JOB
«Le Livre de Job est l'une des oeuvres les plus sublimes que la plume
ait jamais tracées...Rien, je crois, de ce qui a été écrit, soit dans
la Bible soit ailleurs, n'atteint sa valeur littéraire» (Carlyle). Et
il n'est pas moins remarquable par sa vigueur intellectuelle que par
sa puissance littéraire. C'est une brillante défense des droits de la
personnalité morale et intelligente et une grandiose protestation
contre une orthodoxie qui ferme les yeux sur les faits qui la gênent.
La thèse générale du livre peut être ainsi résumée: Le prologue
(Job 1) nous montre en Job un modèle de piété scrupuleuse et par
suite, conformément à l'antique croyance, un homme comblé de biens
matériels. Dans l'assemblée des habitants du ciel, Satan insinue que
si la prospérité de Job lui était enlevée, sa piété disparaîtrait en
même temps. Jéhovah, sûr de la fidélité de son serviteur Job, consent
a laisser Satan le dépouiller de tout ce qu'il a, afin qu'il
puisse découvrir tout ce qu'il est. Job supporte les quatre
catastrophes successives et cruelles, qui le privent de tout ce qu'il
possédait, avec une admirable soumission. Satan a échoué. Il suggère
maintenant que l'épreuve n'a pas été assez dure: Job n'a été atteint
que dans ses richesses, il ne l'a pas été dans son corps. Avec la
permission de Jéhovah, Satan livre un nouvel assaut et Job frappé de
la lèpre, maladie repoussante et incurable, n'a plus rien à espérer
ici-bas. Dieu seul lui reste, mais Dieu lui suffira-t-il? Cette fois
encore Job accepte l'épreuve et prononce de nobles, inoubliables
paroles (Job 2:10). De nouveau Satan est confondu.
Trois personnages, amis de Job, chefs de tribus, viennent alors lui
apporter leurs condoléances et leurs consolations. Suivent trois
séries de dialogues entre Job et chacun de ses amis. (Job
3-14,15-21,22-31)
SERIE 1.
Job commence par maudire le jour où il est né, il appelle la
mort (Job 3). Éliphaz, homme d'âge mûr et de jugement,
auquel une révélation a été accordée pendant la nuit, s'efforce avec
beaucoup de bienveillance de réconcilier Job avec son sort; il lui
rappelle qu'aucun homme n'est juste devant Dieu et l'assure que le
bonheur lui sera rendu s'il accepte ses souffrances comme un
châtiment (Job 4 Job 5). Job repousse cet optimisme
commode, il soupire après une mort rapide, car la vie ici-bas n'est
qu'un misérable train de guerre (Job 6 Job 7).
--Bildad, qui blâme le défi que Job semble porter à la justice de
Dieu, affirme que ceux qui commettent le mal seront sûrement
détruits; mais, à la fin de son discours, il concède implicitement,
en lui promettant un brillant avenir, que Job est
innocent.
--Celui-ci devient alors ironique. (Job 8) «Assurément, dit-il, le
Tout-Puissant a raison. Il est juste en faisant périr également
l'innocent et le coupable.» Job désire ardemment voir Dieu et
apprendre de Lui pourquoi Il impose à la créature merveilleuse qu'il
a formée, un traitement aussi incompréhensible (Job 9 Job 10).
--Tsophar blâme avec rudesse ces paroles de Job et le presse de
se repentir. Cependant, comme ses amis, il prédit l'aurore de jours
meilleurs, bien que les derniers mots de son discours semblent
présager un autre dénouement.(Job 11)
--Job fait un éloge sarcastique de la sagesse de ses amis; il
réclame le droit de juger en toute indépendance et défie l'édifice
entier de la morale sur lequel repose le monde. Mieux vaut être
franc. Dieu n'a pas besoin qu'aucun homme dénature les faits pour Le
justifier. Job soupire après une rencontre avec Dieu afin de
L'écouter ou de Lui parler. Mais il ne reçoit aucune réponse et se
lamente à nouveau sur le caractère tragique d'une vie que la mort
doit anéantir. (Job 12-14)
SERIE 2.
