APOCALYPSE

(grec apocalupsis =révélation, premier mot du livre).

Autant l'Apocalypse soulève de problèmes de détail qui
semblent peu susceptibles de solutions incontestables, autant son
caractère et son sens général se dégagent avec clarté. Les chrétiens
d'Asie Mineure reçurent ce message de consolation et de triomphante
assurance en un temps où la puissance romaine, avec un sûr instinct,
accentuait de jour en jour son hostilité à l'égard des Églises. Si le
culte du César vivant pouvait s'accorder avec tous les cultes païens,
il se dressait comme un défi à la royauté du Christ dont l'Église
attendait le retour. Or, nulle part cette religion impériale ne
trouvait plus de faveur qu'en Asie Mineure, terre légendaire
d'accueil pour tous les autels, et dans ses cités prospères que tous
ces cultes enrichissaient. Les Eglises vivaient donc en pleine
tentation et en pleine menace. Vers la fin du premier siècle, les
fidèles pouvaient considérer leur époque comme un temps de crise
décisive, où se tranchait en un conflit dramatique la question de
suprématie entre le Christ et les forces adverses. Les Églises
d'Asie, au dernier tiers du siècle, s'étaient augmentées d'éléments
juifs, émigrés après la ruine de Jérusalem, et dont l'influence
intensifiait le courant qui portait alors l'attente des âmes vers un
dénouement prochain et catastrophique du drame du monde. Pour situer
la vision de Jean, il faut tenir compte de l'existence de la
littérature apocalyptique qui l'a précédée et accompagnée et qui
avait servi d'expression et de refuge à l'âme juive dans la chute de
ses ambitions terrestres. L'Église, d'abord persécutée par le
judaïsme, puis par la Rome païenne, devait tenter de franchir les
bornes du visible et de vivre par avance les heures triomphantes de
la Seconde venue. Il fallait donc qu'une voix inspirée vînt
rassembler, redresser, orienter avec une autorité prophétique et
apostolique toutes ces aspirations, et donner à la langue
eschatologique son chant chrétien. L'Apocalypse, en consolant
l'Église, la ramène aux perspectives évangéliques. Son thème profond
n'est pas le triomphe d'un peuple, même d'un Israël, mais celui du
Christ, dont le règne englobe le salut de l'âme et la rédemption du
monde. Il suit de là que:

Pour expliquer l'Apocalypse il faut toujours
tenir compte de son but tout pastoral, se souvenir des épîtres
apostoliques au moins autant que des prophètes. Nous ne pouvons faire
comme si la vision n'avait pas été d'abord destinée aux Églises
d'Asie, à une époque dont les caractères généraux nous sont connus.
L'Apocalypse est la traduction en symboles d'une grande crise de la
vie chrétienne. Elle veut rendre sensibles les «dessous» spirituels
de cette crise: «Ce n'est pas contre la chair et le sang...» (Eph
6:10-12). Elle va de l'historique au spirituel. Oublier ce principe
pour chercher, au hasard des rapprochements, une petite histoire
universelle sibylline, c'est refaire en sens inverse le chemin que
l'Apocalypse fit faire à ses premiers lecteurs en leur montrant que
le drame de leur persécution mettait en jeu les forces invisibles et
comportait un enseignement en dehors du temps.

L'Apocalypse se rattache littérairement à une
famille d'écrits dont elle parle le langage et emploie les procédés.
On ne peut donc chercher le sens des figures qu'elle emploie, comme
si elles étaient sans analogues. Les Églises étaient alors habituées
à ce style. On trouve dans l'Apoc, à côté d'innombrables
réminiscences de l'A.T., des traces de figures païennes, de croyances
astrologiques courantes. Nous ne saurions nous étonner, nous qui
disons encore d'un homme heureux qu'il est né sous une bonne étoile,
qu'en un temps où tous croyaient à cette influence, l'Apocalypse
porte la marque très nette de l'emploi commun des concordances
astrales. Mais tous ces matériaux servent à incarner une pensée
nouvelle, qui les plie à son usage.

