LOI DANS L'A.T.
La notion de la loi divine est une des plus essentielles de la
religion de l'A.T. On pourrait même la nommer la notion centrale.
Aussi le rôle fondamental de la loi divine dans la religion du peuple
d'Israël, surtout dans la dernière phase de son histoire
pré-chrétienne, dans le judaïsme, a-t-il été reconnu de tout temps
par les Juifs et par les chrétiens. Ceux-ci ont considéré le judaïsme
comme la religion de la loi par excellence. Il y a sans doute
d'autres religions encore qui sont pénétrées de l'esprit du légalisme
religieux. Car l'idée de la volonté divine est d'une importance
extraordinaire dans presque toutes les religions quelque peu
évoluées. Cette volonté est censée souvent se manifester par des
décisions momentanées, mais il y a chez tous les peuples civilisés de
nombreuses manifestations religieuses qui s'accomplissent d'après
des règles fixes. Et comme la réglementation du commerce entre la
divinité et l'homme ne peut provenir que des dieux, ces peuples
conçoivent d'une façon plus ou moins nette l'idée de lois divines
soit écrites, soit non écrites.
Parmi les religions antiques, la religion romaine a un
caractère légaliste très net. L'observation stricte des prescriptions
divines y passait pour la condition indispensable de tout rapport
entre les Romains et leurs dieux.
Probablement dans la religion des Perses la même tendance
dominait également.
Mais quelle que soit l'importance de l'idée de la loi divine dans
d'autres religions antiques ou modernes, elle ne saurait y jouer un
rôle plus considérable que dans la religion de l'A.T, et dans le
judaïsme du début de notre ère. En effet parmi les nombreuses raisons
pour lesquelles l'Église chrétienne a conservé l'A.T, comme Ecriture
sainte, l'énergie avec laquelle ce livre insiste sur l'obligation
absolue d'obéir à la volonté de Dieu n'est pas la moindre. Or, pour
un grand nombre des auteurs de ce livre, la volonté divine
s'identifie avec les prescriptions de la loi divine écrite qui en
forme elle-même une partie si importante.
Mais même les auteurs qui ne partagent pas cette opinion ont pour
la plupart une attitude franchement légaliste. Car tout en ignorant
ou même en rejetant la législation mosaïque du Pentateuque ou
certaines de ses parties, ils considèrent comme l'élément le plus
important de la piété l'accomplissement des exigences divines. C'est
cet accord foncier qui a permis au judaïsme de réunir tous les écrits
de l'A.T., malgré leurs différences, en un même recueil sacré servant
de base à sa propre piété si nettement légaliste.
L'inspiration générale de la religion de l'A.T, est donc celle
d'une religion de la loi. Cependant, elle se manifeste d'une façon
quelquefois très différente dans différentes parties du recueil. Les
traits d'une religion de la loi, communs à toute la religion de
l'A.T., ne devront pas nous faire oublier les aspects divers que
présente son légalisme religieux. On peut même constater à certains
endroits une opposition plus ou moins consciente à l'égard des thèses
fondamentales de la pensée religieuse légaliste.
Pour tout l'A.T. l'Éternel est avant tout la volonté souveraine à
laquelle tout doit se soumettre. Partout sa volonté se fait, et il
n'y a que l'homme qui puisse lui désobéir. Or cette désobéissance
même atteste que l'homme se trouve en face d'une volonté divine qui
prescrit et ordonne. C'est surtout à des hommes privilégiés, les
patriarches, les rois et les prophètes, qu'il donne ses ordres. Mais
ceux-ci visent généralement le peuple entier.
La religion israélite n'est pas en première ligne une religion
individuelle, ce sont les rapports entre Dieu et son peuple qui y ont
la plus grande importance. Dans ces rapports la nature du Dieu de
l'A.T, éclate avec le plus de force, dans le commerce avec son peuple
l'Éternel manifeste le plus nettement sa volonté souveraine. C'est au
peuple élu entier que s'adresseront ses exigences. Il ne s'agit donc
pas surtout d'ordres divins visant l'action d'un individu dans une
situation particulière, la volonté divine règle davantage la vie
collective de la nation dans ses manifestations ordinaires, ses
prescriptions ont pour la plupart un caractère général, ce sont des
lois.
Ces lois divines tantôt font appel à l'obéissance collective,
tantôt devront être observées isolément par chaque membre du peuple.
Le décalogue moral d' Ex 20, par exemple, exige des actes
individuels de chaque Israélite, la loi concernant le sacrifice
expiatoire (Le 16) se rapporte à un acte collectif dont
l'exécution, il est vrai, incombe au sacrificateur. Dans les
prescriptions pénales c'est l'individu qui doit en observer la règle,
mais la collectivité doit y veiller et, le cas échéant, infliger la
peine.
