CHARITÉ
Dans nos versions de la Bible, comme dans la langue théologique, la
charité a le même sens général que l'amour (voir ce mot), désignant
la vertu chrétienne fondamentale, et non pas les sens dérivés et
particuliers d'indulgence, bienfaisance ou aumône; elle est même
opposée à ce dernier sens dans le verset 3 du célèbre hymne de saint
Paul à la charité (1Co 13). Le grec du N.T. a toujours le même
terme: agapê; s'il est ordinairement traduit «charité» lorsqu'il
s'applique à l'amour des hommes entre eux plutôt qu'à l'amour des
hommes pour Dieu ou de Dieu pour les hommes, c'est parce qu'il s'agit
d'éviter toute confusion entre les affections humaines sanctifiées
par Dieu et les dégradations sensuelles que le langage courant couvre
du même mot d'amour.
Cette précaution s'était imposée dès l'abord aux premiers
chrétiens: ils avaient adopté à dessein le terme agapê , comme
étant à peu près étranger à la langue populaire et à la langue
littéraire, pour le distinguer de l'amour de la beauté, érôs, qui
comportait toujours plus ou moins l'idée de désir ou de convoitise.
Au contraire, le verbe grec agapân impliquait estime et
révérence, alors que le verbe de la vie courante phileïn
exprimait un attachement plus amical et personnel (étudier leur
succession dans le texte grec de Jn 21:15-17). Dans les LXX,
agapê désignait l'amour pour Dieu ou pour la Sagesse (Sag 3:9
6:18), et l'amour conjugal symbole de l'amour divin (Jer 2:2);
sans doute dans le Ca des Ca il s'appliquait onze fois à l'amour
charnel, mais probablt parce que les traducteurs y voyaient déjà,
comme plus tard l'Église chrétienne, le symbole de l'amour mystique;
d'ailleurs il ne semble pas que les auteurs du N.T. aient eu
connaissance du Ca comme d'un livre canonique. Donc, dans une très
grande mesure, le terme d'agapê est une création du christianisme
comme l'amour véritable est une révélation du Christ.
(Voir Trench, Syn. N.T., p. 45SS).
Lorsque Jérôme, au IV e siècle, traduisit la Bible en latin, il
dut à son tour éviter le mot amor, irrémédiablement avili et
discrédité par le paganisme. Par ex., la magnifique définition
johannique: «Dieu est amour» (1Jn 4:16), traduite littéralement:
Deus amor est, aurait détonné comme une déclaration éminemment
païenne: «L'amour est un dieu.» Jérôme traduisit donc: Deus chantas
est. Et c'est ce terme latin de la Vulgate, charitas =action
de chérir (parfois alterné avec le synon. dilectio), qui par la
suite est devenu le français: charité, dans les cas où il importe
de garantir à l'amour chrétien sa pureté, sa spiritualité et, pour
tout dire, sa sublimité, la charité qui doit unir les créatures étant
fonction de l'amour de leur Créateur et Rédempteur, l'infinie charité
du Dieu de Jésus-Christ. Jn L.