PLAN.

Le prophète décrit sa vision en une série de tableaux qui ne sa
succèdent pas rigoureusement, mais sont comme emboîtés les uns dans
les autres. Le 7 e sceau paraît contenir et comme laisser se
déployer la vision des trompettes, et la 7 e trompette donner issue à
la vision des coupes, comme si, de la dernière branche d'un
chandelier sacré s'élevait un autre chandelier complet, et ainsi de
suite. Cet emboîtement (pour parler avec le P. Allô) et les
intermèdes qui prennent place entre les tableaux, rendent plus
difficile l'analyse du livre. Une infinité de plans ont été proposés.
Nous donnons ci-dessous un résumé qui fait ressortir le rythme
septénaire, auquel paraît se conformer toute la pensée du prophète.

PROLOGUE. Vision du Tout-Puissant (Ap 1:1-20).

1.
Lettres aux Églises (Ap 2:1-3:22).

2.
Le mystère redoutable du Livre (Ap 4:1-5:14).

3.
L'Agneau brise les sceaux: les cavaliers surgissent,
annonciateurs de désastres (Ap 5:14-6:17).

INTERMEDE. Mais dans la lumière le Voyant contemple les
vainqueurs (Ap 7:1,17).

4.
Le 7 e sceau. Les plaies et les châtiments: les 6
premières trompettes (Ap 8:1-9:21).

INTERMEDE. Le petit livre: les témoignages de Dieu, la loi et la
prophétie demeurent, même à travers la mort (Ap 10:1-11:14).

5.
La 7 e trompette (les coupes). Tout s'accomplit,
mais non sans un prodigieux conflit. Les adversaires du Christ (Satan
et les deux Bêtes) lui font face: les 6 premières coupes sont
versées. La bataille d'Harmaguédon (Ap 11:16-16:18).

6.
La 7 e coupe: l'ennemi est brisé. Vision du
désastre de la grande Babylone (Ap 16:17-18:24).

7.
Le triomphe et le triomphateur. Les nouveaux deux et
la nouvelle terre. Les fidèles dans la gloire (Ap 19:1-22:6).

CONCLUSION. Seigneur, viens bientôt! (Ap 22:8-21).

NOTE SUR LES NOMBRES.

On a déjà vu la place du 7,qui tient à la structure du livre. Il
exprime la plénitude, et s'applique d'abord à Dieu, à ses jugements,
à son action. Les 7 esprits de Dieu =son omniscience; les archanges
qui le servent: en tout cas son omniprésence. On retrouve le 7 dans
les doxologies (Ap 5:12 7:12), dans les Béatitudes (Ap 1:3
14:13 16:15 19:9 20:6 22:7,14). Les 7 têtes de la Bête et du
Dragon parodient la divinité. Le 7 revient 54 fois. Brisé, il a
la valeur symbolique du malheur-la moitié de 7 ans =3 ans 1/2 =
1.260 jours =42 mois, est un temps d'épreuve (cf. Lu 4:25, qui
ajoute 6 mois aux 3 ans de 1Ro 18). Le 10 indique une
période limitée; le 1.000 une très longue période. 12 est le nombre
d'Israël ou de l'Église. La mère du Christ a 12 étoiles en diadème;
l'arbre de vie donne 12 sortes de fruits. De même les multiples de 12
(24 vieillards, 12.000 stades, 144.000 fidèles). Le 3 se
rapporte à la nature de Dieu. Le 4 est le nombre de la création.
Il se combine au 3 et, par suite, au 12 pour les proportions
parfaites de la Sion rachetée. On voit dans quelle impasse on
s'engage quand on fonde des calculs chronologiques ou autres sur des
chiffres qui ont avant tout une valeur symbolique. Le 666 de la Bête
indique l'échec de l'Antéchrist, qui a paru près de détrôner le
Messie. C'est aussi le nombre que donne le nom de Néron César,
calculé d'après la valeur de ses lettres en hébreu.

