CORINTHIENS (1ere épître aux)

INTRODUCTION.

Cette lettre n'est pas, en réalité, la première que Paul ait écrite à
l'Église de Corinthe. C'est au moins la seconde. (cf. 1Co 5:9)
L'apôtre a eu avec les Corinthiens une correspondance active. 2Co
2:3 et suivant suppose une autre épître, intermédiaire, qui s'est
perdue. La première et la deuxième lettres canoniques ne sont que la
première et la deuxième en date de celles qui nous ont été conservées.

I Le contenu.

1. PLAN ET ANALYSE.
Certains auteurs considèrent 1Co comme un modèle de composition.
«Peut-on», écrit Godet, «se représenter une méthode plus ferme et
plus sûre d'elle-même que celle d'après laquelle sont ordonnées les
matières si diverses traitées dans notre épître? Jamais, nous
paraît-il, édifice intellectuel ne fut conçu et exécuté plus
admirablement.» D'autres, par contre, se fondent principalement sur
1Co pour dénier à Paul tout talent d'écrivain; au jugement de Renan,
«Paul n'avait pas la patience qu'il faut pour écrire; il était
incapable de méthode». Certains critiques invoquent la prétendue
incohérence de 1Co pour en contester l'intégrité. Ces opinions
extrêmes ne se justifient point. L'analyse de l'épître ne permet pas
d'établir un plan strict et aussi parfaitement ordonné que celui d'un
bon traité philosophique. C'est d'ailleurs le lot habituel de toutes
les lettres authentiques, et particulièrement de celles où l'on
rencontre une abondance de thèmes variés. Cependant, l'étude
attentive montre que 1Co ne mène pas à l'aventure, de sujet en sujet.
Le ton est donné habilement dès les premières lignes, et les parties
se succèdent suivant un certain plan. D'autres épîtres pauliniennes,
aux soucis moins variés, ont plus de cohésion; mais toutes gardent la
spontanéité et la liberté du véritable genre épistolaire, dont elles
représentent une espèce originale et qui exige un soin particulier.
La plupart, en effet, sont destinées à être lues dans une ou dans
plusieurs communautés.

PREAMBULE, 1Co 1:1-9. Les préoccupations de l'apôtre et l'esprit
dans lequel il écrit s'expriment dès le préambule,

(a) L'adresse (1Co 1:1-3) met en vedette les
deux notions qui constituent le thème central de l'épître: la
sainteté chrétienne et l'unité chrétienne. C'est à une Église
divisée, à une Église menacée par l'immoralité, que l'apôtre
s'adresse. Il ne pouvait trouver salutation initiale plus heureuse.

(b) L'action de grâces (1Co 1:4-9) manifeste
autant de soin et d'à-propos. Alors que dans Galates, Paul affirmait son
autorité apostolique menacée et ne remerciait point, alors que dans 1
et 2 Thess., l'apôtre satisfait d'une;Église fidèle rendait grâces
joyeusement, dans 1 Cor., il exprime sa reconnaissance, mais
discrètement, pour des dons spirituels dont l'utilisation pourrait
être plus sage.

1 re partie: LES DIVISIONS DANS L'ÉGLISE, 1Co 1:10-4:21.

(a) Ceux de Chloé ont appris à l'apôtre qu'il y a des
partis dans l'Église. On se réclame de Paul, d'Apollos, de Céphas, de
Christ, comme si Christ était divisé (1Co 1:10-16).

(b) L'origine de ces faits est une fausse sagesse qui
détruit la puissance de l'Évangile et la folie de la croix (1Co
1:17-2:6).

(c) La vraie sagesse est en Dieu, Elle s'exprime et se
communique dans un certain discernement, dont Paul a fait preuve, et
qui permet de s'adapter à l'état spirituel de chacun (1Co
12:6-3:4)

(d) Les missionnaires de l'Évangile ne sont pas des
sophistes qui se prêchent eux-mêmes. Il est déraisonnable de les
opposer l'un à l'autre. Chacun n'est qu'un instrument du salut, un
ouvrier dans une construction qui les dépasse tous (1Co
13:6-4:5).

