APOCALYPSES

On désigne par ce nom une littérature religieuse florissante, surtout
au sein du peuple juif aux alentours de l'ère chrétienne. Elle est de
nature eschatologique, c'est-à-dire qu'elle a pour objet de dévoiler
l'avenir réservé par Dieu à la nation juive et aux autres peuples de
la terre. De là le nom d'apocalypse, qui signifie révélation
Les révélations des Apocalypses n'ont pas trait à la vie religieuse
et morale des personnes, au salut des âmes, mais aux choses dernières
et aux catastrophes qui accompagneront la fin du monde. Les écrivains
apocalyptiques prétendent puiser leurs inspirations et leurs oracles,
non dans l'étude ou dans la méditation solitaire, mais dans un
contact direct avec Dieu et ses anges. C'est au moyen de visions et
d'extases qu'ils entrent en possession des vérités surnaturelles.
Pour donner à leurs oeuvres un degré supérieur de certitude et
d'autorité, ils en attribuent la rédaction à des hommes réputés pour
leur piété et leur sagesse dans l'histoire d'Israël et
particulièrement à ceux des temps les plus reculés de cette histoire,
tels que: Hénoch, Noé, Daniel, Esdras, Baruch. La pseudonymie est un
signe distinctif de l'Apocalyptique.

Par tous ces caractères, mais surtout par leur contenu
eschatologique et leur prétention d'apporter des révélations
nouvelles, les Apo diffèrent des livres apocryphes de l'A.T. et
constituent une classe à part. On a défini les apocalypticiens des
continuateurs des prophètes. Mais c'est méconnaître ce qui les
distingue les uns des autres. Quoique le prophétisme ne nous soit
plus connu aujourd'hui que par des écrits, il n'est pas cependant
à l'origine une littérature. Ses moyens d'action furent la
parole, la prédication vivante. Ce que les prophètes enseignaient à
leurs auditeurs concernait non point un avenir éloigné, mais
l'histoire présente et la situation actuelle du peuple.
L'Apocalyptique, par contre, est d'essence littéraire dès sa
naissance. Le recours aux extases et aux révélations n'est
généralement qu'une pure convention. En réalité, les auteurs ont
étudié les livres de leurs devanciers et surtout ceux des
prophètes. Ils leur empruntent en les développant les thèmes, le
langage, les images, les allégories, de sorte qu'il existe entre tous
leurs ouvrages une grande analogie de style, d'expressions et de
tournures littéraires. Cette parenté est d'autant plus frappante que
l'objet des auteurs, préoccupés surtout de la description des choses finales,
est beaucoup plus restreint que celui des prophètes. Tandis que l'attention
de ces derniers est attirée et maintes fois détournée par les événements
variables du jour, les premiers planent au-dessus du temps dans un
monde imaginaire et conventionnel. L'aspect schématique propre à ces
écrits provient de cette fixité de leurs traditions au double point
de vue du fond et de la forme.

Les matériaux qu'emploient les Apo ne sont pas tous d'origine
israélite. Les croyances des peuples païens, surtout les idées
babyloniennes et iraniennes que les Juifs apprirent à connaître
durant l'exil et en général par leur séjour à l'étranger, se
reflètent à chaque page de leurs écrits. Plus tard, lors de la grande
diaspora juive à travers tout l'empire romain, le judaïsme fut initié
aussi à la science et à la philosophie de l'hellénisme et du monde
romain. Tout cela laissa des traces dans sa religion, dans sa
littérature et surtout dans les livres apocalyptiques. Des influences
étrangères se font sentir sans conteste dans une série de sujets
qu'ils traitent avec prédilection, tels que l'observation des
phénomènes de la nature, principalement du monde astral, les mythes
relatifs à la création et aux luttes de Dieu contre les monstres du
chaos, la dernière levée de boucliers des puissances sataniques avant
l'établissement du règne du Messie, la division de l'histoire de
l'humanité en quatre périodes, etc. S'appuyant sur l'un ou l'autre de
ces points, on a défini l'Apocalyptique une philosophie de
l'histoire. On pourrait l'appeler aussi une cosmogonie, une
philosophie de la nature. Mais il serait sans doute plus juste de
dire qu'elle est un conglomérat de choses disparates, un réservoir où
vinrent se déverser et se fondre en un tout peu harmonieux les
croyances, les sciences, les philosophies, les mythologies et le
folklore de toute l'antiquité. Ce ne fut pas un phénomène
exclusivement juif: on retrouve des passages et des fragments
apocalyptiques dans toutes les littératures religieuses, surtout dans
les chapitres afférents à l'eschatologie: ainsi dans le parsisme,
dans l'Inde, en Egypte et dans l'hellénisme (stoïcisme, livres
sibyllins, Hésiode, Plutarque). Ce genre fut aussi cultivé plus tard
dans l'Église chrétienne et l'Islam.

