MARIE

1.

Marie, soeur de Moïse.

La forme hébraïque du nom est Miriam. Il apparaît pour la
première fois au moment où le peuple vient de traverser la mer Rouge,
qui a englouti les poursuivants (Ex 15:20 et suivant). Marie
prend son tambourin. Toutes les femmes l'imitent. Elles forment un
cortège dont Marie a pris la tête. Elles chantent en choeur tout en
frappant sur leurs tambourins, et Marie leur répond. De ce chant de
victoire, il ne reste qu'un mince fragment:

Chantez à Jéhovah. Il s'est souverainement élevé. Il a jeté dans
la mer le cheval et le cavalier.

Marie est prophétesse, comme le seront Débora et Hulda. Michée la
met sur le même rang que Moïse et Aaron (Mic 6:4). Elle exerce
une grande influence sur son frère Aaron. Et tous deux, s'autorisant
de leurs pouvoirs prophétiques, font des représentations à Moïse, qui
vient d'épouser une Éthiopienne. Ce qui vaut à Marie une punition
sévère (No 12:1,15). Enfin, Marie meurt dans l'oasis de Kadès,
où les Israélites se sont établis; et le peuple célèbre ses
funérailles (No 20:1).

2.

La Vierge Marie.

I LES ORIGINES.

Marie (Mariant ou Miriam ;voir Bardenhewer, Der Name Maria,
Gesch. und Bedeut. desselben)
est désignée dans l'évangile de
Luc (Lu 1:27) comme une descendante de David. Mais il n'est pas
certain qu'il ne s'agisse pas ici des origines de Joseph. Il est
parlé également de sa parente Elisabeth (Lu 1:36); or, celle-ci
était de la race d'Aaron (Lu 1:5). Marie était donc du sang le
plus pur d'Israël.

Nous ne savons rien d'elle, au surplus, en-dehors de ses
fiançailles avec Joseph (Mt 1:18,Lu 1:27). Elle ne joue un rôle
important que dans ces récits des origines de Jésus où une si
délicate poésie enveloppe toutes choses. L'épisode de l'Annonciation
nous montre en elle la femme qui est l'objet d'une grâce en raison de
laquelle elle est «bénie entre les femmes» (Lu 1:42). Elle n'est
pas «pleine de grâce», comme le veut la traduction usuelle de
l'Église Romaine, mais elle a été véritablement «comblée de
grâces» (Lu 1:28); ou encore, elle a «trouvé grâce devant
Dieu» (Lu 1:30). Et ce qu'il y a de plus admirable dans ce
récit, c'est l'humilité de celle que, suivant le Magnificat (Lu
14:8), tous les âges appelleront bienheureuse. (Le Magnificat
[v. ce mot], ce psaume que Luc (Lu 1:46-55) attribue à Marie, est
un hymne de l'Eglise ancienne, composé d'après l'analogie des chants
d'Israël.)

Le rôle de Marie, pour si humble qu'apparaisse la «servante du
Seigneur», est ici très grand. Et, si la messianité promise à l'être
saint qui naîtra d'elle garde le coloris théocratique dont
l'espérance d'Israël revêtait son Messie, ce n'est pas une raison de
mettre en doute l'historicité d'un récit qui semble représenter la
tradition la plus ancienne du judéo-christianisme. Mais l'évangile de
Luc qui l'a d'abord recueillie, n'est pas antérieur à l'an 80. Marie
est donc morte depuis bien des années, et la poésie qui a fleuri
parmi les collines de Nazareth est celle de l'âme chrétienne,
apportant déjà à la mère du Fils de Dieu l'hommage d'une vénération
qui prendra ensuite le caractère d'un culte.

Ceci est très naturel. Ce qui doit nous étonner davantage, c'est
le contraste entre ces récits qui ont inspiré le génie des vieux
maîtres et la sobriété de la tradition la plus ancienne relative à
Marie. Les événements merveilleux de la Nativité semblent n'avoir pas
laissé plus de traces dans le coeur de Marie que l'annonce qui lui
avait été faite par l'ange. On peut concevoir, d'ailleurs, qu'à une
époque tourmentée par la fièvre messianique, l'âme pure et ardente de
celle qui devait être la mère de Jésus ait été d'abord soulevée
au-dessus de la réalité médiocre à laquelle, ensuite, elle a dû
s'adapter.

