LOI DANS LE N.T.
La conviction que Jésus était le Christ annoncé par les prophètes,
conviction commune à tous les auteurs du N.T. comme à tout le
christianisme primitif, présupposait l'autorité des écrits
prophétiques de l'A.T. Or, cette autorité reposait sur la certitude
de l'inspiration divine de tout l'A.T. Comme pour le judaïsme, d'où
il était issu, l'inspiration divine du Pentateuque et celle de la loi
mosaïque ne pouvaient donc faire aucun doute pour le christianisme
des premiers temps. Ce n'est qu'au II e siècle que quelques
gnostiques chrétiens, surtout Marcion, ont opposé le christianisme à
l'A.T., sans être d'ailleurs suivis dans cette voie par l'Église.
Les premiers chrétiens considéraient l'A.T, essentiellement comme
l'Écriture sainte qui avait annoncé la venue de Jésus, le Christ. Or,
à cette interprétation messianique, les livres prophétiques et même
certains récits du Pentateuque, grâce à l'exégèse allégorique, se
prêtaient bien mieux que les lois contenues dans les 5 livres de
Moïse. Tout au plus certaines institutions préconisées par ces lois,
par exemple la circoncision ou le culte du temple, pouvaient-elles
être interprétées comme des allégories visant l'oeuvre du Christ, et
le N.T. contient en effet certaines exégèses de ce genre. L'apôtre
Paul a même réussi à trouver dans la loi des preuves de son abolition
par Jésus. Mais, en général, il fallait laisser aux prescriptions de
la loi leur signification d'ordonnances divines.
Le christianisme voulait d'ailleurs être lui-même une religion de
l'obéissance à Dieu. Comme l'A.T. Il insistait sur l'idée de la
justice de Dieu, et non seulement des auteurs du N.T. favorables à la
religion de la loi, comme Jacques ou l'auteur de l'Apoc, mais même
Paul, affirment souvent que chacun sera traité par Dieu selon ses
oeuvres (voir par ex. Ro 2:5,7 12:19). D'autre part, tous les
chrétiens étaient d'accord pour voir en Jésus non seulement le Messie
présomptif qui bientôt viendrait établir le règne de Dieu sur terre,
mais aussi le Sauveur, dont la personne et l'activité avaient
contribué au salut de ses fidèles.
Ces deux idées communes à tous les auteurs du N.T. excluaient
toute hostilité de principe contre la loi morale. D'autre part, elles
les forçaient à réfléchir sur les rapports entre l'oeuvre de salut du
Christ et la religion de la loi. Cette question est, en effet,
abondamment traitée dans de nombreux livres du N.T., surtout dans les
évangiles synoptiques et dans les épîtres de Paul. Mais Jacq., Héb.,
les écrits johanniques et Ac renferment également bien des passages
relatifs au problème de la loi, et l'écho des discussions sur ce
point se perçoit encore dans d'autres écrits néotestamentaires. Ce
problème présentait d'ailleurs plusieurs aspects. Il s'agissait de
savoir:
1° si le salut était dû uniquement à la grâce divine
et à l'oeuvre du Christ ou si l'obéissance à la volonté de Dieu y
contribuait également, peut-être même d'une façon décisive;
2° si la volonté divine se trouvait dans la loi
mosaïque même pour les disciples du Christ;
3° si la révélation du mont Sinaï était identique à
celle du Christ, si elle l'avait préparée ou si d'autres rapports
existaient entre les deux révélations. Dans certains cas la réponse
donnée à l'une de ces questions déterminait les réponses aux autres,
mais souvent ces trois questions recevaient chacune une solution
particulière. Très souvent enfin, tel texte ne répond qu'à l'une ou
l'autre de ces questions.
Les thèses fondamentales, mentionnées plus haut, de tout le
christianisme primitif limitent le nombre des attitudes possibles à
l'égard de ces trois aspects du problème de la loi. Mais il demeure
encore assez grand. Or presque toutes les attitudes possibles dans le
cadre de la pensée chrétienne d'alors se trouvent dans les écrits du
N.T. Nous essaierons de donner un tableau systématique des thèses en
présence.