Le point essentiel de la doctrine apocalyptique, c'est la
proximité du grand jour où Dieu établira son royaume sur la terre et
jugera les hommes. La science apocalyptique s'efforce de calculer et
de fixer ce moment, d'en discerner les signes précurseurs, c-à-d. les
fléaux qui doivent s'abattre dans les derniers jours sur la nature et
la société humaine, tels que les guerres, les discordes civiles, les
tremblements de terre, les famines, les bouleversements du monde
sidéral. Ces phénomènes annonciateurs de la fin sont dénommés «les
douleurs de l'enfantement du Messie». La création sera frappée par
toutes ces calamités, parce qu'elle est foncièrement dégénérée. La
terre a perdu sa fraîcheur première: il faut qu'elle disparaisse. Ce
pessimisme qui va à rencontre de la foi des prophètes doit être
ramené à des causes diverses. D'abord, le dualisme de la religion de
l'Iran ne fut sans doute pas étranger à cette évolution. D'autre
part, l'histoire même du peuple juif l'a, favorisé. Comme Israël
était tombé dans la servitude politique et gémissait sous le joug
étranger sans espoir de relèvement, les âmes pieuses en conclurent
que Dieu s'était retiré de la nation juive, qu'il l'avait abandonnée
à Satan et aux démons, et qu'un changement ne pouvait plus se
produire que par une intervention directe du Dieu suprême qui
exterminerait les Juifs renégats et les païens, adorateurs des faux
dieux. Un point caractérise nettement le changement survenu dans la
conscience religieuse du judaïsme, c'est la doctrine des deux éons:
l'éon présent qui est passager, périssable et rempli de maux, et
l'éon futur qui est éternel et plein de félicité.

Des différences notables se perçoivent dans les peintures
eschatologiques des Apoc., surtout en ce qui concerne la
participation du Messie au drame final. Parfois le Messie en est
absent et Dieu seul est mis en scène. Quand le Messie paraît, on
évoque à son sujet les souvenirs du roi David, et on considère son
règne sous la forme politique et terrestre. Mais à côté de ce Messie
juif surgit un être nouveau que les apocalypticiens ont confondu et
ont cherché à amalgamer avec lui, sans toutefois y réussir
complètement. C'est le Fils de l'Homme introduit pour la première
fois dans la vision des quatre animaux de Daniel et que l'auteur
désigne par le terme araméen de earnasch. Ce Fils d'Homme est
d'origine non juive. Il possède des attributions diverses. Il est
dépeint sous des couleurs transcendantes: c'est sur les nuages du
ciel qu'il vient pour présider au jugement universel. Avant cet acte
suprême a lieu un dernier soulèvement de toutes les forces adverses
sous le commandement de Satan lui-même, appelé pour cette raison
l'Antéchrist. Selon les uns, ce dernier est anéanti sur-le-champ par
le Messie. Selon les autres, il est enchaîné pour un temps (voir
l'Apocalypse johannique: le millénium). Relâché ensuite, il se
révolte derechef contre Dieu et est exterminé définitivement avec
tous les siens par le feu. Alors s'établiront de nouveaux cieux et
une nouvelle terre, reproduction parfaite du paradis originel. Toutes
choses seront remises en état, comme au premier jour de la création.
Une correspondance mystérieuse règne entre le point de départ et le
point d'arrivée de l'histoire du monde. Ce qui fut au commencement
doit revenir et reviendra à la fin.

Bien que ces doctrines diverses manquent de coordination et
soient loin de s'enchaîner en un système, elles forment néanmoins un
ensemble caractéristique qu'on désigne couramment par ce nom
d'Apocalyptique. Particulier d'abord au genre littéraire, ce terme
s'emploie aussi par extension pour l'ensemble des croyances contenues
dans ces écrits.

