NÉRON

Ce nom ne se trouve pas dans le N.T., mais c'est Néron qui est le
«César» auquel en appelle l'apôtre Paul au moment de son procès à
Césarée (Ac 25:11,21,25), auquel il fait allusion pendant sa
captivité à Rome (Php 4:23), et devant qui il dut comparaître
une ou deux fois: soit qu'il ait été condamné à mort dès la première
fois, soit que d'abord acquitté il ait de nouveau comparu plusieurs
années après, pour être cette fois condamné, la tradition a toujours
rattaché son exécution, comme celle de Pierre, à la responsabilité de
Néron (voir Paul, Pierre, Pastorales [épîtres]).

Néron est surtout, dans le N.T., un des principaux personnages
désignés d'une façon transparente dans les tableaux de l'Apocalypse.
En effet, la plupart des critiques s'accordent pour reconnaître en
lui la Bête (Ap 13 ss). La Bête représente soit l'empire romain
d'une manière générale, soit l'empereur qui le personnifie. Le nom de
la Bête est indiqué par un chiffre, 666 (Ap 13:18). Or si l'on
écrit en hébreu le nom de Néron César, l'addition des chiffres que
représentent les caractères hébraïques de ce nom donne le total de
666 (noun =50, rech =200, vav =6, noun-- 50, qoph,--
100, samek =60, rech =200). Si on écrit Nero
(orth, latin) au lieu de Néron, le total est 616, variante du chiffre
de la Bête dans certains manuscrits de l'Apocalypse et déjà connue
par Irénée. L'identification de Néron sous les deux formes du passage
est donc extrêmement probable.

Lucius Domitius Nero Claudius, né à Actium en 37, fils de Cneius
Domitius Aenobarbus et d'Agrippine, accéda au trône grâce aux
intrigues et aux crimes de sa mère. Celle-ci épousa en secondes noces
l'empereur Claude et lui fit adopter son fils. Lorsque tout fut prêt
pour substituer Néron à Britannicus, fils et héritier naturel de
Claude, elle empoisonna son mari. Néron devint ainsi empereur en 54,
à l'âge de 17 ans. Il avait eu pour précepteurs Sénèque et Burrhus.
Les cinq premières années de son règne furent paisibles; il se
livrait aux plaisirs et laissait gouverner sa mère et ses
précepteurs.

Mais bientôt les terribles instincts hérités de ses parents se
déchaînèrent: il fit tuer Britannicus, Agrippine, Sénèque, tous ceux
qui lui portaient ombrage; il s'enfonça dans le crime et dans la
débauche, ses goûts artistiques tournèrent en véritable perversion;
il fit célébrer de grands jeux dans ce que Tacite appelle la «vallée
vaticane», dont on suppose que c'est l'emplacement même occupé
aujourd'hui par la cathédrale de Saint-Pierre; il ne pensa plus qu'à
se faire applaudir par le peuple comme conducteur de char, poète et
musicien. La plupart de ces traits sont mis fortement en relief dans
la tragédie de Racine: Britannicus. En l'an 62, il fit
empoisonner Burrhus, le préfet du prétoire, qui dut être en relations
avec Paul (Php 1:13). La même année il répudia Octavie pour
épouser Poppée Sabine, puis, après avoir banni Octavie dans l'île de
Pandataria, il la fit mettre à mort.