L'obéissance à la volonté de Dieu est-elle l'unique condition du
salut pour le chrétien ou en est-elle au moins une condition
indispensable? A cette question, les chrétiens des premiers temps
pouvaient donner et ont probablement donné quatre réponses. Il est
vrai qu'en pratique la première se distingue si peu de la seconde que
nous ne pouvons trouver aucun texte dans le N.T. où il s'agit
certainement de la première. Celle-ci déclarait qu'il suffisait
d'obéir à la volonté divine pour s'assurer le salut, mais que le
chrétien était mieux préparé que les Juifs pieux à l'obéissance
sincère. La seconde considérait la foi en Christ comme un complément
indispensable des oeuvres de la loi. L'obéissance à la volonté divine
et la foi forment ensemble la voie du salut. Une troisième thèse
n'admettait pas qu'il y ait un seul chemin menant à la vie éternelle;
il y en avait deux, celui de l'accomplissement des exigences divines,
qui était réservé aux justes, et celui du pardon divin, que
Jésus-Christ avait ouvert aux pécheurs. Une dernière opinion à ce
sujet, enfin, niait la possibilité d'être sauvé par l'exécution des
ordres divins et ne laissait subsister que la foi en Christ comme
unique moyen d'entrer dans le royaume de Dieu.
Les deux thèses qui attribuent une importance capitale pour le
salut du chrétien à son obéissance à la volonté de Dieu, exprimée par
la loi divine, sont plus ou moins nettement admises dans d'assez
nombreux passages des évangiles, synopt, (voir par ex. Mt 23:1-3
5:17-20,Lu 1:6 2:22-24,39,Mr 10:17-31,Mt 19:17 5:21,48). La loi
dont il y est question n'est pas toujours la même, mais le principe
de l'obéissance à la loi divine comme condition de l'entrée dans la
vie éternelle y est reconnu partout. La force avec laquelle
l'évangile et les épîtres johanniques insistent sur le nouveau
commandement du Christ (Jn 12:47 13:34 14:15,21,23 15:10,12,14,17
1Jn 2:3-5,7-8 3:10-12 4:21 5:2-4 2Jn 1:4-6) fait supposer que
l'accomplissement de ce commandement y est considéré comme une des
conditions du salut; d'ailleurs dans Jn 12:47 14:21,23 et
suivant cette idée est énoncée assez nettement. La religion du
nouveau commandement n'entend cependant pas être religion de la loi,
mais religion de la grâce; car le nouveau commandement ordonne aussi
la foi en Jésus-Christ (1Jn 3:22,24) et la loi de Moïse est
opposée à la grâce et à la vérité venues par J.-C (Jn 1:17).
L'Apoc, parle constamment des oeuvres (Ap 2:5 3:1,8,15 9:20
14:13 16:11). c'est d'après elles que les morts sont jugés lors
du grand jugement (Ap 20:12); quelquefois aux oeuvres
s'ajoute la foi (Ap 2:19 14:12) et aux commandements de Dieu le
témoignage de J.-C (Ap 12:17). Mais c'est surtout Jacques qui
maintient la thèse de la nécessité des oeuvres de la loi à côté de la
foi: (Jas 2:14,26 1:25) la foi est morte et vaine sans les
oeuvres (Jas 2:20,26); elle n'aide pas le prochain à elle
seule (Jas 2:15 et suivant); sans les oeuvres la foi se trouve
même chez les démons (Jas 2:19); Abraham n'a été justifié que
par la foi et les oeuvres; la foi concourt au salut avec les
oeuvres (Jas 2:21-25).
Toutes les doctrines que nous venons d'étudier introduisent plus
ou moins fortement le principe légaliste dans le christianisme. Les
penseurs qui, dans le christianisme primitif, s'opposaient à ce
principe pouvaient partir d'un double point de vue: ou bien
reconnaître que les justes s'assuraient leur salut par les oeuvres de
leur justice et affirmer tout de même que la grâce divine pouvait
aussi sauver ceux qui n'étaient pas justifiés par leurs oeuvres; ou
bien nier toute influence des bonnes actions sur le sort des hommes.