Toutefois, l'épisode du voyage à Jérusalem à la fête de
Pâques (Lu 2:41,50) ne montre pas chez elle d'autres sentiments
que l'inquiétude naturelle à une mère, contrastant avec la réponse de
Jésus où apparaît d'emblée une si haute conscience du divin. «Les
parents de Jésus ne comprirent pas ce qu'il leur disait» (Lu
2:50).

On peut discuter sur l'influence relative du père et de la mère
dans l'éducation des enfants de Palestine. Mais il est sûr que la
mère avait en Israël, comme partout, l'éducation religieuse du
premier âge. Et, ayant été seule de bonne heure, Marie a dû exercer
dans l'humble maison de Nazareth une particulière influence. La tâche
était lourde. Marie avait au moins sept enfants à élever (Mr
6:3;voir Jésus-Christ, II, 4). Il ne faut pas s'étonner si les
réalités pauvres de la vie quotidienne ont fini par éteindre dans son
âme la splendeur initiale des visions qui avaient préparé la
naissance de Jésus.

Dans l'épisode symbolique des noces de Cana (Jn 2:1-11), la
mère de Jésus joue un rôle modeste.

Ensuite, c'est le conflit qui met en opposition la vocation de
Jésus et la sollicitude mal éclairée des siens (Mr 3:20,31-35)
Si l'on comprend aisément que la tendresse d'une mère se soit émue
d'un dévouement où elle voyait les symptômes d'une exaltation
singulièrement dangereuse, on comprend moins que la Madone de
l'Adoration des bergers et des mages, la Vierge de l'Annonciation,
ait pu se laisser troubler par l'inquiétude au point de vouloir
arracher son fils à son ministère.

Sans doute, la carrière de Jésus, si différente de ce que devait
faire attendre la perspective messianique que ses visions avaient
placée devant elle, avait pu lui causer un étonnement profond. Il y a
l'analogie de Jean-Baptiste faisant demander à Jésus: «Es-tu celui
qui doit venir?» (Mt 11:3,Lu 7:19). Mais une démarche qui a pour
conséquence le douloureux: «Qui est ma mère et qui sont mes frères?»
a paru à beaucoup de bons esprits peu conciliable avec les souvenirs
que Marie gardait, au témoignage de l'évangile de l'Enfance; que,
même, elle repassait dans son coeur (Lu 2:19).

Dès lors, le récit des évangiles, syn. ne parle plus de Marie. Elle
n'est pas citée au nombre des femmes qui suivaient Jésus. Il y avait
là une autre Marie, qui était sans doute une de ses parentes (Marie,
mère de Jacques). Elle-même n'est pas mentionnée par la plus
ancienne tradition évangélique comme ayant assisté Jésus au Calvaire.
Mais une tradition précieuse, qui se place sous l'autorité du
disciple mystérieux dont Jean dit que Jésus l'aimait (Jn 19:26 et
suivant
), réintègre Marie à sa place naturelle: au pied de la croix.
Il semble que le but de cet épisode soit d'expliquer l'histoire de
Marie dans l'Eglise primitive.

Dès lors, en effet, elle a cru. Les Actes la mentionnent au
nombre des premiers' disciples, rassemblés dans la chambre haute. Il
y a là, outre les Onze, «les femmes», Marie, mère de Jésus, et ses
fils (Ac 1:14). Ensuite, le silence de l'histoire se fait. La
légende va commencer.

Certains ont pensé que la maison où Marie avait trouvé accueil, à
Jérusalem, pouvait être celle de Jean, surnommé Marc. Après la mort
de son fils et la Résurrection, qui devait amener la communauté
naissante à se transporter au lieu où son Maître avait souffert et où
elle l'avait vu ressuscité, Marie aurait été accueillie chez un
disciple de Jérusalem qui aurait porté le nom très répandu de Jean,
et qu'il serait normal d'identifier avec Jean-Marc. Sans doute ce
jeune homme serait-il désigné par son surnom grec de Marc pour être
distingué du fils de Zébédée, dont le rôle fut important dans
l'Église primitive (voir parag. 3, Marie, mère de Marc). Mais il se
peut que Marie ait été recueillie chez quelque autre disciple,--chez
Jean fils de Zébédée lui-même,--installé désormais à Jérusalem.

