DIEU

1.

Introduction.

La connaissance de Dieu est progressive et historique. Dieu a parlé
à nos pères à plusieurs reprises
(=d'une manière fragmentaire et
par des individus différents) et de plusieurs manières
(=visions, songes, discours directs; cf. No 12:6), déclare Heb
1:1. Le caractère graduel et progressif de la connaissance de Dieu
parmi les hommes est affirmé par tous les écrivains bibliques. Aux
temps d'ignorance (Ac 17:30) succèdent le temps de la grâce et
le jour du salut (Esa 49:8). L'épithète «nouveau» se retrouve
fréquemment et marque la nature successive de l'enseignement donné:
nom nouveau (Esa 62:2),
champ nouveau (Jer 4:3),
esprit nouveau (Eze 11:19 18:31), terre
nouvelle
(Esa 66:22 etc.). Jésus, plus qu'aucun autre, a
opposé le présent au passé révolu, par sa formule: «Mais moi, je vous
dis (Mt 5:22,28 etc.). Dans l'entretien avec la Samaritaine, il
a marqué qu'en ce qui concerne le culte à rendre à Dieu il y a une
heure qui vient,
après laquelle le mode d'adoration du Père
changera totalement (Jn 4:21). Dieu parle dans la succession des
siècles; sa voix est écoutée, mais il est impossible de comprendre
son message si l'on n'examine la durée des temps et les bornes des
demeures humaines (Ac 17:26), c'est-à-dire l'histoire et la
géographie. Toutefois l'histoire de la révélation divine ne se
poursuit pas d'une manière progressive et régulière. Dieu
abandonne (De 31:17,Esa 54:7,8), cache sa face (Eze 39:23,
etc.), parle rarement (1Sa 3:1), livre à eux-mêmes les
incrédules (Ro 1:24-31), selon les époques et les peuples. La
Bible ne cherche donc pas à donner une doctrine de Dieu, mais une
histoire de Dieu, féconde en accidents imprévus.

2.

Le Dieu de l'Israël primitif.

Il est tout à fait impossible de définir avec précision la
conception de Dieu de la période antémosaïque, vu l'époque tardive et
les remaniements des rédactions historiques dont nous disposons.
Comment échapper aux interprétations, aux modifications involontaires
des écrivains bibliques venus plusieurs siècles après les événements?
On a essayé de signaler surtout les
faits
et les coutumes qui
paraissent les plus anciens. La présence de Jéhovah apparaît liée à
certains lieux, certains arbres, certaines sources (Ge 12:6 13:18
35:7,Jos 24:26). Les peuples primitifs conçoivent difficilement une
divinité détachée de tout socle local. L'arche de l'alliance résolut
plus tard le problème en représentant la présence invisible de
Jéhovah comme attachée à un objet non géographique. Jusque-là ce sont
les résidences locales particulières de Jéhovah qui dominent. Or la
multiplicité des résidences sacrées entraîne presque inévitablement
le polythéisme. S'il est impossible de tirer des conclusions
certaines de la forme Élohim, à terminaison plurielle, appliquée
à l'être divin, du moins peut-on dire que l'usage fait de ce mot
`n'exclut pas les dieux multiples de la nature. Jacob revenant de
chez Laban se trouve dans un camp d'Élohim, d'êtres divins qui
l'environnent (Ge 32:1). Les esprits des morts s'appellent des
Élohim (1Sa 28:13,Esa 8:18). L'être corporel mystérieux qui
lutte bras à bras avec Jacob à Péniel s'appelle Élohim (Ge
32:28). Mention est également faite à diverses reprises des idoles
théraphim
que l'on trouve dans les maisons particulières (Ge
31:30,1Sa 19:13,16), dans les temples (Jug 17:5 18:14,Os 3:4).
Le vieux texte du Code de l'Alliance (Ex 21:5,6) parle aussi de
l'Élohim de la porte, dont l'image (sculptée?) se trouvait sur le
seuil de la maison. Mais si des traces d'animisme et de polythéisme
sont certaines, elles sont impossibles à systématiser. Ce qui semble
en tout cas avoir été, dès le début, étranger à Israël, c'est l'idée
d'une famille divine, d'une mythologie nationale. Jéhovah n'a ni
femme ni enfant, n'engendre pas et n'est pas engendré. La
transcendance de Dieu, sa distinction absolue d'avec la race humaine,
paraît remonter très haut dans les conceptions religieuses d'Israël.
Le vieux mythe de la tour de Babel symbolise cette séparation
nécessaire de Dieu et des hommes et enseigne la distance qui les
sépare. Cette idée devait trouver plus tard dans la notion de
création
sa forme philosophique la plus achevée, en mettant en
évidence la distinction absolue de l'esprit et de la matière et la
supériorité hiérarchique du premier.

