MARC (évangile de) 2.

II Contenu.

ANALYSE.

Marc est avant tout une narration. On ne peut guère y trouver un
«plan» qu'en dépouillant ce terme de son sens technique, celui de
construction de l'esprit, pour y voir un simple exposé des
événements. Ce plan est donc chronologique, par définition; et il est
géographique, parce qu'il suit un ministère exercé en divers lieux,
au cours de séjours et de déplacements. Il n'y faut pas chercher,
comme dans une oeuvre littéraire, les divisions proportionnées et
symétriques correspondant à des idées; il suffit de s'en tenir à la
marche générale de l'histoire, marquée par les traits dominants des
périodes successives.

INTRODUCTION, Mr 1:1-13.

Titre remarquablement bref annonçant le sujet (Mr 1:1), puis
brusque apparition: de Jean-Baptiste au désert de Judée (Mr
1:2,8); de Jésus, baptisé par lui, et tenté par Satan (Mr
1:9-13).

I MINISTÈRE AUPRES DES FOULES, EN GALILEE, Mr 1:14-8:26.

C'est l'oeuvre populaire de Jésus, prêchant l'Évangile du Royaume
et multipliant les guérisons.

1.
Autorité de Maître, Mr 1 14-3:6. L'extraordinaire
nouveauté de son enseignement, de ses actes et de son autorité
jaillît d'une accumulation d'épisodes significatifs:

(a) première activité, à Capernaüm et dans toute
la contrée; premiers disciples; grande sensation parmi le
peuple (Mr 1:14,45);

(b) premiers conflits, avec les chefs religieux:
scribes et pharisiens (Mr 2:1-3:6).

2.
Programme de Chef, Mr 3:7,35.

Jésus, menacé, développe son oeuvre et se prépare des successeurs:

(a) tout en poursuivant ses tournées qui lui valent
une renommée grandissante non seulement en Galilée, mais de la
Judée à la Phénicie (Mr 3:7, 12),

(b) il appelle douze disciples à «être avec lui»,
pour les former (Mr 3:13,19),--ce qui provoque

(c) double conflit, avec les hommes du temple et
avec sa propre famille (Mr 3:30,35).

3.
Prédication du Royaume, Mr 4:1,34.

Jésus enseigne les foules par la méthode des paraboles, et les
explique à ses disciples sur leur demande.

4.
Miracles de toute-puissance, Mr 4:35-6:6.
Quittant par eau la Galilée, Jésus

(a) apaise la tempête (Mr 4:35,41),

(b) guérît en pays païen le démoniaque
«Légion» (Mr 5:1,20),

(c) de retour à Capernaüm opère une guérison
apparemment involontaire et une résurrection (Mr
5:31,43),

(d) mais à Nazareth se heurte à la résistance de
ses concitoyens (Mr 6:1-6).

5.
Mission des Douze, Mr 6:6-29 Jésus continue
d'étendre son rayon d'action:

(a) il envoie les Douze prêcher la repentance et
guérir (Mr 6:6-13);

(b) le bruit de sa popularité trouble Hérode, ce qui
amène le récit rétrospectif du crime de ce gouverneur qui a fait
mourir Jean-Baptiste (Mr 6:13-29).

6.
Suprêmes appels, Mr 6:30-8:26. Au retour de la
mission des Douze,

(a) Jésus ne peut plus se soustraire à l'empressement
de la foule, à laquelle il donne au delà du lac de nombreux
enseignements couronnés par le miracle de la multiplication des
Pains
(Mr 6:30-44);

(b) de la montagne où Jésus est allé prier seul, il
revient aux Douze en marchant sur les eaux, et retrouve la
multitude enthousiaste dont il guérit de nombreux malades (Mr
6:45-56);

(c) dans une grave discussion soulevée par les
pharisiens sur les observances rituelles, Jésus condamne leur
tradition qui annule la parole de Dieu, et pour la foule et les
disciples il rappelle que la seule souillure qui importe est celle du coeur (Mr 7:1-23);

(d) il opère deux guérisons en pays païen (Mr 7:24-37);

(e) une nouvelle version de la multiplication des pains,
donnée comme une répétition du fait (Mr 8:1-10) et
suivie aussi d'une discussion avec les pharisiens, d'une instruction
aux disciples et d'une guérison (Mr 8:11,26), témoigne de
l'importance capitale que la tradition attachait à ce miracle dans le
ministère du Seigneur.

