MARC (évangile de) 5.
V Valeur historique et religieuse.
L'évangile se présente donc, dans l'ensemble, non pas comme une
anthologie d'anecdotes relatives à Jésus, mais comme le déroulement
général de sa carrière unique entre toutes. C'est le plus ancien des
témoignages venus jusqu'à nous de l'Église primitive et dont nous
avons ailleurs reconnu l'autorité (Év. syn., t. I, pp. 400, 401).
Sans doute l'exactitude historique peut n'en être pas toujours
absolue dans le détail, et l'évangéliste a pu grouper certains
matériaux par sujets, introduire en certains récits le reflet des
préoccupations de l'Église de son temps (comme les amplifications
apocalyptiques du discours eschatologique confondant plus ou moins la
ruine de Jérusalem et l'avènement du Christ), voire laisser
échapper--lui ou quelque copiste--un lapsus facile à rectifier
(Abiathar au lieu d'Abimélec, Mr 2:26). Mais d'aussi légères
déformations, bien explicables au cours des trois ou quatre décades
écoulées entre les faits et leur narration, ne sauraient en entamer
la valeur profonde. C'est le simple et vivant exposé, sans
prétentions littéraires ni développements théologiques de parti, des
faits extraordinaires encore tout récents d'où étaient issues
l'Eglise et la mission chrétiennes, et tout rempli de souvenirs des
plus intimes disciples du Seigneur, qui, après avoir participé
personnellement, dans l'ignorante candeur de leur noviciat, à cette
surhumaine histoire, avaient été rendus capables par l'inspiration
divine d'en devenir les humbles et fervents continuateurs. Dans sa
spontanéité, sa fraîcheur de souvenir, l'évangile de Marc est l'écrit le
plus proche de la vie de Jésus, le témoin le plus sûr que nous
puissions consulter. Lors des premières rédactions évangéliques, ce
fut le document le plus consulté et le plus utilisé, puisqu'il entra
presque tout entier dans Luc et Matthieu, fut connu de Jean (cf. Mr 6:37
et Jn 6:7,Mr 14:5 et Jn 12:5, etc.) et même de l'apocryphe
évangile de Pierre, qui paraît le citer plus directement qu'il ne fait
pour Matthieu et pour Luc.
1.
LES FAITS.
1. LE CADRE DU MINISTERE DE JESUS.
Dépositaire avant tout d'un témoignage apostolique, Marc n'a pas mis
son intérêt dans la documentation extérieure, historique et sociale;
mais même à ce point de vue il nous est des plus précieux, par les
données fort nombreuses quoique incidentes qu'il fournit en passant,
avec son information précise. Il abonde en menus détails de la vie
courante, . souvent rendus en termes expressifs qui lui sont
propres, et dressant en un vivant relief l'entourage de Jésus:
agriculture, commerce, pêche, domestiques, malfaiteurs, juges,
armées, maladies, médecine, sépulture, cérémonies, alimentation,
vêtements, logements, ustensiles, chauffage, monnaies, divisions du
temps, animaux, etc. Les deux sections de Marc ont pour théâtre deux
régions, Galilée et Judée, avec deux centres, Capernaüm et
Jérusalem, quelques villes ou villages (Nazareth, Bethsaïda, Jérico,
Béthanie, etc.) et mentions occasionnelles de contrées voisines (Tyr
et Sidon, Décapole, Idumée, etc.), au delà de la mer de Galilée, du
désert de Judée ou du fleuve du Jourdain. A vrai dire, les
déplacements de Jésus sont souvent résumés, avec le minimum de
noms d'endroits, et plus volontiers décrits que localisés; ses
tournées au bord du lac pivotent autour de Capernaüm; les
circonstances le décident parfois à se retirer à l'écart, avant de se
rendre volontairement à la capitale. Sans définir les conditions
politiques dont Jésus a dû tenir compte, le récit confirme
pleinement ce qu'on en peut connaître par ailleurs: en Galilée
gouvernait le «roi» Hérode (Mr 6:14), le tétrarque hostile,
