ANGE DE L'ÉTERNEL

Le mot hébreu maleak, employé ici, signifie messager, délégué,
représentant et, par extension, ange: Traduire l'expression:
maleak de l'Éternel ou de Dieu, par ange de l'Éternel ou
de Dieu, a ceci de fâcheux que le lecteur s'imagine aussitôt que le
personnage mystérieux désigné par cette formule appartient à la
classe d'êtres dénommés anges dans la religion biblique. Or, les
textes divers où ce personnage apparaît sont loin de donner raison à
cette interprétation. On y voit que Dieu et son maleak, sont
fréquemment identifiés (Ge 21:17-19 22:11-18 31:11-13 45:15,Esa
3:2-6,Jug 2:1 et suivant Jug 6:11-16,20-24 13:22,Za 12:8,
etc.). L'ange de l'Eternel serait dans ce cas la représentation
anthropomorphique de JHVH, la manifestation visible du Dieu
invisible, la révélation sensible, historique, du Dieu caché,
l'apparition du «Dieu pour nous», seule forme accessible du Dieu
inconnaissable en lui-même.

Si nous rapprochons cette manifestation divine de celles qui sont
appelées dans d'autres passages le nom de Dieu (c-à-d. Dieu
manifesté par sa puissance: Esa 59:19,Ps 102:16,Esa 18:7,Jer
7:12,De 12:5-11, etc.), ou la gloire de Dieu (Ex 3:2 13:21
et suivants, De 4:12,15,24, etc., Ex 34:29-35,33:20-23,Est
6:3, De 5:24,Eze 39:21, etc.), ou encore la face de
l'Éternel
(Ge 32:30,Ex 33:11-11 «ma face ira»; La 4:16,No
6:25-27), nous constatons que, tout en ayant avec ces trois
manifestations divines des analogies telles qu'on peut à l'occasion
les identifier, la manifestation de Dieu par le nialeak a quelque
chose de plus personnel que les trois autres, et que l'action du
maleak, providentielle et créatrice, est plus intimement liée à
la notion de la Sagesse de l'Éternel, coouvrière dans ses oeuvres
(Pr 8:22-31, cf. Sir 1:3-5 24:3, Sag 7:24-27), et à
celle de la Parole de l'Éternel, identifiée par Sag et Sir avec
la sagesse créatrice, et qui apparaît comme personnifiée dans Ps
119:88 147:15 33:4,6,9,Esa 55:11. Il y a de tels croisements entre
les attributs de l'Ange, de la Sagesse et de la Parole de l'Éternel,
que les rabbins, après l'exil, n'hésitèrent pas à réunir ces trois
termes dans une conception unique: le Memra, le Verbe présent et
agissant de l'Éternel. Les targums, la théologie juive, désignent par
Memra le médiateur entre Dieu et l'homme. On a pensé que Philon avait
tiré de cette notion du Memra sa théorie du Logos, et que Jean aurait
traduit en grec (Logos) ce terme désignant l'intermédiaire de
Dieu dans l'A.T., pour l'appliquer au grand médiateur du N.T. Ainsi,
d'après l'ensemble des textes hébraïques, l'Ange de l'Éternel n'est
autre que l'Être divin dans lequel Dieu se manifeste à l'humanité,
révèle à Israël sa volonté et soutient le peuple élu tout le long de
son histoire.

Dans le texte Mal 3:1: «Voici je vais envoyer mon messager
(=Élie Mal 4:5 =Jean-Baptiste Mt 11:14) pour qu'il
déblaye la route devant moi; puis soudain apparaîtra dans son
sanctuaire l'Ange de l'Alliance que vous appelez de vos voeux: le
voici, il vient!» le dernier des prophètes hébreux identifie l'Ange
de l'Alliance (appelé par la tradition prophétique l'Ange de
l'Éternel et, dans Esa 63:9, l'Ange de la face de l'Éternel,
l'Ange sauveur) avec le Messie, Emmanuel, le germe de David, objet de
l'attente passionnée d'Israël. Nul n'a mieux rendu la ferveur de
cette attente que le deuxième Ésaïe, qui dans Esa 40:3-5,10 s
prépare Mal 3:1 4:1-6. Les auteurs du N.T., prolongeant la
ligne, voient dans le Messie Jésus l'apparition historique de l'Être
divin qui parlait au nom de l'Éternel, accompagnait et guidait Israël
au désert (1Co 10:4-9) et suscitait les prophètes (Jn
12:41), porteur des révélations de Dieu (comp. Da 10:5-7 avec
Ap 1:13-15), après avoir été à l'origine l'agent de la création
(Col 1:15,1Co 8:6,Jn 1:1-4,Heb 1:2-4, comp. Sag 7:24-27). Pas
plus qu'on ne peut distinguer dans les textes de l'A.T. le divin
représentant de l'Éternel qui l'envoie, on ne peut, dans ceux du
Nouveau, séparer Jésus de son Père. «Qui m'a vu a vu le Père» (Jn
14:9). Dieu était en Christ...(2Co 5:19) On comprend que la
plupart des Pères de l'Église aux quatre premiers siècles (Irénée,
Justin, Origène, Tertullien, Eusèbe de Césarée, Chrysostome, Grégoire
de Nazianze, etc.) aient considéré que, dans l'apparition de l'Ange
de l'Éternel, le Fils de Dieu poursuivait son oeuvre créatrice et
révélatrice et préparait son incarnation. Depuis lors, la théologie
s'est divisée en opinions diverses. Les scolastiques, et déjà Jérôme,
ont confondu l'Ange de l'Éternel avec les autres anges, se réclamant
des textes où il est dit que nul n'a jamais vu Dieu. Ailleurs, on a
voulu spécifier que l'Ange de l'Éternel était la seconde personne de
la Trinité; mais la question, qui reste mystérieuse, vu que l'homme
en ces matières tâtonne dans l'obscurité, ne gagne rien à être
transportée sur le terrain de la dogmatique ou de la métaphysique. Il
nous paraît que, si l'on veut conserver leur valeur à l'ensemble des
textes que l'on peut invoquer ici, le mieux est de conclure avec
Bossuet (Élév. sur les Mystères, 10 e sem., 6 e élév.): «Croyons
que toutes ces apparitions ou du Fils de Dieu ou du Père même étaient
aux hommes un gage certain que Dieu ne regardait pas la nature
humaine comme étrangère à la sienne, depuis qu'il avait été résolu
que le Fils de Dieu, égal à son Père, se ferait homme comme nous.
Toutes ces apparitions préparaient et commençaient l'incarnation du
Fils de Dieu, l'incarnation n'étant autre chose qu'une apparition de
Dieu (1Ti 3:16) au milieu des hommes, plus réelle et plus
authentique que toutes les autres.» Alex. W.