II MINISTÈRE AUPRÈS DES DOUZE, DE GALILEE EN JUDEE, Mr 8:27-10:52.

Jésus quitte définitivement la Galilée et se dirige vers Jérusalem;
dans cette période, son oeuvre est présentée surtout comme un
enseignement, soit en paroles soit en action, destiné à ses disciples
soit directement par ses instructions réitérées, soit indirectement
par les incidents du voyage; cet enseignement est désormais
l'Evangile du Messie, dominé par la perspective de son martyre à
Jérusalem, qu'à trois reprises Jésus leur annonce explicitement, sans
d'ailleurs être compris.

-1ere PREDICTION, Mr 8:27-9:29.

(a) Épisode du chemin de Césarée ,
(Mr 8:27-9:1) le point tournant du ministère: Jésus, ayant obtenu des
Douze la proclamation de sa messianité, définit aussitôt celle-ci
comme impliquant sa mise à mort par les chefs juifs et sa
résurrection, et comme appelant ses disciples au sacrifice.

(b) La transfiguration (Mr 9:2-13),
confirmation divine de l'oeuvre du Fils, effraye les trois intimes de
Jésus, qui n'en saisissent pas le sens.

(c) Les autres disciples, en présence de l' enfant épileptique,
n'ont pu le guérir, faute de foi (Mr 9:14,29).

-2 e PREDICTION, Mr 9:30-10:31.

(a) Par elle, Jésus veut justifier son incognito
en traversant la Galilée à son départ (Mr 9:30-32);

(b) à Capernaüm, les Douze, qui se sont disputé le
premier rang, reçoivent les leçons du Maître: le petit enfant, la
tolérance, les scandales (Mr 9:33-50);

(c) en Pérée, trois incidents de route instructifs:
sainteté du mariage, les petits enfants, le jeune riche (Mr
10:1,31).

-3e PREDICTION, Mr 10:32,52.

(a) Jésus fait cette troisième annonce devant les craintes
de ses disciples désorientés (Mr 10:32-34);

(b) la demande intéressée de deux d'entre eux et
l'indignation des autres provoquent une leçon du Maître sur le
service, qui culmine dans la grande déclaration de sa mission
rédemptrice (Mr 10:35-45);

(c) une guérison d'aveugle se rattache à la
traversée de Jérico, à la fin du ministère itinérant (Mr 10:46,52).

III MINISTÈRE AUPRÈS DU TEMPLE, A JERUSALEM, ch. 11-13.

Dans la capitale, le ministère de Jésus se concentre naturellement au
sanctuaire de la piété israélite, qui aurait dû recevoir son Roi, et
où les oppositions des chefs religieux vont au contraire machiner sa
perte.

1.
Entrée a Jérusalem, Mr 11:1,26.

(a) Manifestation messianique dans les
acclamations des pèlerins (Mr 11:1,11), suivie de deux actes
symboliques chargés de condamnation pour son peuple:

(b) malédiction du figuier (Mr 11:12-14,20-26), et

(c) purification du temple (Mr 11:15-19).

2.
Discussions dans le temple, Mr 11:27-12:44. Les
divers partis se relayent pour lui tendre des pièges; Jésus tranche
sans réplique leurs quatre questions: l'autorité, l'impôt, la
résurrection, le 1 er commandement, puis prend à son tour trois
offensives:
parabole des vignerons, question sur le fils de David,
dénonciation des scribes,--ce dernier sujet rattaché, en frappant
contraste, au tableau de l'offrande de la veuve.

3.
Instructions sur les choses finales, ch. 13. C'est
encore au temple, objet de la naïve admiration des disciples, que se
rattache cet enseignement de Jésus, leur annonçant les troubles à
venir, la ruine de Jérusalem, l'avènement du Fils de l'homme, et
concluant par l'exhortation: Veillez!

IV MINISTERE DE LA PASSION, DE LA MORT ET DE LA RESURRECTION,
ch. 14-16.

Dernières journées; les épisodes s'enchaînent étroitement.