gouverneur païen sous ses dehors juifs; Jésus était relativement en
sûreté dans la tétrarchie de Philippe au delà du lac, dans le
territoire de Césarée de Philippe, comme en Phénicie. Il savait du
reste que le péril serait beaucoup plus grave à Jérusalem, où les
autorités juives le livreraient aux autorités païennes (Mr
10:33), au pouvoir d'un César (Mr 12:17) dont le procurateur le
ferait mourir d'un supplice romain.--Quant (Mr 8:34) aux
pouvoirs ecclésiastiques, ce sont en Galilée les chefs de
synagogues (Mr 5:22,35-38) à Jérusalem les principaux
prêtres (Mr 8:31 14:1 15:1); dans les deux provinces, les
scribes, instructeurs religieux (Mr 2:6 11:18); des deux grandes
sectes, les Pharisiens paraissent en Galilée comme en Judée (Mr
2:16 7:1 12:13), les Sadducéens à Jérusalem seulement (Mr
12:18). Au cours de la Passion, les scribes pharisiens se fondent à
l'arrière-plan et l'action passe aux mains des prêtres Sadducéens qui
dominent le Temple: dès que Jésus y entre, il se heurte à la
hiérarchie (Mr 11:18), qui prépare sa mort, lui fait poser par
une délégation du Sanhédrin la question de son autorité (Mr
11:27 et suivants), puis par une délégation de Pharisiens et
d'Hérodiens (prêtres politiciens) celle de l'impôt (Mr 12:13 et
suivants), puis reprend l'offensive au sujet de la
résurrection (Mr 12:18), négocie l'arrestation avec
Judas (Mr 14:1,11), lui fournit une troupe (Mr 14:43) où
l'on remarque un serviteur du grand-prêtre (Mr 14:47); c'est
chez ce dernier que Jésus est amené, jugé par le Sanhédrin, condamné
sous la pression de son clergé (Mr 14:53-64), livré au
gouverneur romain, et ce sont les prêtres qui portent les
accusations (Mr 15:3); si le libéralisme du Christ avait
scandalisé le conservatisme des scribes, ce sont ses prétentions
divines qui lui ont aliéné les prêtres, et ceux-ci l'ont condamné non
pour son indépendance à l'égard de la Loi (Mr 14:58 et suivant),
mais pour sa prétendue usurpation messianique (Mr 14:63 et
suivant). Il y a dans ce déplacement des responsabilités,
indépendamment de la condamnation officielle par le tribunal romain,
la marque d'une profonde connaissance de la complexe situation
religieuse du temps.--L'évangéliste se montre aussi au courant de ses
conditions sociales: en Galilée, surtout des ruraux, autour des
bourgs, travailleurs des champs ou du lac, «la foule» qui est le
personnage principal dans les relations de Jésus; et dans cette foule
enthousiaste et mélangée, des péagers, fonctionnaires du poste
central de Capernaüm, et des pécheurs en général, foule dont le
Christ a compassion (Mr 2:17 6:34), à laquelle il accorde
guérisons, simples instructions imagées, alors que les grands sont
massés en ville (à Tibériade) autour des plaisirs
d'Antipas;--en (Mr 6:21) Judée et à Jérusalem, où pour la
première fois dans l'évangile apparaissent les pauvres (Mr
10:21,46 12:42 14:5-7), Jésus n'a guère avec lui, à part quelques
amis nommés ou anonymes, que les pèlerins venus de Galilée; au
procès, la foule est menée par les prêtres (Mr 15:11); pour le
condamné, le supplicié, objet de moqueries, aucune sympathie du
public, hors l'hommage de l'officier romain et la fidélité des
saintes femmes...Rapproché (Mr 15:39 et suivants) des autres
sources de renseignements qu'on possède sur la Palestine de cette
époque, le tableau constitué par tant de traits épars en reçoit et
leur apporte d'éclatantes confirmations d'où se dégage l'exactitude
historique de notre évangile.
2.
LE MINISTERE DE JESUS.
Dans ce cadre bien déterminé se place désormais avec la plus
naturelle vraisemblance l'oeuvre brève mais définitive du Christ
comme nous l'avons vue ressortir de l'analyse du livre.