Éliphaz, concluant de ce qui précède que Job méprise la piété,
décrit en termes énergiques le sort des impies. (Job 15)
--Job se plaint de la persécution cruelle dont il est l'objet de
la part de Dieu. II en appelle dans une même supplication de ce Dieu
qui se cache au Dieu juste qui, dans les cieux, est son témoin et son
garant, puis il retombe dans la tristesse et l'accablement
(Job 16 Job 17).
--Bildad lui répond en décrivant le sort des méchants et fait
maintes allusions évidentes au cas de Job. (Job 18)
--Celui-ci est profondément blessé. Il éclate en accents d'une
détresse infinie. Ces ténèbres sont cependant traversées d'un soudain
et fugitif éclair de confiance: un jour, Dieu le
justifiera. (Job 19)
--Non, répond Tsophar: le triomphe du méchant est de peu de
durée. (Job 20)
--En termes fiers et courroucés, Job attaque les arguments de ses
amis, nie l'économie morale du monde et affirme que celui-ci n'est
qu'un chaos (Job 21).
SERIE 3.
Aux yeux de ses amis. Job semble maintenant avoir prononcé sa propre
condamnation. Éliphaz se met à l'accuser froidement de péchés
déterminés (Job 22), ce qui réduit Job au désespoir. Il
souhaite ardemment rencontrer le Dieu qui se dérobe, afin de plaider
sa cause devant Lui. Pourquoi n'intervient-Il pas? Une fois encore il
lance à la loi morale qui régit le monde un audacieux défi (Job
23 et Job 24).
--Peu à peu l'argumentation des amis s'épuise et Bildad se
borne à répondre qu'en présence de l'infinie majesté de Dieu, l'homme
est un être souillé (Job 25 Job 26).
--Job n'en affirme pas moins son innocence.
--Tsophar (Job 27:1,6) rappelle une fois encore le sort
réservé aux méchants d'après l'antique croyance (Job 27:7-23;
bien des critiques, en effet, attribuent ce passage à Tsophar, dont
le nom aura disparu entre le verset 6 et le verset 7).
--Job se dresse alors comme un géant et présente avec ampleur sa
dernière défense. Il décrit sa prospérité passée et sa misère
actuelle et, dans un développement qui atteint aux sommets les plus
sublimes de la morale de l'A.T., il affirme en détail les principes
qui ont formé son caractère et guidé sa conduite. Il termine par un
cri passionné, adjurant le Tout-Puissant de l'écouter (Job 29 Job
30 Job 31).
Le Tout-Puissant écoute; Il répond, non pas en jugeant le cas
particulier de Job, moins encore son péché, mais par une série de
questions. Il lui dépeint, en face de Sa puissance, de Sa sagesse, de
Son amour manifestés dans le monde, l'ignorance et la faiblesse de
l'homme (Job 38,39,40:2,8). A la lumière de cette révélation de
Dieu, Job reconnaît humblement l'insuffisance de ses
critiques (Job 40:3-5 42:2-6). Ainsi se termine le poème.
L'épilogue (Job 42:7-17), écrit en prose, raconte comment
Jéhovah, après avoir blâmé sévèrement les discours prononcés par les
trois amis, fait l'éloge de son serviteur Job qui a parlé de son
Maître selon la justice, et lui rend au double sa prospérité passée.
Cette analyse rapide n'a pas tenu compte des chap. Job 28,Job
32:1-37:24 et Job 40:10-41:25. Ils sont généralement considérés
comme une addition postérieure au livre de Job. L'accent de sérénité
qui anime le ch. 28 avec sa belle description de la sagesse,
précédant le Job 29 où Job se répand en lamentations, paraît peu
vraisemblable. Les discours d'Élihu (Job 32:1-37:24), dont le nom
n'est mentionné ni dans le prologue (Job 2:11) ni dans
l'épilogue (Job 42), interrompent le dernier plaidoyer de
Job (Job 31) et la réponse du Tout-Puissant (Job 38), et
n'apportent qu'un faible argument nouveau. En exaltant la grandeur de
Dieu, ils ne font qu'anticiper sur les paroles de Jéhovah; et, en
exaltant la valeur du châtiment en tant que discipline (Job
36:16), ils ne font que développer le sujet déjà traité par
Éliphaz (Job 5:17). De même les descriptions (Job
40:10-41:25) du rhinocéros (hébreu béhc-moth) et du crocodile
(hébreu léviathan) ne semblent pas, malgré leur beauté
technique, faire partie intégrante du livre; elles retardent sans
nécessité le drame final qui met Jéhovah et Job face à face et auquel
le lecteur sympathique est impatient d'assister.
