ACTES DES APÔTRES

LE TITRE.

Le livre appelé habituellement «Actes des Apôtres» (en gr, praxeis
ton apostolôn
; en latin acta apostolorum) et contenu dans notre
recueil du N.T. n'est pas le seul écrit de ce genre qu'ait connu
l'antiquité. Des livres intitulés: Actes de Paul et de Thécla, Actes
de Jean, Actes de Thomas, Actes d'André, et beaucoup d'autres, ont
joué un rôle dans certaines Églises. Mais notre livre est le seul qui
ait conquis la dignité canonique; il est aussi le seul qui se donne
comme récit des exploits des apôtres en général. Ce titre ne
répondrait nullement au contenu, si on voulait entendre par «apôtres»
les Douze mentionnés à plusieurs reprises dans ce livre ainsi que par
saint Paul et énumérés Ac 1:13. Car parmi ceux-ci, il n'y a
guère que Pierre, accompagné parfois de Jean, qui joue un rôle
important. Par contre, beaucoup de personnages mis bien en relief et
même placés au premier plan par l'auteur n'ont jamais été rangés
parmi les Douze: p. ex. Etienne, Philippe l'évangéliste (que la
tradition ultérieure a parfois à tort identifié à Philippe l'apôtre),
Jacques frère du Seigneur, enfin Paul et ses compagnons. Mais le
titre est parfaitement correct, si on prend le terme d' «apôtre» dans
le sens de «missionnaire chrétien» (voir Apôtre). C'est en effet le
développement de la mission chrétienne, élargi du récit du procès de
Paul jusqu'à son arrivée à Rome, qui constitue le thème principal du
livre.

LE TEXTE.

Les manuscrits nous présentent deux formes de texte sensiblement
différentes. L'une appelée a se trouve dans la plupart des
manuscrits et notamment dans la plupart des anciens: A,B,C, et
autres; l'autre appelée Béta est représentée surtout par D (Code de
Th. de Bèze) et par E, ainsi que par les anciennes versions latines.

Comme l'a démontré von Soden, il ne peut s'agir dans (3) d'une
accumulation fortuite de variantes: elles dérivent toutes ou presque
toutes de la même source. Comment expliquer cette divergence? Blass,
Th. Zahn et d'autres savants ont supposé deux éditions du livre
remontant chacune à l'auteur lui-même, l'édition alpha étant la copie
envoyée à Théophile, l'édition 8 étant le brouillon amplifié par
l'auteur. Mais cette hypothèse a en général été abandonnée et la
majorité des spécialistes, p. ex. B. Weiss, Harnack, Loisy, Goguel,
voient dans (3) un remaniement ultérieur de alpha. On peut en effet
expliquer un grand nombre d'additions de (3) par le souci d'harmoniser
les textes entre eux ou avec des versets de l'A.T., ou par des
préoccupations d'ordre théologique d'une époque postérieure. La
plupart des éditions modernes ainsi que les traductions donnent le
texte alpha. Une belle édition des deux textes grecs a été donnée
récemment par Jackson et Lake (voir la Bibliographie).

LE CONTENU.

Abstraction faite de la préface (Ac 1:1-2), on peut distinguer
trois grandes parties dans notre livre:

I Histoire de l'Église de Jérusalem jusqu'à la mort
d'Etienne (Ac 1 3-8:3).

II Diffusion du Christianisme jusqu'à la mort d'Hérode Agrippa I
er (Ac 8:4-12:25).

III Voyages missionnaires et procès de Paul jusqu'à son arrivée à
Rome (Ac 13:1-28:31).

Iere PARTIE (Ac 1:3-8:3).

Elle contient une série de morceaux de caractère assez différent et
que le rédacteur du livre n'a pas toujours reliés d'une manière très
intime. Nous pouvons les répartir en plusieurs groupes.

1.
Textes concernant la vie intérieure de l'Église,

(a) Un récit de l'Ascension du Christ (Ac 1:3-11).

Ce morceau fait double emploi avec le récit Lu 24:50-53,
expressément mentionné Ac 1 2. Il semble donc indiquer un
remaniement de l'ouvrage, postérieur à la préface,

(b) Le choix, par le sort, d'un remplaçant de Judas
Iscariote dans le collège des douze apôtres (Ac 1:12-26); dans
cette péricope est inséré un récit de la mort de Judas (différent de
Mt 27:3-5), que le troisième év. avait omis.