Quelques paroles de Jésus s'inspirent de l'idée de la double voie du
salut (Mr 2:16 et suivant, Lu 15:7 25-32 Matthieu 20:1-16) Jésus
était venu sauver les pécheurs, la brebis perdue, le fils prodigue,
les ouvriers de la dernière heure; comme les justes, les brebis
restées au bercail, le fils resté près du père, les embauchés de la
première heure n'avaient pas besoin de lui. Dans d'autres paroles de
Jésus, par contre, c'est le pécheur qui est justifié par Dieu plutôt
que le juste (Lu 18:9,14), car il possède l'humilité; le juste,
au contraire, est fier de ses oeuvres et, cependant, lui aussi devra
reconnaître l'inutilité de tout ce qu'il a pu faire (Lu 17:10).
Ce ne sont toutefois que quelques rares déclarations par lesquelles
Jésus rejette la confiance dans les oeuvres. Celui qui, dans le N.T.,
représente le plus nettement l'opposition à la religion de la loi,
c'est l'apôtre Paul. Pour lui, la conviction fondamentale au sujet de
la voie vers le salut est celle de la justification non par les
oeuvres, mais par la foi (voir par ex. Ro 3:27-30 4:1-25 11:5 et
suivant, Ga 2:16 5:2-11,Php 3:8-11). Cette doctrine est son arme
la plus importante dans sa lutte contre l'esprit légaliste dans la
religion chrétienne. Le christianisme est pour lui la religion de la
grâce, non de la loi. Certes, en portant les fardeaux les uns des
autres, on accomplira la loi du Christ (Ga 6:2), mais ce n'est
pas en cela qu'on sera justifié. Dieu jugera chacun selon ses
oeuvres, mais c'est la grâce en Jésus-Christ, acceptée par la foi,
qui seule permet d'entrer dans le chemin du salut. Les oeuvres ne
sauraient y mener. Car le péché empêche tous les hommes d'accomplir
la volonté divine (Ro 3:9,18). Quelques autres auteurs du N.T.
adoptent la même attitude que Paul. D'après les Actes, le grand
concile des apôtres (Ac 15) a nettement fait sien le principe de
la justification par la foi (Ac 15:7,9). Les épîtres à Tim. et à
Tite soulignent avec la même force que les autres épîtres pauliniennes
le point de vue de la religion de la grâce (2Ti 1:8 et
suivants, Tit 3:4,7).
On pourrait croire que les partisans du principe de la religion
de la loi parmi les chrétiens identifiaient toujours la volonté de
Dieu avec la loi mosaïque et que leurs adversaires n'admettaient pas
l'autorité de celle-ci. Cependant il n'en est rien. Le légalisme
chrétien pouvait parfaitement reconnaître que la loi mosaïque était
remplacée par une autre loi, celle du Christ, et d'autre part même
Paul pouvait admettre l'autorité de la législation du Sinaï, pourvu
qu'on ne s'attendît pas à mériter le salut par l'obéissance envers
elle. Dans ces conditions, l'attitude du christianisme primitif à
l'égard de l'autorité de la loi de Moïse est assez complexe.
Parmi les paroles de Jésus, il y en a qui recommandent
l'observation la plus stricte de la loi mosaïque dans tous ses
détails, même celle des plus petits commandements, et qui adoptent
ainsi l'attitude du judaïsme le plus intransigeant (Mt 5:17,20
23:1,3). D'après Mt 23:1-3 Jésus reconnaît même aux scribes et
aux pharisiens une certaine autorité pour ses disciples: ceux-ci ne
devront pas imiter leurs actions, car ceux-là disent et ne font pas;
mais leur enseignement mérite le plus grand respect, puisqu'ils sont
assis dans la chaire de Moïse. Généralement, il est vrai, les paroles
du Seigneur critiquent à la fois la vie et la doctrine des pharisiens
et des scribes; elles constatent la divergence entre la loi mosaïque
et l'enseignement des docteurs du judaïsme de son temps (Mr
7:1,13). Par là, peut-être Jésus voulait-il constater uniquement
l'hypocrisie des pharisiens et l'incohérence de l'enseignement des
scribes; mais il est plus naturel d'admettre qu'il oppose l'autorité
de la loi respectée par le Seigneur lui-même à l'autorité factice des
scribes. D'ailleurs Mt 5:17-20 est là pour prouver que
l'observation intégrale de la loi est considérée comme un idéal de
Jésus. Et dans divers textes du N.T. 11ous constatons l'action de cet
idéal sur certains groupes d'entre les chrétiens, comme par exemple
ceux d'où provient le récit de la naissance du Christ dans l'évangile
de Luc (Lu 1:6 2:22,24,39), ou les adversaires de Paul au
concile des apôtres (Ac 15:5). Jésus lui-même observe pour la
guérison des lépreux les règles concernant la constatation de cette
guérison (Mr 1:42-44,Lu 17:14).
