent. Perdu de dettes, à bout
d'expédients, poursuivi par ses créanciers, roulant dans sa tête des
pensées de suicide, il finit par échouer à Rome et, grâce à la
protection d'Antonia, mère du futur empereur Claude, qui avait été
l'amie de sa mère, il reçut de Tibère la charge d'éducateur de son
petit-fils nommé Tiberius Gemellus. Il s'attacha davantage encore au
petit-fils de sa bienfaitrice, le futur empereur Caligula. Le chemin
des honneurs semblait définitivement ouvert devant lui, quand une
imprudence de langage le fit jeter en prison: il se laissa aller,
devant son domestique, à des paroles regrettables par lesquelles il
souhaitait la mort prochaine de «ce vieillard» (Tibère), mort qui
mettrait Caligula (proche de lui quand il parlait) en possession de
l'empire du monde. Dénoncé, il fut jeté en prison. La rigueur de sa
captivité fut adoucie par les attentions de Caligula qui, devenu
empereur par la mort de Tibère (16 mars 37), s'empressa de faire
sortir de prison son ami et lui remit une chaîne d'or, en souvenir de
la chaîne de fer qu'il avait portée dans sa prison: de cette chaîne,
Agrippa fit hommage au Dieu des Juifs, en la faisant placer comme une
pieuse offrande dans le temple de Jérusalem. Il est roi et reçoit peu
à peu tous les territoires qui avaient autrefois formé le royaume de
son grand-père, Hérode le Grand. Lorsque Caligula tomba sous les
coups d'un assassin, Agrippa se souvint des bontés du défunt envers
lui et lui rendit les premiers honneurs funèbres. S'il faut en croire
Josèphe, il aurait joué un rôle considérable au moment de l'avènement
de Claude, en s'entremettant entre le Sénat et ce dernier,
intervention dont l'empereur le récompensa largement. Son pharisaïsme
était finesse politique plutôt que conviction sincère, mais, ainsi
que l'écrit J. Derenbourg (Essai sur l'Histoire et la Géographie de
la Palestine): «Le bonheur inattendu de sa situation paraît avoir
affermi et corrigé un peu le caractère léger du roi...Cypros paraît
avoir été...favorable aux pharisiens et a sans doute engagé Agrippa à
une certaine déférence envers ce parti.» C'est aussi à l'influence de
sa femme que le même auteur attribue le changement notable que nous
voyons s'accomplir dans son attitude. Il fut généreux et habile;
Josèphe vante la douceur de son caractère et sa libéralité; il en
donne pour preuve la reconnaissance qu'il montra envers ceux qui
avaient été bons pour lui durant ses années de misère. De plus, il
intervint, de concert avec son frère Hérode de Chalcis (non mentionné
dans le N.T.), en faveur des Juifs d'Alexandrie, et, d'une manière
générale, de ceux de tout l'empire. Gallion, le proconsul d'Achaïe,
obéit aux directives de l'empereur Claude, influencé par Hérode
Agrippa, quand il refusa d'intervenir dans les querelles intestines
des Juifs de Corinthe (Ac 18:12,17). C'est sous la protection de
cette tolérance relative que Paul a pu exercer son ministère sans
être moleste plus qu'il ne le fut par les autorités romaines. Agrippa
prit deux initiatives intelligentes:
1° Il ordonna la construction, au Nord de Jérusalem,
d'un mur qui entourait le quartier nommé Bézétha ou nouvelle ville;
c'est de ce côté que la cité pouvait être prise le plus facilement.
Dut-il interrompre ce travail sur l'ordre de Rome ou le fit-il de son
propre gré? Nos sources ne sont pas d'accord sur ce point. (Voir
Jérusalem [murs et portes], et la pl. VII)
2° Il tenta de se rapprocher des autres rois ses
voisins, comme lui vassaux de Rome. Il les avait reçus chez lui,
quand le légat de Syrie leur enjoignit de retourner chez eux: une
entente s'établissant entre ces princes pouvait en effet constituer
un danger pour Rome. Dans le N.T., il apparaît comme persécuteur de
la jeune Église, faisant périr Jacques «frère de Jean» et mettre en
prison Pierre, que la puissance de Dieu délivra au dernier
moment (Ac 12:1,19). Le récit de sa mort se lit dans Ac
12:20-25 et dans Ant., XIX, 343SS; les traits essentiels se
retrouvent dans les deux narrations: l'habit magnifique, les
acclamations flatteuses, une assemblée solennelle, une mort violente.