Ce caractère mi-individuel, mi-collectif des dispositions de la
loi mosaïque présentait une certaine difficulté pour la conception
religieuse du judaïsme ultérieur. Car on ne savait déterminer
exactement si c'était la collectivité ou l'individu qui méritait les
récompenses et les châtiments divins. Il n'est donc pas étonnant de
constater que le judaïsme du début de notre ère tantôt s'attendait à
voir le salut accordé à chaque individu qui avait obéi à la loi,
tantôt croyait que ce salut viendrait pour tout le peuple au moment
où, dans son ensemble, celui-ci accomplirait la loi.
Le terme de salut que nous venons d'employer n'appartient pas en
propre à la religion de la loi comme telle. Mais l'espérance que l'on
croit pouvoir fonder sur l'observation de la loi en est l'élément
fondamental. Car le motif essentiel pour l'obéissance à la loi divine
dans la religion de l'A.T, comme dans toute autre religion de la loi,
c'est l'espoir de voir la soumission récompensée par la divinité et
la crainte d'être châtié en cas de désobéissance.
A part quelques rares exceptions les auteurs de l'A.T, sont
profondément convaincus de l'importance incomparable des oeuvres des
hommes. Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres. Voilà ce qu'enseigne
le Ps 1. Mais en faisant cela, il exprime une des idées les plus
répandues à travers l'A.T.
Dieu donne à l'homme qui obéit à ses ordres le bonheur mérité, et
celui qui lui désobéit doit s'attendre à son courroux et à son
châtiment. C'est là le point de départ de la prédication des
prophètes. Les malheurs qu'ils prédisent sont des peines que les
hommes ont méritées par leurs péchés. Les psal-mistes, les sages, les
historiens ne sont, pour la plupart, pas moins catégoriques à ce
sujet.
Les récits de la Genèse nous parlent du châtiment de ceux qui
n'ont pas écouté la voix de l'Éternel et de l'aide accordée par Dieu
à ceux qui ont exécuté ses ordres. Mais c'est surtout dans les
différents codes de lois du Pentateuque que l'on insiste sur le souci
de l'Éternel de traiter le peuple d'Israël selon ses oeuvres. Nous
trouvons dans l' Exode et dans le Lévitique plusieurs passages de ce
genre (Ex 23:20,33,Le 20:22-24 25:18-22 26:3,46) et ils abondent
dans le Deutéronome (De 4:1,31 6:10,25 7:12-15 8:2,5 11:1,32
15:4,6 28:1-68 30:15-20 31:15-21 32:46).
Les promesses faites dans tous ces passages visent d'ailleurs
presque exclusivement le bien-être du peuple dans son ensemble; de
même les châtiments annoncés pour le cas de désobéissance sont
presque tous des malheurs qui frappent la nation entière. Et même là
où il s'agit de souffrances individuelles, comme par ex. De
28:30 et suivant, ces souffrances ne sont là que pour constituer
avec d'autres la détresse de la collectivité. Et la malédiction de
De 27:15,26 est certes dirigée contre des individus ayant commis
certains péchés, mais c'est le peuple qui la prononce et c'est lui
qui doit la réaliser au nom de Dieu par les peines terribles dont il
frappera les criminels visés par elle. Dieu n'entend pas directement
châtier les fautes individuelles. Pour les punir, la collectivité lui
sert d'intermédiaire. C'est la nation qui aura à appliquer les peines
édictées dans les lois contre les criminels. En faisant cela, elle
évitera d'être rendue responsable des péchés de ses membres.
Certes, cette idée de la responsabilité collective ne sera pas
maintenue jusqu'au bout par le légalisme religieux du peuple juif.
Pour les psalmistes par exemple, et avant eux déjà chez certains
prophètes, la responsabilité individuelle prend de plus en plus
d'importance. Il n'en reste pas moins vrai que les lois elles-mêmes
rendent le peuple entier responsable devant Dieu et que le même point
de vue domine chez la plupart des prophètes et historiens.
Cette responsabilité collective du peuple, admise par les
différents codes du Pentateuque, est entièrement conforme à l'idée
que ces législations et, pour ainsi dire, tout l'A.T, développent sur
la nature et la provenance de l'obligation de se soumettre à la loi
divine. En effet on n'invoque pas l'idée générale du devoir de tout
homme d'obéir à Dieu. C'est l'alliance entre l'Éternel et le peuple
d'Israël, conclue lors de la sortie d'Egypte et du séjour dans le
désert, qui oblige ce peuple dans son ensemble à l'obéissance envers
les commandements de son Dieu. La valeur de ces lois, la supériorité
de leurs principes moraux ou de l'organisation politique, sociale et
économique préconisée par elles n'est donc pas la raison pour
laquelle la nation israélite les a adoptées ou continue à les
observer. Elle est tenue de s'acquitter des obligations que lui
impose le contrat conclu avec Dieu.