Cependant d'autres passages des évangiles synoptiques ont une
tendance toute différente. Il y est établi une distinction très nette
entre grands et petits commandements. On peut faire cette distinction
tout en exigeant le respect de tous les commandements. Il en est, en
effet, ainsi dans Mt 23:23,26. Aussi un docteur de la loi
approuve-t-il cette distinction (Mr 12:32 et suivant). Mais
l'importance particulière donnée aux grands commandements nuisait
facilement au respect des petits, surtout quand ceux-ci empêchaient
l'observation des grands. Aussi Jésus donne-t-il très nettement la
préférence aux grands principes moraux de la loi. De là ses conflits
constants avec le ritualisme des pharisiens, surtout au sujet de
l'observation du sabbat. Jésus subordonne celle-ci à la règle de
l'amour du prochain et à celle, plus générale encore, qui ordonne de
faire toujours le bien (Mr 3:4,Lu 13:16). Dans ces conditions,
il n'est pas étonnant d'entendre Jésus proclamer que faire aux autres
ce qu'on veut qu'ils vous fassent, c'est là toute la loi et les
prophètes (Mt 7:12). Paul (Ga 5:13 et suivant) tout aussi
bien que Jacques (Jas 2:8,12) font leur cette opinion de Jésus.
Certes d'après Jacques, il faut accomplir tous les commandements;
mais il s'agit seulement de ceux du décalogue moral.
Une attitude toute particulière au sujet de l'obéissance à la loi
de Moïse se trouve dans le livre des Actes. Il ne conteste pas que
les chrétiens ne soient pas soumis à toutes les prescriptions du code
mosaïque. Mais il rapporte que souvent cette liberté a été limitée
par égard pour les Juifs (Ac 15 16:3 21:20 23:5 25:8),
La thèse que toute la loi se résume dans un ou plusieurs grands
commandements est certes opposée à la minutie des pharisiens ou de
Mt 5:17,20 et Mt 23:1,3. Mais elle considère tout de même
la loi mosaïque comme l'expression de la volonté de Dieu, comme
l'autorité définitive pour la vie morale. La pensée du christianisme
primitif n'a pas toujours admis cette autorité. Dans beaucoup de
paroles de Jésus et dans quelques textes des Actes les prescriptions
de la loi mosaïque sont mises en contraste avec la volonté de Dieu,
consistant soit en une décision primitive de Dieu, antérieure à la
loi (Mr 10:1,12 2:27), soit en son intention la plus profonde
révélée par l'action d'un de ses privilégiés de l'ancienne
alliance (Mr 2:25 et suivant), ou par une vision (Ac
10:9-16,34), ou par la conscience individuelle (Lu 12:57), ou
par l'observation de la nature (Mr 7:14,33), ou enfin et surtout
par Jésus lui-même. Sa révélation des exigences divines abolit celle
du Sinaï ou la complète. Il est le nouveau législateur, supérieur à
celui de l'ancienne alliance. Il conseille au jeune homme riche
d'ajouter à l'obéissance envers le décalogue la vente de ses biens au
profit des pauvres (Mr 10:17-21) il déclare qu'il y a des hommes
qui se sont faits eunuques pour le Royaume des cieux (Mt 19:12).