Ce livre fut probablement écrit environ quatre cents ans av. J.-C.
Non seulement les malédictions et les lamentations de Job au ch. 3
rappellent celles de Jérémie et seraient alors postérieures à l'an
586 av. J.-C, mais encore la doctrine fataliste de la rétribution,
défendue par Ézéchiel (Eze 18), y est énergiquement combattue. Il
serait alors postérieur à l'an 570. De plus, la tristesse et le doute
qui caractérisent le livre rappellent étrangement les sentiments des
contemporains de Malachie (cf. Mal 2:17 3:14) qui écrivait vers
le milieu du V e siècle av. J.-C. Nous ne sommes pas en mesure de
préciser davantage ces détails chronologiques.
Un prédicateur pourrait utiliser avec fruit le livre de Job en le
divisant en cinq parties et en traitant chacune dans une prédication,
comme suit:
1° Un juste accablé par le malheur (Job 1 et
Job 2).
2° Comment en découvrir la cause? (trois séries
d'entretiens: (Job 3-14,15-21,22-27);--ou bien l'on
pourrait consacrer une prédication séparée à chacune de ces trois
séries, et y ajouter une quatrième, traitant de l'intervention
d'Élihu dans le débat: Job 32 à Job 37).
3° Job en appelle à Dieu (Job 28 à Job 31).
4° La réponse du Tout-Puissant (Job 38 à Job 40).
5° La réparation (Job 42).
Aucun livre de la Bible ne peut être comparé à celui de Job pour la
sincérité irréductible avec laquelle il envisage les faits troublants
du monde moral. A ceux qui sont parvenus trop facilement à la foi ou
à ceux qui manquent de sympathie pour les lutteurs en quête de la
lumière, sa logique inflexible devrait rappeler que le monde, après
tout, est une énigme qu'aucun homme n'est capable, par ses seules
études, de déchiffrer entièrement (Job 11:7). Job a la mentalité
et l'esprit protestants. Il ne lui suffit pas d'admettre comme Bildad
qu'étant «nés d'hier nous ne savons rien» (Job 8:8 et suivant).
Non! Il a comme ses pères non seulement le droit mais, plus encore,
le devoir d'examiner. Négliger ce devoir serait se rendre
coupable de trahison envers Dieu et envers sa propre conscience.
«Comme son palais goûte les aliments, son oreille jugera les
discours» (Job 12:11).
Le problème posé par le livre de Job a plusieurs aspects. On peut y
voir un essai de réponse à cette question: existe-t-il une piété
désintéressée? (Job 1:9) Il répond en nous montrant un être qui,
dépouillé de tout ce que l'homme aime avec fierté, reste quand même
attaché à Dieu. Mais à un point de vue plus large, ce problème est le
suivant: Comment la prospérité des méchants et, plus encore, le
malheur des hommes de bien, peuvent-ils se concilier avec la justice
de Dieu? Dans l'un de ses pires accès d'amertume, Job affirme sans
détours que Dieu ne fait pas de distinctions entre les hommes. «Il
fait périr également l'innocent et l'impie» (Job 9:22). «La paix
règne sous les tentes des brigands» (Job 12:6). Le chap. 21 est
un acte d'accusation terrifiant et ininterrompu contre toute
l'ordonnance de l'univers.
Quelle sera l'explication du problème? L'auteur du livre était sans
doute un homme de trop grande valeur et un penseur trop profond pour
s'attribuer le mérite d'avoir trouvé une solution parfaite. La paix à
laquelle il parvient est due à ses révélations et à sa foi, non à sa
science consommée.
L'épilogue qui montre Job rentrant en possession de ses chameaux,
de ses brebis et de ses boeufs, est une peinture poétique de
redressement de la justice, mais non--sauf dans des cas très
exceptionnels--de la vie réelle telle que nous la connaissons. Pour
qui a suivi avec attention la sublime argumentation du livre, ce
dénouement comporte presque un désappointement.
1.