3.

Jéhovah, le Dieu d'Israël.

A mesure que l'idée nationale se précise en Israël, se précise
également l'idée de Jéhovah, son Dieu. La religion d'Israël a
toujours été une religion nationale, raciale et elle l'est encore
aujourd'hui. Jéhovah et Israël grandissent ensemble, luttent
ensemble, traversent ensemble le désert, vainquent ensemble les
Cananéens. La tradition est unanime à placer l'origine d'Israël en
tant que peuple appartenant à Jéhovah dans les scènes qui ont eu pour
théâtre le mont Sinaï. C'est dans cette montagne que Jéhovah apparaît
pour la première fois à Moïse (Ex 3:15 4:24); c'est là qu'il se
manifeste au peuple d'Israël comme son Dieu (Ex 20,Jug 5:5).
Jéhovah est un esprit de montagne, le dieu de l'orage, du tremblement
de terre, du volcan. Certains auteurs ont conclu d' Ex 24:16,17
que le Sinaï, fumeux et ardent, fut effectivement ou symbolise un
volcan en activité. Le feu (voir ce mot) est l'élément qui précède
Jéhovah (Esa 30:27); le vent qui brûle est son souffle (Esa
40:7); il habite dans le buisson ardent (Ex 3:2), dans les
charbons embrasés (Ps 18:9), au milieu d'une colonne de feu et
de fumée (Ex 13:22). Jéhovah est un feu dévorant (De 4:24).
Ses jugements se manifestent par le feu céleste (1Ro 18:38,2Ro
1:12,Esa 10:17). Son approche est signalée par le feu, la fumée,
l'orage, l'arc-en-ciel (Na 1:3-5,Ps 18:8-16,Ge 9:13). Ce Dieu
fort est un guerrier (Ex 15:3). Son peuple est Israël =Dieu
combat. Les ennemis d'Israël sont les ennemis de Jéhovah (No
10:35). Nul ne résiste lorsque Jéhovah combat (De 33:27,29).
Cette idée du Dieu guerrier s'exprime aussi dans les mots: Jéhovah
Sebaoth, Éternel des Armées (voir art. suiv., parag. 4), expression
dont le sens primitif est discuté et qui désigne parfois les armées
célestes (étoiles), mais aussi les armées d'Israël (1Sa 17:45).

Le droit a sa source dans les volontés du Dieu auquel Israël
appartient. C'est au nom de Jéhovah que les anciens et les rois
rendent la justice, concluent des contrats (Ge 31:49-53 1Sa
20:42 etc.). La justice de Jéhovah est souvent sociale, nationale
plus qu'individuelle dans ses arrêts. Elle punit l'iniquité des pères
sur les enfants jusqu'à la 3 e et la 4 e génération. Elle punit le
peuple entier (famine, peste, guerre) à cause de la faute d'un de ses
chefs. Mais elle s'occupe aussi de la moralité interne, secrète des
individus. Elle punit Caïn contre lequel aucun bras humain ne se
lèvera (Ge 4:15); Jéhovah ne laisse pas impunie la violation
d'alliances politiques séculaires (2Sa 21:1). Un acte généreux
est appelé la bonté de Dieu (2Sa 9:3).

Ce serait une erreur de penser que les Hébreux ne sont pas
arrivés de très bonne heure à l'idée que la puissance de Jéhovah
dépasse infiniment le territoire géographique d'Israël. Israël n'a
jamais trouvé les limites de son Dieu. A mesure qu'il découvrit le
monde, il s'aperçut que son Dieu l'avait déjà précédé. Jéhovah bénit
Jacob en Mésopotamie et Joseph en Egypte. Il déploie son bras à la
mer Rouge; en son honneur, on chante le Chant de la Mer (Ex
15). Il habite le ciel (Ge 11:5). Il fait pleuvoir du
ciel (Ge 19:24). L'armée des cieux est à sa droite et à sa
gauche (1Ro 22:19). Israël chercherait en vain un endroit de la
nature d'où son Dieu serait exclu. Mais ce sont les prophètes qui de
ce Dieu, vainqueur partout où les intérêts d'Israël l'appellent,
feront le Dieu unique, s'occupant également et en tout temps de
toutes les nations.

