ISRAËL (Histoire et Religion 4.)

Le royaume uni sous le roi David
Voir Atlas 5

3.

Établissement de la royauté.

Nous arrivons à une période moins obscure. Si la documentation est, à
la vérité, peu abondante, les dates qui s'y rapportent sont plus
dignes de confiance, étant contrôlables par des sources étrangères.
Mille ans environ avant l'ère chrétienne, la royauté fut instaurée en
Israël. Ce régime, inauguré par Saül le premier roi, fut complété et
perfectionné par David; et bien qu'Israël n'ait à aucun moment joué
un rôle important dans la politique mondiale, les résultats de
l'oeuvre accomplie par David se font encore sentir et peuvent être
rapprochés des hauts faits des Grecs et des Romains. La tradition
juive récente exalte en lui l'organisateur du culte et l'auteur des
hymnes sacrés. Ces titres n'ajoutent rien à sa renommée. L'oeuvre
accomplie par David, même réduite à ses moindres proportions, lui
assigne un rang élevé parmi les grands noms de l'humanité. On ne peut
nier qu'il fût à la fois musicien et poète. L'élégie composée après
la mort de Saül et de Jonathan (2Sa 1:19-27) et déclarée
authentique par une critique rigoureuse, l'atteste; mais elle n'est
pas, à strictement parler, un poème religieux. (cf. 2Sa 3:33 et
suivant
) Le sens poétique et un sentiment de piété délicat
s'expriment dans le beau récit de 2Sa 23:15-17: exposer sa vie
comme le firent ces hommes, c'est offrir à Dieu un sacrifice digne de
lui. D'autres récits nous montrent en David un homme énergique,
habile, capable, en cette période tourmentée, de maintenir ses
droits, d'inspirer à ses successeurs confiance et loyauté, de
concevoir de vastes projets et de les mettre à exécution. La
criminelle tragédie qui marqua le début de son règne le fit juger
sévèrement. Mais il est peu vraisemblable qu'un homme au caractère en
somme chevaleresque ait pu, pour des fins politiques, pervertir les
sources mêmes de la justice (2Sa 21). La conduite des prêtres et
du peuple, en cette circonstance, fut conforme à l'esprit du temps.
La famine était, croyait-on, le signe du courroux de Jéhovah
considéré comme le vengeur de la rupture de l'alliance traitée avec
lui, et le châtiment infligé aux fils de Saül semblait être le
procédé de vengeance le plus naturel. On n'avait pas encore compris
qu'il est injuste que les enfants soient punis pour l'iniquité des
pères (2Ro 14:6,De 24:16). La tache la plus sombre qui ternit la
mémoire de celui qui est appelé «un homme selon le coeur de Dieu» est
celle du meurtre d'Urie le Héthien (2Sa 11). David était agité
de passions violentes et incapable de les maîtriser. Un acte aussi
vil eût semblé insignifiant aux despotes orientaux d'alors, et même
aux rois d'une époque plus rapprochée de nous. Mais en Israël il y
avait un prophète, Nathan, qui se dressa en justicier devant le roi
et, au moyen d'une admirable parabole, éveilla en lui la repentance
et provoqua sa confession (2Sa 12:13). Au sein de sa propre
famille, des ferments de discorde et de révolte empoisonnèrent les
dernières années de David. L'histoire du fils téméraire Absalom et du
chagrin qui brisa le coeur de son père nous offre un tableau des plus
pathétiques, remarquable de vigueur et d'émotion (2Sa 18:33). La
royauté tint bon et la rébellion fut brisée.

S'il importe de se faire une idée de l'homme que fut David, notre
but est avant tout de souligner son oeuvre. Elle eut des conséquences
qu'il n'avait pas soupçonnées. Sa vie comprend trois périodes:

A la cour de Saül: ici pas d'histoire suivie,
mais une série de récits sans lien entre eux et qu'il est, par suite,
difficile d'harmoniser. La mort de Goliath tué par David (1Sa
17, cf. 2Sa 21:19,1Ch 20:5)--si elle est une légende--reflète
du moins un fait historique: ce fut David qui mit fin aux
provocations et aux menaces des Philistins.

Chassé de la cour de Saül; il mène alors une vie
vagabonde, et il est réputé pour son habileté, son courage et son
adresse.