(e) L'humilité est donc, pour tous, le plus
élémentaire et le plus urgent des devoirs. Les Corinthiens sont un
exemple des dissensions que l'orgueil peut produire. Ils appellent
sur eux, tour à tour, le sarcasme, l'indignation et la pitié. Qu'ils
prennent garde, car Paul pourrait venir! (1Co 14:9,11)

2 e partie: TROIS QUESTIONS GRAVES AUX SOLUTIONS URGENTES,
1Co 5:1-6:20.

La nature et la valeur de son apostolat étant bien affirmées auprès
de tous les Corinthiens, l'apôtre passe aussitôt. par une suite
normale, aux problèmes de solution urgente.

(a) Le cas de l'incestueux (1Co 15:1,13). Un
membre de la communauté vivait avec la seconde femme de son père.
Paul condamne ce crime et l'indulgence de l'entourage. Faisant
peut-être allusion à la loi romaine (Ramsay) qui interdisait de
semblables unions, et qui était connue, sinon appliquée, à Corinthe,
Paul déclare qu'un, tel fait ne serait pas toléré même chez les
païens. Le coupable doit être livré à Satan pour la destruction de la
chair, afin que l'esprit soit sauvé au jour du Seigneur (verset 5).
Il ne s'agit pas d'une simple excommunication, qui n'aurait pas de
telles conséquences (malgré Maclean et ceux qui voient à tort, en
2Co 2 et 2Co 7, des allusions au cas de l'incestueux).
Est-ce une malédiction où Satan est envisagé comme l'instrument de
Dieu? (Godet). Cela paraît peu probable, étant donné la construction
de la phrase et la démonologie de Paul. Ce pourrait être l'adaptation
chrétienne d'une formule d'imprécation (Lietzmann, Goguel), mais sans
magisine païen cf. Ac 5:5,10 13:11, Ac Pétri2, Ac Johannis 86.

(b) La question des litiges (1Co 6:1,8).
Paul condamne ceux qui, non contents d'avoir entre eux des
différends, les portent devant des païens. Il ne s'agit sans doute
pas de délits graves, relevant du magistrat romain, que Paul
respecte, mais de cas d'arbitrage (Ramsay).

(c) La question des moeurs (6:9-20) était déjà
soulevée par le cas de l'incestueux. Paul y revient pour définir la
liberté chrétienne, et pour condamner l'antinomisme des libertins.
Pécher contre le corps, c'est profaner le temple de l'Esprit.

3° partie: LES QUESTIONS POSÉES PAR LES CORINTHIENS, 1Co
7:1-15:56.

Les sujets sont de nature et d'importance diverses, d'où un certain
désordre qui n'est pas imputable à l'apôtre uniquement.

(a) Le mariage (1Co 7:1-40) a des
rapports naturels avec la question des moeurs qui vient d'être
envisagée. Il ne semble pas que les Corinthiens se soient trouvés en
danger d'ascétisme, mais plutôt de latitudinarisme. Les deux
tendances ont pu se rencontrer inégalement; il faut l'admettre si les
verset 88,38 ont le sens probable adopté par la majorité des exégètes
contemporains: il s'agirait ici de mariages ascétiques, de mariages
blancs, que les conjoints pouvaient se sentir libres de prolonger
tels quels ou bien de transformer en mariages effectifs. Paul, qui a
des sympathies marquées pour l'attitude ascétique et préfère le
célibat, a pourtant le bon sens de défendre le mariage ordinaire, à
la fois contre ceux qui le proclament vil, en le supprimant, et
contre ceux qui le déclarent nécessaire en l'avilissant. Il est bon
pour chacun de rester dans la situation où il se trouve au moment de
sa vocation, en attendant la venue proche du Seigneur.