4.

Le Dieu des prophètes.

Avec les premiers prophètes (Amos, Osée, Ésaïe) nous arrivons, en
effet, à une conception moins raciale de l'activité de Jéhovah. Ce
n'est pas que ces prophètes aient eu le sentiment d'apporter une
notion nouvelle de Dieu. Ils invitaient, au contraire, leur peuple à
revenir au passé religieux lointain d'Israël et s'opposaient au
pullulement récent des dieux étrangers. C'est sur la montagne de
Jéhovah, au Sinaï, qu'Élie va retremper sa foi et son courage et
écouter la voix du Dieu des sommets et de la foudre (1Ro 19).
Mais de l'opposition aux dieux étrangers, favorisés par des reines
étrangères, naîtra une conscience religieuse distincte du sentiment
patriotique. Les prophètes jugeront et condamneront leurs rois
nationaux au nom de Jéhovah. La fidélité à Dieu s'opposera ainsi au
loyalisme monarchique, la piété au patriotisme. Jéhovah punira son
propre peuple (Am 2:4-13,Os 10:7 13:7). Ce Dieu dont les
intérêts se séparent des intérêts politiques immédiats de son peuple,
c'est le Dieu de la justice (Am 5:24,Esa 1:17 5:7 etc.); c'est
le Dieu qui a fait le ciel et la terre, les Pléiades et Orion (Am
4:13 5:8); c'est le Dieu qui utilise à son gré les autres nations
pour châtier son peuple (Esa 9:10), qui prend l'Assyrien
pour verge de sa colère (Esa 10:5,Jer 25:9). Derrière les
péripéties de l'histoire des peuples, les prophètes discernent le
ferme dessein de Jéhovah qui punit et récompense, qui prépare le
triomphe mondial de Jérusalem (Esa 2:2-4). Si l'idée de la
justice de Dieu, supérieure à tous les privilèges de race, utilisant
tous les peuples pour sa manifestation, apparaît ainsi chez les
premiers prophètes, Israël n'en reste pas moins le but unique de la
pédagogie divine et le centre de l'histoire. Le salut d'Israël et de
Juda marquera le terme de son effort (Jer 23:5).

Il ne faudra rien de moins que les cruelles épreuves de l'exil,
les méditations des prophètes sur la destruction politique totale
d'Israël, pour que l'idée du Dieu aux préoccupations universalistes
l'emporte définitivement. Ézéchiel décrira la gloire de Jéhovah
(Eze 1 et Eze 10) en termes dépouillés de tous souvenirs
judaïques et pénétrés au contraire d'expressions religieuses
babyloniennes. Le second Esaïe verra en Jéhovah celui qui est le
premier et le dernier (Esa 44:6), le créateur de la lumière et
des ténèbres (Esa 45:7 40:22 48:13 etc.). Toutes les nations
sont devant lui comme une goutte d'eau (Esa 40:15) et elles sont
toutes également appelées (Esa 55:5). Le Dieu d'Israël est
devenu non plus seulement celui qui utilise tous les peuples, mais
celui qui les aime et les appelle à lui, si bien que la maison de
Jéhovah sera une maison de prière pour tous les peuples (Esa
56:7). Jérusalem restera cependant à jamais le centre religieux de
toute la terre.

5.

Conceptions postexiliques.

