ISRAËL (Histoire et Religion 9.)

8.

Le judaïsme après l'Exil.

Nous n'avons pas de précisions quant au nombre des Juifs revenus à
Jérusalem et de ceux qui furent dispersés au loin. Nous savons qu'à
une époque antérieure des Juifs vivaient en Egypte, et qu'un certain
nombre d'autres (sans doute ceux qui appartenaient au parti favorable
à l'Egypte) vinrent y chercher un refuge après la grande catastrophe.
Une fraction importante de l'élite de la nation fut transportée à
Babylone, d'autres restèrent attachés à leur sol natal. Ainsi
commença la dispersion (voir Diaspora), qui continua, même après que
la ville sacrée eut été rebâtie, et s'étendit jusque sur es
territoires grecs et romains. Babylone, cependant, restait le centre
le plus important de la vie du peuple juif, et c'est de là qu'elle
devait renaître.

Le nouvel empire babylonien était sous la dépendance de son
fondateur Nébucadnetsar. Quand il mourut en 561, après avoir régné
pendant quarante-trois ans, le déclin fut rapide et la fin fut
consommée vingt ans après, deux des quatre derniers rois ayant été
assassinés. Cyrus entre alors en scène et se rend glorieux par ses
victoires et ses conquêtes (Esa 41:2-23 45:1). Par lui le
gouvernement du Proche Orient passe de la race sémitique à la race
aryenne; il se maintiendra pendant les deux siècles suivants. La
Perse domine un vaste empire. Cyrus, probablement pour des motifs
politiques, permit aux Juifs de retourner en Palestine. Il désirait
avoir aux confins de l'Egypte un peuple ami. Quelles que fussent ses
raisons, ce geste fraya la voie à la restauration du judaïsme. Dans
les limites de l'empire perse pouvait se développer une nation dont
tous les intérêts étaient concentrés dans sa religion.

Nous voici de retour à Jérusalem où, en l'an 520 environ, un
autel fut élevé au culte de Jéhovah. Nous avons ici trois prophètes à
mentionner: Malachie (s'il n'est pas un personnage fictif), Aggée et
Zacharie. Ceux-ci exercèrent leur ministère du temps du gouverneur
Zorobabel, et de Jéhosua, grand-prêtre. Leur mission diffère de celle
des premiers prophètes; au lieu de dénoncer l'idolâtrie, ils devaient
encourager le peuple à rebâtir le temple et à pourvoir à son
entretien (Ag 1:4-9 2:3); Aggée lui déclare qu'il souffre parce
qu'il n'a pas rempli son devoir envers la maison de Dieu. La
prophétie Ag 2:6-9 ne peut être regardée comme messianique; elle
prédit qu'après le cataclysme qui approche et ébranlera la terre, la
gloire du second temple sera plus grande que celle du premier, et que
les trésors afflueront vers lui. (cf. Heb 12:26) La partie
authentique du livre de Zacharie est une admirable prédication, un
message. de réconfort approprié aux besoins de la nation qui
lutte (Za 11:4). La paix règne sur la terre mais le jugement est
proche, les peuples qui ont opprimé les Juifs seront écrasés, la cité
n'aura pas besoin de muraille, car Dieu sera pour elle comme une
muraille de feu dont elle sera entourée (Za 2:5), et ses places
seront remplies de jeunes garçons, de jeunes filles et de paisibles
vieillards (Za 8:4). Pendant la période la plus difficile,
sous le règne de Darius, ces hommes remplirent leur mission en
contribuant au relèvement d'Israël. Le troisième prophète, Mala-chie,
appartient à une époque postérieure, bien que les circonstances
soient presque semblables;;' il réclame un clergé de moeurs plus
pures (Mal 2:1-10), un état social plus noble (Mal
2:10-17), le paiement honnête des dîmes (Mal 3:7,12). Mais
combien le style est différent! nous ne trouvons pas, dans les livres
précédents, ce ton de discussion scolastique. Cette méthode
d'instruction et de raisonnement ne ressemble pas aux appels
passionnés des grands prophètes, elle manque d'idéal. Çà et là
jaillissent de brillants éclairs, mais il n'y a, dans le style, ni
mouvements rapides, ni puissants coups d'aile. On peut dire que ce
livre renferme des enseignements plutôt que de la prophétie (cf.
certains passages de Esa 56 à Esa 66). Ainsi la reconstruction du
temple, la fondation de l'Église juive sont entourées de
circonstances très défavorables. La pauvreté du peuple, l'hostilité
de ses voisins, les désillusions causées par les brillantes
prophéties si imparfaitement accomplies, tout contribuait à inspirer
un découragement profond. Le secours vint d'abord de Babylone, et
plus tard d'ailleurs; mais, dans ses premières phases, la lutte fut
rude.