Cette notion de l'alliance entre le Dieu d'Israël et son peuple
apparaît surtout puissante dans les récits qui rapportent l'adoption
de la loi au mont Sinaï. Le peuple y déclare plusieurs fois qu'il
veut obéir aux commandements de Dieu (Ex 19:7 24:3-8). Mais
l'Éternel ne se contente pas de ces déclarations.
Avant l'entrée dans la Terre promise, Moïse présente encore la
loi aux enfants d'Israël et ceux-ci sont considérés comme l'ayant
adoptée tacitement (De 26:16-19).
Après la conquête de Canaan l'assemblée de Sichem doit encore se
prononcer pour ou contre la loi divine et elle choisit l'alliance
avec Dieu (Jos 24:16,18,22-24). On aurait pu croire que cette
adoption définitive de la législation mosaïque serait la dernière
manifestation de ce genre. En effet, Dieu ayant tenu ses promesses,
c'était aux Israélites à tenir les leurs. Cependant la force de
l'idée de l'alliance divine dans la piété israélite est telle que
plusieurs fois dans la suite, des cérémonies extraordinaires
renouvellent l'alliance et les promesses d'obéissance (2Ro 11:17
22:8-23:25 et Esd 10,Ne 9-10). Celles de ces manifestations
qui ont eu lieu dans la 18 e année du roi Josias et du temps d'Esdras
et de Néhémie constituent l'une et l'autre des étapes décisives dans
l'histoire religieuse d'Israël. Ces deux événements si importants ont
cependant, tous les deux, dans la conscience de leurs auteurs, le
caractère d'un retour à l'obéissance à une loi révélée
antérieurement.
Quel qu'ait été en fait l'auteur du code deutéronomique introduit
en Juda par la réforme de Josias, le roi et son peuple ont été
convaincus de sa provenance mosaïque. Et il n'en fut pas autrement en
ce qui concerne la réforme d'Esdras. Comme la réforme du XVI e et
suivant, les réformes de Josias et d'Esdras n'ont pas la prétention
de s'appuyer sur une révélation nouvelle.
La loi divine pour ces réformateurs comme pour la plupart des
Israélites avait été une fois pour toutes révélée à Moïse. L'autorité
de celui qui avait conduit le peuple d'Israël hors d'Egypte et à
travers le désert sert d'appui à celle de la loi. Mais l'autorité de
Moïse n'est nullement celle d'un homme, car le législateur n'a été
que l'instrument de la volonté divine. C'est de la bouche de Dieu
qu'il a recueilli les ordonnances contenues dans les différents codes
dont il est l'auteur présumé. Selon (Ex 31:18) certains de ces
commandements ont été écrits de la main même de Dieu (Ex 31:18).
Cette interprétation matérialiste de l'idée de la révélation
divine des lois est une exception. Mais généralement Moïse est
considéré comme un inspiré qui est en rapports particuliers avec
l'Éternel et qui a eu ainsi connaissance de ses volontés. Son oeuvre
se compare à celle des prophètes qui, eux aussi, font connaître au
peuple les décisions divines. Cependant, pour la tradition israélite,
Moïse est placé bien au-dessus des autres prophètes. Un passage du
Deutéronome (De 34:10-12) déclare qu'aucun prophète ne lui est
comparable.
Pour la plupart des auteurs de l'A.T, l'oeuvre des prophètes
ultérieurs n'avait d'autre but que le retour du peuple à l'obéissance
envers la loi transmise par Dieu au grand législateur. Les prophètes
eux-mêmes considèrent souvent le temps du désert comme celui où le
peuple connaissait le mieux la volonté divine (Am 5:25). Même
lorsqu'ils critiquent les lois attribuées à Moïse, ils ne mettent
généralement pas en doute l'autorité du héros national et religieux.
Ce sont des scribes qui ont faussé la loi divine (Jer 8:8).
Toutefois Ézéchiel admet qu'une des prescriptions de la loi
mosaïque a été imposée par l'Éternel à son peuple pour son malheur
afin de lui enlever la vie (Eze 20:24 et suivant). C'est
d'ailleurs ce même prophète que nous voyons rivaliser en quelque
sorte avec l'autorité du voyant du Sinaï. En effet, la législation
cultuelle des derniers chapitres de son livre n'est pas présentée
comme provenant d'un code mosaïque; c'est la révélation divine
accordée à Ézéchiel lui-même, qui en est la source (Eze 41 à
Eze 48). Mais c'est là une attitude tout à fait exceptionnelle
dans l'histoire de la religion de l'A.T.