(c) Deux récits du baptême des premiers chrétiens par
l'Esprit: le plus long donnant des détails de nature
glossolalique (Ac 2:1-13), l'autre, plus court et plus
sobre (Ac 4:23-31), enfin, des indications précieuses sur la vie
religieuse des chrétiens (Ac 2:42-47 4:32-37). A ce dernier
texte, qui relate l'organisation communiste de la paroisse, l'auteur
du livre a rattaché l'épisode du crime et du châtiment d'Ananias et
de Saphira (Ac 5:1-11).

(d) L'élection des diacres représentant les Juifs
convertis originaires de la Diaspora, dont Philippe dit l'évangéliste
et Etienne (Ac 6:1,6). Quelques textes attestant la croissance
de la communauté: 2:41 4:4 6:7.

2.
Récits de guérisons miraculeuses, opérées par les
apôtres et surtout par Pierre (Ac 3:1-11 5:12-16).

3.
Arrestations et persécutions de chrétiens par les
Juifs,

(a) Arrestations d'apôtres par les Sadducéens.
(Ac 4:1-22 5:17-21 5:21-42) la première fois Pierre et Jean, la
troisième fois Pierre étant nommés expressément. Chaque fois les
prisonniers sont relâchés avant qu'un procès en règle ait eu lieu, la
seconde fois d'une manière miraculeuse. Peut-être s'agit-il là encore
de plusieurs traditions sur le même événement, juxtaposées par le
rédacteur,

(b) Arrestation et mise à mort d'Etienne à la suite
d'une émeute suscitée par des Juifs hellénistes, c-à-d. de la
Diaspora (Ac 6:8-8:3).

4.
Plusieurs grands discours, insérés dans différents
récits:

(a) Deux discours missionnaires de Pierre.
(Ac 2:14-40 3:12-26) Indépendamment de toute question
d'authenticité, ces discours ont une haute valeur historique, parce
qu'ils contiennent des idées anciennes qui nous renseignent entre
autres sur la christologie des judéo-chrétiens de Jérusalem,

(b) Le discours d'Etienne, remarquable, malgré
certaines atténuations de seconde main, par la hardiesse de sa
position antisacerdotale qui contraste tellement avec les idées de
l'Église de Jérusalem, et qui d'autre part répond si peu aux
préoccupations des Églises pagano-chrétiennes, qu'il faut en faire
remonter sinon la teneur du moins l'inspiration au premier martyr
chrétien ou à son entourage (Ac 7:2-53).

IIe PARTIE (Ac 8:4-12:25).

Elle contient une série de traditions, tantôt autour de la personne
de quelques missionnaires (Philippe, Pierre, Saul), tantôt autour de
certaines Églises anciennes (Joppé, Damas, Antioche), les deux types
de récits se combinant de plusieurs manières. De plus, Ac 12
raconte une persécution nouvelle: celle qu'organisa le roi Hérode
Agrippa I er dont la mort est représentée comme un châtiment
divin (Ac 12:1-25). En laissant de côté ce dernier chapitre,
nous pouvons distinguer quatre groupes de péricopes:

1.
Traditions concernant les missions de Philippe
l'évangéliste:

(a) son voyage missionnaire en Samarie, où il
convertit entre autres un certain Simon, nommé le Mage (Ac
8:4-13), personnage qui a joué un grand rôle dans les traditions
ultérieures sur les origines du gnosticisme;

(b) la conversion de l'eunuque éthiopien.
(Ac 8:26-40)

2.
Traditions sur Pierre:

(a) son voyage en Samarie et son conflit avec Simon le
Mage (Ac 8:14-25);

(b) les miracles et conversions qu'il opère, à Lydda,
Joppé et dans les environs de ces villes (Ac 9:32-43);

(c) commencements de mission de Pierre en terre
païenne, provoqués par des visions accordées à l'apôtre et à
Corneille (Ac 10) et suivis d'une explication entre lui et les
chrétiens de Jérusalem (Ac 11:1-18); un nouveau discours
missionnaire de Pierre est inséré (Ac 10:31-43).

3.
Le premier récit de la conversion de Saul, causée
également par une vision et suivie de son baptême par Ananias de
Damas, les deux ayant été prévenus de leur rencontre d'une manière
surnaturelle (Ac 9:1-30).

