AGGÉE

Le premier prophète suscité par Dieu après le retour de la Captivité.

Son nom hébreu Haggaï (grec Aggaïos, Vulgate Aggoeus),
qui se retrouve ailleurs avec la vocalisation Haggi

(Ge 46:16), a son équivalent dans, l'arabe El-Hadj, le
pèlerin de La Mecque et, par analogie, doit signifier «celui qui a
participé à la fête» (plutôt que Vulgate: jestivtts =le
solennel, ou que «né pendant la fête»). Ce surnom lui fut sans doute
donné après la fête de la Dédicace du Temple, à l'érection duquel il
avait si fortement contribué. D'origine obscure, puisque le nom de
son père ne figure pas dans la suscription de son livre,
contrairement à l'usage courant, il est désigné d'emblée comme
prophète (nabi), sans autre allusion à la date ou aux
circonstances de sa vocation.

Comme son contemporain Zacharie, dont les premiers discours sont
de peu postérieurs aux siens, Aggée avait dû faire partie du premier
convoi de Juifs rentrés à Jérusalem sous la conduite de Sesbatsar (ou
Zorobabel, Esd 1:8 2:2). L'édit de Cyrus les autorisait à
retourner à Jérusalem, afin d'y «bâtir la maison de l'Éternel, le
Dieu d'Israël» (Esd 1:2-3 5:13). Leur premier soin fut donc de
rétablir l'autel des holocaustes (2e année de Cyrus, 536) et de
réparer les fondements du Temple, brûlé et démoli par les Caldéens en
587. Mais la même ardeur ne fut pas mise à la reconstruction du
Temple lui-même, dont les travaux furent interrompus durant une
période de seize ans, jusqu'en la deuxième S année du règne de Darius
II, fils d'Hystaspe, lorsque les prophètes Aggée et Zacharie
réussirent à «réveiller l'esprit» des chefs, Zorobabel, gouver-neur
de Juda, et Josué, grand-prêtre.

Diverses circonstances avaient arrêté cette grande oeuvre de
restauration religieuse et nationale: l'indifférence des Judéens,
habitués depuis trop longtemps, au sein de leurs communautés juives
en Babylonie, à se passer des cérémonies du Temple; l'hostilité des
Samaritains et leurs longues intrigues auprès de la cour de Perse, à
la suite du refus brutal opposé par les Judéens à leur offre de
coopération; (cf. Esd 4 et ss) les craintes causées par le
passage des armées perses envahissant l'Egypte, sous Cambyse (527),
puis par les révoltes qui succédèrent, dans une grande partie de
l'empire, à l'avènement de Darius. La nationalité juive, à peine
rétablie, risquait, en relevant trop tôt et trop hardiment la tête,
de s'attirer une sévère répression. Aggée et Zacharie durent lutter
contre cette indifférence et cette timidité des Juifs.

Le but essentiel du ministère d'Aggée fut d'exhorter le peuple et
ses chefs à reprendre et à achever la reconstruction du Temple, et
ses efforts furent couronnés de succès. Il se présente à nous lors de
sa première démarche prophétique auprès de Zorobabel et de Josué, en
la deuxième année de Darius (520).

Le livre d'Aggée, comme la plupart des livres prophétiques, nous
offre les discours du prophète, accompagnés de notices historiques
destinées à fournir l'occasion et la date précise des oracles. Ces
notices impersonnelles ne paraissent pas provenir du prophète
lui-même, mais nous apportent des renseignements d'une véracité
indéniable. Quatre courtes prophéties d'Aggée se succèdent dans
l'ordre chronologique, datées de la même année et prononcées à un
bref intervalle, les 6 e, 7 e et 9 e mois, en gros de septembre à
décembre 520.