Résumé et explication cursive.

Après la salutation, le prophète indique qu'il s'agit
d'événements prochains. Les sept Églises sont choisies comme
représentatives; de plus on a montré qu'un circuit naturel les
reliait pour la tournée d'un messager.

Ravi en esprit, le Voyant se trouve en face du Christ ceint de la
ceinture royale et vêtu du blanc éclatant de la victoire. Ici, les
cheveux blancs, attribut divin, signifient l'éternité; l'épée: la
Parole; les pieds d'airain: empire inébranlable. Les étoiles qui sont
«les anges des Églises» et qu'il tient dans sa main disent à
celles-ci certitude et sécurité.

1.
Les sept Églises sont averties et consolées. Le Voyant
s'adresse à leur ange (cf. Anges des sept Eglises). Toutes reçoivent
le message: «Je sais tes oeuvres...» On sent la connaissance précise
de leur situation. Elles sont aux prises avec l'influence païenne.
Éphèse, Smyrne, Pergame, centres païens importants: culte de Diane,
d'Asklépios. Pergame: foyer du culte impérial (synagogue de Satan).
Laodicée: ville riche, savante, où la médecine était cultivée. Elles
ont déjà un assez long passé: «Souviens-toi...» Il y a des sectes.
Les Nicolaïtes prétendaient remonter au diacre Nicolas, et tentaient
sans doute un compromis avec le paganisme ambiant; d'où l'accusation
qui fait évoquer à leur sujet le rôle de Balaam (No 25:1-6 31:8,16).
La Jézabel dénoncée devait être des leurs. Le «caillou
blanc» promis à ceux qui vaincront fait allusion aux amulettes
païennes: mais l'amour de Dieu est la seule magie qui sauve et assure
la victoire. L'étoile du matin est le Christ lui-même. On peut voir
dans les vêtements blancs le corps glorifié, mais plus simplt le
signe de la victoire.

2.
Perdant de vue la terre, le Voyant contemple la
majesté divine. Pas de description de Dieu lui-même: seulement sa
gloire et sa miséricorde (arc-en-ciel). Autour du trône 24
vieillards, sorte de cour angélique, représentent Israël et l'Église
en louange; 12 Patriarches, 12 Tribus ou Apôtres: sur la terre et
dans le ciel prévaut le 12 du peuple de Dieu. L'origine du chiffre et
de l'image est sans doute dans l'astrologie babylonienne, pour qui il
y avait 12 divinités stellaires au Nord et 12 au Sud du zodiaque,
avec fonction de juges célestes. D'ailleurs, même s'il a connu cette
origine vraisemblable, le prophète chrétien en a fait un symbole à
lui, très probablement en rapport avec Israël. Les quatre «êtres
vivants» ou chérubins ont, à travers les prophètes, une origine
semblable. Ils paraissent représenter ici la Création en louange
perpétuelle devant le Créateur (cf. Esa 6:1-4, Eze 1:12 et
suivant
). Les yeux dont ils sont couverts évoquent les constellations.

Ces images ne sauraient être dessinées: elles assemblent des
pensées, non des formes ou des attitudes. Un critique trouve
impossible le geste des vieillards, qui ne peuvent se prosterner sans
renverser leurs coupes. Crainte superflue: ces gestes n'ont pas de
réalisation visuelle rigoureuse. De même pour la grande apparition de
l'Agneau: elle ne fait que juxtaposer les traits de sa puissance
(cornes), de sa sagesse (7 yeux) et de son sacrifice (comme immolé).
Le monde céleste--même les quatre êtres
supérieurs--pressent le terrible secret du Livre, et ne peut y porter
les regards.

