MÉSA
D'après 2Ro 3:4 et suivants, sous les règnes d'Achab, d'Achazia
et de Joram (IX e siècle), Mésa était roi de Moab. Il était grand
éleveur de troupeaux et vaillant homme de guerre.
Lors de la division du royaume de Salomon, les Moabites avaient
secoué le joug israélite mais ils s'étaient vus plus tard réduits par
Omri, père d'Achab, au paiement d'un tribut annuel de 100.000 agneaux
et de 100.000 béliers, munis de leur laine. Ce vasselage ne plaisait
pas à Mésa, qui, vers la fin du règne d'Achab, se révolta. C'est
seulement au bout de quelques années que Joram aidé par Josaphat, roi
de Juda, et par le roi d'Édom entreprit de soumettre de nouveau Moab
à son autorité.
Nous saurions peu de chose sur Mésa si, en 1868, le missionnaire
alsacien Klein, en fouillant dans les ruines de Dibon, autrefois la
capitale de Mésa, n'avait pas découvert une colonne, ou stèle, en
basalte noir, de 1 m. 13 de haut, 70 cm. de large et d'une épaisseur
de 35 cm., couverte sur une face d'une inscription qui attira son
attention. Un estampage en fut fait et communiqué à l'épigraphiste
français Clermont-Ganneau, alors drogman du Consulat de France à
Jérusalem et plus tard directeur de l'École des Études orientales à
Paris. Les Arabes du voisinage, s'apercevant que ce monument, auquel
eux-mêmes n'attachaient aucune importance, était convoité par des
Européens, pensèrent en tirer un meilleur parti en le brisant et en
en vendant les morceaux aux plus offrants. La stèle, telle qu'on la
voit maintenant exposée au Louvre, est une restauration qui l'a
remise plus ou moins dans son état primitif, l'estampage ayant permis
de reconstituer à peu près tout le texte des fragments que la France
n'avait pu acheter.
Cette inscription de 34 lignes, assez mutilée, est rédigée dans
la langue moabite, qui avait un alphabet spécial mais qui, d'autre
part, ne différait pas beaucoup de l'hébreu. Elle relate les exploits
de Mésa lors de sa révolte, complétant ainsi le texte trop succinct
de 2Ro 3. Elle nous apprend que Mésa, profitant évidemment d'un
affaiblissement du pouvoir sous Achazia, fils d'Achab, (cf. 2Ro
3:5) avait réussi dans un élan d'enthousiasme guerrier et religieux
à s'emparer de la contrée au Nord de l'Arnon et à l'Est de la mer
Morte, soit le territoire qui, d'après No 32:33-38, avait été
attribué à la tribu de Ruben et à une partie de celle de Gad. Mésa se
vante d'avoir pris et ensuite reconstruit et fortifié une centaine de
villes, parmi lesquelles Baal-Méon, Kirjathaïm, Nébo (qui avait un
sanctuaire de Jéhovah), Jahats, Beth-Bamoth, Betser, Médéba, et
d'autres encore. Il raconte comment il améliora le pays, creusant
partout des puits et créant des voies de communication. Il
s'établissait dans le pays pour y rester. Naturellement, Mésa ne dit
rien de la guerre entreprise contre lui par le roi d'Israël Joram,
successeur d'Achazia, vers l'an 850 av. J.-C. Pour savoir ce qui
advint à Mésa, nous devons donc revenir au texte de 2Ro 3, qui
nous montre les trois envahisseurs, Israël, Juda et Édom (2Ro
3:9), attaquant Mésa par le sud, après avoir fait le tour de la mer
Morte, détruisant sans merci les villes rebâties par le roi de Moab,
coupant les bons arbres, bouchant les sources d'eau et abîmant les
champs cultivés. Cette campagne, menée avec une énergie si farouche,
eut une fin étrange. Dans un moment de désespoir, pour se concilier
la faveur de son dieu Kamos, Mésa, sur la muraille de la forteresse
de Kir-Haréseth, à demi-renversée, offrit à ce dieu en sacrifice son
fils aîné, héritier de son trône. Cet acte fit une impression si
terrifiante sur les assaillants que redoutant, semble-t-il, la fureur
de Kamos ainsi imploré, ils retournèrent chez eux, laissant à Mésa la
possession de son pays ruiné. Ch. B.
L'inscription que porte la stèle de Mésa a une telle importance
pour l'exégèse biblique qu'il vaut la peine d'en transcrire ici les
passages essentiels:
Je suis Mésa, fils de Kamos [Gad?]...roi de Moab, le Dibonite.
Mon père a régné sur Moab 30 ans, et je devins roi après mon père.
J'ai érigé ce haut-lieu à Kamos de Qorkha, sanctuaire du salut, car
il m'a sauvé de toutes mes tribulations et m'a fait triompher de tous
mes ennemis.
Omri, roi d'Israël, avait humilié Moab durant de longs jours,
parce que Kamos était irrité contre son pays. Son fils (Achab) suivit
ses traces et, lui aussi, il dit: «J'humilierai Moab»; de mon temps
il parla ainsi; mais j'ai triomphé de lui et de sa maison. Israël a
péri pour toujours.
Omri s'était emparé de la contrée de Médéba. [Israël] séjourna là
durant son règne et la moitié du règne de son fils, 40 ans. Mais
pendant ma royauté, Kamos y a établi sa demeure (=nous l'a rendue).
Les gens de Gad habitaient dans la région d'Ataroth depuis des
éternités, et!e roi d'Israël avait construit Ataroth pour lui.