(b) Les viandes sacrifiées (1Co 8:1-11:1).
Les chrétiens ont-ils le droit de manger des viandes
sacrifiées aux idoles? A en juger par l'argumentation, parfois
confuse, de l'apôtre, le point de vue des Corinthiens paraît avoir
été celui-ci: Nous avons la connaissance, et nous savons qu'il y a un
seul Dieu; les rites païens n'ont aucun sens; cous ne pouvons les
sanctionner par des restrictions absurdes. Paul s'efforce de prouver
à deux reprises (ch. 8 et 10) que la connaissance est insuffisante et
doit être guidée par la charité. Lui-même en a donné l'exemple, ainsi
que l'établit une longue incidente (ch. 9). On a cherché à opposer 8
à 10, et l'on a conclu, soit à deux compositions différentes du même
auteur, soit à deux auteurs différents. On constate, cependant, les
mêmes traits et la même confusion de part et d'autre. On sent que
Paul hésite entre un avis de liberté totale, conforme à la thèse
corinthienne sur l'inanité des idoles (1Co 8:4 10:15), et un
avis d'abstention totale, fondé principalement sur la
charité (1Co 8:13), mais, incidemment, sur la croyance aux
démons (1Co 10:20-22, cf. 1Co 8:5). La confusion vient
aussi de ce que des cas très différents sont mêlés: la participation
à un repas sacré dans un temple païen (1Co 8:10); la
consommation de viandes sacrifiées, chez un païen (1Co 10:27);
la consommation chez soi de viandes restant des sacrifices et
vendues au marché (1Co 10:25). Chacun de ces cas appelle un
jugement différent.

(c) Le rôle et la tenue des femmes dans les assemblées .
(1Co 11:2,16) Paul ne défend pas absolument aux
femmes de prendre la parole dans les assemblées, mais il pose des
conditions. Qu'elles se contentent de prier ou de faire part, à la
communauté, d'une inspiration; qu'elles se présentent toujours dans
une tenue décente, avec le voile qui est la marque de leur
subordination naturelle, et `qui arrête leur pouvoir séducteur,
dangereux même pour les anges.
(cf. Ge 6:2, Hén. et Jubil., passirn )
Il semble que l'apôtre s'irrite d'avoir à discuter sur un
semblable thème, et il coupe court brusquement (1Co 11:16).

(d) La sainte Cène (1Co 11:17-34). Dans ces
mêmes assemblées où des femmes ont, sans doute, outrepassé leurs
droits, la licence a gagné jusqu'aux agapes et à la Cène. Au lieu
d'unir, elles séparent, lorsque chacun mange ses provisions sans en
faire part à ses frères moins aisés; au lieu de sanctifier, elles
corrompent, lorsqu'elles deviennent une occasion de festoyer; au lieu
de sauver des chrétiens indignes, elles sont pour eus une cause de
maladie et de mort. Paul rappelle à ses lecteurs ce que fut la
première Cène et dans quel esprit elle fut célébrée par Jésus.

(e) Les dons spirituels (1Co 12:1-14:40). Les
Corinthiens étaient richement dotés en charismes (voir ce mot); et
Paul en a rendu grâces à Dieu (1Co 1:5,7); mais si l'on en juge
par sa réponse, ils devaient estimer que plus l'individu était hors
de lui-même, dans un état de moindre conscience, plus le charisme
dont il bénéficiait était excellent. Paul retourne de bout en bout
cette règle d'appréciation. Les meilleurs dons ne sont pas ceux qui
plongent en extase et qui séparent du monde, mais ceux;qui sont
utiles aux frères et qui rapprochent d'eux. Le don suprême est
l'amour. Ce critère doit être observé dans les assemblées, où tout
sera subordonné à l'intérêt général, où tout sera fait avec ordre.

(f) La résurrection (1Co 15:1,58). Peut-être
Paul entreprend-il ce thème, le seul vraiment dogmatique de sa
lettre, sans y avoir été invité. Il a entendu dire que certains nient
la résurrection. Il s'efforce d'en montrer successivement: la
certitude (1-34), la nature (35-52), la gloire (53-58). La foi en la
résurrection se fonde sur le fait de la résurrection du Christ; les
deux sont solidaires. Paul demande, sans doute ironiquement (verset
29), à des gens qui le connaissent bien, pourquoi ces mêmes
incrédules, cédant à une superstition païenne, pratiquent les rites
magiques du baptême pour les morts ou du baptême, par procuration,
des morts (Rendtorff, Leipoldt), à moins qu'il ne vise sérieusement,
et en lui donnant son approbation, une adaptation chrétienne, plus ou
moins spiritualisée, de ces pratiques (Anselme, Érasme, Renan, Reuss,
etc.). La résurrection est caractérisée en images tirées de la
nature: elle sera d'ordre spirituel. Le chapitre s'achève sur un
chant de victoire.