En juillet 64, un incendie de 9 jours dévora la plus grande
partie de Rome. Comme le peuple le croyait coupable, Néron, pour
détourner sa colère, accusa les chrétiens. Alors commença une
persécution qui fut probablement assez brève et localisée, mais
atroce. Suétone écrit: «Il livra aux supplices les chrétiens, race
adonnée à une superstition nouvelle et coupable» (Suét., Néron, 16).
Tacite est plus explicite, dans une page justement célèbre des
Annales (XV, 44): «Mais aucun moyen humain, ni largesses
princières, ni cérémonies expiatoires ne faisaient reculer la rumeur
infamante d'après laquelle l'incendie avait été ordonné. Aussi, pour
l'anéantir, il supposa des coupables et infligea des tourments
raffinés à ceux que leurs abominations faisaient détester et que la
foule appelait Chrétiens. Ce nom leur vient de Christ, que, sous le
principat de Tibère, le procurateur Ponce Pilate avait livré au
supplice: réprimée sur le moment, cette détestable superstition
perçait de nouveau, non pas seulement en Judée, où le mal avait pris
naissance, mais encore dans Rome, où tout ce qu'il y a d'affreux et
de honteux dans le monde afflue et trouve une nombreuse clientèle. On
commença par se saisir de ceux qui confessaient leur foi, puis, sur
leurs révélations, une multitude d'autres, qui furent convaincus
moins du crime d'incendie que de haine contre le genre humain. On ne
se contenta pas de les faire périr: on se fit un jeu de les revêtir
de peaux de bêtes pour qu'ils fussent déchirés par la dent des
chiens; ou bien ils étaient attachés à des croix (ou enduits de
matières inflammables) et, quand le jour avait fui, ils éclairaient
les ténèbres comme des torches. Néron avait offert ses jardins pour
ce spectacle, et donnait des jeux au Cirque, où tantôt en habit de
cocher il se mêlait à la populace et tantôt prenait part à la course
debout sur son char. Aussi, quoique ces gens fussent coupables et
dignes des dernières rigueurs, on se mettait à les prendre en pitié,
car on se disait que ce n'était pas en vue de l'intérêt public, mais
pour la cruauté d'un seul qu'on les faisait disparaître.» (Trad. H.
Goelzer, édit, «Les Belles-Lettres».) A propos de ce bruit, imputant
l'incendie à Néron, Goelzer écrit: «On remarquera la réserve de
Tacite: Suétone (Néron, 38) et Dion Cassius (62:16) n'ont pas
hésité à adopter la version la plus défavorable.»

L'accusation portée contre les chrétiens a été reprise de nos
jours: un sénateur italien, Gaëtano Negri, ayant publié à Rome à
propos du roman de H. Sienkiewicz: Ouo Vadis, une étude intitulée
Nerone e il cristianesimo (1899), le prof. Carlo Pascal, dans un
opuscule, L'incendio di Roma e i primi cristiani, a repris
l'accusation portée contre les disciples du Christ. Mais ceux-ci ont
été vigoureusement défendus, entre autres par Vindex (Difesa dei
primi cristiani, etc.,
Roma, sans date). Les travaux des savants
français, allemands et anglais sont assez connus pour que nous ne
croyions pas utile de les indiquer ici. Aux lecteurs que la question
intéresse, nous signalons le travail magistral de Attilio Profumo:
Le fonte éd i tempi dello incendio neroniano (in- 4° 748 p.,
Roma, Forzani, 1905). Il fixe la date du crime de Néron en 65, et non
en 64, comme on le fait d'habitude (ainsi Lewin dans Festi Sacri
et d'autres avec lui); il va jusqu'à déterminer la date du procès
intenté aux auteurs présumés du sinistre (entre avril et mai 65) et
celle de la persécution (entre mai et juin). Il mentionne, sans la
discuter, l'hypothèse de l'historien G. Ferrero, envisageant que
l'incendie aurait été allumé par des conjurés juifs, mais que, pour
les innocenter, l'impératrice Poppée aurait réussi à faire croire à
la culpabilité, non des Juifs, mais des chrétiens.

Néron finit misérablement et lâchement, obligé de se donner la
mort, à la suite de révoltes qu'avaient occasionnées ses folies, ses
crimes et ses dépenses insensées. Pourtant les heureuses mesures
administratives de ses périodes de lucidité lui avaient valu une
grande popularité, surtout dans les campagnes et plus encore en
Orient, où il n'avait été connu que de loin. Le bruit se répandit
qu'il n'était pas mort, qu'il était réfugié chez les Parthes et qu'il
régnerait de nouveau. En 69 et en 88 de faux Néron provoquèrent même
de sérieux troubles dans l'empire. Ainsi s'expliquent des passages
comme Ap 17:8,11: «La Bête qui était et qui n'est plus
reparaîtra...elle est le huitième roi, elle est en même temps du
nombre des sept.» Néron serait le huitième et dernier empereur après
avoir été le cinquième.

D'après ces chapitres de l'Apocalypse où intervient la Bête,
nous pouvons comprendre l'effroi et l'horreur que Néron a inspirés
aux chrétiens de la fin du premier siècle. Voir Apocalypse.

Ern. M. et J. M.