Pendant la période qui va de l'Exil à J.-C, l'idée de Dieu devient
plus abstraite, plus philosophique, moins colorée d'histoire. L'idée
du Dieu créateur, de l'Esprit organisateur de la matière par la
puissance du Verbe, est affirmée en tête du Code sacerdotal. Dieu est
très loin et son trône est au plus haut des cieux. Il est le Maître
des cieux et de la terre. Toutes les images anthropomorphiques
disparaissent. Dieu n'entre plus en contact avec les hommes que par
des messagers, des anges qui le représentent plus ou moins
complètement, ou bien par des personnalités abstraites, des
hypostases comme la Parole, la Sagesse. Quant à Dieu lui-même, on
évite de prononcer son nom et on nie la possibilité d'un contact
direct avec lui. La traduction des LXX altère volontairement le texte
hébreu de manière à faire disparaître les affirmations naïves
d'autrefois. Dans Ex 19:3, Moïse ne monte plus vers Dieu, mais
vers la montagne de Dieu. Dans Ex 24:10, Moïse et les 70 ne
voient plus Dieu mais la place où se tenait le Dieu d'Israël.
Dans les Targums (voir ce mot), l'homme n'est plus créé à l'image de
Dieu, mais à l'image des anges. Quand le fidèle songe à la puissance
de Jéhovah, c'est l'ange qui est devant sa face (Esa 63:9),
l'Esprit saint (Esa 63:10) qui se présentent à son esprit. C'est
ainsi que les Israélites étaient préparés à l'idée d'un messager de
Dieu qui ne serait pas seulement un prophète, mais participerait
intimement à la nature et à la volonté du Dieu lointain, invisible et
intouchable.

6.

Le Dieu de Jésus.

Avec Jésus nous arrivons à celui qui a affirmé être seul en
mesure de donner de Dieu une image vraiment exacte, vue de
l'intérieur et non de l'extérieur (Mt 11:27). Jésus cependant
rattache son enseignement à la tradition religieuse de son peuple
qu'il veut vivifier et accomplir. Il voit dans le: «Écoute Israël, je
suis Jéhovah, ton Dieu», le commandement premier et
indépassable (Mr 12:29). Il reprend l'affirmation du prophète
que c'est le temple de Jérusalem qui sera une maison de prière pour
toutes les nations (Mr 11:17, cf. Mt 5:35). Jésus glorifie
également, à la suite des prophètes, le Dieu de la nature qui a son
trône dans le ciel et la terre pour marchepied (Mt 5:34 11:25,Lu
10:21), qui revêt magnifiquement les lis des champs et nourrit les
oiseaux de l'air (Mt 6:25,Lu 12:24), qui connaît les besoins des
hommes (Lu 12:30), qui fait mouvoir même les montagnes sur les
appels de la foi et de la prière (Mt 17:20). Mais si Jésus
signale ainsi le séculaire effort de Dieu pour se révéler à Israël
par Moïse et les prophètes et à l'humanité entière par la-nature
harmonieuse, il n'en unira pas moins Dieu et l'homme d'une manière
nouvelle, organique, en appelant Dieu le Père céleste et les
hommes les fils du Père. Jésus conserve les images de ses
prédécesseurs pour désigner les relations de Dieu avec les hommes: un
Roi et ses sujets (Mt 18:23 22:2), un Berger et ses
brebis (Lu 15:3), un Maître et ses serviteurs (Mt 18:25 20:1
25:14 etc.). Mais il y a hétérogénéité de nature entre un Roi et
ses sujets, un Berger et ses brebis; aussi ces images sont-elles
éparses et passagères dans les Évangiles, tandis que l'expression du
Père céleste se retrouve vingt fois dans Matthieu, cinquante fois
dans Jean. Jésus a voulu affirmer ainsi un lien naturel, impossible à
répudier, entre Dieu et la race humaine dans sa totalité. Dieu est
inévitablement tourné vers l'homme et l'homme est inévitablement
tourné vers Dieu. Dieu et l'homme sont donnés en même temps: un homme
avait deux fils (Lu 15:11). Dieu n'existe pour Jésus que le jour
où il devient Père. Ainsi l'interprétation religieuse et
l'interprétation morale sont inséparablement liées. La parabole de
l'enfant prodigue nous montre le père et le fils incomplets et
malheureux tant qu'ils sont séparés, mais incomplets d'une manière
inégale. Le fils, en effet, n'est fort que des dons de son père; il
n'a rien à lui que sa part d'héritage; incapable de rien acquérir, il
ne sait que perdre ce qu'il a reçu. Mais, dans sa ruine totale, il
n'a pas aliéné sa qualité de fils et ce dialogue rédempteur peut
toujours s'échanger: «Mon père, j'ai péché.--Mon fils que voici est
revenu à la vie.» Rester fils (Lu 15:31); devenir fils (Mt
5:45); redevenir fils: (Lu 15:24) tels sont les trois chemins
où s'engage l'humanité croyante. Jésus a renversé l'idée ancienne que
Dieu se tient isolé des pécheurs sur une montagne sainte et
inaccessible. Il y a de la joie dans le ciel quand un pécheur se
repent (Lu 15:7), même si sur la terre tous les pharisiens
murmurent. Dieu ne s'écarte pas des pécheurs mais va au-devant d'eux;
il ressemble à cet homme qui convoqua pour un grand souper les
pauvres et les estropiés (Lu 14:21), à ce berger qui alla
chercher la centième brebis, perdue au désert (Mt 18:12). Au
lieu de mépriser les petits, songeons que leurs anges dans les cieux
voient continuellement la face du Père qui est dans les cieux (Mt
18:10).