CONCLUSION, 1Co 16:1,21.

Après des instructions, avis, exhortations et des salutations, Paul
termine par une bénédiction et une déclaration d'amour chrétien. Le
verset final est précédé de cet avertissement étrange (verset 22):
«Si quelqu'un n'aime point le Seigneur, qu'il soit anathème!
Maranatha...» Ce terme a-t-il quelque rapport avec ce qui précède, où
figure-t-il isolément, comme un signe de ralliement, peut-être comme
un sceau (Godet)? Toutes les suppositions ont été faites. Les deux
mots araméens dont cette expression est formée peuvent être maran
atha
ou marana tha. Dans le premier cas, on traduit: notre
Seigneur est venu (Chrysostome) ou notre Seigneur est proche (Meyer,
Béer, etc.); on peut; aussi traduire; notre Seigneur est le signe
(Ch. Bruston).Dans le deuxième cas, plus probable, on aurait ici
l'original araméen d'une prière courante dans l'Église primitive:
Seigneur, viens! (cf. Ap 22:20, Didaché 10:6).

2. LA LANGUE, LE STYLE ET LES IDÉES.
(a) La langue et le style. On compte 91 «hapax»
(Romains en a 96,2Co 92,Eph 38,Php 36,Col 34,Ga 33). La phrase est
relativement courte et nette, comme il convient dans une lettre aussi
pratique. Seuls quelques passages, celui des viandes par ex., ont des
tournures embarrassées. Par contre, on trouve de fort belles envolées
(ch. 13 et 15), où le style, emporté par l'inspiration, acquiert une
aisance, une majesté, un rythme, une harmonie qui font honneur à la
langue commune, assez pauvre en productions littéraires.

(b) Les idées. Les idées abstraites sont rares
chez Paul, sans cesse préoccupé de réalisations; elles le sont
particulièrement ici. Pourtant, le chap. 15 permet de juger du
développement et de l'état de sa pensée dans le domaine
eschatologique. Alors qu'en 1 et 2Th le problème du moment de la
parousie était au premier plan, sans qu'il fût peut-être soupçonné
que les chrétiens, vivants ou morts, eussent à subir, pour cet
événement, des modifications organiques importantes, dans 1Co 15
la question principale est celle de la nature de la résurrection.
L'effort intellectuel et religieux de Paul se traduit par sa notion
originale du corps spirituel, dont tous les hommes, vivants ou
morts, doivent être revêtus au moment de la parousie (1Co
15:52). Cet effort se poursuivra, intense, jusqu'à 2 Cor., qui
marquera un progrès nouveau (cf. art. 2 Cor., I, 1re p.). La mystique
paulinienne s'élève, en 1Co 13, jusqu'au niveau des plus belles
envolées johanniques. L'amour est présenté comme la vertu et le bien
suprêmes. Les notions pratiques prépondérantes en 1Co ne sont
aucunement négligeables. Par les horizons qu'elles ouvrent sur la
mission chrétienne primitive, sur l'activité de l'apôtre, sur le
milieu de cette activité, sur la vie intense et variée, pleine de
risques, de problèmes, d'imprévus, d'une vaste communauté
paulinienne, elles constituent l'introduction indispensable à
l'ecclésiologie d'Èph., et le fondement d'une saine théorie de
l'Église.

II L'authenticité et l'intégrité.

1. L'AUTHENTICITÉ ne fut jamais contestée que par un
petit nombre d'extrémistes, dont les opinions bizarres n'ont guère
que le mérite de leur étrangeté. Avec Romains, 2Cor., Galates, 1Co
appartient au groupe des quatre grandes épîtres que Baur, le chef de
l'école de Tubingue, considérait comme inattaquables.