Pour la conscience de la plupart des Israélites, Moïse n'était
pas un prophète comme un autre; les autres prophètes ne pouvaient pas
prétendre à son autorité de législateur. C'est à lui seul que la loi
avait été révélée le jour où il était monté au sommet du mont Sinaï
vers la gloire de l'Éternel. C'est tout au plus pour l'avenir qu'on
pouvait s'attendre, d'après De 18:15,18, à l'apparition d'un
prophète de la même autorité.
Pour la religion de l'A.T, l'autorité de Moïse est donc presque
incontestée. Il a connu la volonté divine et c'est lui qui l'a fait
connaître d'une façon parfaite aux enfants d'Israël. On devrait donc
s'attendre à ce que la législation mosaïque domine toute l'histoire
religieuse du peuple d'Israël. En effet, de grandes parties de cette
histoire sont entièrement déterminées par le souci d'obéir
parfaitement à cette législation. Josias, Esdras, le pharisaïsme et
le rabbinisme le prouvent. Cependant, plusieurs raisons ont empêché
qu'il en fût toujours ainsi. D'abord l'autorité de Moïse a préexisté
à la codification des lois présumées mosaïques. On a donc pu mettre
dans ce cadre préexistant des contenus très variés, et la lutte a pu
s'engager sur la question de savoir lequel de ces contenus si divers
convenait au cadre. Ensuite, même lorsque la législation mosaïque fut
définitivement codifiée, son interprétation pouvait se faire de
différentes manières et cela d'autant plus qu'elle n'était pas
entièrement homogène en elle-même. Enfin, la vie religieuse du peuple
d'Israël manifesta çà et là des tendances contraires aux principes
fondamentaux de la piété légaliste.
Depuis un temps bien reculé, les Israélites étaient convaincus
que la volonté divine leur avait été révélée par Moïse. Cependant
cette conviction n'impliquait pas que tous fussent d'accord sur le
contenu de cette révélation. Au contraire, l'opinion sur les
conditions de l'alliance avec l'Éternel différa longtemps suivant les
milieux. C'est cette variabilité des conceptions concernant la
législation mosaïque qui explique l'histoire si complexe du
Pentateuque et notamment les différents codes qui s'y trouvent. Tous
étaient inspirés par le principe immuable de la religion d'Israël,
d'après lequel Dieu était le dieu de la nation israélite et Israël
était son peuple. Mais ce principe permettait bien des
interprétations diverses.
Le seul livre de l' Exode nous rapporte deux décalogues très
différents l'un de l'autre à quelques chapitres d'intervalle (Ex
20:2-17 34:17-26). Et quelles divergences entre le livre de
l'alliance (Ex 21 Ex 22 Ex 23) et le code deutéronomique, entre
celui-ci et le code sacerdotal, par exemple le code des lois de
Sainteté! (Le 10 à Le 26) Quelles discordances parfois à
l'intérieur de ces codes si divers! C'est que la législation divine
révélée à Moïse n'a pas été dès l'origine une législation codifiée.
Longtemps elle ne fut qu'une tradition orale.
Comme chez les autres peuples, les usages et coutumes
préexistèrent longtemps en Israël au droit codifié, la loi non écrite
à la loi écrite. Or, cette tradition orale fut entre les mains
d'hommes privilégiés, surtout des prêtres. Mais ceux-ci ne la
conservèrent pas seulement, ils la modifièrent aussi selon les
différents besoins qui se firent sentir dans la vie du peuple. Les
changements intervenus dans la vie politique, économique, sociale,
les modifications de pensée et de sentiments, l'imitation des
coutumes étrangères, l'influence du droit codifié des autres peuples,
tout cela devait nécessairement agir sur les dépositaires de la
tradition et les pousser à transformer consciemment ou inconsciemment
les règles qui régissaient les rapports des hommes entre eux ou avec
la divinité.
Mais même lorsqu'il s'agissait de changements conscients, les
détenteurs de la tradition croyaient pouvoir les rattacher à
l'origine de la tradition, c'est-à-dire à l'autorité de Moïse. Ces
transformations des coutumes n'étaient cependant pas toutes conçues
dans le même esprit; l'individualité de celui qui les pratiquait, ses
intérêts, son ambiance, son temps en déterminaient le caractère. En
outre, aussi longtemps que les prêtres étaient répandus à travers
toute la Terre sainte, les foyers de ces traditions étaient assez
nombreux. De là une grande richesse des traditions et une grande
diversité aussi.
Cependant, aussi longtemps que toutes les prescriptions de ces
traditions procédaient d'une même conception fondamentale, les
divergences n'étaient pas de grande importance.