Ainsi l'idée centrale des Évangiles est celle de la paternité de
Dieu dans laquelle se fondent toutes les notions précédentes, celle
de l'antériorité et de la suprématie de Dieu, celle de l'universalité
dans l'espace et de la continuité dans le temps de l'amour de Dieu.
Jésus a choisi l'image la plus propre à diminuer l'usure des siècles,
et la variation des idées politiques, celle d'une autorité naturelle.
Il a lié l'idée de Dieu à celle de la famille. Il n'y avait pas de
moyen plus sûr d'en assurer l'intelligibilité universelle. On
objectera peut-être que l'expression de Royaume de Dieu, ou des
cieux, est dans les Synoptiques plus fréquente et plus centrale que
celle de Père céleste (dans Matthieu, Royaume des cieux, ou de Dieu, se
trouve 36 fois, et le nom de Père appliqué à Dieu, 20 fois). L'image
de Roi serait-elle vraiment préférée à celle de Père? Ce serait
oublier que l'expression de Royaume des cieux est empruntée par Jésus
à la langue religieuse courante et n'a pas un contenu spécifiquement
monarchique. Cette expression a si peu de vigueur interne que les
Synoptiques substituent facilement à «Royaume de Dieu» des
équivalents comme Évangile, Nom (Lu 18:29, parallèle Mt
19:29,Mr 10:29-Mr 13:10, parallèle Mt 24:14); Vie (Mr
9:47, parallèle Mt 19:29); Gloire (Mt 20:21,
parallèle Mr 10:37). Nous trouvons même dans Mt 26:29
l'expression de Royaume du Père, et celle de Royaume du Fils de
l'homme dans Mt 16:28 où l'idée monarchique semble bien effacée.
Jésus n'a pas cherché à développer l'image pourtant si familière à
ses auditeurs des prérogatives royales de Dieu, et il est
instructif de constater que dans la théologie johannique et
paulinienne l'expression Royaume de Dieu se raréfie tandis que celle
de Père céleste se multiplie. S Le Royaume de Dieu (voir art.) est
refoulé dans l'avenir, c'est une perspective eschatologique; Dieu
sera Roi plus tard; dans le monde présent, Dieu est connu comme Père.

Dieu est Père de trois manières distinctes:

il est Père de Jésus, mon Père;
(Mt 26:39,52,Lu 2:49 etc.)

il est Père de tous les hommes, le
Père (Lu 10:22,Mt 23:9 24:36 28:19, et d'innombrables passages
dans Jn);

il est Père des disciples, notre Père,
(Mt 6:9) votre Père (Mt 10:29).

7.

Le Dieu de la théologie apostolique.

Ainsi Jésus a donné de Dieu une idée avant tout religieuse et
pratique. L'activité, la suprématie, l'amour de Dieu dans la vie
quotidienne sont affirmés, mais Jésus ne s'attarde pas aux
interrogations que la pensée réfléchie peut poser au sujet du Père
céleste. Il était inévitable cependant que des disciples
s'arrêtassent sur les divers sens dans lesquels Dieu est connu comme
un Père.