Ensuite, elle rentre dans l'ombre, et il faut admirer l'humilité
de celle qui, jusqu'au bout, alors qu'elle était entourée de la
vénération de l'Eglise naissante, n'a voulu être que «l'humble
servante du Seigneur»

II DÉVELOPPEMENT DU CULTE DE MARIE.

Dès lors, Marie va gravir, lentement d'abord, plus rapidement
ensuite, les degrés du trône céleste que lui a érigé la dévotion
catholique. Le prestige unique qui s'attache à la virginité dans le
monde ancien favorisera d'emblée cette ascension. Un jour, il faudra
que cette virginité soit perpétuelle, ce qui obligera à faire
violence au sens naturel des mots en transformant les frères de Jésus
en cousins (voir Frères du Seigneur), ou à y voir des enfants d'un
premier mariage de Joseph (voir ce mot): ce sera la supposition
d'Epiphane.

Les évangiles apocryphes ont préparé l'avènement de Marie en
fournissant à l'art chrétien ses premiers motifs. Il y a dans les
Catacombes un beau portrait de Marie, tenant dans ses bras le petit
enfant Jésus (qui est ici, contrairement à ce qui sera dans l'avenir,
le personnage central). L'expression de la tendresse maternelle est
très émouvante. Les autres portraits de la Mère du Sauveur n'auront
pas le même accent de réalité--qu'il s'agisse des peintures des
Catacombes, des mosaïques, des représentations figurées sur les
sarcophages. L'art chrétien aura d'abord quelque chose d'hiératique.
Il s'humanisera peu à peu au cours des siècles. Les traits ne seront
pas les mêmes: les Vierges de van Eyck et de Memling ne ressembleront
guère à celles de Botticelli ou de Fra Angelico. Mais ce sera
toujours la beauté humaine, transfigurée par l'expression sainte.
Sans doute, l'idéal redescendra sur la terre au XVI e siècle. Et
tandis que l'art sacré de Byzance et de la Russie conservera son
caractère hiératique, l'Occident verra dans ses représentations de la
Vierge une occasion de traduire sa vision de la beauté féminine; mais
toujours avec une expression de mystère qui est un pressentiment de
l'au-delà.

Les artistes ne se sont jamais préoccupés dans les temps
d'autrefois de représenter exactement le type de Marie. Il est tout à
fait exceptionnel que la Mère qui se tient au pied de la croix ait
son âge véritable. Normalement, elle reste jeune; et ceci répond à
l'idée de croyants qui se représentent que les traits de la Vierge,
expression de l'éternelle beauté, n'ont pu subir les flétrissures de
l'âge.

Si, maintenant, nous considérons le progrès de la doctrine
relative à Marie, nous chercherons son point de départ dans les
évang, apocryphes. Ils nous renseignent très abondamment sur les
origines de Marie. Sa naissance a déjà un caractère miraculeux, étant
donné l'âge avancé de ses parents. Joachim et Anne. A trois ans, elle
est consacrée à Dieu. Elle reste dans le Temple jusqu'à douze ans.
Elle y est servie par les anges. A douze ans, elle est fiancée à
Joseph, qui est un veuf d'un certain âge. Tout ceci n'a d'ailleurs
aucune valeur historique, non plus que l'histoire de la mort de Marie
et de l'élévation de son corps au ciel (Assomption).

Le culte de Marie n'est pas apparu de très bonne heure. Épiphane
(en 370) blâme des hérétiques qu'il appelle les Collyridiens, et oui
rendent un culte à Marie. C'est la controverse nestorienne qui a
amené les docteurs de l'Église, au concile d'Éphèse, à donner à Marie
le titre de Théotokos -- Mère de Dieu au lieu de Christotokos
(=Mère du Christ) comme disaient les Nestoriens. Les conséquences
de cette décision sont bientôt apparues. Le culte de Marie s'est
répandu très rapidement dans l'ensemble de l'Église. En 668, le
Panthéon fut consacré à Marie. Le culte de sainte Anne y vint
renforcer celui de Marie et lui donner la signification que l'Église
des temps modernes devait définir par le dogme de l'Immaculée
Conception.

