HAUT-LIEU
1.
Ce terme traduit l'hébreu bâmâh (plur, bâmoth),
dont le sens doit avoir évolué au cours des âges. Sans doute il
désigna d'abord une éminence, hauteur, colline, sommet, etc. (De
32:13,2Sa 1:19,25,Am 4:13,Mich,1:3), parfois au sens fig (Esa
14:14). Les Sémites virent avec prédilection dans ces sommets le
lieu favori de la résidence et des manifestations de leurs divinités,
et ils en firent par excellence l'emplacement de leurs cultes. Les
bâmoth deviennent donc des autels, des sanctuaires (Am 7:9)
érigés sur les hauteurs, soit aux dieux païens, soit même à
Jéhovah (No 22:41,2Ro 21:3 etc.); et l'on dit couramment:
«monter au haut-lieu», «descendre du haut-lieu» (1Sa 9:13 et
suivant, 1Ro 11:7,Eze 20:28 et suivant). Quand les hauts-lieux
se furent multipliés, leur nom s'appliqua fréquemment aux
sanctuaires locaux, dépendant des bourgades et des villes, même
lorsqu'ils furent plus tard érigés au fond des vallées (Jer 7:31
32:35) ou à l'intérieur des cités (2Ro 17:9,Eze 16:24).
2.
Quand les Hébreux pénétrèrent en Canaan, ils
s'approprièrent graduellement pour leur culte les hauts-lieux païens
du pays, dont la plupart étaient très antérieurs à l'arrivée
d'Israël; rarement ils en créèrent de nouveaux (1Sa 7:17,2Sa
24:16,25). Il n'y avait pas d'ailleurs, à l'origine,
d'incompatibilité de principe entre la religion de Jéhovah et la
notion du haut-lieu (Ex 20:24,1Ro 19:14).
(a) A l'époque de la conquête, les Hébreux eurent des
hauts-lieux notoires à Guilgal (Jos 9:6 10:6,1Sa 10:8 15:21),
Béthel (Jug 20:18,26,1Sa 10:3), Mitspa (Jug 20:1),
Rama (1Sa 7:17), Nob (1Sa 21:1 22:9). C'est Silo qui paraît
avoir été le plus réputé (Jos 18:1 19:51,Jug 21:19,1Sa 1:3,
etc.).
(b) On présume que sous la royauté, dans une stabilité
politique relative, les Israélites eurent des hauts-lieux dans toutes
leurs localités (ex. Bethléhem, 1Sa 20:6,29), tout en conservant
une ferveur particulière pour les plus célèbres bâmoth de leurs
débuts en Canaan. La préférence d'un roi pour tel ou tel sanctuaire
lui conférait l'épithète caractéristique de «royal»; ex.: Hébron sous
David (2Sa 5:1 15:7), Gabaon sous Salomon (1Ro 3:4,2Ch
1:3), Béthel sous Jéroboam II (1Ro 12:26,29,Am 7:13)
(c) Après le schisme, les Hébreux, dévoyés par des
monarques et des prêtres infidèles, subirent la contagion croissante
du paganisme ambiant: l'idolâtrie l'emporta sur le spiritualisme
jéhoviste. Elle envahit d'abord le royaume du Nord, où elle ne
rencontra l'opposition d'aucune institution sociale ou religieuse;
alors refleurirent sur les bâmoth d'Israël, principalement à Béthel
et à Dan, les rites grossiers et cruels des Baals et des
Astartés (Am 7:13 8:14). C'est contre cette dépossession de
Jéhovah que protestèrent avec indignation les deux vaillants
prophètes du VIII e siècle, Amos et Osée (Am 2:7 4:4,Os 5:11 11:1
et suivant). La paganisation fut plus lente dans le royaume du Sud
(Juda), où elle se heurta à l'influence exceptionnelle et régulatrice
du temple bâti par Salomon à la gloire de Jéhovah, mais où elle finit
aussi par triompher (Am 8:14,2Ro 23,Jer 2:20 3:1 7:30 et
suivant). Ici, pourtant, et grâce au temple, se fit jour dans l'élite
religieuse un mouvement centralisateur, visant à adorer le Dieu
unique d'Israël dans un sanctuaire «unique». Ce mouvement, capital
dans l'évolution spirituelle du peuple élu, et dont le
Deutéronome (De 12:1,13) et les livres des Rois nous apportent
l'écho, allait à l'encontre même du principe de la légitimité et de
la nécessité des hauts-lieux, jusqu'alors admise sans conteste. Mais
il touchait à des traditions et des usages si profondément établis
qu'il ne progressa qu'avec d'extrêmes difficultés. Vigoureusement
encouragé par Ézéchias (2Ro 18:4), intégré par Josias dans la
réforme qui porte son nom (2Ro 23), il ne s'affirma nettement
victorieux qu'après la ruine de Jérusalem et le retour de l'exil aux
VI e et V e siècles.
3.
Jusque vers cette époque, les hauts-lieux furent donc
intimement mêlés à l'histoire d'Israël; ils concentraient en quelque
sorte sa vie publique sociale et religieuse. C'est auprès de ces
sanctuaires populaires, desservis par des sacrificateurs et des
prophètes ou voyants (Jug 20:28,1Sa 2:11,17 9:11,14,2Sa
15:32,37), qu'on adorait Jéhovah et qu'on le consultait dans les
difficultés personnelles, familiales et collectives (1Sa 1:3 10:3
20:6,29); c'est là qu'on déposait l'arche de l'alliance (Jug
20:27,1Sa 4:4), et qu'au milieu des fêtes et des réjouissances on
apportait dîmes et offrandes; là qu'était rendue la justice (1Sa
7:15-17) et qu'accouraient les guerriers avant le combat.
Malheureusement les cérémonies qui s'y déroulaient provoquèrent
souvent de déplorables excès (1Sa 1:13), et aboutirent aux plus
licencieuses dépravations des idolâtries païennes (De 23:18,1Ro
14:24,Am 2:8,Esa 28:7).
4.
Des fouilles fort importantes ont permis de retrouver
quelques bâmoth de Palestine; à Guézer et Thaanac principalt, ont
été découverts des sanctuaires assez bien conservés. En confrontant
les données de l'A.T, avec les résultats de ces recherches
scientifiques, on a pu reconstituer la physionomie approximative d'un
haut-lieu (fig. 112 à 114). Ce dernier consistait généralement en un
entablement plus ou moins spacieux de rochers ou de terre battue,
creusé de cupules ou rigoles destinées à recueillir le sang des
sacrifices: c'est là qu'il faut voir l'autel. Des piliers (voir
Colonne), pierres dressées ou troncs d'arbres, figuration symbolique
de la divinité, en complétaient l'ordonnance. On présume qu'à ces
éléments fondamentaux s'ajoutaient un bassin pour les ablutions
rituelles et même un réfectoire pour les repas sacrés (1Sa
9:11,14). Une espèce de construction devait aussi, en certains cas,
abriter le haut-lieu et les reliques qu'il renfermait (Jug
17:5,1Sa 1:9 3:3).
Voir H. Vincent, Canaan; Macalister, Gezer; Bertholet, Hist. Civ. Isr.,
pp. 115SS; A. Lods, Israël, etc. JN R,