La réunion des tribus et le choix de Jérusalem
comme capitale, grande tâche à laquelle il avait été destiné et
préparé par les événements si divers de son existence.
Voir Atlas 5

Les Cananéens ne comptaient plus comme force organisée à
combattre. C'est avec le parti de Saül et avec les Philistins qu'il
fallait maintenant se mesurer. L'Egypte et l'Assyrie sont en dehors
de l'horizon historique. L'ordre des événements est difficile à
établir, mais les résultats en sont clairs. David fut oint à Hébron
comme premier roi de Juda (2Sa 2:4). D'après la tradition, David
avait trente ans quand il commença à régner. Il régna pendant
quarante ans, y compris les sept ans et six mois qu'il passa à
Hébron. Juda et Israël furent ainsi réunis; le royaume s'étendit de
Dan à Béer-Séba et les tribus environnantes reconnurent qu'un maître
puissant occupait le trône. Jérusalem, enlevée aux trop présomptueux
Jébusiens (2Sa 5:6 et suivant), devint une place forte qui
n'a cessé depuis de jouer un rôle dans l'histoire du monde. Là fut
établi le plus important des sanctuaires; non pas le seul, mais, en
tant que capitale et résidence royale, celui de Jérusalem avait la
prééminence. David, sautant et dansant devant l'Éternel (2Sa
6:16), était un adorateur sincère et enthousiaste. Le retour de
l'arche à Jérusalem fut un acte politique et sage. Cette époque de
guerres et d'instabilité n'était pas favorable à l'éclosion d'oeuvres
littéraires, mais le peuple trouvait dans des formes naïves un
aliment intellectuel et spirituel.

Les querelles de famille qui troublèrent les dernières années de
la vie et du règne de David, les intrigues rattachées à l'avènement
au trône de Salomon, ne concernent pas directement notre
exposé (1Ro 1-3). De telles façons d'agir étaient pratiquées
dans les cours royales et sous la domination des despotes,
spécialement en Orient. Salomon hérita de son père un royaume doté
d'une organisation nouvelle et de ressources considérables pour la
construction de la «Maison de Dieu». La situation politique était
favorable: les petites tribus, sources de difficultés passagères, ne
pouvaient causer de sérieux préjudices, les Philistins n'avaient plus
aucune chance d'agrandir leur territoire. L'Egypte fraternisait et
Hiram, roi de Tyr, offrait ses services (1Ro 3:1 5:1-12). Le
fait saillant du règne de Salomon (960-930) fut la construction du.
temple, qui resta debout jusqu'à l'exil, au début du VI e siècle av.
J.-C. Bien que le culte de Jéhovah ne pût, à cette époque, être
limité à un centre particulier, cependant l'existence d'une capitale
puissante, d'une forteresse établie sur un point stratégique, d'un
temple qui, avec plus de raison que les petits autels environnants,
s'affirmait la demeure du Dieu national, contribuait largement au
développement de la religion. La capitale et le temple furent pour le
peuple juif à la fois une force et une source de tentations. L'une et
l'autre connurent les caprices du destin, furent le théâtre
d'événements joyeux, de viles intrigues et de hideuses tragédies.
Salomon fut le constructeur du temple, et le sort de la cité et celui
du temple furent jusqu'à la fin intimement liés. Mille ans environ
après Salomon, la catastrophe finale se déchaîna dans une révolte
insensée contre Rome. Mais, on l'a dit avec raison, «ce qui semble
extraordinaire, c'est que ces hommes atteints de folie ne se
trompaient pas entièrement. Les enthousiastes qui, au moment même où
Jérusalem était en flammes, la proclamaient éternelle, étaient plus
près de la vérité que ceux qui ne voyaient en eux que de vulgaires
criminels. Au point de vue militaire et immédiat, ils se trompaient;
ils avaient raison quant aux conséquences religieuses dans un
lointain avenir. Cette époque tourmentée fut, en réalité, celle où
Jérusalem devint la capitale spirituelle du monde. L'Apocalypse, aux
pages inspirées par un brûlant amour, a pris place parmi les livres
religieux de l'humanité et fixé à jamais l'image de la Cité
bien-aimée» (E. Renan). Salomon avait construit `édifice matériel;
l'oeuvre spirituelle du millénaire suivant fut d'amasser le trésor
éternel que ni les guerres, ni les ravages du temps ne peuvent
détruire.