A. Les témoignages des premiers siècles. Vers l'an 90,
Clément de Rome, écrivant aux Corinthiens, se réfère expressément à
la lettre de Paul. Le passage typique est celui-ci: «Reprenez
l'épître du bienheureux apôtre Paul: Que vous a-t-il écrit,
premièrement, au commencement de l'Évangile? En vérité, il vous a
donné des directions spirituelles sur lui-même, Céphas et Apollos,
parce qu'alors déjà vous vous livriez à des préférences» (ch. 47). On
rencontre des allusions à 1 Cor., dont certaines ont le caractère de
citations, dans les épîtres d'Ignace, de Polycarpe, dans le Pasteur
d'Hermas, l'épître à Diognète, la Didaché, dans les écrits de Justin
Martyr. Les plus anciens Canons de l'Église (Muratori, vers 175) et
de l'hérésie (Marcion, vers 140) renferment 1Co; elle est utilisée,
comme faisant partie de l'Écriture sainte, par Athénagore, Théophile,
Irénée, Tertullien, Clément d'Alexandrie, etc.

B. La thèse de l'inauthenticité a été présentée par Bruno
Bauer et Havet, qui font de 1Co un produit de la philosophie
judéo-alexandrine. Elle a été reprise par Loman et l'école radicale
hollandaise. Le Bernois Steck a supposé l'existence d'une société de
faussaires constituée à Rome au II e siècle pour composer et éditer
certains écrits, dont les épîtres pauliniennes, et, en particulier,
celle-ci.

C. L'argumentation. On peut écarter immédiatement les preuves
métaphysiques tirées soit du panthéisme hégélien (Bruno Bauer), soit
du monisme matérialiste (Loman), et tendant à établir qu'une
personnalité historique puissante, comme celle de Jésus ou de Paul,
est impossible. L'argument tiré du silence des Actes sur les faits
supposés par 1 et 2 Cor., n'a guère plus de poids; bien d'autres
événements ne sont pas relatés dans Ac; l'auteur ne prétend pas tout
raconter. On ne voit pas ce que la disparition de deux autres lettres
aux Cor. peut prouver contre celles qui nous ont été conservées.
Quant à certaines contradictions signalées en 1 Cor., ou bien entre 1
et 2 Cor., à supposer qu'elles soient réelles, on pourrait, tout au
plus, invoquer les premières contre l'intégrité, mais non contre
l'authenticité.

D. L'authenticité de 1Co est fondée solidement sur la critique
interne et sur le témoignage des Pères. Les circonstances historiques
supposées par l'épître, ses notions théoriques et pratiques, ses
menus détails personnels ne se comprennent bien que dans une
admission pleine et entière de l'authenticité paulinienne.

2. L'INTÉGRITÉ de 1Co a été contestée de deux
manières.

A. 1Corinthiens serait formée d'un noyau paulinien et d'adjonctions très postérieures

Cette thèse, qui se confond, sur bien des points, avec celle de
l'inauthenticité, et qui tombe alors sous les mêmes critiques, a été
soutenue par Voelter, et récemment par Delafosse. Ce dernier a
découvert dans 1 Cor., comme dans Romains et ailleurs, quatre couches
successives: une assise paulinienne assez mince, un étage marcionite
imposant (vers 150) et deux étages catholiques (de 150 à 200). Son
critère est d'un simplisme étonnant. Partout où il discerne un
élément judaïque, il prononce: messianisme, paulinisme; partout où il
distingue la tendance universaliste et le dualisme moral, il salue:
marcionisme; partout où l'Esprit est en cause, il décide: montanisme;
partout où il s'agit de rédemption ou de résurrection, il décrète:
catholicisme. Le moindre changement de ton ou la moindre incidente
sont l'indice d'une interpolation ou d'une stratification nouvelle.
Aucune école critique n'a pris au sérieux cette méthode et cette
argumentation, de pure fantaisie.