1.
En contraste avec l'hommage à Béthanie, le complot des prêtres et la trahison de Judas (Mr 14:1,11).

2.
Institution de la Cène, et avertissement aux Douze
et à Pierre (Mr 14:12,31).

3.
Gethsémané: l'agonie et l'arrestation (Mr 14:32,52).

4.
Comparution devant Caïphe et reniement de Pierre
(Mr 14:53,72).

5.
Comparution devant Pilate et condamnation (Mr 15:1,20).

6.
Crucifiement et sépulture (Mr 15:21,47).

7.
Résurrection (Mr 16:1-8) et
apparitions (Mr 16:9-20).

Cette analyse révèle l'angle même de vision du premier témoignage
apostolique, ouvert par Pierre dès le début de l'Église: (Ac
1:21 et suivant) celui des compagnons de vie de Jésus depuis le
baptême de Jean jusqu'à l'ascension, et témoins de sa résurrection;
celui de la prédication résumée du même Pierre chez Corneille et qui
ressemble fort à un sommaire de l'évangile de Marc (Ac 10:36-42).
Constatations favorables à la tradition sur cet évangile.

L'analyse met ensuite en relief, comme nous l'avons dit, une
ligne générale chronologique et géographique: le ministère du Christ,
préparé en Judée, s'exerce largement en Galilée et dans les régions
environnantes, se déplace de Galilée en Judée et s'y consomme dans la
capitale. Cette suite est logique, non point au sens systématique (ce
que Papias justifiait Marc de n'être pas), mais parce que les
événements se succèdent suivant les lois internes des causes et des
effets. Toutefois, comme il s'agit surtout de causes spirituelles et
morales, il vaut mieux dire: suite psychologique, très apparente par
endroit et toujours plus ou moins perceptible; c'est ainsi qu'on voit
s'y préciser graduellement: la messianité de Jésus et la nécessité de
son sacrifice; la foi des disciples, d'abord spontanée puis plus tard
réfléchie; la réponse des foules, depuis les acclamations de la
Galilée jusqu'aux cris de mort devant Pilate; l'hostilité des chefs
qui aboutit au crime. Mais il serait exagéré d'attribuer à Marc
l'esquisse d'une progression ou même simplement d'une évolution. En
ce qui concerne les autorités juives, c'est de très bonne heure (dès
Mr 3:6) qu'on les voit prendre position contre Jésus dans une
coalition de partis décidée à le faire périr. Sa messianité est déjà
proclamée en termes exprès au ch. I er (verset 11, voir verset 24
2:10-28), tandis que la foi des Douze reste jusqu'à la fin
inextricablement mélangée de conceptions charnelles intéressées (II e
part.), qui expliquent leur débâcle devant la défaite apparente de
leur Maître (Mr 14:50,66), même après sa résurrection, le
chap. 16 ne rapporte pas les émotions sans doute triomphales des
témoins qui vont en porter la nouvelle, mais il constate chez leurs
auditeurs effroi, étonnement, incrédulité (Mr 16:8-13). Seule la
dernière phrase (verset 20) parle des exploits dont le Seigneur les
rend capables après son ascension; mais cette remarque, qui relève de
la philosophie de l'histoire, appartient à l'appendice dont il va
maintenant être question. Incontestablement il y a eu évolution dans
les esprits, au cours de tous ces événements; mais lorsqu'il en note
divers moments, l'évangéliste se montre fidèle narrateur et non point
créateur d'un système préconçu.

L'APPENDICE.

Suivant les manuscrits, l'évangile a trois fins différentes,
quelquefois combinées,

(a) Il se termine à 16:8 dans les deux plus anciens
manuscrits grecs du IV e -V e siècle (B,), la Vers. Syr. Sin., 9
évang, arméniens sur les 10 plus anciens connus, et ailleurs encore.
Le ms. B, contre son habitude, a laissé ensuite une colonne en blanc,
comme si quelque chose devait manquer. Mais les divisions des évangiles,
rattachées à Ammonius et à Eusèbe (voir Bible, parag. 4) semblent
aussi s'arrêter à Mr 16:8; et Eusèbe lui-même déclarait que si
certains exemplaires avaient là un texte additionnel, les plus exacts
finissaient par les mots: «car elles avaient peur» (Quoest. ad Mar.)

(b) Les verset 9,20, reproduits dans nos Bibles (entre
crochets dans les éditions modernes à cause de leur absence de ces
plus anciens manuscrits), apparaissent dans la plupart des autres
manuscrits grecs (déjà A, W, D) et des antiques versions. Irénée en
tout cas, peut-être après d'autres, cite ce passage comme étant de
Marc; mais ces témoignages représentent surtout la Gaule, alors que les
autres centres chrétiens ont l'une des deux autres finales, et que
leurs autorités (Tertullien, Cyprien, Origène) ne disent rien de
celle-ci. De plus, certains des manuscrits qui donnent ces versets
9,20 les marquent d'un signe ou de l'observation qu'ils manquent dans
d'autres.