4.
Quelques notices sur le développement des Églises
en Palestine, sur la mission parmi les Juifs de Phénicie, de
Chypre et d'Antioche, et sur la fondation et le développement de
l'Église pagano-chrétienne d'Antioche (Ac 9:31-11:19-30).

IIIe PARTIE (Ac 13-28).

Celle-ci étant plus homogène, nous nous contenterons d'un bref aperçu.

1.
Voyage de Paul et de Barnabas (en leur qualité de
missionnaires envoyés par la paroisse d'Antioche) en Chypre, Cilicie,
Lycaonie, Pisidie, et retour à Antioche (Ac 13:1-14:28).

2.
Voyage de P. et de B. à Jérusalem, où a lieu le
«concile», ou synode, au sujet des obligations des
pagano-chrétiens à l'égard de la loi juive (Ac 14:18-15:35).

3.
Voyage de Paul, avec Silas et Timothée, en Syrie,
Cilicie, Lycaonie, Pisidie, Phrygie, Galatie, Mysie, ainsi qu'en
Macédoine et en Grèce; traversée à Éphèse, où restent les compagnons
de Paul, et nouveau voyage en Asie Mineure: c'est le voyage appelé
habituellement le 2 e voyage missionnaire (Ac 15:36-18:23).
Ce récit est suivi d'une notice sur Apollos, ancien disciple du
Baptiste (Ac 18:24-28).

4.
Retour à Éphèse, où Paul passe deux ans; conversion
d'autres baptistes; conflits avec les Juifs et avec les
industriels (Ac 19:1-40).

5.
Deuxième voyage de Paul en Macédoine et en Grèce et
retour à Troas par le même chemin: de là voyage par mer à Milet, puis
en Phénicie, d'où l'apôtre gagne Jérusalem. Pendant ce 3 e voyage
missionnaire,
Paul est tantôt accompagné tantôt précédé par
plusieurs compagnons (Ac 20:1-21:16).

6.
Emeute à Jérusalem et arrestation de l'apôtre par
les Romains; après avoir comparu devant le Sanhédrin, il est
transféré à Césarée (Ac 21:17-23:35).

7.
Captivité de Paul à Césarée (Ac 24-26).

8.
Transfert de Paul à Rome (Ac 27:1-28:15).

9.
Remarques sur l'arrivée et le séjour dans la
capitale, sans indication sur l'issue du procès et sur la fin de
Paul (Ac 28:16-31).

C'est dans cette partie que se trouvent un certain nombre de
textes écrits à la première personne («nous partîmes, nous restâmes»,
etc.); ce sont les péricopes: Ac 16:10-17 20:5-16 21:1-18
27:1-28:1. On y trouve aussi cinq grands discours attribués à Paul
(énumérés plus loin).

SOURCES, COMPOSITION ET AUTEUR.

1.
Une des sources de l'auteur se distingue nettement:
c'est le récit de voyage d'un compagnon de Paul, écrit à la manière
d'un journal à la première personne (voir les versets énumérés plus
haut). Ce journal a été composé par quelqu'un qui s'est joint à Paul
à Troas pendant son 2 e grand voyage missionnaire; il l'accompagna à
Philippes, où il assista à la conversion de Lydie et à la guérison de
la pythonisse. Laissé en liberté au moment de l'arrestation de Paul
dans cette ville, il y resta après le départ de l'apôtre et l'y
attendit pour se joindre à lui lors de son retour du 2 e voyage en
Grèce (3e voyage missionnaire). Il ne le quitta plus jusqu'à son
arrivée à Jérusalem (Ac 21:18). Enfin, nous le retrouvons dans
la compagnie de Paul durant tout son voyage de Césarée à Rome. Il est
d'ailleurs possible qu'outre les versets cités plus haut, certaines
autres péricopes (où la première personne n'est pas employée parce
que l'occasion ne s'en présentait pas) se rattachent à cette même
source, p. ex. le récit de l'arrestation de l'apôtre à Jérusalem ou
les indications sur son séjour à Rome (Ac 28:30). Certains
savants, comme Ed. Meyer, considèrent même l'ensemble des ch. 20-28
comme appartenant à une source unique. Quoi qu'il en soit, nous
sommes ici en présence d'une source écrite d'une grande valeur
historique. Le récit du naufrage notamment est un des meilleurs
récits de voyage que l'antiquité nous ait conservés.