La première prophétie, datée du premier jour du 6 e mois,
s'adresse, d'après sa suscription, aux deux dirigeants d'Israël, mais
est destinée en réalité à tout le peuple ou plus spécialement aux
Juifs riches, qui, ayant prospéré pendant leur exil dans les plaines
fertiles de la Babylonie, consacraient tous leurs soins à bâtir et à
orner de lambris leurs nouvelles demeures. Ces Juifs, par
pusillanimité ou par avarice, assuraient que le moment n'était pas
favorable à la reconstruction du Temple. Aggée signale l'objection et
la flétrit en deux strophes parallèles (Ag 1:4-6 et Ag
1:7-11). Il constate, non sans ironie, que le moment ne leur paraît
nullement défavorable à l'érection de leurs propres maisons. Il
attire ensuite leur attention sur le mécontentement de l'Éternel,
clairement manifesté par les mauvaises récoltes. La sécheresse
persistante a amené la famine. C'est que chacun court à sa propre
maison tandis que la maison de Dieu est dévastée.

A ce discours, le peuple est saisi de crainte, mais d'un mot
Aggée le rassure: «Je suis avec vous, dit l'Éternel!» (verset 12-18).
Dès lors les travaux sont repris le 24 e jour du 6 e mois (verset
14-15).

Aggée prononce sa seconde prophétie à la suite d'une révélation,
le 21 e jour du 7 e mois (Ag 2:3-9), pour dissiper les
inquiétudes renaissantes, en répétant son oracle: «Je suis avec vous,
dit l'Éternel!» (verset 4). Il exhorte tour à tour Zorobabel, Josué
et la population à reprendre courage, à se fortifier dans leur
résolution et à poursuivre sans interruption le travail commencé. Les
plans du nouveau Temple semblent bien médiocres à ceux qui, dans leur
jeunesse, ont encore pu contempler la magnificence du premier.
Cependant Dieu n'a ni renié son alliance conclue au sortir d'Egypte,
ni retiré son Esprit. Sa gloire, qui, d'après la vision d'Ézéchiel,
avait quitté le premier Temple, rentrera dans cette maison et la
remplira d'une splendeur incomparable. Les nations s'ébranleront;
elles viendront offrir à l'Éternel leurs trésors, l'argent et l'or
qui lui appartiennent et dans ce lieu Dieu donnera la paix.

Une prédiction messianique a été introduite dans ce passage par
saint Jérôme, qui traduit au verset 7: «Le Désiré de toutes les
nations viendra...» (Vulgate), (Luther: la consolation...), alors que
le texte porte: «Les trésors viendront...» (LXX,id.)

La troisième prophétie reprend le thème moral de la première, et
la quatrième le thème messianique de la seconde. Le parallélisme est
frappant; pensées et expressions sont analogues. Nous voyons revenir
dans la troisième prophétie (Ag 2:14-19) la locution qui ponctue
la première; «Appliquez votre attention» (litt.: mettez votre coeur),
et le sujet de la famine. Mais tandis que les mauvaises récoltes du
début étaient dues à une extrême sécheresse, durant les quatre mois
écoulés la grêle et les maladies engendrées par les intempéries
avaient ravagé champs et vignobles. Israël se scandalisait de ces
nouvelles épreuves, mais n'étaient-elles pas méritées par sa lâcheté?
Le prophète n'avait-il pas dû déjà relever le courage des chefs
eux-mêmes, à peine la décision prise de bâtir le Temple? Peut-être
certains estimaient-ils que le rétablissement de l'autel aurait pu
suffire à rendre à Israël son caractère de nation sainte? C'est
pourquoi dans la notice qui introduit cette troisième
prophétie (Ag 2:10-14), nous voyons Aggée poser de la part de
Dieu aux sacrificateurs deux questions pour lesquelles il leur
demande un enseignement (hébreu une thora =instruction). Il tire
de leurs réponses l'aveu qu'un objet sanctifié par le contact
d'une offrande consacrée est impuissant à sanctifier à son tour ce
qui le touche, tandis qu'un homme souillé par le contact d'un cadavre
transmet sa souillure à tout ce qui l'approche.