3.
L'Agneau, parmi les hymnes, s'avance et brise les
sceaux. A l'appel des quatre chérubins paraissent les cavaliers,
porteurs de présages (cf. les chevaux dans Za 1:8 6:1-8).
Avec eux s'avancent la guerre, la famine et la peste. On a fort
controversé le rôle du premier. Beaucoup y voient l'image de la
marche triomphante de l'Évangile: mais alors pourquoi l'arc? Il est
plus conforme à l'ensemble du tableau d'y voir le signe de la gloire
des armes; alors le deuxième sceau complète le premier en montrant
dans les flots de sang le véritable aspect de la guerre. Cependant
les deux sens ont leurs difficultés comme leurs côtés satisfaisants.
Cette difficulté paraît tenir à ce que les images ne sont pas
entièrement neuves, mais adaptées, et ne se moulent pas exactement
sur l'une ou l'autre idée. On a ingénieusement remarqué que les
quatre cavaliers surgissent dans l'ordre et avec les fonctions
distinctives que le calendrier astrologique attribuait aux signes
zodiacaux du Lion (victoire), de la Vierge (guerre), de la Balance
(ruine des céréales, abondance d'huile et de vin) et du Scorpion
(épidémies). D'ailleurs les quatre êtres vivants en rapport avec la
nature les appellent, et le premier des animaux est décrit lui-même
comme «semblable à un Lion». Le sixième sceau ouvert, voici un
intermède. La scène est grandiose. Tandis que les quatre vents sont
retenus, un ange vient marquer, avant la grande tourmente, les
serviteurs fidèles. Ils portent le sceau protecteur de leur
souverain. L'Israël des militants, des martyrs, est compté tribu par
tribu: ils y seront tous. Et ensuite c'est la grande multitude des
rachetés. Les deux foules vont se confondre devant le trône.

4.
Le septième sceau est ouvert. Les trompettes sonnent.
Le jugement est promulgué et déclenché. Il y a là plutôt une
progression de l'idée même qu'une succession réelle,
chronologique, pour laquelle aucun point de départ n'est donné. Ce
sont les scènes d'un drame qui représente le jugement, mais ne le raconte pas.

Les calamités des cinq premières trompettes rappellent les plaies
d'Egypte. On doit se souvenir que dans le langage des Psaumes et des
prophètes, et plus encore dans les apocalypses, la nature réfléchit
et représente souvent les calamités ou joies humaines. Les collines
sautent de joie, etc. En sorte que dans ces fléaux une large place
doit être faite au symbole. L'étoile qui tombe est un symbole
d'intervention céleste, de même que les révolutions raciales et
sociales sont annoncées par les tremblements de terre, et le déclin
et la chute des sociétés pécheresses par l'obscurcissement des
astres. (cf. Joe 2)

La nature est frappée la première: l'humanité sera spécialement
visée par les trois dernières (les trois malheurs). De même avec les
quatre coupes, les éléments seront frappés. On voit la place des
groupes symétriques dans la composition des tableaux. Noter aussi
l'indication schématique du caractère partiel encore des jugements:
un tiers des eaux, etc. Tout cela fait voir que nous avons affaire à
des tableaux qui représentent une idée--le ciel et la terre
passeront...--mais non une succession chronologique définie
d'événements.