Mais, à un certain moment, les grands prophètes, Amos, Osée,
Ésaïe, Jérémie et d'autres, dégagèrent les tendances morales et
monothéistes de la tradition mosaïque de ses autres éléments et, en
faisant appel aux usages du désert (Am 5:25), voulurent refouler
la piété essentiellement cultuelle qui dominait alors en Israël. Ils
ne remportèrent pas une victoire complète. Le décalogue cultuel de
Ex 34 se maintint à-côté du décalogue moral de Ex 20. Et
les traditions concernant les pratiques du culte furent codifiées en
grand nombre, surtout après l'exil dans le code sacerdotal.
Cependant, à partir de la réforme deutéronomiste de Josias, ce
culte eut un caractère nettement monothéiste. Rien dans la loi
mosaïque codifiée ne s'oppose à la tendance monothéiste. C'est même
là le point de contact entre le mouvement prophétique et les
aspirations du clergé de Jérusalem qui leur a permis de conclure le
compromis que représente la réforme deutéronomique. Les prêtres du
sanctuaire de Jérusalem y centralisèrent le culte dans l'intérêt du
monothéisme prêché par les prophètes.
Mais par ce compromis le monothéisme essentiellement moraliste
d'un Amos fut abandonné. On maintint les revendications sociales de
la morale des grands prophètes, mais on maintint aussi l'importance
de ces nombreuses pratiques cultuelles qui réussissaient si
facilement à refouler au second plan les exigences morales de Dieu.
Aussi un grand nombre de pratiques cultuelles non codifiées
pénétrèrent-elles dans la loi écrite, par le code sacerdotal du V e
siècle. Ces pratiques passaient depuis longtemps pour révélées par
Moïse; mais, inscrites dans le code divin, elles y renforcèrent
l'importance des prescriptions relatives aux cérémonies extérieures
du culte.
Or, le plein épanouissement de ces tendances cultuelles, dans un
code qui se réclamait de l'autorité du législateur d'Israël, se
heurtait non seulement aux tendances anticultuelles de l'enseignement
prophétique, mais encore à une objection sérieuse d'ordre historique
qu'avait d'ailleurs déjà formulée le prophète Amos. En effet, comment
concevoir que Moïse au désert eût proclamé une législation
présupposant l'existence d'un sanctuaire stable? Mais l'ingéniosité
du clergé sut triompher de cette objection.
Dans la législation deutéronomique, les prescriptions cultuelles
se rapportant au temple de Jérusalem sont présentées comme établies
d'avance pour la future demeure de l'Éternel. Le code sacerdotal se
sert pour le même effet d'un autre procédé. Il transporte, pour ainsi
dire, le temple de Jérusalem au désert, donne à ce sanctuaire
transportable des nomades le nom de tabernacle (voir ce mot) et peut
ainsi appliquer toute la législation cultuelle à la vie nomade du
peuple d'Israël au désert. Il nous présente donc comme des lois
divines les règles du culte observées à Jérusalem, tantôt par des
récits en apparence historiques, qui en racontent la première
application, tantôt en en rapportant la révélation à Moïse.
Le souci des grands prophètes de veiller à la pureté des
intentions religieuses et leur enseignement moral à tendance sociale
ont donc inspiré un certain nombre de prescriptions de la loi. Il en
est ainsi par exemple pour celle que Jésus a qualifiée de premier et
plus grand des commandements et de même pour celle qui lui est
semblable (De 6:5,Le 19:18); pour la recommandation de craindre
et d'aimer Dieu (De 10:12,Le 19:32) et pour celle d'avoir le
coeur circoncis (De 10:16).
C'est de la piété prophétique que proviennent les ordres divins
visant la protection des membres faibles de la nation et des
étrangers, comme par exemple Ex 22:21-24,De 24:17-22,Le 19:33
et suivant Cependant la majorité écrasante des prescriptions de
la loi se rapporte soit au droit pénal, soit av droit civil, soit
enfin et surtout au culte et aux pratiques rituelles, par exemple aux
sacrifices ou aux questions de pureté, d'impureté et de purification
rituelles.
Il n'y a donc rien d'étonnant à voir protester la piété
authentiquement prophétique contre une législation qui, tout en
satisfaisant à certaines exigences du prophétisme, accorde une telle
place aux pratiques extérieures du culte et d'une piété ritualiste.