Quand on mesure l'Apocalyptique juive à l'idéal religieux du
christianisme, on n'a pas de peine à reconnaître l'infériorité de la
première. Sous prétexte de révéler au lecteur les mystères divins,
elle le promène à travers les espaces illimités du monde et de
l'histoire. Elle ignore la révélation chrétienne de l'universalité de
l'amour divin et elle connaît moins encore le mystère de la croix.
Les Apo sont des oeuvres d'école, d'une science théologique surannée
et un peu prétentieuse, d'une inspiration souvent médiocre, parfois
même douteuse. Néanmoins, elles ne sont pas sans avoir laissé des
traces dans l'histoire religieuse postérieure. Plus d'une des idées
chères à leurs auteurs ont pénétré dans le Canon du N.T. (évangiles
synoptiques, épîtres pauliniennes) et dans l'Église chrétienne. A
plus d'une époque leur lecture fut en bénédiction aux hommes. Dans
les temps troublés où Israël risquait d'être absorbé par la culture
grecque et de s'enliser dans l'immoralité, ces livres ont maintenu
chez leurs lecteurs les traditions de pureté et de sainteté de la loi
juive et entretenu dans leurs coeurs l'espoir en des jours meilleurs.
Aussi, quand sonnèrent les heures de persécution pour l'Eglise
chrétienne, devinrent-elles une lecture de prédilection pour les
fidèles, qui y puisèrent courage et consolation. Avec les auteurs de
ces livres ils se réfugiaient d'un présent enveloppé de ténèbres dans
un avenir de lumière.

Sous un autre rapport encore l'Apocalyptique juive peut passer
pour un acheminement vers le christianisme. Sans doute ces auteurs
n'ont pas songé à abolir le mur qui séparait Israël du monde païen.
Mais ils furent amenés à établir au sein même du judaïsme une
séparation entre les Juifs restés fidèles et ceux qui reniaient leur
foi. Et cette distinction des bons et des méchants, qui ne se
couvrait plus avec celle des Juifs et des païens, prépara en une
certaine mesure l'universalisme chrétien.

Le nombre des Apocalypses juives, qui virent le jour dans les
derniers siècles de l'existence de la nation, est considérable. De
beaucoup d'entre elles les noms seuls sont parvenus jusqu'à nous.
Celles dont il va être question ci-après nous ont été conservées en
entier ou par fragments.

Il convient de citer d'abord l'Apocalypse de Daniel, qui
servit de modèle aux autres et qui eut les honneurs de la
canonisation (voir Daniel).

Le Livre d'Hénoch. Cette Apoc, la plus étendue de toutes
(elle contient 108 chap.), est un assemblage sans art et sans méthode
de plusieurs écrits qui appartiennent à des époques et à des auteurs
différents et qui traitent de sujets disparates. Après un exorde de
cinq chap. qui touchent à tout ce qu'il plaît à l'auteur de
mentionner, une première partie (ch. 6-36) parle des anges, de leur
chute, de leur châtiment et de plusieurs visions d'Hénoch relatives
aux merveilles du Ciel et de la Terre. Vient ensuite (37-71) le livre
des Paraboles, dont le contenu est en majeure partie de nature
eschatologique. Il traite du sort des justes et des pécheurs lors du
jugement, de la participation du Fils de l'Homme à ce jugement, de
l'Assomption d'Hénoch et de son intronisation comme Fils de l'Homme.
Les chap. 72-83 contiennent le livre des ans et des mois. C'est un
traité astronomique sur les lois des astres. Dans les chap. 83-go
l'histoire du monde est révélée à Hénoch en songe et par des symboles
comme celui des 70 pasteurs d'Israël. Les derniers chap. (91-108)
donnent les exhortations d'Hénoch aux justes et aux impies, puis une
Apo des semaines et un fragment noachique. On y a inséré en effet des
prophéties de Noé qui se rapportent aux mêmes sujets: la destruction
des anges et la cosmologie. Ces fragments dits noachique se trouvent
aux chap. 6 à 11, 54 à 60, 65 à 69. Ils proviennent peut-être d'une
Apo plus ancienne, a laquelle notre rédacteur a fait des emprunts et
qui est sans doute tombée dans l'oubli à cause de l'intérêt plus
considérable qui s'attachait à Hénoch.

Ainsi qu'il ressort de l'analyse du contenu, Hénoch expose la
théologie et toutes les sciences historiques et naturelles qui
s'enseignaient dans les écoles juives de son temps. C'est un essai de
codification de toute cette sagesse scolastique. Mais elle ne procède
pas uniquement du judaïsme et de l'inspiration de ses docteurs. Elle
s'était développée sous l'influence des religions de l'Orient, en
particulier de l'astrologie babylonienne et de l'eschatologie
persane. Une gnose particulière, étrangère au nomisme synagogal,
s'était infiltrée peu à peu dans certains cercles juifs adonnés aux
doctrines mystiques. L'apocalyptique fut comme une fenêtre ouverte,
par où un air frais d'Orient pénétra dans l'atmosphère de la
casuistique juive. Parmi les importations orientales dans le
judaïsme, il faut classer surtout la doctrine du Fils de l'Homme. On
combina cette doctrine tant bien que mal avec le messianisme
prophétique. Hénoch contient plus de détails sur le Fils de l'Homme
que Daniel, mais il ne les a ni imaginés, ni ajoutés de son propre
chef. Il a connu les mêmes traditions exotiques que Daniel et les a
utilisées plus largement.