Mais voici venir les tourments qui donnent à l'homme le dégoût de
la vie et lui font souhaiter le néant. Comme des nuées de sauterelles
qui viennent parfois désoler les campagnes d'Orient, une invasion
d'esprits malfaisants (cf. Ap 16:13-14) monte de l'abîme.
Déchaînée par «l'étoile» déchue (ange) qui lance cette offensive
diabolique contre l'humanité, elle a à sa tête Apollyon (le
«destructeur»). On pense ici à Apollon, à qui la sauterelle était un
animal consacré: homonymie voulue et ironique sans doute. Mais les
efforts de Satan sont d'avance contenus et limités. Toute
identification historique tombe ici dans l'arbitraire: ce sont des
symboles, non des événements. Pour la construction très complexe de
l'image, on peut se souvenir de Joël (Joe 1 et Joe 2) et
noter peut-être des éléments astrologiques. Le Scorpion joue en effet
un rôle dominant. Or, depuis l'entrée dans le signe du Scorpion
jusqu'à la fin de l'année il y a cinq mois (Ap 9:5). L'image des
200 millions de cavaliers contient une allusion à la menace d'une
invasion barbare et par suite évoque l'ébranlement du pouvoir romain,
mais en transposant la menace dans le plan suprasensible: c'est une
cavalerie infernale châtiant l'iniquité humaine. Notons aussi, pour
souligner la complexité des éléments du symbole, que cette nuée de
cavaliers suit les sauterelles exactement comme le Sagittaire (ou
Centaure) suit le Scorpion dans le Zodiaque. Ces êtres de cauchemar
peuvent avoir été en partie suggérés par les monuments de Smyrne ou
de Pergame avec leurs chevaux monstres, à membres serpentiformes. Il
s'agit toujours des souffrances et des fureurs que le péché déchaîne
sur le monde. L'image n'est pas non plus sans parallèle dans
l'apocalyptique juive (cf. pour ces fléaux les visions de Joe
2:4,Hab 1:5-10).

Avant la septième trompette, un intermède réconfortant pour les
fidèles. L'ange de la souveraineté de Dieu apporte au Voyant un petit
livre que, semblable à Ezéchiel (Eze 2:7-3:3), il doit manger. Le sens
général de ce difficile passage est que le témoignage de l'Israël
fidèle sera finalement justifié par la résurrection. Les deux
témoins, Moïse et Élie, personnifient la loi et la prophétie, et leur
fin surnaturelle les désigne pour incarner la certitude de l'ultime
confirmation des promesses divines: mais à travers quelles
péripéties, le passage (qui se rapporte surtout à Jérusalem)
l'indique obscurément. La ville sainte sera ravagée par les païens,
mais le sanctuaire même demeurera inviolé, symbole de l'intangibilité
de l'Église fidèle. Le temps de persécution pendant lequel la Bête
montée de l'abîme paraîtra triompher du témoignage de l'Église (trois
ans et demi) se terminera par l'entrée des témoins dans la gloire. On
est peut-être ici en présence de l'adaptation chrétienne d'une
prophétie précédente concernant Jérusalem. L'association entre la
condamnation de Jésus et le salut du véritable Israël explique
l'expression «doux et amer».

5.
Mais voici la septième trompette: point culminant du
drame. Les châtiments ont exaspéré l'ennemi en lui marquant son
proche destin. Cet adversaire est le chef des puissances infernales:
le Serpent ancien. Il est décrit comme le Dragon à sept têtes et dix
cornes, emblèmes de puissances qui défient Dieu. La femme est d'abord
la communauté juive, d'où est issu le Christ, puis l'Église
elle-même, souffrante, féconde et protégée. Le tableau est en partie
rétrospectif puisqu'il décrit la naissance du Sauveur, coup mortel
donné par avance à l'empire de Satan. Celui-ci tente de se venger sur
l'Église, mais le Seigneur la lui dérobe. Sortant de la nouvelle
Egypte, comme autrefois Israël emmené au désert pour son salut,
l'Église est en sécurité, malgré la persécution (le torrent). Cf.
Ps 18:5. La vision très grandiose, toute tissée de traits
bibliques, paraît utiliser aussi des souvenirs astrologiques. On
pense ici au signe zodiacal de la Vierge, «revêtue du soleil quand il
passe par son signe, ayant la lune sous ses pieds quand celle-ci
passe au sud de l'écliptique et couronnée de douze étoiles qui sont
la couronne zodiacale» (Loisy). L'Église a par avance vaincu dans les
sphères célestes (cf. Eph 6:12,Col 3:1) et c'est ce qui excite
les fureurs de Satan.