Mais Jésus assume le plus nettement le rôle de législateur nouveau
dans les antithèses du sermon de la montagne (Mt 5:21,48). Là il
oppose à ce qui a été dit aux anciens sa nouvelle révélation de la
volonté divine. Même si les commandements donnés aux anciens d'après
ce passage ne sont pas tous tirés de la loi de Moïse, la façon dont
Jésus proclame la volonté de Dieu suffit pour attester chez lui la
certitude d'être investi par Dieu d'une autorité supérieure à celle
de Moïse. Parfois, dans les antithèses, il justifie ses déclarations
par des raisonnements et ne fait pas appel à une autorité spéciale
qui lui reviendrait. Mais d'autres antithèses opposent simplement sa
révélation nouvelle à la règle antérieure. L'idée de la nouvelle loi,
la loi du Christ, qui trouve dans ces antithèses son expression
classique, joue un grand rôle dans l'évangile et les ép. johanniques.
Le nouveau commandement de s'aimer les uns les autres y est souvent
proclamé (Jn 13:34 14:15,21,23 15:10,12,14,17 1Jn 2:3-5,7 3:10-12
4:21 5:2,4,2Jn 4-6). Paul invoque quelquefois l'autorité du Christ
pour des exigences morales (1Co 7:10 14:37,Ga 6:2) et reconnaît
une certaine autorité même à ceux qui ont son Esprit (1Co
7:25,40). Mais jamais il n'oppose l'autorité nouvelle à celle de
Moïse. Notons enfin la remarque curieuse, mais peu claire, de 1Ti
1:9-11; d'après celle-ci, la loi est valable pour les
malfaiteurs, mais non pour les justes.
Nous avons passé en revue les réponses souvent si divergentes
données par les chrétiens des premiers temps aux questions concernant
le principe légaliste et son droit dans la religion chrétienne et
concernant l'autorité des lois de Moïse pour les disciples du Christ.
Leur divergence est très grande. Elle est même telle pour les paroles
attribuées à Jésus qu'il est difficile d'admettre qu'elles remontent
toutes au Seigneur. Mais une troisième question se posait, plus
complexe encore. Quel était le rapport entre l'ancienne et la
nouvelle révélation, entre celle du mont Sinaï et celle de
Jésus-Christ? La nouvelle alliance était-elle l'achèvement de
l'ancienne, était-elle virtuellement contenue dans celle-ci? Ou
était-elle préparée par elle, mais s'en distinguant foncièrement? Ou
y avait-il opposition irréductible entre la révélation faite à Moïse
et la manifestation de Dieu en Jésus-Christ?
Là où l'on reconnaissait à la fois le principe de la religion de
la loi et l'autorité divine de la loi de Moïse, la première solution
du problème s'imposait tout naturellement. L'oeuvre de Jésus
apparaissait comme une aide, indispensable certes, mais d'aucune
façon opposée à la réalisation de la volonté divine révélée au mont
Sinaï. Or, dès qu'on abandonnait ce point de vue d'après lequel le
christianisme n'était que le pharisaïsme perfectionné, la question
devenait un problème bien difficile à résoudre. Aussi la plupart des
penseurs chrétiens du N.T. n'ont-ils pas vraiment essayé de trouver
une solution. Dans les évangiles synoptiques la transfiguration présente
immédiatement les deux aspects de la question: elle nous montre Jésus
en rapport étroit avec Moïse, mais nous entendons aussi la voix qui
dit d'écouter Jésus (Mr 9:4,7 et parallèle). La loi a donc sa
valeur positive, cependant Jésus représente la révélation supérieure.
Mais quel est exactement le rapport des deux révélations, c'est ce
qui n'y apparaît pas. Il en est de même de la déclaration de Jn
1:17 qui oppose la grâce et la vérité venues par Jésus-Christ à la
loi donnée par Moïse, mais ne nous dit pas si la loi est absolument
contraire à la vérité et à la grâce. Jn 4:21-24 reste également
dans le vague. Même les antithèses de Mt 5:21,48 ne s'expriment
pas clairement à ce sujet. Elles ne nous enseignent pas par qui a été
dit aux anciens ce qui leur a été dit. Était-ce Dieu qui leur avait
parlé par Moïse ou quelqu'un d'autre, et si c'était Dieu, comment
s'expliquait le fait qu'il parlait autrement en Moïse qu'en Jésus?
