CITATIONS DE L'A.T. DANS LE N.T.

Ce n'est certainement pas avant les premières décades du II e siècle
que l'Église chrétienne éprouva la nécessité de se constituer un
«canon» d'écrits normatifs, en groupant et fixant l'ensemble de ceux
qui nourrissaient la piété de ses fidèles: de là, le long processus
de canonisation qui aboutira à former notre actuel N.T. sur le modèle
du canon de l'A.T. Mais il ne s'agissait nullement d'élaborer une
nouvelle Bible, à côté ou en regard de celle des Juifs. Aussi bien le
rôle de la Loi, des Prophètes et des Psaumes (et écrits divers) dans
la vie religieuse des premiers chrétiens s'affirme-t-il
primordial. (cf. Lu 24:44) Suffiraient à l'attester, si diverses
qu'aient été les causes ou occasions de la rédaction soit des
évangiles, soit des épîtres, les citations et réminiscences de l'A.T.
qu'on y trouve souvent.

Déjà numériquement, ces références, soit expresses («il est
écrit», «il est dit», «Moïse écrit», «la Loi dit», «afin que fût
accompli ce qu'ont dit les prophètes», etc.) soit implicites,
dépassent sans comparaison possible celles qu'on peut rapporter soit
à la littérature juive non canonisée, soit à des auteurs étrangers au
judaïsme (Ac 17:28,1Co 15:33,Tit 1:12), ainsi que les allusions
à des lettres ou autres écrits privés auxquels on répond (1Co 7:1
8:1 11:2,17 12:1,Php 1:3 2:25 4:11-18 Phm 1:5-7).
Tandis que ces deux dernières séries se comptent par
unités, et que les «Apocryphes» et «Pseudépigraphes» de l'A.T. ne
peuvent être reconnus avec une certitude suffisante que 24 fois au
plus, le nombre de nos citations et réminiscences de l'A.T. lui-même
se présente, D'après les statistiques les plus judicieusement établies,
ainsi qu'il suit:


CITATIONS RÉMINISCENCES

Matthieu 50 437
Mc 23 204
Lc 25 474
Jean 15 364

Act 27 290

Rom 48 176
1 Cor 14 172
2 Cor 9 95
Gal 10 53
Éph 6 69
Phil 30
Col 38
1 Thess 39
2 Thess 1 22
1 Tim 1 53
2 Tim 1 27
Tite 11
Philém 2
Héb 36 187
Jacq 4 86
1 P 11 73
2 P 2 47
1Jean 46
2Jean 3
3Jean 5
Jude 22
Apoc 3 453

Encore ne peut-on comprendre dans ces relevés les cas de rencontre
fortuite de mots isolés (p. ex. dans Eph 5:14).

L'immense majorité des citations bien caractérisées provient
directement de la version grec de l'A.T. dite des LXX, et plus
spécialement du type de ce texte que représente le codex
Alexandrinus.
Ainsi, dans l'épître aux Héb., on trouve: 25
citations conformes à la fois au grec des LXX et à l'hébr., 8
citations conformes seulement au grec des LXX (qui diffère de
l'hébr.), et 3 citations librement adaptées.

Par contre, l'hébreu a exercé une influence prépondérante sur
l'art des citations tel que le pratique l'évangile de Matthieu Tandis que
dans celles qui lui sont communes avec Marc et Luc les LXX jouent le
rôle déterminant, celles qu'il introduit seul dépendent toujours du
texte hébr.; ex.: 1:23 2:16, 18 - 28 4:15 8:17 12:18 et suivants,
etc. Cette observation milite en faveur de l'hypothèse d'une source
grecque utilisée par les trois premiers évangélistes, parmi lesquels
le premier seul, apparemment un judéo-chrétien, s'appliquait
cependant à confronter avec sa Bible hébraïque la tradition qu'il
enregistrait.

En ce qui concerne l'usage que les auteurs du N.T. ont voulu
faire de leurs citations de l'A.T., on peut distinguer, avec Burton
entre autres:

(a) Les citations-arguments. Ce sont des textes
introduits à titre de prédictions, ou comme énonçant un principe ou
une règle générale; ex.: David mangeant les pains de proposition et
la vraie notion du sabbat, Mr 2:26 et suivants; ou comme
formulant des commandements permanents, tel le sommaire de la Loi,
Mr 12:29 et suivants, Mt 22:37 et suivants, Lu 10:27.

(b) Les citations commentées, voire critiquées;
ex.: Mt 5:21,27,31 etc., Ac 8:32,Ro 4:9 et suivant.

(c) Les citations comparatives; ex.: Mt 12:40
et suivant, Lu 11:30,32 (application de l'histoire de Jonas à
l'époque de Jésus); Ac 28:26,1Co 10:7 et suivant, etc.

(d) Les citations interprétées par l'allégorie,
tenant à la fois de l'argument et de la comparaison, telle la célèbre
spéculation paulinienne sur la double descendance d'Abraham, Ga
4:21-31.

(e) Les citations ou réminiscences d'ordre uniquement littéraire,
sans rapprochement formel. Ces simples emprunts
d'expressions dont nos auteurs étaient nourris ne sont certainement
pas toujours intentionnels; ceci, le plus souvent, reste fort
difficile à déterminer avec quelque vraisemblance. Ex: Ga 6:16,Eph
1:20, etc.

La personnalité des auteurs du N.T. s'affirme avec des
nuances psychologiques et religieuses fort utiles à préciser, dans la
manière dont chacun d'eux traite ses citations. Pour ne citer qu'un
exemple, il est caractéristique d'observer que les évangile
synoptiques attribuent à Jésus une méthode d'interprétation de l'A.T.
différant foncièrement du point de vue messianique courant. Si Matthieu,
par ex., ne perd pas une occasion de mettre en avant les textes où il
découvre des prédictions, les paroles de Jésus lui-même ne relèvent
dans l'A.T. que ce qui s'applique à son enseignement religieux et
moral, et en donnent une interprétation aussi sobre que
spirituellement approfondie. Entre Jésus et l'auteur du premier
évangile, s'échelonneraient à cet égard les différents autres
écrivains du N.T. Aucun d'entre eux, assurément, n'a pu ni voulu nous
livrer la clef d'une interprétation scientifique des Écritures. Ce
que nous leur demandons, ici comme ailleurs, ce sont des lumières
d'ordre purement religieux. Scientifiquement, appliquer à Jésus tout
ce que l'A.T. disait, soit du «serviteur de l'Éternel» dans Esa
40 à Esa 55, soit d'un psalmiste, soit de JHVH lui-même,
paraît arbitraire. Mais ces rapprochements ouvrent à l'intuition
religieuse des avenues que l'expérience des siècles prouve
singulièrement riches à explorer. Jg. M.