HÉRÉSIE

Ce mot, transcrit du grec, et dont la racine est le verbe haîreïn
(=prendre, saisir), désigne une préférence, un choix, l'adhésion à
une doctrine; les anciens l'appliquaient aux diverses «écoles»
philosophiques. Comme l'adoption d'une doctrine particulière révèle
d'ordinaire un esprit indépendant qui, pour s'opposer aux idées
reçues, s'affirme d'une façon tranchante, parfois exclusive, obstinée
ou même violente, le terme d'hérésie a souvent été pris en mauvaise
part, dénotant cet esprit de «parti» (étym., partage), qu'on a mis
aussi dans le mot de «secte», quoique celui-ci soit dérivé du latin
sequor (=suivre) et non seco (=trancher).

Le fait même qu'un hérétique se détournait du point de vue de la
majorité ou d'une doctrine de l'autorité officielle devait lui faire
prendre attitude de partisan et de sectaire, quel que pût être en
réalité son fanatisme ou sa tolérance. Ce sens défavorable ne semble
pas se trouver dans l'emploi du mot par le livre des Actes, où nos
traductions le rendent ordinairement par «secte»: celle des
Pharisiens (Ac 15:5 26:5), celle des Sadducéens (Ac 5:17),
celle des Nazaréens (Ac 24:5 28:22). Il doit en être de même
dans les nombreux passages où l'historien Josèphe emploie ce mot
(Ant., XIII, 5:9; G.J., II, 8:1). Toutefois saint Paul
proteste que l'Église chrétienne n'est pas une secte mais une
voie (Ac 24:14); ce qu'on pourrait traduire en langage moderne:
nous vous apportons non pas un système tout fait, mais un programme à
réaliser, un idéal à poursuivre. C'est surtout dans ses épîtres que
l'apôtre condamne l'esprit de parti qui commence à se glisser dans
l'Église et à la diviser. (cf. 1Co 1:10-13) Sans doute, dans
1Co 11:19, indique-t-il que même les «divisions», ou
«divergences», entre les chrétiens, peuvent produire le bon effet de
purifier leur communauté; c'est pourquoi il va jusqu'à dire: «Il faut
même qu'il y ait des partis différents, afin qu'on puisse reconnaître
les fidèles.» Mais il n'en considère pas moins les hérésies comme des
fruits de la chair opposés à l'oeuvre de l'Esprit (Ga 5:20); le
sectaire ou hérétique est un danger, qu'il faut éviter, et même
fuir (Tit 3:10). Voir Agrapha, III, dernier texte cité.

Avec la deuxième épître de Pierre (2Pi 2:1) se dessine le
sens qui prévaudra dans l'Église: l'hérésie est une doctrine
d'erreur, destructive de la foi et corruptrice des moeurs, à qui l'on
appliquera les sévères avertissements de Jésus: Mt 7:15 et les
violentes censures de l'épître de Jude.

Dans les siècles suivants, en effet, le souci de l'unité de
l'Église, la nécessité de défendre la pureté de sa doctrine contre
l'invasion des idées fausses et des superstitions d'origine païenne
ou juive, dressa les docteurs chrétiens contre les propagateurs
d'erreurs, dont l'influence ne pouvait que diviser et corrompre
l'Église. La lutte contre l'hérésie va donc remplir de plus en plus
l'histoire des premiers temps de l'Église, et les plus illustres
parmi les docteurs vont se consacrer à cette guerre sainte. Citons
seulement, parmi ces défenseurs de la foi (appelés pour cette raison
les Pères apologètes), Ignace, Irénée, Tertullien, Athanase.

Malheureusement, à mesure que la chrétienté, triomphante du
paganisme, devenait l'Église romaine, le mot hérésie servit non plus
à désigner seulement les doctrines infidèles à l'Évangile, mais aussi
les revendications des chrétiens qui, pour rester fidèles à
l'Évangile, s'insurgeaient contre les innovations, les superstitions
et l'impérialisme sacerdotal de Rome. C'est ainsi que furent
condamnés comme hérétiques les Vaudois, les Huguenots. Pour le
concile de Trente, est hérétique tout ce qui n'est pas catholique
romain. On voudrait pouvoir dire que les croyants qui n'ont d'autre
règle que l'Évangile se sont toujours abstenus de tels écarts de
jugement. Du moins les procès en hérésie qu'ils intentaient
étaient-ils chez eux une inconséquence. Leur Église valait mieux que
leurs actes et ces actes eux-mêmes sont restés isolés dans leur
intolérance. Tandis que l'Église romaine, qui se déclare infaillible,
est conséquente avec son principe quand elle fait des procès
d'hérésie et quand elle persécute. Cette attitude, qui blesse la
morale parce qu'elle ruine la liberté, est d'autant plus difficile à
tenir en face de la relativité de nos connaissances et des progrès
incessants de l'esprit humain, que bien souvent l'expérience nous
montre l'hérésie d'hier devenue la vérité d'aujourd'hui (voir t. III,
1 re partie).