LAMENTATIONS (livre des)
1.
La Bible hébraïque désigne ce livre par le mot initial ékâh (=eh
quoi! comment!); mais les Massorètes,!e Talmud et Jérôme l'appellent
aussi Qînoth (plur, de qînâh), les Complaintes ; les LXX: Thrênoï ;
les versions latines: tantôt Threni, tantôt Lamenta-tiones, qui n'est pas l'équivalent de l'hébreu; qînâh
désigne en effet (comme thrênos) un genre littéraire bien
déterminé.
Dans le canon de l'A.T, (voir art.), notre livre fait partie des
«Écrits»; il est le troisième des cinq «Rouleaux», entre Ruth et
l'Ecclésiaste. La version grecque, comme la Vulgate et les
traductions modernes, le place à la suite du livre de Jérémie (voir
plus bas).
Ces 5 complaintes ont chacune 22 strophes, composées elles-mêmes
de 3 vers dans les complaintes 1, 2 et 3, De 2 dans la 4 e, d'un seul
dans la 5 e. Toutes, sauf la 5 e, sont acrostiches: chaque strophe
commence par une des 22 lettres de l'alphabet; dans la 3 e, chaque
vers même commence par la même lettre: il y en a donc 3 avec aleph
initial, 3 avec beth, etc. (voir Alphabétique). Le vers
le plus souvent employé se compose de 5 pieds, constitués eux-mêmes
par les syllabes accentuées des mots, entre lesquelles les syllabes
non accentuées peuvent être en nombre variable. La césure suit le 3°
pied, partageant ainsi le vers en 2 stiches. Cette alternance de
stiches longs et courts, le second faisant au premier une sorte
d'écho, donnait à ces chants le rythme particulier de la complainte.
Dans le 5 e, chaque vers est composé de 2 stiches de 3 pieds chacun.
2.
Le poète raconte d'abord (La 1:1,11) les malheurs de Sion
personnifiée, laquelle prend la parole pour exhaler sa douleur
(verset 12,22). C'est le Seigneur lui-même (ch. 2) qui a déchaîné sur
sa ville la catastrophe où l'Etat a sombré, où le temple et le culte
ont disparu, par la faute des chefs spirituels indignes qui ont égaré
Sion.
--Dans la 3 e complainte le poète se lamente sur le châtiment
infligé par l'Éternel; mais celui-ci ne punit que pour pousser à la
repentance: il faut donc avoir confiance en Lui. La 4e complainte
décrit à nouveau la catastrophe. Le dernier chant (ch. 5) n'est pas
une complainte mais une prière.
En résumé, c'est la voix des souvenirs du peuple qui retentit
dans les complaintes 1, 2 et 4; la 3° complainte est le chant d'un
affligé dont les plaintes rappellent celles des psaumes.
3.
Selon les LXX, écho des traditions des Juifs d'Alexandrie, les 5
complaintes sont de Jérémie. (cf. Jer 1:1 dans LXX, Vers. Syr.
et Mischna) De là leur place à la suite du livre de ce prophète.
Cette conviction, recueillie par les versions latines et modernes,
s'appuie probablement sur un passage biblique: d'après 2Ch
35:25, Jérémie avait composé une complainte sur la mort de Josias;
la tradition, généreuse, n'a pas hésité à lui attribuer la paternité
de nos 5 chants. Cette opinion, différente de celle du canon hébreu,
ne résiste pas à un examen attentif. Ainsi l'auteur rejette la faute
de la catastrophe sur les prêtres et les prophètes (Jer 2:14
4:13,16) ou encore sur les ancêtres (Jer 5:7), conception
opposée à celle de Jérémie (Jer 31:29 et suivant); celui-ci
aurait, du reste, distingué entre les prophètes qui égaraient le
peuple et les véritables serviteurs de Dieu.
D'autre part Jérémie, qui recevait des messages d'En-haut en
Palestine et même en Egypte (Jer 43:8), n'aurait pas écrit un
mot comme La 2:9, si peu en rapport avec la réalité.
Enfin nos complaintes reflètent un profond découragement, tandis que
Jérémie, qui joue constamment à Jérusalem le rôle de Cassandre, lutte
sans se lasser et sans perdre confiance contre les dispositions
défaitistes de ses frères. Cf. encore La 4:17, qui ne saurait
guère être de lui, et le fait que la trad. grec des Lamentations est
d'une autre main que celle du livre du prophète.