D'où vient qu'on attribua cette Apo à Hénoch? D'après l'A.T., ce
patriarche eut une fin mystérieuse, car il fut enlevé au ciel (Ge
5:24). Il était donc le personnage prédestiné pour assumer le rôle
d'un initiateur à une gnose nouvelle. Comparable au Dante catholique
dont il est le prototype juif, Hénoch, guidé par les anges, était
censé avoir visité le ciel et l'enfer, tous les lieux où habitent les
défunts, et avoir contemplé le sort qui leur était réservé. Nul mieux
qu'un tel homme n'était à même d'instruire les mortels sur toutes les
choses cachées, sur le passé et l'avenir.

L'époque de la rédaction d'Hénoch ne peut être établie
qu'approximativement, au moyen de quelques indices plus ou moins
sûrs. La vision des 70 pasteurs fait penser aux Macchabées. La grande
corne, dont il y est question, désigne ou Judas Macchabée ou Hyrcan.
La vision des dix semaines (chap. 91-93) donne un aperçu historique,
qui s'arrête à la même époque. Dans les «Exhortations», il y a des
allusions aux Pharisiens et aux Sadducéens, et aux luttes de ces
partis qui caractérisent l'époque des Hasmonéens. Les Paraboles, la
partie la plus récente du livre, appartiennent au déclin de la
dynastie hasmonéenne. Elles sont écrites avant l'entrée en scène des
Romains, dont l'auteur n'a pas connaissance. L'ancienne théologie,
s'appuyant sur les passages relatifs au Fils de l'Homme, y voyait des
interpolations chrétiennes et plaçait la rédaction de toute cette
partie du livre après la naissance du christianisme.

Cet ouvrage fut très en faveur, non seulement dans les cercles
apocalyptiques, mais encore dans l'Église naissante. Un écrit du
N.T., l'épître de Jude (v.14 et suivant) le cite formellement.
Ailleurs dans le N.T. et chez les auteurs ecclésiastiques, les
allusions indirectes à notre livre sont fréquentes.. L'original
d'Hénoch paraît avoir été écrit en hébreu ou araméen. Il fut traduit
en beaucoup de langues. Une version éthiopienne fut découverte et
publiée dans la première moitié du siècle dernier. Cinquante ans plus
tard on retrouva une partie considérable (ch. 1-36) de la version
grecque. Une nouvelle traduction française d'après le texte éthiopien
et annotée a été faite récemment par Francis Martin (Paris, 1906).

Nous possédons aussi un livre d'Hénoch en langue slave, composé
primitivement en grec. Il reproduit le texte éthiopien, mais
l'empreinte d'une main chrétienne est très visible en plusieurs
endroits. Des remarques concernant le culte du Temple, les sacrifices
qui s'y célèbrent et la recommandation de faire un pèlerinage aux
lieux saints, prouvent que cette recension slave fut rédigée encore
avant la destruction de Jérusalem en l'an 70.

L'Assomption de Moïse. Un grand nombre de livres
apocryphes, attribués à Moïse, étaient répandus dans l'ancienne
Église. Celui dont nous parlons ici était cité sous le nom
d'Assomption (ou Ascension) de Moïse, parce qu'il racontait que
Moïse, à la fin de sa carrière, fut emporté au ciel. Cependant, ce
livre ne nous est parvenu qu'en un état très fragmentaire, et
précisément la fin de l'ouvrage, relative à la disparition de Moïse,
manque. Nous ne possédons plus que les premiers chapitres (1-12), qui
rapportent les recommandations et paroles d'adieu du grand
législateur à son successeur Josué. Il lui prédit toute l'histoire
future d'Israël, entre autres l'entrée en Canaan, la ruine de
Jérusalem et de son temple par Nabuchodonosor, l'exil et le retour,
les règnes des Hasmonéens et d'Hérode le Grand. La durée de ce
dernier est fixée à trente-quatre ans. Puis c'est la description de
l'impiété des derniers temps. A ce moment, un lévite appelé d'un nom
tout à fait énigmatique (Taxo) et ses sept fils donneront un bel
exemple de fidélité. Enfin c'est l'apparition du royaume de Dieu et
le châtiment des méchants. A en juger par ce fragment, l'Assomption
fut d'abord un livre de prophétie; Moïse y est appelé le grand
prophète. Ce livre prophétique a sans doute existé d'abord seul, sans
l'addition d'un récit de l'Assomption, et se terminait par une simple
relation de la mort de Moïse. Les Pères de l'Église font mention d'un
ouvrage appelé non Assomption mais Testament de Moïse (diatkèkè).
Dans les milieux apocalypticiens,. on y aura ajouté
plus tard la légende de l'Ascension, sans songer à élaguer dans les
premiers chapitres les allusions à la mort de Moïse qu'on y
trouve encore et qui nous renseignent sur l'état primitif des choses.
En tout cas la spéculation des écoles juives s'est emparée du sujet
de la disparition du grand prophète d'Israël et des circonstances
spéciales où elle s'était produite, et cela avant l'ère chrétienne.
Témoin l'épître de Jude, où il est question d'une dispute de l'ange
Michaël et de Satan à propos du corps de Moïse, croyance empruntée à
un livre apocryphe plus ancien. Les docteurs des trois premiers
siècles estimaient que la citation de Jude provenait d'une
«Assomption» ou d'une «Ascension» de Moïse.