Précédé par la mission de Jean-Baptiste, qui accomplit la
prophétie messianique (Mr 1:2 et suivants), consacré Sors de son
baptême comme «Fils bien-aimé de Dieu» (Mr 1:11), c'est bien en
Messie juif que Jésus ouvre son ministère. Il répète la prédication
de Jean, mais il l'approfondit: (Mr 1:15) n'attendant pas ses
auditeurs dans le désert (Mr 1:5), il va les chercher dans la
populeuse Galilée (Mr 1:14-17); il confirme ses appels mieux que
par un acte symbolique comme le baptême: par sa puissance réelle sur
les malades (Mr 1:27), tout en répudiant dès le début les
hommages compromettants des détraqués nerveux, considérés comme
victimes des démons (Mr 1:34 3:11 5:7). Dès le début il
s'applique le titre de Fils de l'homme, qui tout en le solidarisant
avec l'humanité (cf. Eze 2:1-3, etc., Da 7:13) le met à
part comme l'homme-type, l'homme normal, détenteur de droits divins
tels que le pardon des péchés, l'appréciation des règles du sabbat,
les rétributions futures (Mr 2:10-28 8:38 et suivant). Mais ses
dons extraordinaires demeurent inexplicables aux témoins: son village
de Nazareth s'étonne et lui en veut (Mr 6:2 et suivant), sa
famille le croit fou (Mr 3:21), les scribes venus de Jérusalem
l'accusent de possession satanique (Mr 3:22 et suivants). Il
décrit les aspects du Royaume de Dieu en des paraboles que ni la
foule ni même les disciples ne comprennent dans leur portée
spirituelle (Mr 4:10,33). Entre temps, le bruit court que c'est
un prophète, égal à ceux de l'A.T., peut-être Élie lui-même au retour
annoncé, ou bien, après le martyre de Jean, sa réapparition
miraculeuse (Mr 6:14 8:28 9:11). Les disciples eux-mêmes
partagent l'incertitude du public (Mr 4:41); tout le long du
ministère en Galilée Jésus a souvent réprimé ou fui les acclamations
populaires (Mr 1:44 5:43 6:45 7:24,36 9:30). on ne l'y voit
pas se définir ouvertement comme le Messie, et personne n'en répand
la découverte sensationnelle.
C'est aux Douze qu'elle était réservée, mais ils ne devaient la
proclamer que sur la question directe de leur Maître relative à sa
personne; la réponse lapidaire de Pierre: «Tu es le Christ!» (Mr
8:29) marque décisivement l'éveil de leur foi en Lui: désormais ils
appartiennent au Christ (Mr 9:41); et celui-ci leur parle de sa
gloire céleste (Mr 8:38), dont une sorte d'anticipation est
révélée aux trois disciples témoins de sa transfiguration: plus grand
que les prophètes, même qu'Élie et Moïse, Jésus est le Fils bien-aimé
de Dieu (Mr 9:7), à l'avance apparu pour eux dans un rayonnement
d'En-haut. Seulement, cette grandiose révélation du ciel se double
des tragiques perspectives de la terre: de la confession de foi de
Pierre, Jésus a tout de suite tiré les inévitables conséquences,
voulues dans le plan de Dieu, en annonçant aux Douze ses souffrances
et sa mort (Mr 8:34), sinistre prédiction à laquelle il revient
plusieurs fois par la suite, en la complétant de l'assurance de sa
résurrection (Mr 9:9,12,31 10:33 et suivant). Mais le profil de
la croix pour leur Maître, qui les entraînerait à sa suite comme
eux-mêmes porteurs de croix (Mr 8:34 et suivants), les inquiète
sans les convaincre: ils semblent avoir peur de comprendre (Mr
9:10,32); c'est alors au contraire qu'ils se jettent à l'extrême
opposé, vers les espérances de grandeur et de domination, et le
Seigneur cherche à les ramener aux lois fondamentales du Royaume de
Dieu, celles du service et du sacrifice, dont lui-même va donner
l'exemple rédempteur (Mr 9:33-35 10:21,24,29-31 35-45).