La Bête (cf. les animaux de Da 7) est suscitée par Satan:
elle est son champion. C'est Rome et ce sont aussi les empereurs qui
l'incarnent. Elle monte de la mer, car Rome règne sur la
Méditerranée, mais aussi la mer est pour les anciens Orientaux la
matrice des puissances mauvaises. «Il n'y aura plus de mer», dit
l'Apocalypse Les noms de blasphème sont les titres divins des
empereurs. Le monstre représente Satan comme le Christ représente
Dieu. Le parallèle est intentionnel: c'est l'Antéchrist, qui parodie
même sa meurtrissure et sa résurrection. On pense trouver ici une
allusion à la légende qui voulait que Néron ne fût pas vraiment mort:
peut-être aussi l'idée que Dioclétien est un nouveau Néron.

Le deuxième monstre, venu de la terre, est le clergé païen
asiatique qui a mis en honneur le culte impérial et le favorise par
ses supercheries. Le Dragon et les deux Bêtes forment une
anti-trinité, et la politique antichrétienne est ici celle qui
prélude à la persécution proprement dite. (boycottage, Ap 13:16)
On a d'ailleurs beaucoup commenté la nature de l'insigne de la Bête:
c'est en tout cas la réplique du sceau de Christ.

Le lecteur est alors en présence des forces démoniaques et
célestes affrontées: des deux monstres en qui se concentrent les
efforts de la mobilisation diabolique, le regard s'est reporté vers
le choeur des fidèles couronnés, vers le merveilleux essor
missionnaire qui portera l'Évangile au monde, et vers la proclamation
du destin inéluctable qui attend la coalition infernale. En effet,
l'heure est venue et les coupes du jugement sont versées sur la terre
en une succession rapide, écrasante. Les armées sataniques ne
sauraient affronter la souveraineté de Dieu que pour un Waterloo»
(Harmaguédon ou Méguiddo est le jeu de la victoire de Barak sur
les ennemis d'Israël au temps des Juges; c'est le nom symbolique
d'une bataille finale). Cf. Westphal, Les Apôtres, p. 445.

6.
Après un nouvel intermède, dans lequel passe une fois
de plus à l'horizon céleste le choeur triomphant des fidèles, voici
le premier dénouement. L'heure suprême du châtiment a sonné pour Rome
vaincue. Dans une scène d'une grande magnificence, apparaît la Rome
impériale, figurée, comme l'avait été l'Église, sous les traits d'une
femme, mais d'une riche et insolente prostituée assise sur la Bête.
Les symbolismes viennent ici s'ajouter, se doubler en quelque sorte,
pour représenter Rome (sept collines) et ses empereurs (les têtes).
La Ville, la puissance impériale, les tyrans, le paganisme, se
soudent, se confondent dans l'apparition. Plusieurs commentateurs
pensent que le symbole très israélite de la prostituée, qui rappelle
les apostrophes prophétiques, devait s'appliquer primitivement à
Jérusalem, et a été transposé pour désigner Rome. La chute de
l'empire païen est quelque chose de plus qu'un grand événement
historique: elle est la répercussion terrestre de la déchéance des
forces démoniaques dans les «lieux célestes». De là l'ampleur
tragique du tableau. En annonçant la ruine de Rome, le prophète
chrétien aboutit au but précis de son apocalypse, dont on peut dire
que c'est ici, au point de vue des Églises qu'il voulait réconforter,
la partie capitale: contempler par avance l'heure de la moisson et de
la vendange, montrer que les dénouements suprêmes ne correspondront
pas aux passagères apparences mais aux réalités permanentes, c'est
faire oeuvre prophétique par excellence et permettre à la foi de
«transporter les montagnes». Plus on examine ces chap., plus on est
frappé de constater qu'ils développent des conceptions et des
comparaisons venues des évangiles: vendange et moisson; voir aussi
Jer 25:15.