Mais si ce livre n'apporte pas une solution complète du problème
soulevé, il contient de précieuses suggestions, de brillants éclairs
projetés dans des ténèbres épaisses. Le chap, 1 déjà nous offre le
premier de ces aperçus lumineux. Les cinq premiers versets décrivent
la piété et la prospérité de Job. Au verset 6 le lecteur est
transporté de la terre, où vit une famille heureuse, au milieu des
habitants du ciel qui délibèrent. En voici la conséquence: aussitôt
que Satan les a quittés, des épreuves cruelles, nombreuses,
précipitées, fondent sur le patriarche. Ni Job, ni ses amis n'en
comprennent la cause. Ceux-ci prétendent que c'est en lui-même, en
son péché, qu'il faut chercher l'origine de tous ses malheurs. Job le
nie fièrement. Ce n'est pas ici-bas, c'est plus haut qu'il faut
chercher l'explication du mystère, non pas dans le péché de Job mais
dans un plan de Dieu. Herder a eu cette formule heureuse: «En-haut
l'action, en bas la discussion.» Job et ses amis ne connaissent pas
le plan divin, ce qui explique l'incohérence et l'animosité de leurs
entretiens. Cette observation ne nous aidera-t-elle pas à trouver la
solution du problème? Il ne faut pas envisager les douleurs et les
infortunes de ce monde sans tenir compte d'un plan divin. Pour
expliquer ce qui se passe ici-bas, oserions-nous oublier ce qui se
passe Là-haut? Il existe une pensée divine qui, s'il nous était donné
de la pénétrer, expliquerait et transformerait les souffrances
d'ici-bas. La terre et ses tragédies sont incompréhensibles si on les
sépare du ciel et des desseins de Dieu.
2.
Une lumière plus vive est projetée sur le mystère de la souffrance
par la pensée qu'elle est une épreuve de la fidélité. Satan avait
insinué que Job était pieux uniquement parce que sa piété était
lucrative. La preuve de sa sincérité ne serait établie que si sa
prospérité lui était enlevée. Le vieil Hébreu était trop enclin à
identifier Dieu et ses dons. Le jour où Dieu lui restera seul, on
saura avec certitude si Job l'aime pour Lui-même ou pour les biens
dont Il l'a comblé. Avec Dieu seul, sera-t-il satisfait? La façon
dont il supportera cette épreuve sera la pierre de touche de sa
piété. Dépouillez-le de ce qu'il a, alors seulement nous saurons
ce qu'il est. A coup sûr, voici le moyen de mettre la souffrance
à profit. Elle révèle l'homme à lui-même. Quelle somme de malheurs
pourra-t-il supporter sans voir sombrer sa foi en Dieu? Ils sont
rares ceux qui conservent leur foi quand la terre chancelle sous
leurs pieds et que le ciel est d'airain au-dessus de leur tête. La
souffrance constitue une épreuve décisive de la fidélité. L'homme
dont la piété est superficielle fléchira devant elle. Le vrai croyant
la supportera sans perdre la foi. De plus, la fidélité dans la
souffrance est un moyen pour l'homme de glorifier Dieu en prouvant à
ceux qui l'entourent la puissance et la réalité de la vraie piété.
Combien doit être grand et glorieux le Dieu dans lequel Job persiste
à croire, bien que toutes les marques extérieures de Sa bonté aient
disparu et auprès duquel il est heureux quoique dépouillé de tout!
3.
Éliphaz, ainsi qu'Élihu (Job 33:19,28), considère la souffrance
comme un châtiment (Job 5:17). Il est vrai; mais Job, qui est
plusieurs fois qualifié «homme intègre et droit, craignant Dieu et se
détournant du mal» (Job 1:1 2:3), mérite-t-il ce châtiment?
Ceux-ci l'affirment, ils l'accusent d'un orgueil qui appelle une
répression. Mais les qualités que Job s'attribue
sont conformes à la réalité (Job 29:23-25). Ce n'est point par
orgueil qu'il les énumère, (cf. Job 29:12-17) en sorte que la
valeur de la souffrance en tant que châtiment, si vivement défendue
par Éliphaz, ne peut en bonne justice, bien que vraie dans son
principe, être appliquée à Job.
4.
Mais si une explication satisfaisante du problème en question peut
être donnée dans le livre de Job, on s'attendrait tout naturellement
à la trouver dans les sublimes paroles de Jéhovah aux chap. 38 et 39.