Une fois quittée la Galilée, plus de risques d'engouements
politiques en faveur du rabbi populaire; donc plus de raisons pour
garder la réserve sur sa personne révélatrice de Dieu. Sa messianité
est connue des disciples et de la grande foule qui les
accompagne (Mr 10:46), évidemment les pèlerins de la Pâque. A
Jérico retentit pour la première fois le titre messianique de Fils de
David (Mr 10:47 et suivant); en vue de Jérusalem ce sont les
acclamations messianiques des fidèles (Mr 11:10), bientôt
suivies des conflits: leçon du temple, leçon du figuier (Mr
11:12,25). Au cours des discussions avec les chefs juifs, Jésus se
qualifie clairement de Fils bien-aimé de Dieu, et d'Héritier (Mr
12:6), il fait allusion à sa messianité par sa question sur le
Christ Fils de David (Mr 12:35 et suivants). A l'adjuration du
grand-prêtre: «C'est toi qui es le Christ, le Fils du Dieu béni?» il
répond nettement: «Je le suis», et s'associe aux visions messianiques
de Daniel (Mr 14:61). C'est en qualité de Messie qu'il est
condamné, comme l'exprime en termes intelligibles au juge romain
l'épithète «le roi des Juifs» (Mr 15:2,9,12,26). et les suprêmes
outrages des passants contre «le Christ, roi d'Israël», les
railleries des témoins à propos du secours d'Élie (Mr 15:32,36)
montrent à quel point tous les Juifs mêlés au drame le sentaient
dominé par l'évocation du Messie que décidément cet homme avait
prétendu incarner. Dans le témoignage même de l'officier païen, tout
remué par le spectacle de la mort d'un héros (un «fils de Dieu»),
l'évangéliste voit sans doute un hommage du paganisme pieux à celui
«qui était véritablement le Fils de Dieu» (Mr 15:39).
La fin de Marc s'étant perdue (voir ci-dessus, II, 2), l'évangile ne
mène pas le lecteur jusqu'à l'apparition du Christ ressuscité; mais
le récit de l'ensevelissement du Crucifié et de la visite des femmes
au tombeau établit avec une précision absolue le fait qu'au
surlendemain du supplice ce tombeau était vide, et que «Jésus de
Nazareth» allait être vu par ses disciples, ressuscité, comme il le
leur avait annoncé.
Telle est la trame simple et psychologique dans sa dramatique
progression, que nous vaut le plus ancien recueil évangélique sur le
ministère de Jésus. Aucune âme chrétienne ne la suivra sans ressentir
avec une émotion profonde la valeur historique et religieuse de son
témoignage.
2.
LES IDÉES.
Le point de vue objectif du narrateur des actes de Jésus ne pouvait
donner une grande place au développement de la pensée du Seigneur. Si
mince que puisse paraître toutefois la théologie d'un évangile écrit
sans préoccupation dogmatique, les paroles du Maître inextricablement
unies à son activité et ses diverses instructions conservées par Marc
nous ouvrent des points de vue révélateurs sur l'essentiel tout au
moins de sa doctrine.
1.
LA DOCTRINE DANS MARC.
1° Dieu .
Le Dieu de Jésus-Christ, dans Marc est tout-puissant (Mr 10:27 12
24 14:36) et, dans l'absolu, il est le seul Être bon (Mr
10:18). La parabole des vignerons le décrit comme Maître, ayant le
droit d'exiger le service (Mr 12:2) et le pouvoir de châtier les
rebelles (Mr 12:9). Elle montre aussi en Dieu le Père de Jésus,
envoyé de sa part aux hommes (Mr 12:6 et suivant); trois autres
fois le Christ désigne Dieu comme son Père ou comme le Père (Mr
8:38 13 32 14:36); une seule fois comme le Père des hommes en
général, duquel le pardon est conditionné par le pardon qu'ils
s'accordent entre eux (Mr 11:25 et suivant). Il convient enfin
de rattacher à la volonté de Dieu l'expression consacrée: «Il
fallait...»; elle établit que les souffrances du Messie et sa
victoire (Mr 8:31) faisaient partie du plan rédempteur divin.
2° Jésus .