L'influence personnelle de Salomon sur ce grand mouvement ne fut
pas considérable. A côté du temple s'élevaient des autels consacrés à
d'autres dieux. La prospérité croissante de Jérusalem amenait à sa
suite des maux sans nombre. La sagesse de Salomon est restée
légendaire dans l'histoire et la tradition d'Israël et des peuples
voisins, mais, à la lumière d'une critique historique impartiale,
elle semble infirmée par les faits. A la fin du règne de son père,
une extrême tension éprouvait le royaume. David, affaibli par l'âge,
tourmenté par des courtisans turbulents et des querelles de famille,
semblait avoir perdu l'ascendant sur son peuple; toutefois, à l'heure
où celui-ci était menacé de sombrer, une vague de loyalisme le
souleva et la rébellion fut brisée grâce à la vigoureuse attaque de
Joab, le guerrier vaillant. Salomon, au contraire, malgré tous les
avantages de la paix et de la prospérité, laissa le royaume en pleine
effervescence, peuplé de mécontents et prêt à tomber en ruines. S'il
eût employé avec sagesse les trente années que dura son règne, il
aurait pu unir plus étroitement les tribus, mais son despotisme et
son extravagance ne firent qu'aggraver les divisions latentes. La
splendeur croissante de la nouvelle capitale ne pouvait manquer
d'exciter la jalousie des villes moins importantes; les lourds impôts
prélevés pour la construction des palais, les enrôlements d'hommes
pour de rudes travaux obligatoires (1Ro 5:13-18), la prétention,
souvent affichée, d'imiter la pompe et le gouvernement absolu des
monarques d'Orient, soulevèrent des mécontentements qui ne purent,
tant que Salomon vécut, se donner libre cours (1Ro 11), mais qui
éclatèrent comme un incendie aussitôt que sa forte personnalité eut
disparu (1Ro 12).

On ne sait pas de façon précise quand les Hébreux commencèrent à
faire de leur alphabet un usage littéraire (voir Écriture); on peut
supposer que, pendant le règne de Salomon qui fut en général paisible
et prospère, on s'employa activement à consigner par écrit les lois,
les chants, les vieux récits. Une grande partie de cette littérature
antique a probablement été perdue. Les peuples primitifs ont des
traditions orales. Quelques-unes revêtirent une forme écrite avant
d'être incorporées à des compilations plus récentes (Jos 10:13,2Sa
11:7,27,No 21:14 et suivant) - A la cour, des services spéciaux et
des registres assuraient la conservation des documents officiels. Il
se peut que les codes les plus anciens aient été mis par écrit: Ex
34, de J, ainsi que le «Livre de l'Alliance» (Ex 20:22-23:33),
qui fut inséré plus tard dans E, document plus étendu. Le Décalogue,
dans son expression la plus simple, peut-il être attribué à Moïse?
Sous sa forme la plus récente et dans ses diverses révisions, il
appartient à la période prophétique.

L'art de la codification, comme les autres arts, s'apprit
lentement. Ces collections de lois ne sont pas combinées entre elles
d'après un système déterminé. Cependant on peut en dégager différents
éléments: «Les Paroles», «Les Sentences», ayant chacun son caractère
propre et son histoire distincte. A cet égard, la question de
l'influence babylonienne a été soulevée, le code d'Hammourapi (2000
av. J.-C.) offrant quelques points de ressemblance avec le code
hébreu. Mais il n'y a pas lieu de conclure à un emprunt au sens
strict du mot. Le code babylonien (voir Assyrie et Babylonie,
parag. 8) avait été élaboré pour un empire fortement organisé, avec
des clauses relatives à ses transactions juridiques et commerciales
et, bien que plus ancien, il marque un progrès évident sur celui des
Hébreux destiné à un petit peuple d'agriculteurs. Le code hébraïque
s'est, à n'en pas douter, développé en Palestine, bien qu'on y trouve
des réminiscences de la vie au désert. La loi du talion: «OEil pour
oeil et dent pour dent, etc.», commune aux deux codes, est un ancien
élément d'origine sémitique. Durant les siècles suivants se
poursuivit le développement de la législation et de la littérature.
Si nous ne pouvons plus attribuer à Salomon tous les Proverbes et le
«Livre de la Sagesse», nous n'avons aucune raison de douter que sa
cour ne fût devenue un centre littéraire élargi et actif, où l'on
cultivait avec prédilection le genre littéraire des allégories, des
énigmes, des proverbes. Plus tard, cette époque fut regardée comme
l'âge d'or de la richesse et de la splendeur.