Le lecteur cependant est, dès l'abord, surpris et désappointé. Job
qui, plein d'espoir, tourne ses regards vers le ciel, est accueilli
par une grêle de questions impitoyables dont l'ironie acérée dut
briser le coeur du malheureux. Ces questions, qui n'ont aucun rapport
avec le cas particulier de Job, semblent presque cruelles. Elles
signifieraient, d'après certains savants, qu'en présence de
l'univers, la seule attitude raisonnable est celle d'un complet
agnosticisme. Mais cette conception pessimiste n'est-elle pas de
qualité inférieure? Il est logique de supposer que la solution de
l'énigme sera donnée par Jéhovah quand Job et ses amis auront épuisé
leur argumentation. A vrai dire, bien qu'elles ne soient pas dès
l'abord apparentes, le discours de Jéhovah renferme des allusions
lumineuses à la solution du problème.
(a) Première suggestion: Job est appelé à détourner
ses regards de sa propre misère pour les arrêter sur les merveilles
de l'immense univers dont lui-même et sa misère font partie. En
présence du panorama splendide qui se déroule devant lui, il ne
trouve de réponse à aucune des questions qui le glacent d'épouvanté.
S'il ne comprend pas les phénomènes les plus simples du monde
physique, comment peut-il espérer pénétrer les secrets du monde moral
que Dieu gouverne? Le mystère des souffrances de Job n'est qu'une
infime partie du mystère universel, et la leçon qui s'en dégage est
que, même dans la piété de l'homme, il y a place pour un agnosticisme
mêlé de respect. L'auteur anglais A.C. Benson a dit: «Je ne sais
pourquoi notre vie est semée de tant de difficultés, de peines et de
tristesses, mais je vois--du moins il me le semble--qu'il devait en
être ainsi.» Apprenons, en tout cas, en lisant ces discours, qu'il
nous est bon, quand nous sommes en proie à l'inquiétude ou accablés
par le chagrin, de sortir de nous-mêmes, de «nous oublier nous-mêmes,
comme on l'a dit, au sem de la création merveilleuse dont nous
faisons partie». Le sens de la grande vie qui anime l'univers est un
appel à l'abnégation, il comporte un blâme de l'esprit égoïste et
personnel.
(b) Au coeur du mystère règne la Sagesse: «Quel est
donc celui qui obscurcit ainsi mes desseins par des discours sans
discernement?» (Job 38:2). Par delà le monde visible, habite une
intelligence infinie. Dans ce monde ordonné par elle, chaque chose
est à sa place. Il n'est pas permis à la mer de sortir des bornes qui
lui ont été assignées et de dévaster le pays (Job 38:8). De même
la souffrance, comme la mer, a sa place marquée; mais à elle non
plus, il n'est pas permis d'être un instrument de perdition et de
ruine. Nous pouvons avoir confiance en l'ordre qui régit l'univers au
sein duquel nous vivons.
(c) Enfin dans ce monde invisible ne régnent pas
seulement la sagesse, l'ordre, mais encore l'amour. Jamais cette
pensée ne fut exprimée avec plus de tendresse et de beauté que dans
Job 38:25-27. Le Dieu qui prodigue son amour même aux terres
désolées et désertes en les arrosant de la pluie du ciel, ne saurait
oublier les êtres humains, ses créatures, dont le coeur est désolé
comme un désert aride. Si Dieu se soucie des solitudes inhabitées,
combien plus sûrement se souviendra-t-il des régions habitées par
l'homme! N'y a-t-il pas ici comme une prescience des paroles de
Jésus? (Mt 6:30) On l'a dit avec raison: cette solution du
problème ne supprime pas notre incertitude, mais elle l'ensevelit en
quelque sorte sous le flot d'une plénitude de vie et de joie en Dieu.
Au centre de ce monde qu'habite Job avec ses souffrances
incompréhensibles, régnent la sagesse, l'ordre, l'amour.
5.
Il est possible aussi, mais non certain, que l'un des éléments
de la solution du problème réside dans la croyance en une vie future.