C'est ainsi que l'attitude de Jérémie à l'égard de la loi
considérée comme divine par ses contemporains, c-à-d, la loi
deutéronomique, n'est pas toujours celle d'un admirateur. Il avait,
il est vrai, commencé par prêcher à ses concitoyens l'obéissance à
cette loi (Jer 11:1,5). Mais bientôt il constata que même ceux
qui la connaissaient ne pratiquaient pas la justice (Jer 5:1,9)
et que les dépositaires de la loi n'avaient pas connu Dieu (Jer
2:8). Finalement, il nia l'importance des prescriptions cultuelles
et rituelles du code deutéronomique. Il opposa la circoncision du
coeur à la circoncision charnelle (Jer 9:25 et suivant) et
contesta même la provenance mosaïque et l'origine divine des
commandements au sujet des holocaustes et des sacrifices (Jer
7:21 et suivant). Il alla jusqu'à dire que la plume menteuse des
scribes avait transformé en mensonge la loi de l'Éternel, dont la
possession prétendue remplissait d'orgueil et d'assurance le coeur de
ses compatriotes (Jer 8:8). Et ce n'était pas seulement le
contenu de la loi que critiquait Jérémie. Il se rendait compte en
même temps du peu d'efficacité de son action. Elle était écrite sur
des pierres, mais elle n'agissait sur l'homme que par l'enseignement
d'autrui. Aussi la nouvelle alliance, annoncée par le prophète,
serait-elle écrite par Dieu dans le coeur même de son peuple (Jer
31:31-34 32:39 et suivant).
Ézéchiel n'est pas convaincu, lui non plus, de l'excellence de
toutes les prescriptions de la loi mosaïque. Il n'en nie pas, il est
vrai, l'origine divine, mais il prétend que Dieu a donné une de ces
lois, qui est mauvaise, pour châtier Israël (Eze 20:24 et suivant).
Cependant, tout en mettant en doute l'autorité absolue des codes
mosaïques, ni Jérémie ni Ézéchiel n'ont contesté les principes
essentiels du légalisme religieux. C'est sur la loi divine, quand
elle sera écrite dans les coeurs des hommes, que d'après Jérémie
reposera la nouvelle alliance. Et le prophète exilé en Babylonie
annonce une législation divine nouvelle qui lui a été révélée.
D'ailleurs, les deux prophètes sont convaincus de l'idée fondamentale
du légalisme religieux et toute leur prédication s'en est inspirée.
Ils ne doutent pas que Dieu punira ceux qui lui désobéissent et
récompensera ceux qui font ce qu'il ordonne.
Cette idée fondamentale de la religion de la loi dans l'A.T, est
cependant mise en doute par l'Ecclésiaste et par le livre de Job. Ces
ouvrages contiennent certes une série de passages où cette idée est
nettement proclamée; par exemple les discours d'Élihu dans
Job (Job 32 à Job 37) et la fin de l' Ecclésiaste (Ec
12:14 et suivant). Mais la partie la plus importante du livre
de Job, la plainte de Job, formule contre cette thèse des objections
sérieuses; et le sceptique désabusé qui, dans l'Ecclésiste, affirme si
hautement la vanité de toutes choses, en doute également.
L'expérience lui a montré que souvent le juste périt et le méchant
prolonge ses jours (Ec 8:10), qu'une même destinée est réservée
à l'un et à l'autre (Ec 2:14) et que parfois même le juste se
perd par sa justice (Ec 7:15).
Les plaintes de Job n'invoquent pas seulement l'expérience pour
réfuter la thèse de la justice de Dieu qui châtierait les
désobéissants et récompenserait l'obéissance envers ses lois, elles
nient aussi le droit moral de Dieu de traiter ainsi les hommes. Comme
ceux-ci sont tous faibles, leur créateur qui connaît leur faiblesse
ne devrait pas s'en prendre à eux pour tous leurs péchés (Job
14). Cette critique de l'idée de la justice ne vise pas
nécessairement l'obligation d'obéir à la loi divine. Elle peut
laisser subsister le respect désintéressé à l'égard de cette loi.
Mais en tout cas cette critique s'oppose à un des éléments essentiels
de la religion de la loi telle que la présentent et les différents
codes de loi du Pentateuque et la grande majorité des autres écrits
de l'A.T.
Toutefois, dans le livre de Job lui-même, cette critique a été
rendue inoffensive par des développements contraires, surtout ceux
des discours d'Élihu. Aussi ne constate-t-on aucune influence du
point de vue particulier des plaintes de Job sur la piété ultérieure
du judaïsme. Celle-ci continue à être déterminée par l'attente de
voir Dieu traiter chaque homme selon son obéissance ou sa
désobéissance à la loi.
Les différents écrits apocryphes de l'A.T., les livres
pseudépigraphes et la plupart des autres ouvrages juifs du temps
hellénistique et romain sont d'accord sur ce point. Il en est de même
pour les docteurs juifs de cette période, dont les doctrines nous ont
été transmises par les traditions juives contenues dans la Mischna et
dans le Talmud (voir ce mot). Comme ces penseurs juifs reconnaissent
l'autorité des livres canoniques de l'A.T, et surtout du Pentateuque,
il n'en pouvait d'ailleurs presque pas être autrement.
Ces différents écrivains et docteurs n'ont certes pas tous la
même opinion sur tous les problèmes concernant la religion de la loi.