Notre texte est une traduction latine fort défectueuse d'un
original probablement grec. L'une des prophéties mises dans la bouche
de Moïse peut servir à dater le livre. Les fils d'Hérode, est-il dit,
régneront moins longtemps que leur père. L'aîné de ses trois fils
(Archélaüs) ayant été déposé et exilé déjà en l'an 6 de notre ère,
l'auteur se crut en droit de prédire la fin prochaine de toute la
dynastie hérodienne. C'est donc à ce moment, à la nouvelle de la
chute d'Archélaüs, qu'il a composé son livre. Il ne se doutait pas
que le règne des deux autres fils devait encore se prolonger
beaucoup. Plus on s'écarte de cette date de la fin d'Archélaüs, et
moins il y avait lieu de relever la brièveté du règne des fils en
comparaison de celui du père.

Apocalypse d'Esdras.
La plus belle des Apocalypses juives, si
l'on met Daniel à part, est sans contredit celle d'Esdras. On
l'appelle aussi le 4 e Esdras, les livres canoniques d'Esdras, de
Néhémie et un apocryphe attribué à Esdras étant désignés par la
Vulgate comme les trois premiers livres d'Esdras. Le texte le plus
ancien, c'est-à-dire l'original écrit sans doute en hébreu, et sa
version grecque ne nous ont pas été conservés. Autrefois ce livre
n'était connu que par une traduction latine fort imparfaite. Dans les
temps modernes, on découvrit successivement de nombreuses versions:
une arabe, une éthiopienne, une syriaque, une arménienne, une
géorgienne, d'autres encore. Une lacune considérable du texte latin
(au ch. 7) a pu être comblée grâce à un manuscrit de la bibliothèque
d'Amiens provenant de Corbie. Le 4 e Esdras eut une grande vogue
dans les cercles apocalypticiens juifs, où il servit de modèle aux
auteurs d'écrits similaires (voir l'Apocalypse de Baruch). Le crédit
dont il a joui dans l'Église chrétienne est attesté par le fait qu'il
fut reçu temporairement dans le Canon. La Vulgate l'a placé à la fin
de la collection. Il semble avoir été lu avec prédilection dès les
premiers siècles par les chrétiens d'Espagne, en particulier par les
Priscilliens. Un ms. latin qui date du VII e siècle a été trouvé
récemment dans le nord de l'Espagne. Dans la liturgie mozarabique en
usage chez un groupe de chrétiens espagnols dès avant le Moyen âge,
se trouve inséré tout un fragment de notre Apoc, connu sous le nom
d'Oraison d'Esdras.

L'Apocalypse d'Esdras se divise en sept parties:

La ruine du peuple d'Israël est un problème, car
malgré ses défaillances, ce peuple vaut mieux que le reste du monde.

Dieu a des pensées d'amour à l'égard des Juifs,
mais lui seul connaît le temps opportun pour les réaliser.

Les signes avant-coureurs de la fin et le jour du
Jugement. Il y a sept degrés de félicité et de damnation. Les sept
noms de Dieu. La grande prière d'Esdras.

4° à7° Les visions de Sion, de l'Aigle, du Messie,
la glorification de Dieu, la rédaction miraculeuse de 84 livres et
l'enlèvement d'Esdras. Les deux premiers et les deux derniers
chapitres sont considérés par la Vulgate comme des Livres spéciaux et
désignés par elle comme 5 e et 6 e livres d'Esdras. Plus que les
autres, l'Apocalypse d'Esdras a gagné des lecteurs par son contenu
édifiant et par la forme dramatique de l'exposé. Les sentiments
profonds qu'elle exprime en font une lecture attachante, même pour le
lecteur moderne. L'auteur ne s'arrête pas à l'aspect extérieur des
choses, mais il désire en pénétrer le sens caché. Le coeur ulcéré par
la destruction de la ville sainte, il agite, sans se lasser, le grand
problème du mal et s'efforce de l'éclaircir par quantité d'images et
de comparaisons. Ce n'est pas une étude abstraite, c'est un livre
douloureux, plein d'émotion.