Comment ce dogme se justifie-t-il?--La maternité divine de Marie,
nous dit-on, est une conséquence du dogme de l'Incarnation. Et elle
comporte nécessairement d'extraordinaires privilèges. Le Fils de
Dieu, étant en mesure de choisir et de former sa mère, a dû la
choisir et la former digne de lui. Marie est préservée de la tache
originelle. Exempte de toute souillure, Dieu l'a comblée de ses
libéralités. Elle est le chef-d'oeuvre de Dieu, qui «se devait de ne
produire aucune autre merveille qui surpassât l'âme de la Vierge»
(R.P. Pinard de la Boullaye, Marie Chef-d'oeuvre de Dieu, p. 197:
confér. de N.-D. de Paris, carême 1931; éd. Spes). Étant la plus
parfaite des mères, elle devait attendre du Verbe Incarné un amour
tel, qu'aucune créature n'a jamais pu en provoquer un semblable. La
dévotion mariale «est née avec le premier sourire de l'Enfant-Dieu
répondant au premier sourire de Marie» (ouvr. cit., p. 23). Jésus
a dû conférer à sa mère tous les droits qui convenaient à ses
fonctions incomparables. Il suffit pour s'en rendre compte de
comprendre ce que doit le plus parfait des fils à la plus parfaite
des mères (ouvr. cit., p. 26). Jésus devait donc associer sa mère
à la rédemption de l'humanité. Elle méritait d'être élue, étant la
plus sainte des vierges. Elle est l'Eve véritable, la Mère des
vivants. Elle est le refuge des pécheurs, une avocate toujours prête
à intercéder pour nous, étant un coeur de femme et un coeur de mère.
Et, outre tous les privilèges qu'elle a reçus, il y a la prérogative
suprême: le droit de grâce. Le Verbe de Dieu, étant l'idéal des fils,
doit saisir dans chaque requête de sa mère une occasion nouvelle de
lui témoigner sa reconnaissance.

Dès lors, il faut passer par Marie pour aller au ciel. Son
intercession est toute-puissante: c'est dire due ses prières sont des
ordres pour Dieu. Elle est donc Médiatrice universelle. Souveraine
des élus, Corédemptrice. Elle est la Reine du Ciel. Le culte qui lui
est rendu n'est pas un culte absolu de latrie. mais c'est un
culte d'hyperdoulie. Elle a dû posséder une très ample
connaissance des vérités surnaturelles, comme conséquence des dons
divins qui lui convenaient en raison de sa maternité divine. Elle a
plus de part encore que le Saint-Esprit dans l'inspiration de
l'Écriture. Vis-à-vis des fidèles, elle remplace Dieu.

Tout cela est l'oeuvre des Jésuites. La proclamation du dogme de
l'Immaculée Conception, en 1854, a consacré leur triomphe. Mais c'est
aussi la revanche du paganisme, la dévotion mariale ayant pour but et
pour raison d'être de faire coopérer le principe féminin à l'oeuvre
de la rédemption.

Depuis le XI° siècle, un office spécial est consacré à Marie dans
les cloîtres. Il y a un jour de la semaine qui lui appartient: le
samedi, porte du dimanche (Marie n'est-elle pas la porte du ciel?).
Il y a un mois tout entier qui lui est consacré. Et à la dévotion au
Sacré-Coeur de Jésus va s'ajouter désormais la dévotion au
Sacré-Coeur de Marie.

Ce prodigieux développement du culte de Marie a de bien faibles
attaches dans la réalité historique. Le protestantisme s'en tient
nécessairement à l'enseignement biblique. Il ne peut penser de la
Vierge Marie autre chose que ce qu'en ont pensé Jésus-Christ et les
apôtres. Rien dans les évangiles n'autorise à voir en Marie plus
qu'une mère pieuse et tendre. Il nous est permis de nous incliner
devant celle qui fut la mère d'un tel fils. Nous pouvons aller
jusqu'à symboliser en elle les vertus idéales de la mère. Certaines
communautés protestantes, en réaction contre la brutalité d'une
époque qui méconnaît trop aisément la pure essence de l'amour
maternel, révèrent le souvenir de Marie. Mais rien ne serait plus
contraire à la pensée de Jésus que de rendre un culte à une personne
de sa famille terrestre.

3.

Marie, mère de Jean-Marc.