Comme nous l'avons noté, le titre de Fils de l'Homme que s'attribue
Jésus affirme par là, quoique ce ne fût pas une désignation
proprement messianique, son autorité dans le Royaume de Dieu (Mr
2:10,28); toutefois il l'emploie le plus souvent à propos de sa
Passion (Mr 8:31 9:12,31 10:33), voulue d'En-haut, de sa
résurrection (Mr 8:31 9:9,31) et de sa gloire future (Mr
14:62 13:26 8:38), mettant ainsi dans cette expression la relation
nécessaire entre lui et le salut des hommes qu'il apportait au monde,
telle qu'elle se définit dans son programme de Sauveur: «Le Fils de
l'homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa
vie pour la rançon d'e plusieurs» (Mr 10:45). L'image de la
rançon pour le pécheur est ensuite complétée par le symbole de la
communion en son corps et en son sang, sceau de l'alliance avec
Dieu (Mr 14:22,25). Quant au titre de Fils de Dieu, Jésus ne se
l'attribue jamais; il le reçoit seulement, soit de la voix du ciel,
qui le désigne comme l'unique objet de l'amour divin, remplissant sa
mission d'En-haut à la satisfaction de Dieu (Mr 1:11 9:7), soit
des témoignages de malades démoniaques (Mr 3:11 5:7; cf. le
Saint de Dieu, Mr 12:4), soit dans l'adjuration du grand-prêtre
acceptée par Jésus (Mr 14:61), soit enfin dans le cri du
centenier (Mr 15:39); la qualité de Fils de Dieu ressort en tout
cas des paroles mêmes de Jésus citées au paragraphe précédent, où il
désigne Dieu tout spécialement comme son Père. La proclamation du
ciel au baptême et à la transfiguration, comme la déclaration
rédemptrice de Jésus peuvent renfermer l'idée de la préexistence du
Christ, mais seulement implicite (Mr 1:11 9:7 10:45). L'ensemble
de ces passages montre d'abord la subordination au Père de Celui qui
le prie, qui ignore le jour et l'heure suprêmes (Mr 13:32), puis
la conscience en Jésus d'une harmonie profonde entre la volonté du
Père et la sienne (Mr 14:36), enfin la remise à Jésus par le
Père du droit de juger au dernier jour (Mr 8:38 9:1). Voir
Jésus-Christ (noms et titres de).
3° Le Royaume de Dieu .
Cette expression, qu'emploie Marc était la plus générale dans le
langage messianique juif. C'est le point de départ des appels de
Jean-Baptiste (Mr 1:15). Les conditions d'appartenance au
Royaume sont la conduite, l'état d'âme: repentance (Mr 1:4,15),
renoncement (Mr 9:47 10:23 et suivants), humilité (Mr
10:14 et suivant), amour pour Dieu et pour le prochain suivant le
sommaire de la Loi (Mr 12:28,34). Mais le mystère du Royaume
implique les souffrances, la résurrection et le triomphe glorieux du
Christ; et il faut prévoir le temps nécessaire au développement du
Royaume (Mr 4:26-29,30-32). Certaines manifestations peuvent en
être prochaines (Mr 9:1), et il peut traverser des crises comme
en décrivent les tableaux eschatologiques (Mr 13), mais le
Seigneur transporte aussi la perspective du Royaume de Dieu dans la
gloire du ciel (Mr 14:25). Voir Royaume de Dieu.
4° Salut et jugement .
Aussi, tout en affirmant certaines sanctions divines déjà dans la vie
présente, Jésus reporte-t-il nettement la vie éternelle au siècle à
venir (Mr 10:29 et suivant). Les conditions de l'acquisition de
ce salut, ce sont les relations personnelles avec lui-même: suivre
avec lui la voie du sacrifice, n'avoir pas honte de lui dans le monde
pervers (Mr 8:34-38), entretenir sous son influence la
repentance et la foi qui obtient le pardon de Dieu (Mr 1:15 2:5
6:12); à cet égard, les malades guéris par Jésus grâce à leur foi
représentent le pécheur sauvé (Mr 5:34 10:52). La part du
Seigneur dans le salut ne se borne point, du reste, aux appels et à
l'exemple de Jésus de Nazareth: il faudra le don de sa propre vie en
rançon, de son propre sang comme sacrifice de la nouvelle alliance;
le cycle intégral de son oeuvre rédemptrice est: service, sacrifice,
salut (Mr 10:45 14:24). Quant au jugement futur, il est indiqué
dans Marc par la certitude qu'un jour tout sera mis en lumière (Mr
4:22), que le Fils de l'homme aura honte des infidèles (Mr
8:38), que le péché non dominé mènera à la géhenne (Mr
9:43,48), que chacun sera salé de feu (Mr 9:49), et que Dieu
fera périr les révoltés (Mr 12:9).
On voit combien la valeur religieuse de tous ces éléments
doctrinaux réside en ce qu'ils sont inséparables de la personne même
de Jésus-Christ; c'est pourquoi ils constituent déjà un noyau fort
important de la doctrine chrétienne.
2.
L'INDEPENDANCE DOCTRINALE DE MARC.