2.
On considère habituellement avec raison comme
appartenant également à des sources écrites les principaux grands
discours insérés dans notre livre, p. ex. ceux de Pierre, d'Etienne
et les cinq grands discours de Paul:

(a) sermon à Antioche de Pisidie (Ac 13:13-41),

(b) discours apologétique à l'Aréopage (Ac 17:22-31),

(c) discours d'adieu aux anciens d'Ephèse, apparemment
trouvé dans une source éphésine et que notre auteur a eu des
difficultés à insérer dans le récit d'un voyage qui laissait de côté
cette ville (Ac 20:18-35),

(d) deux apologies de Paul, l'une adressée aux Juifs
de Jérusalem (Ac 22:1-21), l'autre au roi Agrippa II (Ac
26:2,23) Ces deux derniers discours reproduisent deux récits de la
conversion de Paul, légèrement différents entre eux et de la version
du chap. 9; l'auteur, n'ayant voulu en supprimer aucune, ni se
répéter, en a placé deux dans la bouche de l'apôtre; s'il n'avait été
en présence que de traditions orales, il eût facilement pu les
harmoniser. Quant au discours d'Antioche et aux trois autres, ils ne
contiennent rien qui soit en contradiction avec la théologie de
l'apôtre connue par ses épîtres, mais les idées spécifiquement
pauliniennes (la croix et sa valeur rédemptrice, la justification par
la foi, etc.) en sont absentes; il faut donc les utiliser avec
prudence lorsqu'on veut caractériser sa prédication. Quant aux
analogies que ces sermons présentent avec le style des harangues
philosophiques de l'époque (voir sur ce point p. ex. H. Norden, Agnôslos Théos),
elles ne constituent pas une objection décisive
contre leur historicité, Paul ayant dû les connaître et ayant pu,
dans certains cas, les imiter.

3.
L'ami de Théophile a-t-il disposé d'autres sources
écrites, notamment dans les deux premières part, du livre des Actes?
C'est probable pour le récit de la conversion de Paul (Ac 9).
Quant aux autres traditions recueillies, elles peuvent être parvenues
à l'auteur par la voie orale; quant aux doublets signalés plus haut,
ils présentent des versions assez différentes pour avoir pu être
interprétées comme des récits d'événements distincts, même sans
l'appui de sources écrites. Les indications assez brèves sur l'Église
d'Antioche pourraient par contre provenir d'une chronique. Une grande partie
de ces sources, orales ou écrites, ont jailli à Jérusalem, d'autres à
Damas, à Antioche, à Joppé. Les renseignements sur l'évangéliste
Philippe peuvent avoir été transmis à l'auteur par ses filles, que
Paul et ses compagnons (et sans doute beaucoup d'autres chrétiens
après eux) ont visitées à Césarée.

De toute manière les deux premières parties, où se côtoient des
péricopes de provenances et de caractères très divers, sont loin de
présenter l'homogénéité relative de la troisième; mais elles révèlent
d'autant mieux la manière de composer de l'auteur du livre. Soucieux
de présenter un ouvrage historique complet, il utilise sans trop de
parti pris, et en les juxtaposant, des récits de provenances
diverses. C'est ainsi qu'il maintient les traditions qui suggèrent un
rôle prépondérant des Douze dans l'histoire de l'Église, quoique
cette attente soit plutôt déçue par la suite du récit. A un certain
moment, il présente Pierre comme le champion par excellence de la
mission parmi les païens, quoique la troisième partie du livre
confère ce rôle décidément à l'apôtre de Tarse. Le baptême chrétien
est tantôt opposé (Ac 1:5) tantôt identifié (Ac 9:18
16:15-33 etc.) au baptême par l'eau; parfois ils se suivent
dans l'un ou dans l'autre ordre (Ac 8:16-17 10:44-48). Quant aux
idées christologiques, elles présentent, malgré l'absence des idées
pauliniennes, johanniques ou alexan-drines sur la préexistence, une
assez grande variété, Jésus étant présenté parfois comme instructeur,
comme prophète, comme fils de l'homme, ou comme simple homme élevé à
la dignité de fils de Dieu après sa résurrection (voy. p. ex. Ac
2:22 3:22 4:27-30 5:31 7:37)