Si Josèphe ne dit rien de l'hostilité de Tyr et de Sidon, ni du rôle
de Blastus, le chambellan, il ajoute: «le roi ne réprima pas leurs
propos et ne repoussa pas leurs flatteries impies», et il relève ce
détail que le roi souffrait de douleurs abdominales.
En mourant, il laissait 4 enfants: Agrippa II, Bérénice,
Mariamme, Drusille. Mariamme nous est peu connue et ne figure pas
dans le N.T.
2° AGRIPPA II
était trop jeune pour succéder à son père, au
dire des conseillers de Claude qui détournèrent l'empereur de son
dessein de lui confier le gouvernement de la Judée. Il reçut le
royaume de son oncle (celui du Liban), puis l'échangea contre la
tétrarchie de Philippe et celle de Lysanias, auxquelles il put
joindre plus tard certaines parties de la Galilée. Sa résidence était
Césarée de Philippe (voir art.) qu'il nomma Neronias pour honorer
l'empereur. Au début de la guerre (voir plus loin, parag. 9), il
chercha à amener les Juifs à renoncer à leur projet de révolte contre
Rome; Bérénice se joignit à lui dans cette tentative qui n'eut aucun
succès. Dès lors il se mit du côté de Rome. Sa vie privée fut
coupable; Juvénal nous a conservé le souvenir de l'accusation
d'inceste que l'on portait contre lui et sa soeur Bérénice (voir ce
mot). Du haut de son palais de Jérusalem, il s'amusait à suivre les
cérémonies religieuses qui se déroulaient dans le temple; pour se
débarrasser de cette curiosité déplacée, les prêtres avaient fait
élever un mur, dont Agrippa leur avait demandé en vain la
suppression. L'affaire fut portée à Rome; mais, grâce à l'appui de
l'impératrice Poppée, favorable au judaïsme, les Juifs eurent gain de
cause. Du reste, son intérêt pour le peuple se montra par
l'importance qu'il attachait à des choses sans valeur réelle. Ac
25:13 et suivant nous raconte que, venant à Césarée pour saluer
Festus, il prit part à l'assemblée solennelle devant laquelle Paul
fut appelé à présenter sa défense (Ac 26:1-32). C'est lui qui
donne la parole à Paul et lui que l'apôtre interpelle. Il est souvent
à Rome, par ex. en 75 ap. J.-C, alors que, grâce à l'amour qu'elle
avait inspiré à Titus, Bérénice faillit devenir impératrice. Il
mourut en 100 ap. J.-C.
8.
Les procurateurs romains de 44 à 66 ap. J.-C.
-Sous CUSPIUS FADUS (44-?) eurent lieu de violents débats au sujet de
la garde des vêtements du grand-prêtre, que Cuspius aurait voulu
enlever aux prêtres, mais qui finalement leur resta, en vertu d'une
décision de Rome.
-Sous TIBERE ALEXANDRE, Juif renégat, neveu de Philon, on
crucifia les fils de Judas le Galiléen, dans la crainte qu'ils ne
fomentassent la révolte comme l'avait fait leur père (Ac 5:37).
-A VENTIDIUS CUMANUS appartient le triste honneur d'ouvrir la série
des procurateurs dont la brutalité et la cruauté devaient fatalement
pousser les Juifs à la révolte de l'an 66.
-ANTONIUS FELIX (52-60). Tacite dit de lui: «Il exerça, avec les
instincts d'un esclave et au milieu de tous les vices et de toutes
les cruautés, la puissance d'un roi» (Hist., V, 9) et «il
croyait, grâce à l'appui de Pallas, que l'impunité serait acquise à
ses crimes» (Ann., XII, 54). Nombreuses furent les causes de
troubles: d'abord les abominations des sicaires ou brigands qui
poignardaient secrètement leurs ennemis; les zélotes (voir ce mot)
commencèrent la guerre civile; les faux prophètes troublaient les
esprits; de violentes discordes s'élevaient entre Juifs et païens au
sujet de l'égalité des droits des citoyens dans des villes comme
Césarée. Ajoutons que son mariage avec une princesse juive, Drusille
(voir ce mot), fut un effroyable scandale: les deux époux étaient
mariés, et c'est sur ce double adultère que se fonda leur union. Sur
les relations de Paul avec Félix, cf. Ac 23:23-24:27.