Il est question d'elle dans Ac 12:12. Les réunions de prière de
l'Église se tiennent dans sa maison, au temps où Hérode Agrippa
persécute l'Église. Pierre, délivré de prison, s'y rend
naturellement. Il n'y retrouvera pas «Jacques et les frères» (Ac 12:17),
qui forment un autre groupe. Mais la maison de Marie est un lieu
d'asile. Le «Jean surnommé Marc» dont il est question ne serait-il
pas le disciple qui a recueilli chez lui la mère de Jésus? Cette
maison ne serait-elle pas celle où la Vierge a terminé sa carrière?
Marie, mère de Marc, ne serait-elle pas en réalité la mère de Jésus?
On se l'est parfois demandé. Si l'on s'en tient au sens naturel du
récit, Marie, mère de Jean-Marc, était veuve. Son fils avait
également l'affection de Pierre et celle de Paul. On a pensé souvent
que le jardin de Gethsémané lui appartenait. On a vu en lui le jeune
homme qui s'enfuit en abandonnant à ses agresseurs son vêtement de
nuit (Mr 14:51 et suivant). Et on a émis sur ce sujet bien
d'autres conjectures.

La maison de Marie était une vaste demeure, avec vestibule
- (Ac 12:12). La tradition la place sur la colline de Sion. Un
texte arabe, en 614, la mentionne parmi les endroits dignes d'être
visités à Jérusalem (Rev. Bbl., 1897). La tradition y a groupé
(sans avoir pour cela, d'ailleurs, des raisons particulières) les
souvenirs les plus sacrés de l'Église primitive: la Cène,
l'Ascension, Pentecôte. Voir MARC.

4.

Marie, mère de Jacques et de Joses.

Elle est nommée parmi les témoins de la crucifixion (Mr 15:40,Mt
27:56,61). Dans la suite du récit, Matthieu l'appelle «l'autre
Marie» (Mt 28:1). Et cette «autre Marie» est bien la mère de
Jacques dont il est parlé dans le récit de la résurrection (Mr
16:1,Lu 24:10). Mais dans le récit johannique, il n'est plus
question d'elle: sa place est tenue par Marie de Clopas (Jn
19:25). On identifie parfois Clopas et Alphée (voir ces mots). Les
deux noms correspondraient au même nom araméen: Halphaï (cf.
Lightfoot, Ep. Gal, p. 256). Hégésippe (Eusèbe, H.E., III,
11:4) déclare que Siméon, frère de Jacques, était cousin du Seigneur,
son père Clopas étant frère de Joseph. Mais tous ces rapprochements
sont assez artificiels. On ne peut pas savoir si cette Marie est
fille ou femme de Clopas. Il semble qu'elle soit désignée par Jn
(Jn 19:25) comme la soeur de la mère de Jésus. Ce qui est probable,
c'est que nous avons affaire en elle à la mère de Jacques et de
Joses. Ce Jacques est désigné parfois (Mr 15:40) comme Jacques
le Petit, par opposition au fils de Zébédée. La mention de Joses est
troublante. D'après Marc les frères de Jésus étaient Jacques, Joses,
Jude et Simon (Mr 6:3). Ces noms sont extrêmement répandus,
d'ailleurs. Quant au nom de Marie, il était d'une fréquence qu'on a
peine à concevoir. Un manuscrit de Matthieu donne aussi à la mère des fils
de Zébédée le nom de Marie (Mt 27:56). Le Syr. sin. a lu dans
Mr 15:40: «Marie, fille de Jacques, mère de Joseph, et Salomé.»
Et dans Mt 27:56: «Marie, fille de Jacques et mère de Joseph.»
On voit comme il est difficile de retrouver exactement les liens de
parenté qui unissaient toutes ces personnes. Ce qui serait
inadmissible, ce serait que «l'autre Marie» fût soeur de la mère de
Jésus. Mais elle pourrait avoir été sa belle-soeur, et avoir eu
des enfants qui auraient porté les mêmes noms que deux des enfants de
Marie. Il n'y a toutefois aucune raison décisive pour enlever à
Marie, au profit de la «mère de Jacques et de Joses», les enfants que
lui attribue la plus ancienne tradition évangélique.

Quoi qu'il en soit, la «mère de Jacques et de Joses» a été la
seule parente de Jésus qui ait compris sa vocation, et qui l'ait
suivi.

5.

Marie-Madeleine.