Le premier de ces sens était celui qui exprime les relations
particulièrement intimes de Dieu et du Christ Jésus. Déjà les
Synoptiques signalaient le mystère des relations du Père et du
Fils (Mt 11:27). La pensée paulinienne constatera qu'il est
difficile de savoir lequel, du Père ou du Fils, a l'initiative et la
responsabilité du salut. Sans doute, il semble que Dieu ait tout
fait, tout fixé (Ga 4:4), tout convenu (Ro 3:25). Mais le
Christ n'a pas été un instrument passif entre les mains de Dieu. Le
Christ annonce la paix et ouvre l'accès du Père (Eph 2:18); il
est celui qui étant riche s'est fait pauvre afin que par sa
pauvreté nous fussions enrichis (2Co 8:9); c'est parce qu'il
s'est dépouillé
lui-même, s'est rendu obéissant jusqu'à la mort
que Dieu l'a souverainement élevé (Php 2:9). Le don du salut est
donc à la fois l'oeuvre du Père et celle du Fils. En un sens, c'est
la face du Christ qui est illuminée par la gloire de Dieu (2Co
4:6). Mais il n'est pas moins exact de dire que pour nous la face de
Dieu est transformée par la pensée qu'il n'a pas épargné son
Fils (Ro 8:32) et par le souvenir des souffrances du
Christ (2Co 1:5,Col 1:24). Engagée dans cette voie, la pensée
chrétienne devait se demander comment la rédemption s'était passée en
Dieu lui-même (Col 1:20) et attribuer au Christ une activité
divine, antérieure et étrangère au drame historique dont Jésus de
Nazareth avait été le héros (Col 1:16,Eph 1:22,1Co 8:6). C'est
ainsi que la réflexion chrétienne s'écartera de la notion purement
religieuse du Père céleste des Synoptiques et arrivera pour exprimer
Dieu dans sa totalité à des formules trinitaires (2Co 13:13,Mt
28:19;voir Trinité).

Le second de ces sens--amour du Père céleste pour tous les
hommes--devait aussi être précisé et restreint par la pensée
apostolique. Paul insistera sur le changement profond apporté par la
venue du Christ dans les relations de Dieu avec les hommes. En
Christ, ce n'est pas une idée nouvelle qui apparaît, ce sont
toutes
choses qui deviennent nouvelles (2Co 5:17). Il ne
s'agit pas d'un progrès, si décisif soit-il, dans notre connaissance
de Dieu, mais d'un changement d'ordre métaphysique dans les rapports
de Dieu et du monde (2Co 5:19,Ro 5:6-11). L'arrivée du Christ ne
peut pas se comparer à l'ascension d'un ou plusieurs degrés de plus
dans la connaissance de Dieu, mais uniquement à l'acte créateur
lui-même, à la parole: que la lumière brille au sein des
ténèbres (2Co 4:6). La pensée de Paul est pleinement
théologique, systématique. Il veut démontrer que tout genou doit
fléchir dans les cieux, sur la terre et sous la terre au nom de
Jésus (Php 2:10). Il ne voit que ténèbres, péché dans l'humanité
naturelle. Tous, Juifs et Grecs, sont sous l'empire du péché et
coupables devant Dieu (Ro 3:9,19). Christ est venu annoncer la
paix à ceux qui étaient loin et à ceux qui étaient près, et c'est en
lui seulement
que nous avons accès auprès du Père (Eph
2:18). Ces vues devaient inévitablement rétrécir la notion si
généreuse du Père céleste que Jésus avait présentée, et elles ont
entraîné la pensée chrétienne vers une conception exclusivement
judiciaire de l'activité divine. Dieu est lié par un code dont il ne
peut jamais s'affranchir, par un événement historique qui est le
fondement unique de la grâce et du pardon (1Co 3:11). Dieu est
essentiellement celui qui justifie. Le pardon de Dieu est une chose
dont on comprend exactement les modes et les raisons--et aussi les
limites. De plus, si Dieu juge, il est jugé aussi au nom des mêmes
principes juridiques (Ro 3:4,6). Il se préoccupe de se justifier
lui-même. Il veut montrer aux hommes tantôt son amour, tantôt sa
colère, sa puissance, la richesse de sa gloire (Ro 9:22). Ces
préoccupations doctrinales, apologétiques, chez le Dieu de Paul
servent à appuyer la doctrine de la prédestination et devaient
ramener la pensée chrétienne à la notion d'un Dieu sévère et terrible
qui rappellerait plus l'exclusivisme du Jéhovah du Sinaï que le Père
céleste des Synoptiques.