-PORCIUS FESTUS (40-42) trouva le pays bouleversé par les brigands
qui incendiaient et pillaient tous les villages; il intervint
énergiquement, mais sans réussir à mettre fin à ces désordres; il
mourut en charge. Sur les relations de Paul avec lui, cf. Ac
24:27-26:32. C'est entre la mort de Festus et l'arrivée de son
successeur qu'on mit à mort Jacques, frère du Seigneur (voir Jacques,
parag. 3).
-L'administration d'ALBINUS (62-64) est dépeinte par Josèphe de la
manière suivante: «Il n'y a pas un genre de scélératesse qu'il n'ait
pratiqué; il vola et pilla les biens des particuliers, accabla de
contributions extraordinaires toute la nation; ceux qui avaient été
jetés en prison pouvaient, moyennant rançon payée par leurs parents,
être délivrés de la prison, et nul n'était criminel que celui qui
n'avait rien à donner.»
-GESSIUS FLORUS (64-66). «La patience...resta aux Juifs jusqu'à
Gessius Florus; c'est pendant qu'il était en charge que la guerre
éclata» (Tac, Hist., V, 10). Il fut d'une insatiable cupidité; il
ne fit rien pour secourir les Juifs de Césarée, molestés par leurs
compatriotes païens; il pilla le trésor du temple: cet acte provoqua
un soulèvement populaire qui fut étouffé dans le sang; en vain
Bérénice supplia-t-elle Florus de faire arrêter le carnage; les
soldats étaient si irrités qu'ils tuèrent sous ses yeux leurs
captifs, et ce fut la guerre. Josèphe détermine la date précise de
cet événement: 3 juin 66.
9.
La guerre des Juifs contre Rome (66-70).
1° DEBUTS DE LA GUERRE.
Un affront, fait par les soldats aux Juifs, provoqua des combats dans
les rues de Jérusalem et une sanglante répression par Florus; les
Juifs coupèrent les portiques qui reliaient le temple a la
forteresse: les Romains ne pouvaient plus intervenir rapidement dans
les parvis en cas de troubles. (cf. Ac 21:34,37 22:24) Incapable
de rétablir l'ordre, Florus se retira et Cestius Gallus intervint, en
sa qualité de légat de Syrie. Profitant de dispositions plus
conciliantes du peuple, Agrippa chercha à le détourner de la révolte
et, pour y réussir, il lui adressa, sur le Xyste (voir ce mot), place
publique devant le palais des Hasmonéens, un discours où il exposait
combien cette guerre était une folie, puisque la puissance militaire
de Rome était invincible; Th. Reinach tient ce discours pour le plus
remarquable dans l'oeuvre de Josèphe (G.J., II, 345SS), à la fois
par l'habile rhétorique et par l'abondance et la précision des
renseignements concernant l'empire romain et en particulier son
organisation militaire. Le peuple semble touché, mais refuse de se
soumettre à Florus. Les Juifs eux-mêmes sont divisés en partisans et
adversaires de la paix; parmi ces derniers se distinguent des groupes
plus ou moins violents. Cestius Gallus entre en campagne avec son
armée: il est battu et meurt peu après. Néron envoie Vespasien pour
le remplacer.
2° CAMPAGNE DE GALILEE.
Pendant ce temps, dans les villes frontières, il y avait entre Juifs
et païens des luttes sanglantes accompagnées de massacres effrayants
par leur nombre et leurs cruautés. Aussi les Juifs se virent-ils
forcés d'organiser la résistance: celle de la Galilée fut confiée à
l'historien Josèphe; choix malencontreux, car, ayant vécu à Rome,
celui-ci était en secret ami des Romains, convaincu de leur force, et
en outre totalement dépourvu de talents militaires. Il n'en vante pas
moins ses prodiges de vaillance et d'ingéniosité dans la forteresse
de Jotapata (Djéfat), qui succomba fin juin 67; Josèphe lui-même
fut fait prisonnier. Amené devant Vespasien, il lui aurait dit: «Tu
seras César...Tu n'es pas seulement mon maître, tu es celui de la
terre, de la mer et de toute l'humanité.» Aussi fut-il l'objet de la
bienveillance du général. Suétone fait allusion à cette prophétie. A
la tête d'une armée évaluée à 60.000 hommes, Vespasien avait commencé
à exécuter son plan de campagne: attaquer l'ennemi par le N. (la
Galilée) avant de l'écraser à Jérusalem.
3° AVANT LE SIEGE.