Sous ce rapport Mr 10:1,13 contient une déclaration de Jésus
bien plus claire: le divorce est contraire à la volonté primitive et
réelle de Dieu; Moïse, en le permettant, a fait une concession à la
dureté du coeur des Israélites. La remarque d'Etienne dans son
discours de Ac 7:53, qui fait remonter la loi à une intervention
des anges, est très intéressante elle aussi, mais trop sommaire
également.
Il n'y a que deux auteurs du N.T. qui aient exposé plus
longuement leurs idées à ce sujet: saint Paul et l'épître aux Hébreux.
Encore ni l'un ni l'autre n'ont-ils pu aboutir à une conception
absolument cohérente.
Chez Paul, nous trouvons, l'une à côté de l'autre, trois
appréciations différentes de la loi. D'après la première, la loi, en
elle-même, est une révélation divine parfaite, dont le sens spirituel
est celui du christianisme lui-même; ses effets, il est vrai, ont été
faussés par le péché. La loi est sainte et le commandement saint,
juste et bon (Ro 7:12). La loi est spirituelle et ne s'oppose
pas aux oeuvres de l'Esprit (Ro 7:14,Ga 5:23). Elle devait
donner la vie (Ro 7:10). Aussi l'amour du prochain réalise-t-il
les exigences de la loi (Ga 5:13 et suivant) et les chrétiens
sont-ils la circoncision véritable (Php 3:2 et suivant). Le
voile qui cache aux Juifs le sens authentique de l'A.T, disparaît en
Christ (2Co 3:12,18). Si tout de même cette loi n'a pas produit
un effet salutaire, c'est que le péché a réussi à la transformer en
un instrument de mort (Ro 7:5-25). Mais par la mort du Christ
l'impuissance de la loi due au péché et à la chair a été détruite et
ceux qui sont en Jésus-Christ ne vivent plus selon la chair, mais
selon l'Esprit et accomplissent la justice prescrite par la
loi (Ro 8:14). Paul peut donc déclarer: «Nous confirmons la loi
par la foi» (Ro 3:31).
Mais Paul ne pense pas toujours ainsi. Souvent la loi a pour lui
ce seul mérite d'avoir annoncé sa propre abolition et rendu possible
le salut par le Christ; Galates insiste particulièrement sur
cette idée. La malédiction légale du pendu a contribué à ce que
Jésus-Christ ait pu l'abolir (Ga 3:10,14), et la lecture de
l'histoire des deux fils d'Abraham montre à tous ceux qui veulent
vraiment observer la loi que celle-ci, l'alliance du mont Sinaï,
s'efface elle-même devant la liberté de la nouvelle alliance (Ga
4:21-31). Dans Ro 3:21, l'apôtre proclame également que la loi
et les prophètes ont rendu témoignage à la justice par la foi,
justice manifestée indépendamment de la loi. La loi a en outre été
«un pédagogue pour nous conduire à Christ» (Ga 3:24 et suivant),
car elle nous a donné une preuve irréfutable de la culpabilité de
tous les hommes: celle-ci l'a rendue impuissante à donner la vie;
pour obtenir la vie il fallait donc aller vers le Christ (Ga
3:22-25). La loi donne la connaissance du péché et par cette
connaissance nous pousse à nous soumettre à Dieu et à accepter le
salut qu'il nous offre par la foi (Ro 3:19 et suivant). Par la
loi, le péché est imputé (Ro 5:12,14). Elle est intervenue pour
que le péché abondât (Ro 5:20 et suivant). Peut-être est-ce
cette démonstration écrasante de la culpabilité de l'homme qui fait
dire à l'apôtre: «Par la loi, je suis mort à la loi» (Ga 2:19).