La théologie johannique devait, elle aussi insister sur les
ténèbres où est plongée l'humanité sans Christ. Sur l'opposition
entre le monde et les enfants de Dieu,voir Jn 14:17 17:25,1Jn
3:1 4:5 5:19. Sur la nécessité absolue de la nouvelle naissance
pour pouvoir voir le royaume de Dieu,voir Jn 3:3,5. Sur
l'obligation de croire au Fils premièrement pour pouvoir voir la
vie,voir Jn 3:36,1Jn 2:19. Assurément, Dieu désire sauver le
monde entier, mais c'est le monde qui se juge lui-même en préférant
les ténèbres à la lumière (Jn 3:19). Dieu est lumière (1Jn
1:5). Le Christ est lumière (Jn 8:12), mais les ténèbres se
refusent à recevoir la lumière (Jn 1:5) et le monde ne la
connaît pas (Jn 1:10). Pour ceux qui sont nés de Dieu, pour les
enfants, la lumière véritable vient d'apparaître (1Jn 2:8). Que
ceux-là sachent marcher dans la lumière (1Jn 1:7), demeurer dans
la lumière (1Jn 2:10), fuir le monde et ses ténèbres,--et
l'amour du Père sera en eux (1Jn 2:15). Cette révélation
nouvelle, c'est que Dieu est esprit, que le culte qui lui est
agréable est un culte en esprit et en vérité, indépendant de tout
sanctuaire et tout socle géographique (Jn 4:21,24). Les
préoccupations nationales, historiques, qui jouent un si grand rôle
chez le Dieu de Paul, disparaissent dans la théologie johannique. La
Parole était en Dieu dès le commencement (Jn 1:1); le Fils a
reçu toutes choses des mains du Père (Jn 3:35) et possédait sa
gloire auprès de Dieu avant que le monde fût (Jn 17:5). L'amour
de Dieu se manifeste dès le commencement. Il aime le premier (1Jn
4:19). Aussi l'opposition entre le Dieu d'avant J.-C, et le Dieu
d'après J.-C, est-elle moins brutale que chez Paul. Assurément,
l'amour de Dieu se manifeste essentiellement en ce que Dieu a envoyé
son Fils unique pour nous sauver (1Jn 4:9), mais l'amour est un
des aspects éternels et permanents de Dieu. Dieu est amour: cette
définition se suffit à elle-même. La première épître de Jean aime à
répéter: Dieu est amour, celui qui demeure dans l'amour
demeure en Dieu, là où Paul dirait: Dieu est en Christ, celui qui
demeure en Christ... Aussi la théologie johannique devait-elle
entraîner la pensée chrétienne du côté du Dieu intemporel des
mystiques et des philosophes, l'éloigner non seulement du Dieu des
Juifs, mais même du Dieu de Paul qui, à une date précise de
l'histoire, a fait toutes choses nouvelles.

Conclusion.

Il y aurait lieu également de signaler le Dieu de la prédication
missionnaire aux païens, celui du livre des Actes, qui n'est pas tout
à fait celui des Évangiles ni des Épîtres, mais les dimensions
mesurées de cet article interdisent tout espoir d'être complet. Ce
qui ne peut manquer de frapper le lecteur de cette esquisse rapide,
c'est l'élan de la pensée religieuse biblique pour se dépasser
toujours elle-même dans sa définition de Dieu; c'est la conviction de
plus en plus profonde du mystère impénétrable de Dieu exprimée par
Jésus et par Paul (Ro 11:33) en termes inoubliables; c'est la
certitude continue que c'est Dieu qui cherche l'homme et non l'homme
qui cherche Dieu. Le mot par excellence de tous les écrivains
bibliques est: «Ainsi parle Dieu». Pour eux, l'histoire dépose en
faveur de l'initiative, de l'agression divine. Si, sur ce fait,
l'accord est fondamental, ces écrivains se diviseront sur les
représentations verbales et intellectuelles de Dieu qu'ils
proposeront. La moins liée au cadre d'une époque précise, la plus
éternelle dans sa forme parce que la plus profondément humaine dans
sa définition, est celle que nous présente le Jésus des Évangiles
Synoptiques.--(Voir art. suiv.). V M.