7.
Le grand dénouement. La ruine de Rome, siège et
instrument de la puissance satanique, laisse le champ libre pour les
choses finales. Parmi les louanges qui acclament la souveraineté
divine, dans la majesté formidable de sa justice, paraît le
Triomphateur, le Verbe de Dieu, celui dont l'Église, dans son
adoration, ne saurait sonder l'ultime mystère (Ap 19:12). Les
armées du Mal sont encore rassemblées, mais c'est pour
l'accomplissement de la sentence. L'univers est purifié de leur
souillure: feu et destruction! Le Christ et son Église régnent d'un
règne assuré et parfait; c'est l'accomplissement de la prière: «sur
la terre comme aux cieux». Le nombre 1.000 est ici, comme d'autres
chiffres, l'expression d'une réalité spirituelle et d'une certitude
générale, et empêche plutôt les calculs qu'il ne les favorise (cf.
Millenium).

Et si la foi des fidèles n'était pas encore assez assurée de sa
récompense et disait: après les deux monstres, Satan ne
rassemblera-t-il pas encore d'autres armées,--une dernière vision lui
est offerte. Satan a reçu en quelque sorte sa suprême chance, et,
l'ayant épuisée, est jeté dans l'étang de destruction. Ainsi sa fin
prend toute sa portée. Il n'est donc pas jusqu'aux ressources mêmes
du Prince des ténèbres qui n'aient été manifestées et réduites à
néant. La fin de Satan ne pouvait être une exécution sommaire. C'est
dans ses plus insondables profondeurs que le Voyant a saisi la
tragédie du Mal, et qu'il en symbolise ici les dernières phases.

La Cité de Dieu, dont les étranges et formidables dimensions
disent l'harmonie surnaturelle (Ap 21:15), descend du ciel, ou
plutôt apporte le Ciel sur la Terre et annexe la Terre au Ciel. Par
une insensible et merveilleuse transition, tous les plans se fondent.
La présence de Dieu n'est plus un «au-delà»; Dieu est maintenant
«tout en tous». La prophétie, après les images obscures,
tumultueuses, où se traduisait le conflit engagé sur la terre et dans
les sphères invisibles, s'achève en une vision sereine et reposée.
Nul n'a parlé aux âmes le langage du Ciel avec cette miraculeuse
limpidité. Le Voyant a franchi les étapes où «l'on voit confusément».
Une simplicité transparente lui a été donnée pour parler des choses
que «la chair et le sang» ne peuvent connaître. Les images qui
permettent ici de contempler l'invisible même sont comme
l'épanouissement des symboles du Christ. Celui qui a vécu cette
extase avait d'abord vécu dans l'intimité de Jésus. C'est bien le
Règne de Dieu de la prédication évangélique, réalisé pour ceux qui
ont été enfants de lumière, et qui ont eu faim et soif de la justice.
C'est aussi la promesse accomplie: «Vous aurez des tribulations dans
le monde, mais prenez courage, j'ai vaincu le monde.»

AUTEUR, DATE, COMPOSITION.