Tout en admettant les principes fondamentaux du légalisme religieux,
ils se distinguent assez nettement les uns des autres sur différents
points. Avant tout, la pensée- du judaïsme hellénistique se sépare de
celle du judaïsme palestinien par l'influence qu'ont eue sur elle les
spéculations des philosophes grecs sur les lois.
Les Juifs hellénistes étaient tout naturellement amenés à
comparer la législation mosaïque aux lois des peuples parmi lesquels
ils vivaient. Il s'agissait pour eux de démontrer la supériorité du
code israélite et, comme les philosophes grecs avaient insisté
surtout sur la valeur morale d'une bonne législation, il fallait
prouver la perfection morale des lois de Moïse. C'est à quoi
s'évertuent tous les penseurs du judaïsme helléniste officiel,
l'auteur de la lettre d'Aristée, celui du 4 e livre des Macchabées,
Philon et Josèphe. C'est en partie à cet effet qu'ils se servent de
l'interprétation allégorique. Par elle, ils réussissent à trouver un
sens moral à certaines prescriptions curieuses de la loi mosaïque,
par exemple à celles qui concernent les aliments purs. Philon
d'Alexandrie identifie même la législation divine du Pentateuque avec
la loi naturelle des Stoïciens. Ceux-ci enseignaient qu'avant tout
droit positif, il y avait eu de toute éternité la loi de la nature,
identique à la morale parfaite. Or, le penseur juif estime que la loi
donnée par le créateur de la nature ne peut être autre que la loi de
la nature elle-même. Cette thèse de Philon et les autres doctrines
intéressantes qu'il a enseignées au sujet de la loi tendent toutes à
prouver la perfection divine de la législation mosaïque.
La préoccupation des auteurs juifs hellénistes de justifier les
lois juives aux yeux de leurs contemporains païens ne se rencontre
presque pas chez les auteurs palestiniens du même temps. Pour la
grande majorité d'entre eux, l'origine divine de ces lois et leur
perfection absolue sont hors de doute. Il y en a même qui font
remonter les prescriptions du code mosaïque au delà du temps du grand
législateur. De nombreux passages du livre des Jubilés parlent de
lois éternelles écrites sur des tables célestes. Ces lois sont
connues antérieurement à Moïse, surtout par les patriarches. Il est
vrai que la révélation décisive et définitive est celle du mont Sinaï
(Jub. 33:10, 16). Pour l'apocalypse syriaque de Baruch (ApoBa 57:1,
3), la loi également, sans avoir été écrite alors, a été connue et
observée par tous les patriarches.
En général, les auteurs juifs de ce temps sont convaincus que la
loi peut être observée par les hommes. Il s'agit seulement d'en
connaître exactement le sens. C'est à cette connaissance exacte de la
portée de ses prescriptions que s'applique surtout le judaïsme
palestinien dans sa majorité, qui maintient la tendance légaliste de
la religion de l'A.T. Les docteurs de la loi, leurs disciples et tous
ceux qui adoptent leur point de vue, surtout les pharisiens (voir ce
mot), s'efforcent à déterminer dans tous les détails la manière et
les limites de l'application de chaque précepte. Les penseurs
hellénistes utilisent donc la législation divine avant tout comme un
moyen d'éducation morale, les penseurs palestiniens lui donnent avant
tout une interprétation juridique.
Mais la pensée moraliste et la pensée juridique présupposent en
principe l'une et l'autre la possibilité pour l'homme d'exécuter les
prescriptions de la loi. Certes, on reconnaît, comme d'ailleurs la
loi elle-même et tout l'A.T., que la faiblesse de l'homme le
prédispose au péché. C'est pour cela que le peuple d'Israël a si
souvent dû être châtié par Dieu et c'est pour la même raison que la
loi prescrit des rites de purification et d'expiation. L'A.T, et les
auteurs juifs ultérieurs, les docteurs palestiniens aussi bien que
Philon, vantent la miséricorde divine. Malgré ces réserves, on est
cependant convaincu que l'homme peut accomplir les ordres de la loi
lorsqu'il en a la ferme volonté et qu'il s'y fait aider par Dieu. Ce
n'est que dans le 4 e Esdras que percent à ce sujet des appréhensions
et des doutes sérieux.
Chez la plupart de ses représentants, le judaïsme reste donc du
temps de Jésus une religion légaliste, légalisme plutôt moraliste
chez ceux des Juifs qui vivent en contact avec la pensée grecque,
légalisme plutôt juridique chez les Juifs de la Palestine et de la
Babylonie. Cependant, il est très vraisemblable que dès avant la
naissance du christianisme cette tendance légaliste ait rencontré une
critique sérieuse dans certains milieux juifs. Il ne s'agit pas
seulement de l'opposition pratique qui de tout temps avait existé à
côté de la religion de la loi.