Jean de Giscala, le zélote qui commandait à Jérusalem, y est bientôt
rejoint par Simon Bar Giora, zélote lui aussi, tous deux partisans de
la guerre à outrance; ils vont rivaliser entre eux de violence, pour
se disputer le pouvoir, en attendant qu'un troisième parti, celui
d'Eléazar, fils de Simon, vienne encore augmenter le désordre. Après
la Galilée, c'est la Pérée que soumettent les Romains: avec
Jérusalem, seules trois forteresses tiennent encore: Hérodeïon (N. de
Thékoa et S.-E, de Bethléhem), Masada (O. de la mer Morte) et
Machéronte (S. de Callirhoé et E. de la mer Morte); elles ne sont pas
mentionnées dans la Bible. Les nouvelles reçues de Rome amenèrent
Vespasien à suspendre les opérations militaires. Néron avait été
assassiné (9 juin 68 ap. J.-C); Galba s'était proclamé empereur;
puis, à sa mort, Othon avait été désigné par le Sénat; les légions
d'Occident avaient acclamé Vitellius; alors les légions d'Orient,
jalouses de cette prétention, saluèrent Vespasien du titre d'imperator ;
il fut reconnu comme tel d'abord par l'Egypte, puis
par tout l'Orient, en attendant que la mort de Vitellius le fît seul
maître du monde (20 déc. 69 ap. J.-C). Il remit à son fils Titus, âgé
de 28 ans, le commandement des troupes romaines. Au printemps, Titus
fit voile d'Alexandrie à Césarée; il atteignit Jérusalem peu avant la
Pâque en l'an 70. C'est à ce moment-là qu'au dire d'Eusèbe
(H.E., III, 5:2 - 3), les chrétiens quittèrent Jérusalem, avertis comme
ils l'avaient été par les prophéties de Jésus (Lu 19:41-44
21:20-24). «Le peuple de l'Église de Jérusalem, grâce à une
prophétie qui avait été révélée aux hommes notables qui s'y
trouvaient, reçut l'avertissement de quitter la ville avant la guerre
et d'aller habiter une certaine ville de Pérée que l'on nomme Pella.
C'est là que se retirèrent les fidèles du Christ, sortis de
Jérusalem. Ainsi la métropole des Juifs et tout le pays de Judée
furent abandonnés par les saints.»
4° LE SIEGE DE JERUSALEM.
Pendant que les luttes intestines, qui ne devaient prendre fin qu'au
moment où le danger devint extrême, continuent à affaiblir les Juifs
et provoquent l'incendie de grands magasins d'approvisionnements, les
Romains accroissent leurs forces et commencent par le N. leurs
attaques à l'aide de béliers et de catapultes; les Juifs se défendent
avec des flèches, des brandons, des pierres, de l'huile bouillante et
aussi des machines de guerre qu'ils avaient arrachées à Cestius lors
de sa défaite. Celles des Romains furent brûlées par les Juifs, mais
cela n'empêcha pas les Romains de s'emparer du mur N. dit mur
d'Agrippa. A l'imitation de ce que Jules César avait fait à Alésia
(Comm., VII, 69), Titus fit dresser un rempart qui, enserrant la
ville entière, empêchait toute sortie des habitants; une horrible
famine, durant laquelle une mère aurait mangé son enfant, ravagea la
cité. Quinze jours plus tard, la deuxième muraille tomba. L'attaque
du temple commença; le 5 juillet, la tour Antonia fut prise et rasée.
A partir de ce moment-là, il ne fut plus possible d'offrir les
oblations quotidiennes: il n'y avait plus personne pour se charger de
ce ministère. C'est autour de la place du temple que se concentra la
lutte: à l'incendie allumé par les Juifs répondit l'incendie allumé
par les Romains (août 70). Avant que le temple eût été consumé, les
soldats plantèrent leurs aigles dans le portique extérieur et
saluèrent leur général du nom d'Imperator ; toute la ville fut
livrée au pillage et le feu acheva de détruire ce que les armes
avaient épargné.
5° FIN DE LA GUERRE.