Les complaintes 2 et 4, les plus anciennes, ont été composées par
des témoins directs de la catastrophe; l'une d'elles, même, peut-être
par un familier de Sédécias (La 4:20). Elles sont cependant
postérieures à 586: la douleur des rescapés qui ont pu se créer une
nouvelle existence est devenue sujet de réflexions, et le recul est
suffisant pour que l'art puisse tirer parti de cette inspiration
cruelle mais féconde. Certains termes semblent empruntés à Ézéchiel.
D'autre part, sur l'horizon encore sombre les événements des années
540 et suivantes sont imprévisibles à l'heure où l'auteur écrit,
c-à-d, vers 570 ou 560.
La 1re complainte, qui a moins de traits pris sur le vif et
semble plus éloignée des événements, date de la fin de l'exil, comme
la prière finale (ch. 5) dont l'inspiration rappelle celle du ch. 1
et qui pourrait être de la même main.
La 3e complainte, par contre, est postérieure. Les allusions à la
catastrophe de 586 sont des plus vagues. L'auteur parle en son propre
nom: comme son inspiration ne suffit pas à remplir le cadre qu'il
s'est fixé, il incorpore à son oeuvre les éléments collectifs que
nous y trouvons (verset 40-42,46 et suivant). Notre chant a
certains rapports de langage avec le Ps 119 (III e siècle), mais
il lui est bien supérieur par les idées. L'inspiration religieuse et
morale dépasse celle des autres complaintes: confiance plus grande en
l'Éternel, intelligence plus haute de ses desseins, soumission plus
complète à sa volonté, tout cela est d'un temps où la piété israélite
a tiré parti des leçons du passé. Ce chant date probablement de la
fin du IV e siècle.
Nos complaintes les plus anciennes n'ont pas été composées en
Judée, où les déportations de l'élite suivies de l'émigration en
Egypte n'avaient laissé que les débris de la population, trop
harcelés de soucis pour songer à une activité littéraire quelconque.
Le ton et l'esprit sont ceux de déportés encore sous le coup des
événements. Elles ont donc été rédigées probablement en Babylonie; la
3 e, par contre, à Jérusalem.
4.
Quant à la composition de notre recueil, on comprend sans peine que
les complaintes 1, 2 et 4 aient été de bonne heure réunies en un
volume, bientôt augmenté de la 5°qui complétait assez heureusement la
collection. On s'étonne davantage d'y rencontrer la 3 e, vu son
origine postérieure. Mais comme on attribuait ces pages à Jérémie, le
rédacteur du recueil a ajouté notre 3 e complainte, qui lui paraissait
sortir plus directement de la plume de cet homme de Dieu, et répondre
mieux aux sentiments soit des individus, soit de la communauté, quand
l'usage se fut établi, sans doute aux derniers siècles av. J.-C, de
lire nos «Lamentations» à la solennité du 9 eme (anniversaire de la
ruine de Jérusalem). Ce chant a ainsi fourni l'élément de
condensation du recueil, en lui ajoutant un élément nouveau.
5.
La forme acrosticho-alphabétique a dû parfois gêner nos poètes, et la
nécessité de composer 22 strophes de 2 ou 3 vers chacune les a
obligés à des répétitions et à des longueurs, sensibles surtout dans
la 3 e complainte. Ces 5 chants n'en constituent pas moins une page
intéressante de la littérature hébraïque: la paternité n'en a pas été
refusée à Jérémie pour des raisons esthétiques, car la langue en est
excellente et le génie de nos poètes s'égale à celui de n'importe
quel psalmiste.
Leur valeur religieuse et morale n'est pas partout la même. Dans
les complaintes 1, 2, 4 et 5, surtout dans la 2 e, règne le sentiment
de la puissance et de la justice de Dieu qui, après d'incessants
appels, a fini par châtier le peuple rebelle. L'auteur ne se plaint
jamais de ce que Dieu soit injuste ou ait outrepassé ses droits, car
il a fait ce que son caractère moral l'obligeait à faire; on le
supplie seulement d'adoucir l'épreuve.
Celle-ci a eu une conséquence heureuse et féconde pour les
meilleurs éléments de Juda: elle les a amenés à la repentance; et le
poète se plaît à nous montrer le peuple faisant un retour sur
lui-même, surtout dans la 3 e complainte, dont la lecture est la plus
édifiante pour des chrétiens. A cet égard le titre de notre livre est
malheureux: ce mot «lamentations» laisse croire que le ou les auteurs
ne savent que gémir sur leur triste sort ou celui de leur pays. En
réalité, la repentance confiante a une assez large place dans ces
pages pour que celles-ci fassent fort bonne figure à côté des psaumes
et des harangues des prophètes. E. G.