Mais ce passage ne signifie pas nécessairement que la loi en me
montrant ma culpabilité m'a prouvé sa propre impuissance et en me
condamnant à mort m'a soustrait à son propre empire; il peut aussi
avoir un autre sens: la loi, déclarerait alors l'apôtre, en
condamnant le Christ fait mourir ses fidèles avec lui et les détache
ainsi d'elle-même. (voir Ga 3:10-14,Ro 7:1,6)
Or cette condamnation de Jésus-Christ par la loi apparaît comme
un méfait de celle-ci. Et ce n'est pas là le seul texte qui souligne
l'opposition entre la révélation de Dieu en Jésus-Christ et celle de
Moïse. Celle-ci n'est pas révélée par Dieu, du moins pas directement,
mais par des anges (Ga 3:19 et suivant). Et se soumettre à elle
et aux règles concernant les sabbats et les fêtes signifie non pas
servir Dieu, mais s'assujettir aux anges, désignés par le terme
étrange, mais assez souvent employé alors, d'éléments (voir ce mot)
ou rudiments du monde (Ga 4:8,10). La loi est venue après la
promesse du Christ, faite par Dieu à Abraham, et ne peut donc pas
l'annuler (Ga 3:15,18). Elle est même considérée comme étant la
puissance du péché (1Co 15:56) qui est mort sans elle (Ro
7:8). Aussi l'oeuvre de Moïse peut-elle être nommée le ministère de
la mort (2Co 3:7). Certes, Paul a tenu à atténuer l'idée en
principe hostile à la révélation mosaïque qui était contenue dans de
pareils termes. (voir Ro 7:7,12,2Co 3:6-11,Ga 3:21 et suivant)
Néanmoins ce point de vue joue un certain rôle dans son appréciation
de la loi mosaïque.
Si ces trois appréciations se trouvent chez Paul sans que
l'apôtre sente l'incohérence de sa doctrine de la loi, c'est qu'elles
ont toutes les trois une importance secondaire à côté de l'idée
dominante du salut par la foi et non par les oeuvres de la loi. Or
cette idée pouvait s'accorder à la fois avec la thèse de la sainteté
divine de la loi pourvu que son impuissance à donner le salut fût
reconnue, avec celle du rôle préparatoire de la loi à l'égard de la
révélation en Jésus-Christ, enfin avec celle d'une opposition entre
les deux révélations. Or, le premier point de vue s'explique par la
conviction de tous les chrétiens du temps de Paul qui affirmaient
tous le sens messianique de la loi; en outre la valeur de certaines
prescriptions morales de cette loi ne pouvait faire de doute. D'autre
part, la révélation en Jésus-Christ étant pour Paul de beaucoup
supérieure à celle accordée au législateur d'Israël, celle-ci, qui
tout de même provenait du Dieu de Jésus-Christ, ne pouvait avoir
d'autre importance que de préparer la révélation définitive. Enfin
l'idée maîtresse de la religion de la loi et celle de la religion du
salut se contredisaient nettement, c'est pourquoi Paul était amené à
constater une opposition entre l'ancienne et la nouvelle révélation.
Peut-être sur ce dernier point a-t-il d'ailleurs été influencé par la
pensée du gnosticisme juif pré-chrétien, dont l'existence est assez
vraisemblable.
L'épître aux Hébreux insiste d'une part sur l'infériorité de la
révélation mosaïque due aux anges (Heb 2:1 et suivant),
terrifiante (Heb 12:18-21), faible (Heb 7:23,28),
inefficace (Heb 8:6,13), charnelle (Heb 7:16 9:10) et
passagère (Heb 8:6,13), d'autre part elle considère le culte
institué par Moïse comme l'ombre du culte céleste du Christ (Heb
8:5) qui par son apparition l'a annulé.
Les opinions des auteurs du N.T. au sujet des rapports entre la
révélation par Moïse et celle de Jésus-Christ ne sont donc pas plus
homogènes ni même cohérentes que celles au sujet du principe
légaliste de la religion et au sujet de l'autorité de la loi mosaïque
pour les chrétiens. Mais ces divergences de vue ne les empêchaient
pas d'être au fond tous d'accord sur le caractère de la nouvelle
révélation. Tous y voyaient la révélation de l'amour divin pour les
hommes en Jésus-Christ et l'enseignement, qui en dérive, du devoir
des hommes de s'aimer les uns les autres. Pour défendre ce devoir,
que Paul ne nie pas, Jacques combat la doctrine de la justification
par la foi seule; pour assurer toute l'efficacité possible à l'amour
divin, exalté par Jacques, Paul avait établi cette doctrine (voir
Foi, Oeuvres). Aug. B.