DETTE

La question des dettes fut une des plus sensibles dans la société
israélite. Elles pouvaient conduire le débiteur à la sujétion et à
l'esclavage, interdits cependant par la Loi (Le 25:39,De 24:7),
et ce fléau des dettes privées a été abordé par Jésus lui-même.

I Dans l'A.T.

1.
La Loi.

Le crédit organisé n'existait pas en Israël. Le commerce était aux
mains des étrangers, Phéniciens pour la plupart. Une mauvaise
récolte, une maladresse, obligeaient le petit agriculteur ou
l'artisan à solliciter d'un riche un prêt plus ou moins important,
qui les mettait à sa merci. La Loi fit son possible pour les
protéger; elle défendit nettement d'exiger un intérêt de ses
compatriotes (Ex 22:25,Le 25:36,De 23:19). Avec l'étranger on
pouvait agir à sa guise (De 23:20). Le Deutéronome énonce trois
restrictions délicates:

(a) que le créancier restitue le gage avant la
nuit, (aussi Ex 22:26) mais à quoi servait alors un tel gage?

(b) que le créancier ne saisisse pas les objets
indispensables à la vie (De 24:6), surtout d'une veuve (De
24:17), ni qu'il entre saisir son gage chez le débiteur (De
24:10 et suivant);

(c) que lors de l'année jubilaire (tous les sept ans)
un moratoire soit accordé au débiteur, ce qui n'éteignait pas la
dette (De 15:1 et suivants).

2.
La pratique.

Une loi veut réfréner des abus. Ceux des créanciers étaient notoires;
la plupart exigeaient un intérêt qui peut s'appeler usure (Job
24:3,Pr 28:8). Seuls les plus pieux observaient la Loi (Ps
15:5,Eze 18:7); d'autres dépouillaient complètement leurs
débiteurs (Ps 109:11,Pr 22:26 et suivant, Job 22:6 24:9).
Pr 22:7 résume tout: «Celui qui emprunte est le serviteur
(=l'esclave) de l'homme qui prête.»

Deux récits viennent corroborer ce fait:

(a) une veuve se plaint à Élie d'avoir dû vendre ses
deux fils pour dettes; le prophète intervient, mais sans s'étonner du
fait (2Ro 4:1 et suivants);

(b) Ne 5:5 décrit le même malheur généralisé: les
parents, ne pouvant payer leurs dettes, ont dû vendre leurs fils et
leurs filles.

3.
Les prophètes.

Jer 15:10 fait allusion à la haine qui séparait les débiteurs
des créanciers. Il est naturel que le plus ancien et le plus «social»
des prophètes, Amos (sans oublier les textes déjà cités de Deutéronome et de
Job), ait protesté contre la cruauté des créanciers impitoyables, qui
vendaient leurs frères israélites pour une paire de sandales
impayées (Am 2:8).

II Dans le N.T.

1.

Jésus-Christ.