On est donc loin aujourd'hui des théories critiques qui naguère
considéraient Marc comme un ouvrage de théologie polémique soit à
l'appui, soit à l'encontre du paulinisme. Même en se contentant d'y
déceler des idées tributaires de la pensée de saint Paul, on exagère,
bien souvent l'influence du grand apôtre sur l'évangéliste. La
nécessité de la mort du Messie n'est point une conception
spécifiquement paulinienne: ne suffit-il pas que Jésus l'ait
affirmée? (cf. Esa 53) Les condamnations par Jésus des pratiques
juives dans Marc (Mr 2:23-3:6 7:1,23) restent sur le terrain
pratique des discussions de cas précis, indépendamment de la théorie
paulinienne sur le régime de la Loi aboli par le régime de la
foi (Ga 3). La citation par Jésus de Esa 6:9 et suivant à
propos des paraboles et de l'incompréhension des foules (Mr 4:
et suivant) ne se réduit point à la théorie paulinienne de
l'endurcissement d'Israël (Ro 9-11,11:8), car il y a loin de la
situation de fait devant laquelle se trouvait Jésus et qui devait le
mener au Calvaire, au système de l'apôtre qui doit aboutir à
l'évangélisation des païens. Qu'on voie plus simplement dans ce
passage d'Esaïe l'expérience décevante de tout messager de Dieu parmi
les hommes, et l'on comprendra pourquoi ce passage se trouve--sans
portée théologique particulière--si souvent cité dans le N.T. (Mr
4:11 8:18,Mt 13:14,Lu 8:10,Jn 12:40,Ac 28:28 et suivant, Ro
11:8). On peut sans doute, à la rigueur, tirer argument, en faveur
de la mission de Paul auprès des païens, de textes comme (Mr 7:27 9:38
13:10). mais cela n'autorise nullement à y voir une apologie
intentionnelle de l'apôtre. On peut relever l'analogie des formules
de Mr 11:5 et de Ga 4:4 (le temps accompli), ou de Mr
14:36 et de Ga 4:6 (les seules mentions bibliques du terme:
abba), ou de l'opposition de la chair et de l'esprit dans Mr
14:38 et Ga 5:13 et suivant, Ro 8, etc.; mais ces
rencontres occasionnelles de locutions religieuses déjà répandues
correspondent en chaque cas à des situations différentes. Les
rapprochements les plus intéressants pourraient être celui de la
malédiction du figuier (Mr 11:12,20) avec la notion paulinienne
de la malédiction de la Loi (Ro 7 etc.), ou celui de la
déchirure du voile du temple (Mr 15:38) avec le
deutéro-paulinisme de l'épître aux Hébreux (Heb 10:20); mais il
s'agit alors de faits qui ont pu influer sur les doctrines, et non de
doctrines ayant pu créer les faits. La langue même de Marc est
indépendante de celle de Paul; les termes comme les idées qu'ils ont
en commun appartenaient au patrimoine de la chrétienté primitive.
L'influence de la pensée de Paul sur la doctrine dans Marc est donc à
peu près insignifiante.
Une analogie avec Marc a déjà été signalée, à propos de l'analyse
de l'évangile, dans deux des premiers discours de Pierre (Ac
1:21 et suivant Ac 10:37,43): de Pierre, précisément,
informateur de Marc. En dehors de ces passages les résumés des discours
de Pierre rédigés par l'auteur des Actes diffèrent du contenu de la
prédication du même Pierre d'après son interprète Marc: ceux des
Act., dont la rédaction a subi, elle, à travers Luc, une indéniable
influence paulinienne, sont des discussions scripturaires avec des
Juifs (sauf justement la prédication chez Corneille), tandis qu'à
Rome Marc entendait Pierre parler en témoin devant des auditeurs en
majorité païens. Du reste, même dans les discours des 1 er et suivant
chapitres des Ac on retrouverait quelques idées maîtresses de Marc
comme celle du dessein divin relatif à la Passion (Ac 2:23), ou
comme la conception de Jésus serviteur (le grec d' Ac 3:13,26
dit même: enfant), Saint de Dieu (Ac 3:14, cf. Mr 12:4),
pierre de l'angle (Ac 4:11, cf. Mr 12:10), etc. De toutes
ces comparaisons, la valeur religieuse comme la valeur historique de
notre évangile ressort de plus en plus apparente et sensible.