Nommée Magdeleine d'après son lieu d'origine, Magdala (voir ce mot;
probablement el-Medjdel, au Nord-O, de Tibériade). Elle est
mentionnée tout d'abord au chap. 8 de Luc (Lu 8:2), comme l'une
des femmes qui, ayant été guéries «des mauvais esprits et des
infirmités», ont assisté de leurs biens Jésus et ses disciples. La
guérison de Marie-Magdeleine avait été particulièrement merveilleuse:
il était sorti d'elle sept démons. Comment faut-il entendre cette
expression? Il se peut que Marie-Magdeleine ait été simplement une
malade; et si l'on veut, une grande malade. Si, véritablement, elle
devait la vie à Jésus, ceci suffirait à expliquer son dévouement.
Mais il se peut aussi que l'évangile fasse allusion à un état de péché.
Les sept démons ne doivent pas nécessairement être pris à la lettre,
comme s'il s'agissait d'un chiffre précis de maladies. Le nombre sept
désigne un ensemble. Maladie, ou péché? Il se peut qu'il y ait eu
tout à la fois la maladie proprement dite et le péché. On ne voit pas
que Jésus ait jamais séparé ces deux aspects de la souffrance
humaine, qu'il était venu guérir. Il y voyait pareillement des
manifestations de Satan. Dans le cas de Marie de Magdala, il peut y
avoir eu un état morbide compliqué de troubles mentaux.

Marie, selon les évangiles, menait une existence indépendante, et
elle avait de la fortune. On comprend donc que, dans la pécheresse
anonyme dont parle Lu 7, la tradition ait vu de bonne heure
Marie-Magdeleine. Si sa guérison a été essentiellement morale; si, de
pécheresse, elle est devenue l'ardente disciple de Jésus, attachée à
lui au même titre que les Douze, ceci ne peut guère se concevoir sans
une pénitence publique, semblable à celle de la pécheresse qui oignit
les pieds de Jésus dans la demeure du pharisien. Et la vie de
sacrifice menée par Marie-Magdeleine se conçoit mieux si, en offrant
sa fortune, elle a entendu purifier des gains dont l'origine avait
été impure.

Cependant, le cas de Marie-Magdeleine n'est pas unique. Il nous
est dit qu'il y avait plusieurs femmes qui suivaient Jésus en
l'assistant de leurs biens (Lu 8:3). Quant à l'offrande du
festin, la légende a une tendance à rapporter à une personnalité
notoire les gestes d'un inconnu, plutôt qu'à faire l'inverse. On peut
dire à cela qu'il pouvait sembler gênant de rappeler, à propos de
celle qui fut la messagère de la résurrection, un passé fort
humiliant. Mais n'était-ce pas une façon de mettre en lumière
l'oeuvre de la grâce? La question reste obscure.

Marie de Magdala a accompagné Jésus dans son dernier voyage à
Jérusalem, avec Marie, mère de Jacques le Petit et de Joses, Salomé,
et plusieurs autres (Mr 15:40 et suivant). Elle a assisté de
loin à son supplice, escortée de ses compagnes. Ensuite, elle a
observé les démarches de Joseph d'Arimathée; et, ayant regardé où on
mettait le corps du Seigneur (Mr 15:47), elle est revenue quand
le sabbat a été terminé, avec des aromates destinés à
l'embaumement (Mr 16:1). «Il faisait encore obscur», dit
Jean (Jn 20:1). Elle a donc été la première à se. rendre compte de
la disparition du corps de Jésus, et c'est à elle aussi qu'il est
apparu tout d'abord (Jn 20:11,17). Il ne lui a pas été permis
d'approcher celui qu'elle ne devait rencontrer désormais que sur le
plan spirituel (Jn 20:17); mais elle a reçu de lui la mission de
dire à ses frères: «Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon
Dieu et votre Dieu.»

Dès lors, Marie de Magdala disparaît de l'histoire évangélique.
Ce n'est pas sur son témoignage, c'est sur celui de Pierre que se
fondera d'abord le récit paulinien de la Résurrection. Mais dans la
légende, Marie de Magdala va jouer un rôle considérable. Selon la
tradition grecque, elle aurait été la fille de la Cananéenne.
Nicéphore (H.E., I, 33) raconte qu'elle est allée à Rome pour
accuser Pilate, et qu'elle est morte à Éphèse. La tradition latine
confond Marie de Magdala avec Marie de Béthanie. Marthe et Lazare
l'accompagneront, ainsi que Trophime et Maximin, dans la barque sans
voiles que la tempête jettera sur le rivage de la Provence, et la
Sainte-Baume abritera les austérités de la pécheresse repentie que la
dévotion populaire aime à se représenter achevant sa carrière, comme
elle l'a commencée, par une expiation (cf. Faillon, Monuments
inédits sur l'apostolat de sainte Marie-Madeleine en Provence;

Lacordaire, Vie de sainte Marie-Madeleine)

6.