On ne peut assigner à ce livre une date précise. Si l'on en juge
par les sentiments d'amertume que la destruction de Jérusalem a
laissés dans son coeur, l'auteur appartient à la génération qui fut
témoin de cet événement. Il a dû prendre la plume avant la fin du I
er siècle de notre ère. Où, dans quelle province de l'empire, dans
quelle ville (Rome ou ailleurs) a-t-il séjourné? On ne saurait le
dire. Quelques critiques ayant discerné dans l'ouvrage des
conceptions divergentes, en ont inféré que l'auteur s'était servi de
multiples sources pour le composer. Cette hypothèse paraît superflue,
si l'on considère que les auteurs apocalypticiens ont pris de-ci
de-là et amalgamé des matériaux très divers dans le cours des
siècles. C'est là l'origine des incohérences, plus ou moins grandes,
qu'on remarque dans toutes les Apo; il est donc inutile d'y stipuler
une pluralité de sources littéraires.

Esdras, qui avait restauré le peuple d'Israël et qui lui avait
enseigné à nouveau les préceptes de Moïse, était le personnage dont
il parut opportun d'inscrire le nom en tête de ce livre.

Souvent classé parmi les Pseudépigraphes (voir ce mot), le 4 e
Esdras est désigné par l'abréviation Pseud. Esd dans le présent
ouvrage.

L'Apocalypse de Baruch est proche parente de celle d'Esdras, bien que
d'une inspiration et d'une valeur moindres. C'est une imitation de
celle-ci, mais l'auteur n'a ni le talent, ni la chaleur de son
prédécesseur. Elle se divise en sept parties:

elle traite d'abord de la destruction de
Jérusalem par les Babyloniens;

elle contient une complainte de l'auteur et la
réponse que Dieu lui donne;

des méditations sur la fin;

une vision d'un cèdre et d'un cep de vigne qui
représentent le Messie;

l'auteur traduit son inquiétude concernant la fin
dans une prière;

6° à 7° mention de deux lettres dont l'une est
adressée à neuf tribus et demie en exil en Assyrie, et l'autre aux
deux tribus et demie exilées à Babylone.

Il est vraisemblable que cette oeuvre fut écrite primitivement en
hébreu. L'auteur déclare lui-même qu'il la composa dans le voisinage
de Jérusalem. Seule une traduction syriaque nous a été conservée.
Elle fut découverte dans un ms. de Milan en 1871. Il y eut aussi une
autre Apo grecque de Baruch, apparentée à la précédente, et dont nous
avons une version abrégée en langue slave. On y traite du voyage que
Baruch, guidé par un ange, fit dans les cieux.

L'auteur écrivit sous un nom d'emprunt conformément à la méthode
apocalyptique. Son oeuvre est postérieure à l'Apocalypse d'Esdras. On
peut en placer la rédaction dans les premières années du II e siècle
de l'ère chrétienne. Baruch, connu dans l'histoire d'Israël par ce
qu'en rapporte le livre de Jérémie, fut le disciple et l'ami du
prophète, dont il partagea le sort. Il a tracé le portrait de son
maître et édité ses prophéties. Il jouit d'une grande considération
dans les Églises juive et chrétienne, où on lui attribua la
composition d'une multitude d'écrits. Plusieurs docteurs de l'Église,
comme Papias et Barnabas, en ont fait usage.

Le Livre des Jubilés, appelé aussi la Petite Genèse,
reproduit, sous la forme d'un discours adressé à Moïse par un ange,
l'histoire sacrée depuis la création jusqu'à l'institution de la
Pâque (Ge 1 Ex 12). A cette histoire l'auteur ajoute de nombreux
détails de nature historique ou législative dont les écoles juives
avaient enrichi le texte biblique. Elles avaient érigé cette exégèse
fantaisiste en une véritable science, connue sous les noms de Agada
et de Halacha. Le but essentiel du livre des Jubilés est d'inculquer
aux lecteurs l'origine divine et la sainteté des prescriptions
mosaïques, et d'empêcher que le monde juif ne se laisse séduire par
l'exemple des païens. Aussi n'est-ce qu'improprement qu'on peut
ranger les Jubilés dans la catégorie des Apo; leur caractère
apocalyptique ne se manifeste qu'en ceci: c'est que toute l'histoire
antérieure et future du peuple, inscrite sur des tables célestes, est
révélée à Moïse, et qu'on lui fait connaître en même temps comment
Dieu jugera ou récompensera ce peuple dans la suite. L'auteur relève
avec soin à travers tout son exposé la division de l'histoire sacrée
en périodes jubilaires de quarante-neuf années, périodes qui se
décomposent en sept semaines d'années comprenant chacune sept ans.
L'importance qu'il attribue à ce système chronologique a valu a son
livre le titre de Jubilés.