Dès lors Aggée prononce son oracle: de même les sacrifices
offerts sur l'autel des holocaustes sont annulés par la souillure du
peuple, qui attire sur lui la colère et les châtiments de Dieu par sa
négligence à rebâtir le Temple. Toutefois la prophétie s'achève sur
la note de l'espérance. Dès ce jour et à jamais, ce qui reste de
semence dans les greniers, les arbres fruitiers qui n'ont rien
produit, l'Éternel les bénira. Il va sans dire que la repentance
d'Israël demeure la condition indispensable de cette bénédiction.

Le même jour, Aggée reprend la parole et adresse à Zorobabel son
quatrième oracle, d'un caractère tout à fait personnel et intime. Le
prophète lui révèle qu'au milieu des bouleversements qui approchent
et qui ébranleront les trônes, Dieu se lé réserve, comme un serviteur
de son choix, pour une destinée qu'il a scellée de son sceau.
Zorobabel est l'élu de Dieu.

Sur cette prédiction, secrète et presque énigmatique chez Aggée,
mais qui deviendra plus explicite chez Zacharie, s'achève le livre du
prophète. L'allusion transparente au Serviteur de l'Éternel d'Ésaie
II en fait une prédiction messianique, où se manifeste le grand
espoir mis en ce prince, descendant de David, pour la réalisation des
promesses divines.

Ce qui frappe dans ces discours d'Aggée, dont il ne nous a été
conservé sans doute que de courts résumés, c'est le souci de renouer
le fil rompu de la prophétie. Aggée se préoccupe d'accréditer son
ministère, en le rattachant au passé prophétique. De là ses
réminiscences d'Amos qu'amenaient d'ailleurs très naturellement des
circonstances semblables. L'expression qui revient plusieurs fois:
«Appliquez votre attention à vos voies» le relie à Jérémie, où ce
ternie a le même sens moral et religieux.

Ce rapprochement avec le plus spiritualiste des prophètes suffit
à montrer combien on a tort de lui attribuer un ritualisme et un
légalisme que rien ne manifeste dans ses discours et de voir en lui,
parce qu'il met son zèle à la reconstruction du Temple ruiné, un de
ces formalistes qui, au temps de Jérémie, se berçaient d'illusions en
répétant: «C'est ici le temple de l'Éternel, le temple de l'Éternel!»

Le prétendu légalisme d'Aggée ne peut se fonder que sur la notice
du chap. 2; mais une saine interprétation du texte n'y fait pas
intervenir la Loi, promulguée plus tard par Esdras, et il suffit
de ne pas la juger à la lumière du Talmud pour reconnaître que les
questions posées sur la contagion du sacré et de la souillure
plongent dans le plus lointain passé de la religion israélite.

L'oracle messianique qui clôt le volume et qui concrétise la
grande espérance d'Ésaïe II, achève de rattacher Aggée au prophétisme
authentique.

Son style n'a pas la puissance ou les grandes envolées de la
période précédente, et on y sent déjà l'influence de la langue
araméenne. Il n'a cependant pas encore l'allure des discours d'Esdras
ou de Néhémie.

L'authenticité ne saurait être douteuse. L'attribution de la
troisième prophétie (Ag 2:10,19) à un autre auteur, contemporain
de la pose des fondements du nouveau Temple et antérieur de seize ans
à la vocation d'Aggée, se fonde sur les données chronologiques des
verset 15 et 18, qui offrent en effet quelque obscurité, mais
n'imposent nullement une telle conclusion. Il suffit de reconnaître
dans le texte quelques altérations indéniables et une glose
malencontreuse du verset 18. Le déplacement de cette même prophétie,
qu'on a proposé de mettre à la suite du ch. 1 er, devient ainsi
inutile.

Quelques Psaumes sont attribués à Aggée par leur suscription dans
les diverses versions anciennes.

Dans le N.T., l'épître aux Hébreux cite Ag 2:6 et argumente
sur la partie de ce verset qui annonce un ébranlement des cieux et de
la terre (Heb 12:26). Malgré la forme symbolique de cet oracle,
Aggée n'appartient pas, comme son contemporain Zacharie, à la
tendance apocalyptique. Sa vision d'avenir l'apparente davantage à
Ésaïe et à Michée, pour qui Jérusalem devait devenir la métropole
religieuse du monde. Ed. B.