Marie de Béthanie.

Elle et sa soeur Marthe apparaissent pour la première fois dans
Luc (Lu 10:38-42). Là, Marie est assise aux pieds de Jésus,
écoutant ses paroles. Mais nous ne savons pas où elle demeure: il est
seulement question d'un «village». Toutefois, il y a lieu de croire
qu'il s'agit d'un endroit où Jésus a coutume de se rendre. Et on ne
voit pas pourquoi ce ne serait pas Béthanie, où Marie apparaît avec
la même attitude. La caractéristique des deux soeurs est d'ailleurs
identique (Jn 11:1 et suivants). Mystique et contemplative,
Marie ne fait guère songer à Marie-Magdeleine, avec laquelle la
tradition devait un jour la confondre, et qui est une mystique, elle
aussi, mais du type agissant. Jésus a eu beaucoup d'auditrices
fidèles et compréhensives, et le nom de Marie était tellement
répandu, que les identifications de ce genre semblent puériles.
Personne n'eût songé à celle-là, si Jn 11 avait dit à propos de
Marie de Béthanie: «C'était cette Marie qui avait oint de myrrhe le
Seigneur et qui avait frotté ses pieds avec ses cheveux» (Jn
11:2). Plutôt que de se jeter dans des difficultés sans fin, il
conviendrait sans doute de s'en tenir à la tradition de Marc (Mr 14:3-9)
et Matthieu (Mt 26:6-13). On peut admettre que Jn 11:2 soit une glose de
quelque lecteur, incorporée par erreur au texte de l'évangile.

D'après les deux passages parallèles de Marc et Matthieu, le festin de
Béthanie eut lieu deux jours avant la Pâque, «dans la maison de Simon
le lépreux». Le récit de Jean (Jn 12:1,3) ne précise pas l'endroit
du festin. C'est un repas qui est donné en l'honneur de Jésus, six
jours avant la Pâque. Marthe a offert ses services, et Marie
accomplit un acte de dévotion passionnée qui est très conforme à sa
nature. Dans Lu 10:39, elle reste assise aux pieds de Jésus.
Dans l'histoire de Lazare (Jn 11:32), elle se prosterne aux
pieds du Maître. Ici, elle essuie les pieds de Jésus avec ses cheveux.

Marc et Matthieu ne parlent pas de Marie, et la femme inconnue dont ils
racontent l'histoire a oint la tête du Maître: c'est l'onction
royale, l'hommage d'une auditrice fidèle au Roi de l'avenir. Jésus,
pour défendre celle qu'on accuse d'inutile prodigalité, dit: «Elle a
oint mon corps pour ma sépulture» (Mr 14:8). Et la tradition
ajoute: «Partout où cet Évangile sera prêché..., ce qu'elle a fait
sera raconté en mémoire d'elle» (Mr 14:9).

7.

Les trois Maries.

Le problème des trois Maries résulte de la présence simultanée dans
la tradition de trois femmes dont les gestes offrent d'étonnantes
analogies: Marie de Magdala, Marie de Béthanie, et la pécheresse
anonyme de Lu 7:36-50

L'enseignement catholique est formel: il y a identité entre les
trois Maries. La critique indépendante a coutume d'affirmer
l'existence distincte des trois Maries. L'Église catholique
elle-même, d'ailleurs, a été longtemps dans l'incertitude.

Clément d'Alexandrie n'admettait qu'une Marie Poedag. , (II,8, t.
VIII, col. 430); par contre, Origène croyait à l'existence de trois
personnes distinctes In Matth., XXXV, (t. XIII, col. 1721).

Les Constitutions Apostoliques distinguent entre la pécheresse et
Marie de Béthanie (III, 6, t. I, col. 769). Tertullien les identifie
(De Pudicitia, XI, t. II, col. 1001). Jérôme (Interpret.
Origen. 1 Cant., Hom.
I et II, t. XXIII, col. 1123, 1130; In
Matthieu:,
IV,26,7, t. XXII, col. 191) pense qu'il y a eu deux
onctions de Jésus: l'une, par une pécheresse inconnue; l'autre, par
Marie. Augustin est demeuré fort indécis. Grégoire-le-Grand, qui
n'avait pas les mêmes scrupules d'historien et de psychologue, a
toujours affirmé catégoriquement l'identité des trois Maries
(Epist., XXV, t. LXXVII, col. 877; Expos, in 1 Reg., IV, 3,
13, t. LXXIX, col. 243). Son opinion a prévalu dans l'Église du Moyen
âge.