Le point de vue personnel de l'auteur peut être saisi parfois
indirectement si l'on tient compte de la manière dont il présente les
événements. Ainsi nous constatons que les conflits entre un parti
judéo-chrétien très puissant et l'apôtre Paul sont loin de présenter
le caractère aigu, profond et acharné que nous leur connaissons par
les épîtres de l'apôtre des Gentils. L'auteur insiste au contraire
sur tout ce qui peut rapprocher Paul de Jérusalem et notamment de
Pierre. Il croit même (Ac 15:20) que Paul se serait laissé
imposer pour ses. Églises les commandements dits noachiques, fait
démenti par Ga 2:10 et par les renseignements sur les coutumes
des Églises pauliniennes donnés dans les épîtres de leur fondateur.
L'École de Tubingue a voulu voir dans cette manière d'écrire
l'histoire une déformation volontaire de la vérité au profit d'une
tendance conciliatrice. Mais on s'accorde généralement à voir dans
l'auteur un homme de bonne foi, vivant à une époque et dans un milieu
où la portée et le sens des événements n'étaient plus toujours bien
compris. Toutefois le conflit entre Paul et Pierre à Antioche, qui
avait dû faire quelque bruit dans les Églises, a pu être éliminé
intentionnellement. De même le discours d'Etienne semble abrégé.
Cette manière de composer de notre auteur, dont le sens critique
n'égale pas toujours le souci d'être complet, rappelle d'une façon
frappante celle du troisième évangile, dont les «Actes» se
rapprochent également par le vocabulaire, le style, une certaine
prédilection pour les récits de voyage, les scènes pittoresques,
parfois légèrement humoristiques. Il n'y a donc pas lieu de douter de
l'identité de l'auteur des Actes avec celui du troisième évangile,
attestée d'ailleurs par les prologues.

L'AUTEUR.

Qui est cet auteur? Une tradition remontant au II e siècle (Canon
Muratori 1-8, 34, 39; Irénée, adv. Hcer. III, 1; III, 14)
désigne comme tel le médecin Luc, nommé Col 4:14,2Ti 4:11 et
Phm 1:24. Cette thèse a encore été défendue récemment par des
savants de la valeur de Harnack et de Ed. Meyer. Mais d'une manière
générale elle est de plus en plus abandonnée parce qu'elle se heurte
à de graves difficultés. Comment se fait-il, en effet, qu'un
compagnon de Paul ait pu si mal connaître et ses idées et sa vie,
qu'il ait présenté ses rapports avec l'Église de Jérusalem sous un
autre jour que l'apôtre lui-même? (cf. surtout les deux récits sur le
«Concile» de Jérusalem: Ga 2 et Ac 15). Comment expliquer
l'absence des idées spécifiquement pauliniennes, comme la
justification par la foi? Comment comprendre l'acceptation sans
réserve de certaines traditions au sujet de la résurrection du
Seigneur, qui supposent une conception peu en accord avec les idées
de Paul, à savoir la revivification du corps terrestre? Pourquoi le
livre des Actes parle-t-il (Ac 11:30) d'un voyage de Paul à
Jérusalem entre son voyage mentionné Ac 9 (cf. Ga 1:18) et
celui de Ac 15, (cf. Ga 2:10) lequel voyage
intermédiaire est expressément nié par Ga 1:22-2:17? Veut-on
identifier, au contraire, les récits de Ga 2 et Ac 11:30?
Alors il faut s'étonner que cette entrevue jugée si importante par
Paul ait été rapportée d'une manière si brève par notre auteur.
Cependant la tradition lucaine ne semble pas être sans valeur. Rien
n'empêche, en effet, que le récit à la 1 re personne dont nous avons
parlé plus haut ait été écrit par Luc, qui aurait accompagné son
maître pendant une partie de ses voyages. On peut même aller jusqu'à
admettre que celui-ci s'est servi de son propre journal comme base
d'un récit des voyages de Paul, plus court ou plus long que celui que
nous possédons, et dans lequel il aurait lui-même inséré certaines
autres traditions. Ce récit primitif aurait ensuite pu être remanié
par l'auteur du livre, c-à-d. l'ami de Théophile. Ce ne serait pas la
première fois dans l'histoire de la littérature biblique ou profane
que l'auteur d'une partie d'un ouvrage aurait prêté son nom au tout.