C'est alors dans la ville haute que se transporta la lutte, que les
Juifs ne poursuivaient pas avec la même vaillance. Le palais
d'Hérode, avec ses trois tours, constituait une véritable forteresse;
sous les coups répétés des béliers, les murailles s'écroulèrent; le 2
septembre. Rome fut victorieuse des dernières résistances; le 26,
toute la ville était en ruines (70). Ceux des habitants qui avaient
échappé à la mort furent tués, réduits en esclavage, condamnés aux
travaux forcés ou réservés pour les jeux du cirque. Il fallut encore
s'emparer des dernières forteresses restées aux mains des insurgés:
Hérodeïon, Machéronte, Masada ne furent prises que plus tard. C'est
au gouverneur de Palestine, Lucilius Bassus, qui, après que Titus eut
quitté le pays, avait été chargé de la direction des opérations
militaires, qu'incomba la mission de s'emparer de ces trois foyers de
résistance, demeurés encore aux mains des insurgés. La prise
d'Hérodeïon ne paraît pas lui avoir coûté beaucoup d'efforts. Il en
fut autrement de Machéronte («autrefois la seconde forteresse du pays
après Jérusalem», écrit Pline, H.N., V, 16:72); elle finit
pourtant par se rendre, dans les circonstances suivantes. Parmi les
Juifs, l'un d'entre eux, nommé Éléazar, qui se distinguait dans les
sorties et restait le dernier pour surveiller la rentrée de ses
compagnons dans la forteresse, fut, un jour, victime de sa témérité:
les Romains réussirent à se saisir de lui. En présence des assiégés,
groupés sur le rempart, le général fit dépouiller de ses vêtements et
battre de verges le jeune homme, ce qui lui arracha des cris de
douleur; les assistants étaient saisis d'horreur; ils le furent
davantage encore lorsqu'ils virent que l'on dressait une croix pour y
clouer le malheureux; Éléazar, de son côté, les suppliait de ne pas
le livrer au plus lamentable de tous les trépas, mais de S'en
remettre à la puissance et à la destinée de Rome, maintenant qu'elle
avait soumis déjà tous leurs compatriotes. Les assiégés promirent de
se rendre à merci si on leur assurait la vie sauve, à eux et à leur
vaillant camarade. Ces conditions furent acceptées par le général
romain. Plusieurs des habitants de la ville ne se considérèrent pas
comme liés par cet accord et cherchèrent à se frayer un chemin à
travers le camp des Romains: ce qui ne réussit qu'aux plus courageux
d'entre eux. Quant à ceux qui demeurèrent en ville, les hommes (au
nombre de 1.700) furent massacrés, et les femmes, ainsi que leurs
enfants, réduits en esclavage. Éléazar et ceux qui avaient promis de
rendre la forteresse purent partir en liberté, attendu que Bassus se
considéra comme lié par l'accord qu'il avait conclu.
Après la mort de Bassus, Flavius Silva fut chargé de la direction
des affaires militaires, qui n'étaient pas achevées puisque Masada
tenait encore. Là commandait Éléazar, fils de Jaïr, descendant et
probablement petit-fils de Judas le Galiléen (Ac 9:37), zélote
ardent et chef courageux; aussi les Romains durent-ils procéder à un
siège difficile. Les opérations militaires étaient rendues fort
pénibles par la nature du terrain: Masada, située sur un plateau, au
sommet d'un rocher, dominait des ravins profonds; elle n'était
accessible que par deux seuls mauvais passages, qui permettaient
l'escalade du rocher: elle constituait le plus précieux des refuges
pour des patriotes fermement décidés à vendre chèrement leur vie.