Un nouveau mouvement de grande importance nous amène au milieu du
siècle suivant lorsque, la réforme deutéronomique étant achevée, le
code sacerdotal pénétra la vie de la nation et régla tous les
services et l'entretien du temple. Ce code s'était lentement
développé. Les «lois de sainteté» (Le 17 à Le 26) sont antérieures
à Ézéchiel, et le code sacerdotal qui les compléta fut certainement
influencé par ce prophète. Le chapitre qui l'introduit (Ge
1-2:4) montre que la notion la plus élevée du monothéisme a été
atteinte. Un seul Dieu est créateur du monde, des cieux et de la
terre et de toutes les manifestations de la vie sur la terre et dans
les mers. Cette loi fut lue publiquement et acceptée aux jours
d'Esdras et de Néhémie (Ne 8). On ne pourrait exposer en
quelques phrases les importants débats auxquels a donné lieu la
mission de ces deux hommes. La réalité de l'existence d'Esdras a même
été mise en doute. On a vu en lui la personnification de l'activité
des scribes, si féconde à cette époque et dans celle qui suivit.
Cette opinion ne paraît pas plausible. Tout le mouvement concernant
les scribes doit s'être incarné en des formes réelles et non
fictives. Le patriote Néhémie fut certainement un homme en chair et
en os, dont l'histoire nous est parvenue avec toute la réalité de la
vie (Ne 1).

A eux deux, Esdras et Néhémie entreprirent un travail complexe:

La construction de la muraille qui devait les
protéger contre des voisins inquiétants.

La condamnation des «mariages mixtes», procès
laborieux qui fut conduit avec rudesse et intolérance.

La séparation tranchée d'avec les Samaritains,
dont la religion était regardée comme impure.

L'affirmation des principes de l'orthodoxie
légale. Seuls des hommes de caractère ferme et des règles sévères
pouvaient préparer le judaïsme aux luttes violentes qu'il avait
encore à livrer. La Judée était un petit pays fermé aux relations
extérieures, vivant sa vie propre, portion insignifiante du grand
empire perse. Les destinées de cet empire jusqu'en 333 relèvent de
l'histoire profane, qui raconte la tentative d'invasion de l'Europe
brisée par la résistance héroïque des Grecs (Marathon, 490; Salamine,
486).

Il dut y avoir à cette époque une grande activité littéraire,
bien que nous ignorions les noms de ceux qui, sous l'influence des
idées ecclésiastiques qui se firent jour plus tard, récrivirent
l'histoire dans les livres des Chroniques ou composèrent les
Proverbes, importante contribution aux «Livres sapientiaux». Les uns
sont un monument du judaïsme, les autres une règle pratique de
conduite pour toutes les circonstances de la vie. Le livre des
Psaumes, dans sa forme actuelle, est postérieur à l'exil, bien que
certaines parties lui soient antérieures. Les Ps 1 Ps 19:8-14, Ps
119, qui glorifient «la Loi», appartiennent à l'époque où la Thora
fut complétée. Les Ps 8 Ps 104 semblent s'appuyer sur Ge 1;
le Ps 139 est un long développement de l'idée religieuse; le
Ps 73 traite le même sujet que le livre de Job, il est
postérieur à Jérémie; les Ps 50 et Ps 51, avec leur notion
de la spiritualité du sacrifice, appartiennent probablement à la même
époque. Des hymnes chantés pendant les fêtes autour des autels
peuvent avoir survécu aux générations précédentes, mais les poèmes
théologiques et de caractère personnel sont plus récents. Les Psaumes
doivent leur puissance stimulante aux poèmes inspirés par les
sentiments si intenses du prophète Jérémie et aux poésies lyriques du
second Ésaïe.

Les grandes discussions passionnées sur le problème de la
souffrance, contenues dans le livre de Job, appartiennent à cette
époque. Elles peuvent être un écho des souffrances de la nation; en
réalité c'est bien un problème personnel qui est posé. Comme
introduction à ses poèmes, l'auteur peut s'être servi de la simple
histoire de «Job le patient», mais son Job à lui ne l'était pas.
Anciens et modernes ont transformé sa patience en discours téméraires
allant jusqu'au blasphème. On a dit avec raison que ce livre est une
protestation contre l'idée que toute souffrance provient du péché. Il
est cela, mais il est plus encore: il montre que ce problème est
plein de mystères et ne peut être résolu par des débats irritants. On
est surpris que le judaïsme ait pu produire un tel livre; peut-être
sa conservation n'est-elle due qu'à certains passages destinés à
adoucir les angles et à le rendre plus conforme à la saine
orthodoxie. De l'avis unanime, le livre de Job est l'un des plus
beaux qui existent; il affirme dans un style admirable le droit que
possède l'âme brisée, éperdue, d'en appeler directement à Dieu, le
Juge suprême (Job 23:3 et suivant). Si nous y joignons les deux
courtes et belles histoires de Ruth et de Jonas, nous avons une
démonstration plus complète encore de l'universalité du judaïsme, au
sein duquel le légalisme, par certains de ses côtés, devenait de plus
en plus étroit. Le livre de Ruth, qu'il contienne ou non un
enseignement particulier, montre que l'art de la narration n'était
pas mort: largeur d'esprit, bonté à l'égard de l'étranger, simplicité
et charme idylliques l'animent. Dans le livre de Jonas nous trouvons
«l'idée missionnaire». Il tourne en ridicule l'opinion que la
prophétie est l'affaire du seul prédicateur et que sa réputation a
plus d'importance que la miséricorde de Dieu envers ceux qui se
repentent. «Le grand poisson» est une image hardie au sujet de
laquelle on a perdu trop de temps (Jer 51:34). Que ce livre
représente ou non Israël menacé d'infidélité à sa vocation
missionnaire, ou qu'il soit une protestation contre le prédicateur
qui, dans son zèle ignorant, oublie que Dieu et l'humanité sont plus
grands que les systèmes théologiques, l'ouvrage renferme un
enseignement immortel (Jon 4:9,11).