(c) La troisième forme de conclusion consiste en ces
deux courtes phrases à la suite du verset 8: «Tout ce qui leur avait
été commandé, elles le firent connaître aux compagnons de Pierre.
Ensuite Jésus lui-même fit porter par eux, de l'orient jusqu'à
l'occident, la prédication sainte et incorruptible du salut éternel.»
Cette fin se trouve seule dans un ms. de l'antique Vers, latin, et
introduite dans divers manuscrits des VII° et VIII° siècle, des
évang, coptes, etc., entre le verset 8 et la fin habituelle 6,
celle-ci précédée alors de la mention: «On trouve aussi, après: «car
elles avaient peur», etc.»

D'emblée cette troisième forme apparaît comme inauthentique. Le
style n'en est pas celui de Marc. Elle a visiblement pour objectif de
suppléer par une finale triomphante à l'impression de défaite donnée
par le verset 8. Sa présence dans la Vers. latin lui assigne une
origine reculée au cours du II° siècle, peut-être à Rome; mais elle
ne se répandit guère et ne pénétra pas dans les écrits des Pères,
sans doute parce que fort inférieure à la conclusion habituelle de
nos v. 9, 20.

Ces v. 9, 20 eux-mêmes peuvent-ils être attribués à
l'évangéliste? On a vu que malgré leur antiquité, attestée par
Irénée, les témoignages de l'Église ne leur sont pas très favorables.
La comparaison avec les synoptiques ne l'est pas davantage: le
parallélisme étroit de Matthieu et de Luc avec Marc cesse brusquement dans
leurs parallèle avec ce verset 8 (Mt 28:8,Lu 24:6); alors qu'ici
la peur empêche les femmes de rien dire à personne, Matthieu et Luc les
montrent portant la nouvelle du tombeau vide, mais leurs narrations
désormais indépendantes l'une de l'autre comme aussi de
Mr 16:9,20 ont perdu ici la source d'information commune qu'ils
avaient en Marc.

Le contenu même de ces versets 9,20 les éloigne de Marc. On n'y trouve
plus ni ses récits détaillés, ni ses paragraphes et phrases
juxtaposés par un simple et , mais une rédaction condensée, une
variété plus soignée des transitions: après cela (verset 12), plus
tard (verset 15), etc. Le passage ne se rattache pas au verset 8: son
premier verbe, apparut (verset 9), est sans sujet dans le texte grec;
Marie-Madeleine, toute seule, est présentée comme un personnage
nouveau (verset 9), alors qu'elle vient d'être mentionnée trois
fois (Mr 15:40-47 16:1) et qu'elle est l'une des femmes
effrayées du verset 8; il n'est plus question ni de Pierre ni
d'apparition en Galilée, comme le verset 7 le présageait.

Le but du narrateur est surtout didactique: il tend à montrer le lent
essor de la foi des disciples (voir 11, 13, 14, 16, 17, 20) et
l'historien devient enfin théologien, en montrant le Seigneur Jésus,
après son ascension, assis à la droite de Dieu et agissant avec les
Onze (verset 19 et suivant). On pense à Jean plutôt qu'à Marc; du reste
on retrouve dans ces versets 9, 20 des réminiscences des trois autres
évangile, des Act., peut-être même de certaines épîtres et de
l'apocr. évangile de Pierre. Il est clair que ce fragment n'appartenait
pas à Marc et c'est pour cela qu'il est généralement désigné comme
«l'appendice» de cet évangile.

Dut-il être rédigé pour suppléer à son évidente lacune, ou
appartenait-il à un document indépendant, ce qui expliquerait mieux
la coupure abrupte après le verset 8? A l'appui de cette dernière
hypothèse on a produit deux considérations.

Le ms. W donne l'appendice, mais interrompu,
entre v. 14 et v. 15, par une importante addition dont parlait déjà
Jérôme (Dial. e. Pel., 2:15); après le reproche de Jésus aux Onze
pour leur incrédulité, «ceux-ci s'excusèrent, disant: Ce siècle
méchant et incrédule est sous le pouvoir de Satan qui, par le moyen
des esprits impurs, ne permet pas de comprendre la vérité et la
puissance de Dieu; c'est pourquoi révèle maintenant ta justice. Ils
parlèrent ainsi au Christ. Et le Christ leur répondit: Elle est
remplie, la mesure des années de la domination de Satan; déjà
s'approchent d'autres choses terribles, et pour les pécheurs j'ai été
livré à la mort afin qu'ils se convertissent à la vérité et ne
pèchent plus, et qu'ils héritent de la gloire, spirituelle et
incorruptible, de la justice qui est dans le ciel.» Suit la mission
confiée aux Onze. Ce supplément améliore la continuité du récit, et
s'il en avait fait partie primitivement, les autres manuscrits
l'auraient conservé; c'est donc une intercalation ultérieure, comme
le confirme du reste le rôle attribué aux esprits et à Satan.