La tradition attribue l'Apocalypse à l'apôtre Jean. Irénée
affirme que la vision lui fut donnée à Patmos sous Domitien, donc
vers 95. La question se complique de sa connexité avec celle de
l'auteur du quatrième évangile. Il paraît impossible que les deux
écrits soient du même auteur. Leur style et leur grammaire diffèrent
à tel point qu'il ne suffit pas pour expliquer ces différences de les
supposer séparés par de longues années, qui auraient permis à
l'auteur de l'Apocalypse de se familiariser avec le grec; d'autre
part on ne peut méconnaître les éléments johanniques accusés de
l'Apocalypse d'autant moins que dans ce cas il faudrait expliquer la
tradition ancienne et le témoignage d'Irénée. Le noeud se relâche si
l'on renonce à maintenir à tout prix la composition des deux écrits
par l'apôtre lui-même. On peut remarquer que l'auteur parle à
diverses reprises des apôtres, sans paraître se compter dans leur
nombre; par contre, il revendique la fonction de prophète. Si l'on
songe que la tradition signale l'existence pour le moins d'un autre
Jean d'Éphèse, et qu'il y eut en Asie Mineure un véritable foyer de
pensée johannique, on s'expliquerait aisément que l'Apocalypse du
prophète Jean ait été attribuée, au bout d'un demi-siècle, à son
homonyme l'apôtre. Le problème de la date n'est pas moins ardu, car
les données du livre lui-même ne s'accordent guère. Certains indices
semblent impliquer que le Temple de Jérusalem était encore debout.
D'autres s'accordent mieux avec l'époque de Domitien, indiquée par
l'ancienne tradition: en effet, les Églises ont déjà un passé, une
histoire, qui s'expliquent mal quelques années après leur fondation.
Les allusions au culte de l'empereur se rapportent bien à l'époque de
Domitien, ainsi que les allusions probables à la légende du retour
de Néron. Partant de ces discordances, nombre d'auteurs
ont analysé le texte, signalé des morceaux peu harmonisés: on a donc
essayé de distinguer des sources, et sans doute avec vraisemblance.
Mais alors nouveau problème: la même étude qui fait apparaître
l'incompatibilité littéraire et grammaticale de l'Évangile et de
l'Apoc, montre aussi avec force que le corps de l'Apocalypse est bien
d'un seul auteur. Les sources, en tout cas, sont des sources si
familières et si bien assimilées que les éléments lui en sont
spontanément venus à la mémoire sous une forme à lui.

Tout ce qu'il est permis de dire, c'est que l'Apocalypse fut
écrite probablement sous Domitien, par un prophète du nom de Jean,
qui avait dans les Églises d'Asie Mineure une haute autorité et qui
était sûrement Israélite d'origine. Bientôt considérée comme comptant
presque autant de mystères que de mots (s. Jérôme), l'Apocalypse fut
très contestée: c'est l'Église d'Occident qui a été la première à en
consacrer l'autorité et le caractère apostolique, et elle a eu raison
de conserver à la piété une source de consolation et d'édification
qui aurait porté des fruits plus riches si beaucoup d'âmes n'en
avaient été détournées par les calculs et les contradictions sans fin
de ceux qui, de génération en génération, ont voulu à tout prix y
trouver une histoire universelle en énigmes et lui arracher le secret
de la fin du monde.
BIBLIOGRAPHIE. --D'innombrables auteurs ont traité de
l'Apocalypse; citons quelques-uns de ceux qui, soit attachés aux
solutions traditionnelles, comme Swete ou le P. Allo, soit partisans
de points de vue nouveaux, se placent sur le terrain de l'exégèse et
de l'histoire. H.B. Swete, The Apo of St John, 3 e éd. 1917; A.S.
Peake, The Revd. of John, 1919; R.H. Charles, The Revd. of
John,
1920 (2 vol: ICC), ouvrage capital; celui de Swete n'est
pas moins important. Le P. Allô, l'Apocalypse (Gabalda, 1920);
Loisy, Les livres du N.T., 1922; Apo de Jean, 1923 (point de
vue critique). Ces ouvrages contiennent les indications
bibliographiques nécessaires à une étude plus poussée (travaux de W.
Bousset, Gunkel, etc.). A signaler, pour l'analyse qu'elle donne de
l'Apoc, l'étude de F. Godet (Et. Bibl., 1874).--Porter, dans
Hastings HDB, 1898 (étude de premier ordre), Muirhead, dans
Dict. of the Apost. Church, 1915. Baldensperger, Introd. dans Bbl. Cent., et Les Cavaliers de l'Apo dans Rev. Strasb.,
1924.--P.-L. Couchoud, dans l'Apocalypse (Rieder, 1930),
développe les conséquences de ses vues spéciales sur la
non-historicité de Jésus.--Cf. les pages consacrées à l'Apocalypse
dans le New Commentary de Gore, 1928, S.P.C.K. et les notes,
analyses et introd. de A. Westphal dans Les Apôtres, 1918.

Et. C.