Du temps de Jésus, cette opposition pratique était représentée
par des gens du peuple, qui ne connaissaient pas assez la loi, par
les péagers et les pécheurs qui, pour des raisons égoïstes, se
soustrayaient à son empire, par des prêtres Sadducéens qui désiraient
une religion tempérée, sans exigences excessives. Opposition
pratique, en tout cas, et non de principe. Mais il paraît probable
qu'une opposition de principe se soit aussi fait jour dans quelques
milieux juifs, assez restreints il est vrai. Aucun document ne nous
renseigne directement sur leur critique religieuse du principe
légaliste, mais certains indices imposent presque l'hypothèse de leur
activité antérieure au christianisme.
Nous ne compterons pas parmi ces indices l'abstention des
sacrifices et l'adoration tournée vers le soleil, chez les Esséniens.
Car nous ne savons pas s'ils avaient conscience de désobéir à la loi
par ces actions, s'ils ne justifiaient pas leur attitude par quelque
interprétation de la loi. Cela n'est pas impossible; Philon lui-même,
pour qui la loi est la révélation divine la plus absolue, en élimine,
par une interprétation allégorique, certaines prescriptions qui le
choquent.
Le principe légaliste est nié, au contraire, par des Juifs que
combat le grand exégète d'Alexandrie. Ceux-ci manifestent certes le
plus grand respect pour le Pentateuque, ils n'en laissent cependant
subsister que le sens allégorique et ne croient pas obligatoire d'en
observer les commandements.
Toutefois il y avait probablement dans le monde juif un mouvement
bien plus radical. Il niait, lui aussi, l'obligation d'obéir à la
loi. Il ne le faisait pas en lui prêtant un autre sens que celui
d'une loi; au contraire, il lui reconnaissait très volontiers ce
caractère de loi et en tirait des arguments pour critiquer la
religion de la loi. Selon cette pensée la religion de la loi était
une religion inférieure, oeuvre d'un mauvais principe, d'un dieu
méchant. A ce dieu, cette théorie opposait un dieu bon qui apportait
le salut en combattant le dieu mauvais et sa loi.
Aucun texte juif ne nous est parvenu qui développe cette
doctrine. Les docteurs juifs de l'époque semblent, il est vrai, viser
ce système là où ils combattent les hérétiques, les minim. Mais
en outre, nous rencontrons dans la suite trois mouvements distincts
qui, tous les trois, l'ont, selon toute vraisemblance, puisé dans le
judaïsme. Ce sont d'abord certains gnostiques pagano-chrétiens,
ensuite le gnosticisme judaïsant des Pseudo-Clémentines, enfin le
mandéisme.
D'après les Pères de l'Eglise, le gnosticisme chrétien dérivait
de Simon le Magicien, ce Samaritain dont la doctrine était, selon
leurs témoignages, résolument hostile au dieu de la loi. En effet,
une série de gnostiques, entre autres Cerdon et Marcion, ont opposé,
eux aussi, au dieu de la loi, réputé méchant, le dieu de l'Évangile,
et ils ont amèrement critiqué le principe du légalisme religieux. A
son tour, le roman chrétien des Pseudo-Clémentines n'expose pas
seulement, en la combattant, la doctrine de Simon le Magicien, mais
il nous fait connaître aussi une doctrine judéo-chrétienne qui tout
en admettant l'autorité absolue de la loi divine authentique ne voit
pourtant dans le Pentateuque qu'une loi divine faussée.
Enfin, les Mandéens (voir ce mot), communauté religieuse du sud
de la Mésopotamie, ont conservé jusqu'à nos jours des écritures
sacrées dans lesquelles Adonaï, le dieu des Juifs, sa ville de
Jérusalem et sa loi mensongère sont opposés à la vraie religion du
Dieu sauveur et de son envoyé Jean-Baptiste.
Les doctrines du gnosticisme chrétien, surtout celles de Marcion,
s'expliquent en partie par l'influence des idées pauliniennes, et
Marcion s'est considéré lui-même comme le vrai disciple de Paul. Mais
ce n'est qu'une partie de sa doctrine qu'il tient de cet apôtre, et
le fond qui lui est commun avec la gnose de Simon le Magicien, celle
des Pseudo-Clémentines et celle des Mandéens provient probablement
d'un gnosticisme juif qui, antérieur au christianisme, était déjà
résolument hostile à la religion de la loi.
Mais malgré l'existence probable d'une tendance opposée au
légalisme religieux dans le sein même du judaïsme, celui-ci restait
dans son ensemble ce qu'avait été essentiellement la religion de
l'A.T. canonique, c'est-à-dire une religion de la loi.
Voir Alliance, Décalogue, Prophète, Rétribution, etc. Aug. B.
Révision Yves Petrakian 2005