Quant à l'époque de sa composition, on se base sur quelques
allusions au règne de Jean Hyrcan. Il aurait donc été écrit vers la
fin du II e siècle avant notre ère. C'est dans une traduction
éthiopienne qu'il nous a été conservé. Cette dernière fut faite
d'après une version grecque qui eut sans doute elle-même un original
hébreu. Un tiers du livre existe en latin.

Les Testaments des douze Patriarches appartiennent à une
classe de livres d'édification, dans lesquels les auteurs expriment
leurs pensées sur l'histoire et la religion du peuple d'Israël. Ils
les présentent comme étant les dernières volontés que les personnages
célèbres d'autrefois, soit Abraham, soit Job, soit les douze fils de
Jacob, avaient dictées à leurs descendants avant de mourir. Les Test.
des douze Patriarches en particulier sont une imitation du Test, de
Jacob qui se lit dans le chap. 49 de la Genèse. Comme leur père, les
douze fils, sur le point de quitter la vie, font venir leurs enfants.
Ils rappellent leur existence passée en l'illustrant de beaucoup
d'anecdotes de provenance non biblique, mais agadique. Ils adressent
ensuite de pressantes exhortations à leurs descendants et leur
prédisent leurs destinées futures. Le point de vue religieux de
l'auteur diffère tant soit peu du judaïsme officiel et légaliste des
rabbins. Son idéal, il est vrai, n'est autre que la Loi. Il tient le
sacerdoce en haute estime et le prise plus que la royauté. Il pousse
même le rigorisme jusqu'à recommander les jeûnes et l'abstinence et
il met en garde contre les désirs de la chair et du sang. Mais ces
sentiments de l'écrivain sont dus à une inspiration intérieure et
personnelle. Il prêche l'humilité, la droiture, la simplicité. Cet
état d'âme l'apparente au groupe piétiste des Ébionim (les Pauvres
d'Israël) dont la ferveur religieuse s'accommodait mal des moeurs
dissolues de leurs compatriotes hellénisés de l'époque hasmonéenne.
Un point intéressant de la psychologie de l'auteur, c'est son amour
de la vie rurale et du travail champêtre. Il a en aversion
l'agitation des cités et les occupations de leurs habitants, surtout
le commerce, bien différent en cela de la juiverie moderne qui aime
mieux se livrer au négoce qu'à l'agriculture.

Les premiers chrétiens ont trouvé dans notre livre des
conceptions qui leur étaient sympathiques: non seulement la
prédiction d'un Messie libérateur et de la proximité du royaume de
Dieu, mais encore l'idée dualiste de l'histoire de l'humanité,
l'opposition entre le siècle présent et le siècle à venir, le
commandement de la crainte du Seigneur uni à l'amour du prochain,
l'image des deux chemins ouverts devant chaque homme, etc. Dans ces
circonstances, il n'est pas étonnant que les douze Test., bien que
leur origine juive ne fasse pas de doute, aient alimenté aussi les
méditations des prédicateurs chrétiens et que de ce chef le texte ait
reçu des additions nombreuses. Ce fut une habitude répandue dans
l'Église naissante d'adapter les anciens écrits du Judaïsme aux
besoins du culte nouveau. Il n'est pas sûr, d'ailleurs, que
l'original hébreu lui-même de notre livre n'ait pas été composé avec
des matériaux de provenances diverses, étant donné qu'on y trouve des
textes parallèles où le même événement est raconté deux fois. L'un
des douze Test. (Nephthali) nous a été conservé en langue hébraïque.
Outre le texte grec, il existe encore une version slave et une
version arménienne dans laquelle une moitié environ des passages que
la critique, déjà avant de connaître cette version, avait supposés
être des interpolations chrétiennes, font défaut. La rédaction du
livre peut être placée dans les années qui s'écoulèrent depuis les
Hasmonéens jusqu'à la destruction de Jérusalem en 70.

