MÉMOIRE

«La mémoire est nécessaire à toutes les opérations de l'esprit»
(Pascal). De fait, c'est elle qui nourrit l'imagination et la
réflexion. Qu'elle cesse de les alimenter, l'imagination divague et
la réflexion s'exténue. Le mental se détraque. C'est elle aussi qui
avertit la conscience et qui lui fournit les armes par lesquelles
nous sommes transpercés. C'est elle enfin qui dispose du coeur par
les souvenirs qu'elle lui offre; elle l'enchante ou elle l'accable,
mais ne lui est jamais indifférente.

D'où vient cette puissance? de ce que la mémoire est l'agent de
l'association des idées, qui est dans l'ordre intellectuel ce qu'est,
dans l'ordre matériel, l'attraction des corps. Cette association nous
fournit, grâce à la mémoire, les rapports de cause à effet, de moyen
à fin, de principe à conséquence. L'importance de ce dont on meuble
la mémoire apparaît ici dans tout son relief; car suivant les idées
ou les sentiments dont la mémoire fournit et répète les associations,
notre esprit prend des habitudes d'ordre ou de désordre, notre
personnalité, des habitudes qui l'élèvent ou qui l'abaissent.

On comprend dès lors que la Bible, qui poursuit l'éducation de
l'homme et veut l'amener à se dépasser lui-même pour retrouver la
filialité divine, tienne grand compte de la mémoire, la cultive,
s'efforce d'y trouver, pour la révélation, un point d'appui. Dès le
premier jour de l'humanité, Dieu en appelle à la mémoire de sa
créature, et lui donne par elle des directives salutaires en créant
une association d'idées dont la menace planera sur toute la destinée
humaine: «Ne mange pas de cet arbre; le jour où tu en mangeras, tu
mourras» (Ge 2:17). Au Sinaï, c'est aussi sur l'association des
idées que Jéhovah fait reposer son droit de commander à Israël:
«Écoute, Israël, je suis Jéhovah, ton Dieu, qui t'ai tiré du pays
d'Egypte, maison d'esclavage» (Ex 20:2). Le Deutéronome, dont la
prédication embrasse toute l'exhortation jéhovique depuis Moïse
jusqu'à Jérémie, ne cesse de faire appel à la mémoire: «Souviens-toi!
Souviens-toi!» (De 8:2,18 9:7 24:9 25:17, cf. De 5:15 15:15
24:18-22 16:3), et conclut sur une double association d'idées bien
propre à faire réfléchir Israël: «Je mets aujourd'hui devant toi la
vie et le bien, la mort et le mal» (De 30:15). Les prophètes ne
cessent de rappeler au peuple infidèle les bénédictions que Dieu lui
a accordées dans le passé, et de le stimuler, par là, à la fidélité
pour l'avenir: «Souviens-toi de ces choses, ô Jacob!» (Esa
44:21). Que sont les années du ministère de Jésus, sinon un
enchaînement de faits destinés à se graver dans la mémoire des
disciples et à y devenir générateurs de vie? «Ils se souvinrent...»
Jn 2:17 12:16, cf. Jn 15:20 16:4,Mr 8:18,Lu 24:6-8,Ac 11:16
20:31, etc.. La sainte Cène n'est-elle pas un mémorial? «Faites
ceci en mémoire de moi» (Lu 22:19,1Co 11:24 et suivants). Enfin
les scènes inoubliables du crucifiement et de la résurrection de
Jésus devaient aussi provoquer, dans les émotions sublimes de la foi,
des associations d'idées auxquelles la mémoire aurait sans cesse à
revenir: «Souviens-toi de Jésus-Christ ressuscité...»
(2Ti 2:8-14, cf. Tit 3:1,2Pi 1:12,Ap 3:3, etc).

Pour le rôle de la mémoire dans la vie future, voir
Mt 25:40,45,Lu 16:25.

Les associations d'idées, tenant aux lieux, aux temps, aux
circonstances ou aux personnes, entrent en part dans la formation de
l'individualité, et cela depuis l'âge le plus tendre, dès que
l'enfant ouvre les yeux sur les choses qui l'entourent et prête
l'oreille aux bruits familiers. Aux premières associations d'idées,
causes des impressions les plus neuves et les plus vives, se
rattachent les affections indéracinables de l'enfance, l'enchantement
du foyer, avec ses relations familiales et ses habitudes religieuses.
Ces associations premières, s'affirmant et s'élargissant avec les
années, donnent l'amour de la petite patrie, puis de la grande. Rien
n'émeut, à travers la vie, comme le souvenir du sol natal.

Le rôle réservé à la mémoire, déjà compris par Ovide et
Plutarque, nous avertit du soin que nous devons prendre d'elle dans
l'éducation de l'enfant dès le premier âge, «dès l'entrée de sa
voie», dit la Bible (Pr 22:6, cf. De 6:7), et du souci que
nous devons avoir de multiplier en elle les évocations bonnes et de
lui épargner les évocations mauvaises. Sur ce point, les méthodes
modernes d'enseignement sont loin de s'adapter aux véritables
intérêts de la jeunesse; même dans les milieux d'Église on rencontre
des préjugés ou des négligences qui vont directement à l'encontre du
sain développement de l'âme enfantine.

Les parents chrétiens qui ne parlent pas de religion à leurs
enfants, soi-disant pour ne pas attenter à leur liberté, ou qui
s'abstiennent de faire la prière le soir avec leurs tout petits, sous
prétexte que ces petits ne sont pas en état de comprendre, commettent
une erreur psychologique et prennent à l'égard de leurs descendants
une responsabilité. Bien loin de respecter leur liberté, ils
attentent à cette liberté en privant leurs enfants d'associations
d'idées qui, se développant dans leur âme en formation, les auraient
aidés plus tard à se défendre contre d'autres associations souvent
pernicieuses, auxquelles la vie avec ses tentations ne manquera pas
de les exposer. Ces mêmes parents ne s'efforcent-ils pas de faire
naître dans l'âme des enfants, aussitôt que possible, des
associations d'idées sur la propreté physique ou morale? Diront-ils
qu'il faut attendre pour cela que l'enfant puisse comprendre ce
qu'est la physiologie ou l'impératif de la conscience? Non. Ils
savent le secours que leur apporteront, à l'âge où l'enfant pourra
raisonner, les habitudes créées et ancrées par les associations
d'idées relatives aux soins du corps et aux affections du coeur. Dès
lors, si les parents sont convaincus de l'utilité de la foi comme de
l'utilité de la santé ou de l'honnêteté, pourquoi refuseraient-ils à
leurs enfants dans le domaine de la piété ce qu'ils leur accordent
dans le domaine de l'hygiène ou de la morale? Comment ne sentent-ils
pas qu'ils les appauvrissent et en réalité les mutilent, en tenant
Dieu en dehors de leur formation première, au cours de l'âge créateur
où les images se gravent ineffaçables, où les impressions initiales
émergent lentement de la vie instinctive, où dans la pensée qui se
cherche les impondérables s'ordonnent, où dans l'obscurité du
subconscient les associations d'idées se nouent au plus profond de
l'être, comme les filets d'eau suintent à travers les ténèbres du sol
et, en se rejoignant, font les sources.

Nul ne saura ce qui manque, dans les chemins secrets de son âme,
à l'enfant qui n'a pas vu au-dessus de son berceau les mains croisées
de sa mère. Alex. W.