B. 1Corinthiens serait entièrement paulinienne, mais constituée par des fragments de lettres différentes

Ainsi présentée, la thèse de la non-intégrité n'a rien à faire avec
celle de l'inauthenticité. Sous cette forme, elle associe
généralement 1 et 2Co pour y voir le recueil, plus ou moins complexe
et incohérent, de la correspondance paulinienne avec l'Église de
Corinthe (Spitta, Kabisch, J. Weiss, Clemen, Loisy). Goguel a proposé
le classement suivant:
Lettre A la 1 re, cf (1Co 5:9). grouperait, dans l'ordre
suivant: 2Co 6:14-7:1, 1Co 6:12,20 10:1,22;
Lettre B (en réponse aux questions des Corinthiens):
1Co 5:1-6,11 7:1-8,13 10:23-14:40 15:1-58 16:1-9,12.
Lettre C (écrite à un moment où la situation de l'Église
s'est aggravée): 1Co 1:10-4:21 9:1,27 16:10-11
Lettre D (la lettre sévère) mentionnée en 2Co 2:3:
2Co 10:1-13:10;
Lettre E (écrite alors que la situation est rétablie): 2Co
1:1-6,13 7:2-8.
Lettre F (adressée aux Églises d'Achaïe): 2Co 9:1-15 le
passage 1Co 16:15,18 rentrerait en B ou C ; le reste
serait indéterminable.

L'argumentation de l'auteur se fonde principalement
sur les incohérences, réelles ou supposées, de 1 et 2Co; sa méthode
consiste généralement à grouper en un seul écrit ce qui a trait aux
mêmes sujets; les résultats sont d'une précision déconcertante en
leur complexité. Il paraît encore préférable de tenir certains
défauts de plan, certaines absences de transitions, certaines
répétitions ou certaines digressions, pour la rançon habituelle, et
qui, du reste, a ses avantages et ses charmes, du genre épistolaire.
On distingue d'ailleurs, en 1 Cor., un souci de composition (cf. I, 1°).
Il serait étrange de dénier à un auteur le droit de traiter le même
thème à diverses reprises, et surtout en plusieurs écrits. L'amalgame
de six lettres et de fragments indéterminés en deux épîtres qui se
tiennent est quelque chose de prodigieux, dont l'hypothèse paraît
autrement onéreuse que celle de l'intégrité.

III La composition.

1. LES CIRCONSTANCES.

A. La situation de l'Église,

(a) Les partis divisaient la communauté
corinthienne (1Co 1:12). La question du baptême y était sans
doute pour quelque chose,le (1Co 1:13-16) baptisé ayant une
tendance à se croire dépendant, peut-être magiquement, de celui qui
l'avait baptisé. Paul rappelle qu'il y a un seul baptême, le baptême
en Christ. Il mentionne, après ceux qui prétendent le suivre, et qui
sont les premiers désavoués, les partisans d'Apollos. On a
supposé qu'Apollos était plus ou moins responsable de cet état de
division, qu'il prêchait un baptême d'initiation analogue à celui des
cultes à mystères (Heinrici), qu'il fut un précurseur des gnostiques
marcionites (Farrar). Les textes (1Co 3:6,8 16:12) montrent, au
contraire, qu'il n'existait entre Apollos et Paul aucune opposition,
aucune rivalité (B. Weiss, Schmiedel, Godet, Lietzmann). Avec ses
talents extérieurs et sa science étendue, le docteur alexandrin avait
groupé autour de sa personne un cercle d'admirateurs exclusifs et
enthousiastes. Férus de beau langage et d'abstractions, ils
paraissent visés dans le passage où Paul attaque la sagesse
orgueilleuse (1Co 2:6-3:4). Par réaction contre ceux d'Apollos,
un parti de Paul s'était constitué; mais les principes n'étaient pas
en cause.

Il en allait autrement du parti de Pierre, qui s'opposait aux
deux autres. On ne voit pas qu'il soit visé particulièrement en
1Co 3:10-23, dont le ton n'est pas plus acerbe qu'en 1Co
3:5,9 ou 1Co 2:6-3:4, où il peut être question de ceux
d'Apollos. C'est en dehors de l'épître qu'il faut rechercher ce que
pouvaient être ceux de Pierre. Ils se vantaient de posséder la
tradition chrétienne primitive. Ils se réclamaient de Pierre, le
principal des témoins oculaires de la vie de Jésus. Peut-être Pierre
était-il passé à Corinthe (cf. Eusèbe, H.E., II, 25; cf. 1Co
9:5). La plupart de ses partisans étaient probablement des
judéo-chrétiens (Harnack, Bousset).