Le Martyre d'Ésaïe . Dans la littérature patristique, il est
souvent question d'un ou de plusieurs livres apocryphes qui
circulaient sous le pseudonyme du prophète Ésaïe. On donnait à ces
livres des titres différents: Martyre, Ascension, ou Vision d'Ésaïe.
C'est au siècle dernier que le texte d'une version éthiopienne du
Martyre fut publié. Ce texte, fort mal conservé, peut remonter
jusqu'au V e siècle de notre ère et semble dériver d'une traduction
grecque plus ancienne. La version éthiopienne est un ouvrage de
compilation où des éléments d'origine juive et chrétienne sont
mélangés. Elle peut dater du II e siècle Une première partie, écrite
par un auteur juif, raconte le martyre d'Ésaïe et reproduit une
ancienne légende d'après laquelle le prophète, pour échapper à la
vengeance du roi Manassé, dont il avait dénoncé l'impiété, se retire
au désert avec ses adhérents. Trahi par un Samaritain, il est arrêté
et son corps est scié par le milieu. Il est probable qu'il y a une
allusion à cette légende dans Heb 11:37; Justin et Tertullien la
connaissent également. Dans la deuxième partie du livre (à partir du
ch. 6) Ésaïe raconte ses visions: il lui fut donné de parcourir les
sept cieux et de voir toute la vie de Jésus depuis sa naissance
jusqu'à son retour au ciel. L'origine chrétienne de cette partie est
certaine.

Oracles sibyllins . Des oracles de ce nom étaient colportés
dans toute l'antiquité, tant en Orient que dans le monde de
l'hellénisme et dans l'ancienne Rome. On les attribuait à des
prophétesses appartenant à des époques et des peuplades différentes,
et on leur donna le nom générique de Sibylles. L'origine et
l'étymologie du mot nous sont inconnues. La plus célèbre des Sibylles
de l'antiquité, pour le public cultivé de nos jours, est la Sibylle
italienne de Cumes, chantée dans l'Enéide de Virgile. Les
Sibylles avaient primitivement pour tâche d'annoncer aux individus
comme aux cités des calamités de tous genres et de leur donner à ce
sujet des exhortations et des avertissements qu'elles exprimaient en
des termes obscurs.

L'idée qu'on se faisait de leur rôle se modifia lorsqu'on songea
à rassembler par écrit de vieux oracles transmis jusqu'alors par la
voie orale. Il se créa un genre littéraire, connu sous le nom de
«Livres sibyllins», dont une grande partie (plus de 4.000 vers) est
parvenue jusqu'à nous. Pour assurer à ces prédictions de l'autorité
et en propager la lecture, on leur assigna une haute antiquité. On
rapportait entre autres que quelques-uns de ces livres furent déjà
offerts en vente à Tarquin l'Ancien et que depuis lors, jusqu'à
l'époque impériale, les dirigeants de l'État y puisèrent leurs
maximes politiques. Cette littérature sibylline, qui était née dans
les pays de langue grecque et qui de là s'était répandue en Italie,
passa aussi aux mains des Juifs hellénisants qui y virent un moyen
précieux pour glorifier le judaïsme. En fin de compte elle fut
cultivée également par les propagandistes de la religion chrétienne.
Au Moyen âge son action ne fut pas encore éteinte, et l'on peut même
en discerner des influences lointaines jusqu'au siècle dernier.

C'est la Sibylle juive qui offre le plus d'intérêt pour la
théologie chrétienne. Les prophéties qu'on lui attribuait se sont
conservées surtout dans les livres III-V de la collection. Il y a
cependant dans ces livres, à côté des éléments juifs, beaucoup
d'autres de provenance étrangère. L'auteur a intercalé dans ses
élucubrations personnelles d'anciens oracles païens. Il met en scène
l'histoire du peuple juif depuis Noé et le déluge jusqu'à
l'établissement du règne messianique. Les traits les plus marquants
de son oeuvre sont: la présentation des actions éclatantes du peuple
d'Israël et des bénédictions dont il fut l'objet, comme ayant été
annoncées d'avance par la Sibylle païenne, l'affirmation vigoureuse
et convaincue du monothéisme juif, la dérision jetée sur l'idolâtrie,
la description complaisante des châtiments réservés aux nations et la
certitude triomphante de la venue prochaine du Messie juif.

Les livres sibyllins dont il est question ici se divisent en une
série de morceaux plus ou moins étendus et dont la rédaction
appartient à des époques différentes. Une grande partie du livre III
doit être attribuée à un Juif d'Egypte qui a tenu la plume vers le
milieu du II e siècle pré-chrétien. D'autres passages de ce livre et
les livres IV et V reflètent des situations tout autres: on y trouve
des allusions aux triumvirs romains, aux guerres civiles et à la
domination de Rome sur l'Egypte.

G.B.