S'il faut donc faire abstraction de ce
supplément, ne faudrait-il pas par ailleurs faire état d'une note de
l'unique ancien ms. arménien (de l'an 989) qui possède les versets
9,20? L'évang, semble s'y terminer, comme dans les autres, avec le
verset 8, suivi des ornements en rouge marquant la fin d'un livre;
mais le verset 9 est repris à l'alinéa, sans autre espacement, de la
même écriture, et dans l'interligne on lit une surcharge en rouge, de
la même main aussi: «Du presbytre Ariston.» On a pensé qu'il s'agit
du presbytre (ou ancien) Aristion, disciple direct de Jésus dont
parle Papias, auteur de «traditions» et de «récits des paroles du
Seigneur» (dans Eus., H.E., III, 39:8 et suivant). Les deux
formes du nom sont équivalentes, et dans les récits de Papias plus ou
moins inspirés d'Aristion l'histoire de Justus Barsabas (cf. Ac
1:23 et suivant) qui aurait bu du poison impunément expliquerait la
curieuse prophétie de Mr 16:18. Bien des auteurs, attribuant
donc l'appendice de Marc à cet ancien, qui d'après la tradition avait
appartenu à l'entourage de l'apôtre Jean à Éphèse, rendent compte
aussi par là de son ton quelque peu johannique. Contre l'hypothèse
d'un document indépendant milite pourtant le fait que l'appendice est
constitué dans sa plus grande partie d'emprunts aux évangiles et aux Actes;
mais Aristion pourrait être à l'origine d'une de ses sources, par
exemple pour les versets 14,18.

Si l'appendice pas plus que la conclusion brève n'appartient à
l'évangile de Marc que penser de sa fin abrupte? Un accident aurait-il
empêché l'achèvement de l'ouvrage? pas la mort de Pierre en tout cas,
car Marc connaissait fort bien son témoignage aux apparitions du
Ressuscité; celle de Marc lui-même eût été une coïncidence bien
singulière pour arrêter un ouvrage sur une conjonction car dans
le grec, et un évang, du Messie ressuscité sur la frayeur des
visiteuses au tombeau vide. Aussi admet-on généralement que Marc
avait bien terminé son livre, et que sa fin authentique se sera
perdue de si bonne heure qu'aucune copie n'en aura survécu. Les
différences entre les conclusions de Matthieu et de Luc en indiquant que
leur source commune, Marc leur manquait ici, nous interdisent tout
sérieux essai de reconstitution de sa conclusion; seule l'indication
de Mr 16:7 (cf. Mr 14:28) donne à penser qu'il s'y trouvait
l'apparition annoncée de Jésus en Galilée, sans doute à Pierre. Des
critiques modernes croient que cette page fut supprimée
volontairement, à cause, pensent-ils, de traditions divergentes sur
le lieu des apparitions du Ressuscité, soit en Galilée seulement (Marc
primitif), soit en Judée seulement, (Luc, Jn 20, appendice de Mc)
soit en Galilée et en Judée. (Matthieu, Jn 21) Mais le procédé
radical de la mutilation volontaire semble bien peu conforme aux
habitudes de ce temps, plus enclin au contraire à juxtaposer et
combiner des traditions différentes, lesquelles, en l'espèce,
n'étaient pas inconciliables. La supposition la plus simple paraît
encore la plus vraisemblable: ce qui manque de Marc devait tenir sur le
dernier feuillet, et il est connu que la dernière feuille d'un
manuscrit est toujours la plus exposée à s'abîmer ou disparaître. Il
paraît extraordinaire que cet accident ait pu survenir avant toute
copie du manuscrit initial; mais, comme nous l'avons vu, l'évangile de
Marc ne fut pas, aux premiers siècles, estimé à sa juste valeur, et les
premières copies qu'on en fit peuvent avoir été relativement tardives.