La Renaissance devait faire entendre une note différente. Lefèvre
d'Étaples affirma la distinction des trois Maries dans des écrits qui
eurent un grand retentissement (De Maria Magdalena, Paris 1516,
1518; De tribus et unica Magdalena, Paris 1519). Il se déchaîna
une controverse ardente. John Fisher, évêque de Rochester, écrivit
pour combattre Lefèvre: De unica Magdalena libri tres (Paris
1519); Noël Beda le soutint (Scholastica Declaratio sententice et
ritus Ecclesice de unica Magdalena,
Paris 1519). La Sorbonne prit
position dans le même sens, et condamna formellement, en 1521, la
thèse de Lefèvre d'Étaples. Sans doute, Bossuet (Sur les trois
Madeleine,
éd. Migne, Paris 1856, t. V, col. 1647) penche encore à
distinguer trois Maries. Mais aujourd'hui, l'accord est fait dans
l'ordre liturgique. L'Office de l'Église, au 22 juillet, célèbre le
souvenir de la pécheresse, de la soeur de Lazare, de la fervente amie
de Jésus ressuscité.

Ceci nous montre-t-il, comme le pense Lesètre (Identité des trois
Maries,
Dict. Bibl, de Vigouroux, 814SS), qu'il n'existe aucune
raison démonstrative contre l'unité des trois Maries? Voyons de plus
près les preuves que l'on donne en faveur de cette unité.

Jean, en présentant Marie, soeur de Marthe, comme
celle qui avait précédemment oint le Sauveur, ne peut que se référer
au récit de Luc (Lu 7:36,50), le seul qui ait parlé avant lui d'une
onction du Sauveur. Il s'agit donc de la pécheresse.

Cette identification entraîne celle de Marie,
soeur de Marthe, avec Marie-Magdeleine. Celle-ci, partout où elle
apparaît dans l'Évangile (à la suite de Jésus, au Calvaire, à la
Résurrection), est celle qui aime beaucoup (Lu 7:47), pour qui
la meilleure part, c'est d'entendre le Seigneur (Lu 10:42), et
qui, lorsqu'il s'agit de rendre témoignage à Jésus, ne se laisse
arrêter par aucune crainte (Jn 12:3). Il fallait être averti
pour faire de la pécheresse et de la soeur de Marthe une même
personne. Mais il semble naturel d'identifier Marie-Magdeleine avec
la pécheresse d'une part, et de l'autre avec la soeur de Marthe.

Si Marie-Magdeleine a eu sept démons, ceci ne la
désigne pas nécessairement comme ayant été pécheresse; mais c'est une
supposition très possible,--même, probable.

En somme, la théorie admise officiellement par l'Église
catholique, qui n'est pas sans soulever de grandes difficultés, se
fonde avant tout sur des considérations psychologiques. Et il se peut
en effet, bien que ce soit assez difficile à concevoir, que Marie de
Béthanie ait été une femme de mauvaise vie. Il est très possible
aussi que, parmi les sept démons dont parle l'évangile à propos de
Marie de Magdala, il y ait ceux qui hantent l'âme d'une pécheresse.
Mais les raisons positives de cette identification semblent bien
faibles (voir plus haut, parag. 5). Luc a entendu parler de la
pécheresse. Il sait qui est Marie. Il ne les identifie pas. Jn
11 a pas identifié Marie de Béthanie et Marie de Magdala.
Pourtant, cette identification eût été aisée. Les qualités de
l'apôtre sont-elles nécessairement celles de la contemplative, assise
aux pieds de Jésus? La messagère de la résurrection n'a-t-elle pas eu
plutôt les qualités de Marthe? On en peut disputer, mais il est au
moins imprudent de confondre, contre Jean, Marie de Béthanie et Marie
de Magdala. Le plus vraisemblable est qu'il y ait eu deux Maries:
l'une Galiléenne, active et enthousiaste: Marie de Magdala; l'autre,
Judéenne, adoratrice recueillie du Maître. La pécheresse de Luc ne se
confond ni avec l'une, ni avec l'autre.

H. M.