Les termes, le contexte et la construction du passage (1:12)
rendent probable l'existence à Corinthe d'un quatrième parti: le
parti de Christ.
Certains auteurs ont tenté d'opposer la formule:
«et moi de Christ» à celles qui précèdent, comme la formule de Paul,
formule d'union proposée à tous les partis (Calvin, Eichhorn, Bleek,
von Dob-schùtz, Reitzenstein, Lake). Cette opinion séduisante se
heurte à l'ordonnance de la phrase, qui unit les quatre formules et
ne permet pas d'opposer la dernière aux trois autres. Elle est visée
en même temps que les autres, et particulièrement, par l'exclamation
indignée: «Christ est-il divisé?» ce qui veut dire également: Christ
est-il un chef de parti? Quelques auteurs, embarrassés par le texte
et par l'explication à lui donner, ont conclu à l'interpolation du
passage: «et moi, de Christ» (J. Weiss, Heinrici, Goguel). La
majorité des critiques n'ont pas jugé que la difficulté du texte
justifiât ce traitement, et ont admis l'existence d'un parti de
Christ. Mais quel est ce parti? Est-il celui des meilleurs qui,
outrés du particularisme des autres, ne se réclament que du Christ
(Rückert, Hofmann, Renan)? Dans ce cas, pourquoi l'apôtre les
blâme-t-il? S'agit-il de pagano-chrétiens faisant de l'Évangile une
philosophie morale et de Jésus un nouveau Socrate (Neander,
Olshausen); de messianistes sectateurs, non de Jésus, mais du Christ
juif (C. Schmidt, Godet); des partisans d'un certain Crispus
(Perdelwitz)? Ces hypothèses sont toutes plus ou moins fantaisistes.
Christian Baur a le mérite d'avoir bien posé la question. Il a mis en
avant un texte précis: 2Co 10:7, où Paul écrit: «Si quelqu'un
prétend être de Christ, qu'il tienne compte de ceci: de même qu'il
est de Christ, nous le sommes aussi.» Or, dans ce passage, Paul vise
ses adversaires judaïsants les plus acharnés. Voilà sans doute la clé
du mystère. Baur, emporté par sa doctrine des deux partis régnant
dans l'Eglise, identifie ceux de Paul et ceux d'Apollos d'une part,
ceux de Christ et ceux de Pierre d'autre part. Mais il est juste de
maintenir les quatre termes. Reuss, B. Weiss considèrent le parti de
Christ comme celui des judaïsants légalistes qui, au contraire des
partisans de Pierre, ne respectent même pas les décisions du concile
de Jérusalem. Ils prétendent relever directement du Christ. Paul, en
2 Cor., n'hésite pas à manier contre eux, tour à tour, l'ironie et
l'invective; il les appelle: apôtres éminentissimes et faux
apôtres (2Co 11:5,13,15 12:11). Telle paraît être la solution la
plus acceptable d'un problème délicat et complexe.

(b)
L'antinomisme était, sans doute, après la division en partis, le
danger qui menaçait le plus gravement l'Église. Une fausse conception
de la liberté, favorisée par l'indiscipline et la légèreté grecques
(voir Corinthe), avait pour conséquence un laisser-aller générai. Les
vertus chrétiennes d'ordre et de contrôle personnel disparaissaient
des assemblées et même des agapes. Un cas d'immoralité
particulièrement grave était toléré dans l'Église. Il était temps que
l'apôtre intervînt.

B. La situation de Paul.

Paul est à Éphèse, où il compte rester jusqu'à la
Pentecôte (1Co 16:8). Il a reçu des Corinthiens une
lettre (1Co 7:1) et une députation de trois personnes (1Co
16:17). Il a eu des renseignements sur les partis par les gens d'une
maison corinthienne ou éphésienne: ceux de Chloé. Son intention est
d'aller à Corinthe pour y prendre des mesures énergiques (1Co 4:21
11:34) et pour y séjourner quelque temps (1Co 16:5-7).