J'attaquai la ville, je la pris. Je tuai toute la population de la
ville pour réjouir par ce spectacle Kamos et Moab. Je m'y emparai de
l'autel de son dieu et je le traînai devant Kamos à Kérijoth...
Alors Kamos me dit: «Va et prends Nébo sur Israël.» J'allai de
nuit, je combattis contre elle du lever du jour jusqu'à midi et je la
pris. Je tuai tout: 7.000 hommes, garçons, femmes, filles et
servantes esclaves, car je les avais voués à l'interdit pour
Astar-Kamos. (cf. Jos 8:24) Je pris de là les ustensiles de
Jéhovah et je les traînai devant Kamos.
Le roi d'Israël avait bâti Jahats, il y habitait pendant qu'il me
faisait la guerre. Kamos le chassa devant moi.
C'est moi qui ai fait creuser les fossés de Qorkha par les
prisonniers d'Israël. J'ai bâti Aroër et construit la route de
l'Arnon. J'ai relevé Beth-Bamoth.
Alors Kamos me dit: «Descends et combats contre Horonaïm.» [Je
descendis, je combattis contre la ville et je m'emparai
d'elle]...Kamos [habitait] dans ses murs pendant mon règne.
Si on veut bien examiner ce texte sans parti pris, on peut y voir:
1° Que le style de l'historien moabite qui écrivait
au IX° siècle av. J.-C, est tout semblable à celui de l'écrivain
hébreu auquel nous devons dans la Bible les annales du cycle d'Omri
et d'une façon générale l'histoire primitive des temps qui vont de
l'entrée en Canaan à la ruine de Jérusalem. Le chapitre 3 de 2Ro
complète fort heureusement le récit de Mésa, roi de Moab. Nous avons
donc ici une preuve que les sources employées par l'auteur
deutéronomiste pour rédiger les livres des Juges, Samuel, Rois
appartenaient bien au temps dont elles rapportent les événements.
Après l'exil à Babylone, le style et la mentalité étaient tout autres.
2° Que la religion du dieu Kamos et la religion
nationale du dieu Jéhovah vivaient de notions fortement apparentées,
pour ne pas dire identiques. Qu'il s'agisse de Moab ou d'Israël, la
terre appartient au dieu-patron qui l'a donnée à ses adorateurs. (cf.
Jug 11:23 et suivant) Si le dieu-patron a lieu de se louer de
son peuple, il bénit, il assure la victoire. S'il a lieu de
s'irriter, le pays est humilié, dévasté, livré à la puissance
conquérante de quelque dieu-patron du voisinage. Le roi ne fait rien
que Kamos ou Jéhovah ne lui commande. Pour Kamos comme pour Jéhovah,
l'ennemi doit être traité «à la façon de l'interdit». Même férocité
chez l'adorateur, même satisfaction chez la divinité, de voir le
massacre de la population ennemie (cf. Jos 8:24 11:11, etc.),
l'humiliation et l'affaiblissement du dieu rival à qui vont manquer
les offrandes, nourricières des dieux. Mais si la détresse amène un
combattant à offrir à son patron divin un sacrifice
extraordinairement coûteux, et par conséquent extraordinairement
opérant, (cf. Jug 11:31 et suivants) l'adversaire terrifié
n'a plus à compter sur la victoire; sa seule ressource est dans la
fuite. Ainsi en fut-il pour Israël devant Moab; (cf. 2Ro 3:27,
Vers. Syn.) quand Mésa dans un coup de désespoir offrit à Kamos son
propre fils, l'héritier de son trône, les Israélites, convaincus que
la colère de Kamos allait s'appesantir sur eux, abandonnèrent la
partie; fait d'autant plus symptomatique que l'ensemble de la
campagne contre Moab leur avait été favorable.
En somme, Moabites et Israélites prêtent à leurs dieux respectifs
les mêmes ambitions, le même pouvoir, les mêmes moeurs; et l'on peut
voir par la stèle de Mésa combien sont dangereuses les théories de
l'inspiration biblique qui donnent au Dieu de la Bible la
responsabilité de tous les actes qui lui sont attribués dans les
annales historiques d'Israël.
D'autre part, cette même stèle--comme d'autres inscriptions
sémitiques de la vallée du Tigre et de l'Euphrate--nous explique
pourquoi Dieu, reprenant contact avec l'humanité, s'est adressé à
Abraham et l'a amené en Canaan. Nulle part les prophètes n'auraient
rencontré un terrain aussi favorable pour faire lever la moisson
théocratique. A défaut de lumières morales et religieuses, le Sémite
avait ceci pour lui qu'il ramenait tout à son dieu, qu'il se sentait
sa chose en même temps que son témoin et qu'il n'attendait que de lui
la délivrance. Jéhovah pouvait donc avoir prise sur cette race,
choisir en elle une famille, la mettre à part pour l'éduquer et
entreprendre par elle le relèvement de l'humanité. Voir Prophète.
Enfin, les considérations qui précèdent mettent en lumière
pourquoi les prophètes envoyés par Jéhovah combattirent si violemment
le nationalisme d'Israël, pourquoi ils eurent comme principaux
adversaires les prophètes nationalistes, pourquoi leur action fut si
souvent traitée d'antipatriotique et pourquoi ils reprochent au
peuple élu d'avoir fait couler tant de sang sous prétexte de servir
son dieu, (cf. Os 1:4) ou d'avoir accepté, d'unir dans son culte
formaliste les marques de la dévotion avec des moeurs sanguinaires.
«Cessez d'apporter des offrandes vaines...Vos mains sont pleines de
sang!» (Esa 1:13 et suivants). Alex. W.