L'attaque fut longue: il fallut entourer Masada d'un rempart pour que
personne ne pût échapper, avoir recours à l'incendie et aux béliers
pour pratiquer les brèches nécessaires à l'envahissement de la
forteresse; les Romains ne manquèrent pas de mettre à profit les
expériences tout récemment acquises lors du siège de Jérusalem. La
voyant réduite à toute extrémité, Éléazar exhorta ses compagnons de
lutte à tuer leurs femmes et leurs enfants pour les préserver du
déshonneur et de l'esclavage, enfin à incendier la citadelle avant de
se tuer l'un l'autre: ils épargneraient les approvisionnements pour
montrer aux ennemis que s'ils avaient péri, ce n'était pas parce que
les vivres manquaient, mais bien parce qu'ils avaient préféré la mort
à la servitude. Si ce premier discours ne toucha pas les coeurs, il
devait en être autrement du second qu'il leur adressa plus tard; il
affirmait que, puisque tel était le décret rendu par Dieu même contre
toute la race juive, il fallait s'y soumettre et mourir. Alors, après
avoir fait à leurs femmes et à leurs enfants de déchirants adieux,
ils les firent mourir de leurs propres mains; puis ils tirèrent au
sort dix d'entre eux, qu'ils chargèrent de faire passer leurs frères
de vie à trépas; puis, de la même façon, ils désignèrent, parmi les
dix restants, celui qui égorgerait les autres, avant de se jeter
lui-même sur son épée et de tomber sans vie auprès des cadavres des
siens. Les seuls survivants de cette scène atroce furent une femme
âgée et une autre, parente d'Éléazar, avec ses cinq enfants, qui
s'étaient cachés dans un aqueduc souterrain, pendant que les soldats
étaient absorbés par leur sanglant labeur. Pénétrant dans l'enceinte
fortifiée, les Romains, épouvantés par les ravages du feu, la
solitude et l'impressionnant silence qui les environnaient, se mirent
à pousser des cris perçants qui firent sortir de leur retraite les
pauvres rescapés. Entendant de leurs bouches le récit de ces
tragiques événements, les Romains eurent peine à y croire, mais, à
leur entrée dans le palais royal qui en avait été le théâtre, ils
durent se convaincre de sa réalité: aussi furent-ils remplis
d'admiration «de la noblesse du dessein et de l'immuable mépris de la
mort» dont ces héros leur avaient donné la preuve (2 mai 73 ap. J.-C).
Mais, avant que ces faits se fussent produits, Titus avait
ordonné de célébrer de grands jeux à Césarée de Philippe, puis en
l'honneur de l'anniversaire de son frère Domitien (24 oct. 70 ap.
J.-C), à Césarée de Palestine, puis pour célébrer l'anniversaire de
son père Vespasien (17 nov.), à Béryte, et ailleurs encore; partout
les prisonniers juifs, contraints au métier de gladiateurs, étaient
appelés à lutter les uns contre les autres. Après avoir congédié les
légions à Alexandrie, Titus prit le chemin de Rome, emmenant avec lui
700 des plus beaux captifs juifs, avec les chefs de l'insurrection,
Jean de Giscala et Simon Bar Giora; il atteignit la capitale vers la
mi-juin 71 ap. J.-C. Cette même année, le Sénat décerna à Vespasien
et à ses deux fils, Titus et Domitien, les honneurs d'un triomphe
particulièrement solennel; tandis que Jean de Giscala était condamné
à la captivité perpétuelle, Simon, le jour même du triomphe, fut
égorgé dans la prison. On voyait dans le cortège les dépouilles du
temple, entre autres la table des pains de proposition, le chandelier
aux sept branches et un rouleau de la loi. Ces précieux restes furent
plus tard transportés, sur l'ordre de Vespasien, dans le temple par
lui érigé en l'honneur de la déesse de la Paix (75 ap. J.-C), sauf le
rouleau de la loi qui, avec les tentures de pourpre arrachées au
temple de Jérusalem, orna le palais de l'empereur. L'arc de triomphe
de Titus sur le Forum en perpétue le souvenir (fig. 268, 269). On ne
connaît pas bien la destinée ultérieure de ces précieuses reliques;
on suppose que, lors du pillage de Rome par les Vandales en 455 ap.
J.-C, elles furent transportées en Afrique par Genséric, avant d'être
emportées par Bélisaire lorsqu'en 635 il mit fin au royaume vandale
(voir Schürer, Gesch., I, 637). Enfin on frappa de nombreuses
monnaies en l'honneur de cette victoire; la plus caractéristique nous
paraît être une monnaie d'airain (fig. 179) portant à l'avers la tête
de Vespasien avec l'inscription:
TITUS VESPASIANUS IMPERATOR PONTIFEX
TK(ibunicia potestas) Cos.II (c-à-d.: pour la seconde fois
consul); comme il fut nommé consul pour la seconde fois le I er
janvier 72 et pour la troisième fois le 1 er janvier 74, la monnaie a
donc été frappée entre 72 et 73 ap. J.-C Au revers, Titus a le pied
sur un casque, ce qui symbolise la victoire qu'il vient de remporter.
Il est représenté en costume militaire. De la main gauche, il tient
un poignard. Les lettres S.C. signifient: en vertu d'une délibération
du Sénat, parce que, pour frapper des monnaies de bronze, il fallait
l'autorisation du Sénat, autorisation qui n'était pas nécessaire pour
la frappe de monnaies d'or et d'argent. La femme assise et éplorée,
c'est la Judée vaincue et captive. Ern. M.