Cette noble espérance était peut-être entrevue dans l'admirable
profession de foi (Job 19:25-27) vers laquelle Job 14:13 et
Job 16:18 nous acheminent graduellement. Mais les passages
Job 7:8-10 et Job 14:7-12 démontrent avec une clarté
suffisante que la croyance en l'immortalité ne faisait pas partie du
credo de l'auteur. Si c'eût été le cas, le livre n'aurait
probablement jamais été écrit. Mais si le texte et l'interprétation
du passage cité (Job 19:25-27) paraissent fort obscurs, en voici
une explication très défendable: Job, qui descend rapidement vers la
tombe, dans une agonie de souffrances et d'humiliations, est consolé
par la grande et magnifique espérance de rencontrer au delà du voile,
Dieu, son Défenseur. Avec surprise, émotion et sympathie, on lit ces
mots ajoutés à la fin du livre, dans la version des LXX: «Il est
écrit que Job ressuscitera avec ceux que le Seigneur veut élever.»
Quel qu'il soit, l'auteur de cette adjonction avait dû sentir que les
mots: «Ainsi mourut Job, âgé et rassasié de jours», ne pouvaient
s'appliquer à la destinée définitive du patriarche qui, accablé de
malheurs et de souffrances, était resté si fermement attaché à son
Dieu.
6.
On a souvent reproché à l'épilogue (Job 42:7,16), qui dépeint
Job recouvrant au double sa prospérité passée, de donner une solution
invraisemblable de tout le problème soulevé par le livre; cette
critique ne tient pas compte des éléments les plus importants qui le
constituent, car la vraie justification de Job n'est pas dans la
restitution de ses richesses, mais:
1° dans cette caractéristique donnée de lui à quatre
reprises: «mon serviteur Job» (Job 42:7); Dieu se glorifie
de la fidélité de son serviteur;
2° dans l'efficacité de sa prière d'intercession en
faveur de ses amis, qui l'élève à la hauteur des prophètes. (cf.
Ge 20:7,Am 7:2,5) a côté du redressement poétique de la
justice, il y a dans l'épilogue comme un regard intérieur d'une haute
spiritualité.
L'un des enseignements essentiels du livre est que Dieu aime la
pensée indépendante. Les amis orthodoxes qui professent les
traditionnelles opinions reçues tombent sous le coup de sa
condamnation (Job 42:7 et suivant), tandis que Job, dont les
défis étrangement audacieux confinent parfois au blasphème, est loué
par Dieu Lui-même pour avoir parlé selon la vérité! (Job 42:7)
Étonnante constatation pour qui se souvient que Job avait imité,
presque dans les mêmes termes, l'exclamation du psalmiste: (Ps
8:5) «Qu'est-ce que l'homme, pour que tu daignes prendre garde à
lui!» (Job 7:17); qu'il avait dit que Dieu faisait périr
également l'innocent et l'impie (Job 9:22); qu'avec amertume et
colère, il avait attaqué l'économie morale de ce monde (Job 21).
Mais c'est d'une affection passionnée pour la vérité que jaillissent
ces paroles violentes de Job. Il en appelle de la théorie au fait,
des préjugés pieux à la réalité religieuse, du Dieu conventionnel au
Dieu de la conscience; et c'est cette attitude loyale et éprise de
liberté que Dieu marque du sceau de son approbation.
Éliphaz appuie ses arguments sur une «révélation» qui lui a été.
accordée (Job 4:12,21). Bildad en appelle à l'expérience des
générations passées (Job 8:8). Tsophar incarne un gros bon sens
assez rude. La préoccupation dominante de Job, c'est la piété; celle
de ses amis, la doctrine. Telle est entre eux la grande divergence.
Eux, avec leur intelligence, mettent au premier plan la théorie
spéculative; lui, de toute son âme, s'attache à la réalité d'un Dieu
personnel. Eux s'intéressent aux systèmes; pour lui l'intérêt suprême
est d'être l'ami de Dieu. «Oh! si je savais où le trouver!» (Job
23:3). Tel est le soupir de ce coeur blessé et tourmenté, et l'on
peut imaginer le ravissement avec lequel il aurait accueilli Celui
qui disait: «Venez à moi et je vous donnerai du repos.»
C'est ce caractère passionnément individuel de la piété de Job qui
conserve à son esprit une si intense vitalité. En Dieu, Job a «la
vie, le mouvement et l'être». Il est debout pour l'action, le
progrès, la critique, l'édification. Ses amis gardent l'attitude du
statu quo qui ne cesse pas d'être uniquement conventionnelle.
L'attitude de Job est libre, personnelle, affranchie. J.E. McF.