FUITE EN EGYPTE

Cet épisode, qui a inspiré tant d'artistes, est propre à l'évangile de
Matthieu: (Mt 2:13-23) Joseph, apprenant par un ange qu'Hérode
veut tuer le roi des Juifs, quitte de nuit Bethléhem avec la mère et
le petit enfant, et les mène en Egypte; il les en fait revenir pour
s'établir à Nazareth, quand de nouveaux messages d'ange l'ont informé
qu'Hérode est mort et que son fils Archélaüs règne en Judée; entre le
départ et le retour se place le massacre des enfants de Bethléhem
(voir Massacre des innocents), et l'évangéliste rattache chacun de
ces trois tableaux à une parole prophétique. Sur ces simples données
les évangiles apocr, et même certains Pères de l'Église ont greffé à
profusion des détails imaginaires (durée du séjour: deux ans, sept
ans, etc.) et surtout des prodiges (bêtes féroces en adoration devant
l'enfant Jésus, plantes lui tendant fleurs et fruits, idoles de
l'Egypte renversées et brisées pour accomplir Esa 19:1,Jer
43:13, etc.). De deux choses l'une: si, comme il est probable,
l'évangéliste ignorait ces histoires fantastiques, leur apparition
tardive les dénonce comme une végétation de surnaturel vulgaire
éclose en parasite sur le terrain biblique; si au contraire il les
connaissait, il les a donc rejetées comme non véridiques. Sans doute,
l'évangile de l'enfance est par son sujet même et par sa poésie moins
rigoureux que des témoignages proprement historiques; mais ce genre
particulier n'exclut pas a priori la véracité du fond: il suffit de
rapprocher de tant de fables puériles la pure sobriété évangélique,
pour reconnaître ici une tout autre inspiration (voir Évangile syn.,
IV, 2, 2° A.

En fait, toutes les objections qu'on a opposées à l'historicité du
récit sont réfutables:

Trois révélations d'anges (Mt 2:13, 19-22)
trahiraient un merveilleux incroyable? C'est ainsi que les Juifs
pieux se représentaient une inspiration d'En-haut (voir Ange, parag.
3).

L'épisode, une réplique du séjour de Moïse au
désert? Aucune analogie entre les deux séjours.

Une composition sur Os 11:1, cité dans
Mt 2:15? De ce qu'un judéo-chrétien voyait dans les faits de cette
histoire des accomplissements de prophéties, il ne s'ensuit point que
pour assurer ces accomplissements il eût pu imaginer de toutes pièces
ces faits et cette histoire; en ce cas, il aurait dû inventer, avec
la fuite en Egypte pour réaliser la prophétie, le massacre des
enfants pour expliquer la fuite, et la visite des Mages pour
expliquer le massacre,--hypothèse singulièrement moins admissible que
le récit évangélique lui-même.

Le voyage épuisant serait invraisemblable? Pas
pour des Orientaux, habitués aux déplacements: certes, il dut être
pénible à la mère et à l'enfant jusqu'à la troisième étape, celle du
ruisseau d'Egypte, limite du domaine d'Hérode; et qui sait si
l'allusion de Jésus aux horreurs d'une fuite (Mt 24:16-22)
n'évoquait pas des souvenirs de famille? Mais quand on fuit pour
sauver sa vie, (cf. 1Ro 18:33) rien n'arrête l'effort.

Les fugitifs auraient eu un asile tout proche, en
Arabie? Mais «de tout temps le refuge naturel de ceux qui étaient
chassés de Palestine par la misère, les persécutions ou le
mécontentement», c'était l'Egypte (Farrar); et si Joseph s'est rendu,
comme le dit une assez forte tradition, dans la région de Matarieh
(aujourd'hui à quelques km. au Nord-E, du Caire), où les Juifs
étaient nombreux, il pouvait y trouver pour longtemps accueil et
occupations beaucoup plus aisément que dans les tribus arabes.

Le silence de Luc, qui conduit directement la
famille de Bethléhem à Nazareth (Lu 2:39), ne contredit pas plus
le récit de Matthieu, que le silence du même auteur sur le voyage de Paul
en Arabie (dans Ac 9:19-26) ne contredit l'affirmation de
l'apôtre lui-même (Ga 1:17); aucun évang, n'est complet, et nos
deux évangiles de l'enfance ne sont pas inconciliables, mais
complémentaires.--Voir fig. 79 et 80. Jn L.