On comprend dès lors que Jésus n'ait pu négliger une si douloureuse
question. Il ne se contenta pas d'un conseil général de prudence et
de charité (Mt 5:25), dénonçant l'esprit de chicane. Pour
expliquer au Pharisien Simon quelle était la reconnaissance de la
pauvre femme au parfum répandu, il montra, dans une courte parabole,
deux débiteurs inégaux (Lu 7:41 et suivants; celui qui doit le
plus sera, toutes choses égales d'ailleurs, le plus sensible à
l'annulation. Nous comprenons surtout pourquoi, dans une parole aussi
grave et concise que l'Oraison dominicale, Jésus ait enseigné:
«Remets-nous nos dettes, comme aussi nous les remettons à ceux qui
nous doivent» (Mt 6:12), mots qui avaient un sens tragique pour
les Juifs d'alors (Luc, plus grec, met: «Pardonne-nous nos péchés»,
mais garde à la fin de la phrase le mot désignant les dettes: Lu
11:4, cf. Mr 11:25). Le commentaire de cette demande se trouve
dans la parabole de Mt 18:23-35, où le serviteur, qui a failli
être vendu pour dettes avec les siens, s'est retourné cyniquement
contre son propre débiteur et l'a fait incarcérer; ici l'inégalité
entre les deux dettes est de l'ordre de 1 à 600.000 (100 deniers =90
francs-or; 10.000 talents =54 millions), et suggère l'insignifiance
de nos «dettes» entre frères auprès de notre dette infinie à l'égard
du Père! Cette parabole est la réponse à la question de Pierre sur la
limite à donner au pardon des injures (verset 21 et suivant): non pas
7 fois, dit Jésus, mais 70 fois 7 fois, c'est-à-dire toujours, car
qui oserait tenir le compte par centaines des offenses d'autrui? Donc
la demande de l'Oraison implique bien ceci: on ne peut implorer de
Dieu pardon, salut et liberté que pour autant qu'on a participé à
ceux du prochain. Ici, comme ailleurs, Jésus ruine le système
pharisien: beaucoup demander à Dieu et davantage encore aux hommes.
C'est une religion à base d'égoïsme. Jésus nous a révélé le Père, qui
n'est plus créancier, qui n'entre pas en compte avec ses enfants
(parabole de l'enfant prodigue). Si les dogmaticiens qui ont élaboré
des systèmes de la Rédemption avaient tenu un compte suffisant de
cette révélation, bien des discussions auraient été évitées dans le
domaine théologique et bien des troubles dans le monde des
consciences.

2.

L'apôtre Paul.

La même générosité sans bornes, inspirée de Dieu, est recommandée par
le converti du chemin de Damas. Il est même amené à marquer fortement
l'inséparable connexion entre la
dette
et le devoir: ces deux
sens des mots grec de la famille du verbe opheïleïn sont réunis
dans le latin debere comme dans le franc, devoir, qui
évoquent les obligations morales aussi bien que les paiements
matériels dont on doit s'acquitter. Sans doute ce n'est pas comme
notion abstraite du devoir que se présentent ces obligations morales:
pour l'enfant de Dieu, elles consistent en la volonté de son Père
(voir Bien); mais saint Paul n'en exprime que plus vigoureusement la
conviction que le chrétien «se doit» à Dieu et à ses frères. Ainsi,
dans l'affaire de l'esclave Onésime, s'il le renvoie à son maître, en
offrant lui-même indemnité pour tout dommage et remboursement de
toute dette, il rappelle en même temps au maître sa dette
incomparable de reconnaissance envers lui, l'apôtre, auquel il «se
doit lui-même» comme chrétien (Phm 1:18 et suivant). Il est à
remarquer que cet aspect du chrétien redevable apparaît surtout
dans l'épître aux Romains, adressée au milieu le plus familier avec
le droit du temps: les fils de Dieu ne sont point «redevables à la
chair» (Ro 8:12); les Églises de Macédoine et d'Achaïe qui ont
bien voulu collecter pour celle de Jérusalem «le devaient» (Ro
15:27); le salut gratuit du croyant est mis en contraste avec le
salaire de l'ouvrier «chose due» (Ro 4:4, cf. Ro 6:23),
mais pour annoncer cet Évangile de la grâce, lui, l'apôtre mis à
part, il «se doit» à tous, Grecs ou Barbares, savants ou
ignorants.

--Paul (Ro 1:14) aborde aussi dans cette épître le problème
des devoirs envers l'État. Quand Jésus, à la question de savoir s'il
était permis de payer (litt., de donner) l'impôt à César, avait
répondu: «Rendez à César ce qui est à César», par ce verbe il
sous-entendait qu'il s'agissait réellement, pour les bénéficiaires du
régime de la paix romaine, d'une dette à restituer; comme en
ajoutant: «...et à Dieu ce qui est à Dieu», il rappelait que toute la
vie de l'homme créé à l'image de Dieu est un don à Lui
rapporter (Mr 12:17 et parallèle). De même l'apôtre, prescrivant
aux chrétiens de rendre tout leur dû aux autorités constituées, passe
aussitôt à leurs relations avec leurs semblables, pour leur interdire
de contracter envers personne aucune dette (matérielle) et leur
rappeler que leur dette (spirituelle) comportera toujours des
obligations illimitées, celles de l'amour fraternel qui accomplit la
loi de Dieu. (lire Ro 13:7-10) Jn L.