2. LES VOYAGES DE PAUL A CORINTHE. Le temps, le lieu
de la composition des épîtres aux Corinthiens. Paul visita Corinthe
pour la première fois et y fonda l'Église en 50-52. Il fit
ensuite un séjour à Antioche (Ac 18:23) et entreprit son
troisième voyage missionnaire qui le conduisit à Éphèse vers la fin
de 54. Il y resta plus de deux ans (Ac 19:10), jusqu'à
l'émeute de Démétrius (printemps 57?). Il n'est pas possible de dire
où et quand il écrivit aux Corinthiens pour la première fois. Il est
malaisé d'établir à quel moment de son séjour à Éphèse il composa 1
Cor.; l'une des principales données du problème est la visite
mentionnée en 2Co 2:1. La construction ne permet guère
d'interpréter: «J'ai décidé que ma deuxième visite chez vous ne
s'effectuerait pas dans le chagrin» (Heinrici, Drescher). 2Co
12:14 13:1 s'y opposent d'ailleurs, puisque cette visite annoncée
ne serait pas la deuxième mais la troisième. La traduction normale
est celle-ci: «J'ai décidé de ne pas vous faire une seconde visite
pénible
» (Schmiedel, Bachmann, Lietzmann, Goguel, etc.). Une
visite pénible est donc supposée; c'est la deuxième des trois que
Paul fit en tout à Corinthe et dont deux seulement sont mentionnées
en Act., encourageantes l'une et l'autre. Cette visite intermédiaire
fut-elle effectuée avant la composition de 1Co (Bleek, Reuss, B. et
J. Weiss, Zahn)? 1Co 16:7 peut aussi bien faire allusion à un
projet abandonné qu'à une visite antérieure (Bachmann, Goguel). La
visite mentionnée en 2Co 2:1 fut décevante. L'affliction et
l'angoisse de l'apôtre lui dictèrent ensuite une lettre qu'il écrivit
en pleurant (2Co 2:4). Le ton de 1Co et l'absence d'allusions ne
permettent guère de soutenir ni que cette visite ait été déjà faite,
ni que ce soit cette lettre. La visite s'est effectuée après la
composition de l'épître (Godet, Weizssecker, Pfleiderer, Jülicher,
Bachmann, Goguel). Elle se trouve d'ailleurs annoncée en 1Co 4:21
11:34. De Corinthe, Paul gagna la Macédoine où il resta peu de
temps. N'ayant pas reçu de meilleures nouvelles de l'Église, il évita
l'Achaïe (2Co 1:15-16). De retour à Éphèse, il écrivit une
lettre angoissée (2Co 2:4,7:6,8 12:21). C'est peu après qu'il
dut quitter Éphèse, surpris par l'émeute de Démétrius, au printemps
de 57. Si la Pentecôte mentionnée en 1Co 16:8 est celle de 57,
1Co daterait sans doute de fin 56 ou début de 57; mais comment situer
tous les événements indiqués en quelques mois peu favorables aux
voyages? Cela paraît difficile. Peut-être vaut-il mieux considérer la
Pentecôte mentionnée en 1Co 16:8 comme celle de 56. Paul aurait
effectué ses voyages au début de l'été 56; il serait revenu à Éphèse
pour y prolonger son séjour. Les données des Actes ne sont pas
contredites. S'il en est ainsi, 1Co a été composée à Éphèse vers le
début de 56, la lettre angoissée en l'été 56, et 2 Cor., de
Macédoine, en l'été 57.

3. LES DESTINATAIRES ET LE BUT.

Sur les destinataires, cf. III 1° A, et art. Corinthe.
La composition de 1Co a autant de motifs qu'une situation complexe et
inquiétante pose de problèmes particuliers. Son but général est
justement de remédier à cette situation. Ce fut seulement après deux
autres lettres, et un an plus tard, que l'apôtre put faire à Corinthe
le séjour prolongé qu'il avait projeté. 1Co 11 `en est pas moins
l'une des plus remarquables parmi les épîtres de Paul, et celle,
assurément, dont la valeur documentaire est la plus grande. Deux
cimes s'y détachent sur le fond étonnamment complexe, mouvant et
bariolé de la communauté corinthienne: l'une, à la masse imposante,
aux puissants contreforts, est la résurrection (ch. 15); l'autre,
fine, élancée, montant plus haut encore, dans un à pic vertigineux,
vers les cieux éternels, est l'amour (ch. 13). Où trouver un tableau
plus saisissant et plus inspirant? H. Cl.