Distinguer Luc de l'auteur à Théophile et limiter l'apport de Luc
au récit de voyage représenté essentiellement par les textes à la
première personne--solution qui est d'ailleurs suggérée par le texte
d'Irénée lui-même--c'est donc, comme on a fort bien dit, rétablir et
la sincérité de Paul et celle de son compagnon. Une seule hypothèse
pourrait sauver, du moins apparemment, la thèse de l'origine lucaine
de tout le livre: celle de Loisy, d'après laquelle le travail de Luc
ne nous serait parvenu que sous une forme profondément altérée. Mais
d'une part cette explication soulève de nombreuses autres
difficultés, d'autre part les altérations et additions réelles, comme
l'insertion du deuxième récit de l'Ascension, peuvent s'expliquer par
l'intervention d'une troisième main.

Pourquoi l'auteur à Théophile ne raconte-t-il pas la fin de Paul?
Plusieurs hypothèses ont été imaginées à ce sujet. Sa source
s'arrêtait-elle au moment où la décision du tribunal romain aurait dû
être relatée? On ne comprend pas pourquoi dans ce cas il n'a pu se
procurer d'autres renseignements sur cet événement assurément bien
connu des chrétiens de Rome. La mort lui aurait-elle retiré la plume?
La date qu'on est obligé de fixer à la rédaction du livre (voir plus
loin) rend cette explication peu probable. Il faut donc admettre, à
défaut d'une explication plus satisfaisante, ou bien la perte des
dernières lignes de l'ouvrage, ou bien une interruption du travail
causée soit par le désir d'ajouter un troisième tome, soit par des
motifs d'ordre politique, une condamnation de Paul cadrant trop mal
avec le souci d'atténuer le plus possible la responsabilité des
Romains, ou encore d'ordre ecclésiastique (voir O. Cullmann dans Rev. Strasb. 1930, p. 294).

DATE DE LA REDACTION DE L'OUVRAGE PAR L'AMI DE THEOPHILE.

Elle doit être postérieure à la rédaction du 3 e évangile par le même
auteur, celle-ci étant généralement fixée entre 70 et 80. D'autre
part, l'auteur ignore encore le recueil des épîtres pauliniennes qui
sont déjà connues par Clément Romain, c-à-d. peu après 90. On peut
donc s'arrêter approximativement à l'an 85. Cette date devrait être
avancée malgré tout d'une dizaine d'années, s'il était prouvé que
notre livre a utilisé les oeuvres de l'historien Josèphe. Mais les
ressemblances (il s'agit surtout des pseudo-Messies Theudas et Judas
le Galiléen, dont il est question dans des termes analogues Ac
5:36-37 et Jos Ant., XX, 5:1 - 2) s'expliquent mieux par
l'hypothèse d'une source commune (voir Goguel, Act., p. 117-129).

Quant au lieu de la composition et à la résidence du
destinataire--qui n'est connu que de nom--nous n'en savons rien.

VALEUR HISTORIQUE.

La valeur historique du livre a été appréciée très différemment. Il
faut se garder de porter un jugement en bloc. La question doit au
contraire être posée pour chaque péricope en particulier, vu que la
valeur d'un renseignement dépend, comme dans le 3 e évangile, dans
une large mesure des sources utilisées. En ce qui concerne Paul, elle
est naturellement particulièrement haute pour le récit de voyage à la
première personne, ainsi que pour les détails concordant avec le
témoignage des épîtres pauliniennes, et notoirement faible pour
toutes les parties contredisant celles-ci.

Pour les autres péricopes, nous disposons d'un bon critère: un
fait, une coutume ou une idée est d'autant mieux assuré qu'il
contredit l'état de choses présupposé par la théologie et
l'apologétique des générations postérieures. C'est pourquoi les
renseignements sur les succès de missionnaires ou de chefs d'Églises
n'appartenant pas au collège des Douze (Jacques frère de Jésus,
Etienne, Philippe, etc.) sont, sous réserve du jugement sur les
détails, particulièrement dignes d'attention; de même des récits sur
le baptême par l'Esprit distingué du baptême par l'eau. Il en est de
même des textes contenant les jugements relativement favorables sur
des gnostiques (Simon dans le premier récit sur la mission en
Samarie, Ac 8:4-17) ou des baptistes (Apollos et ses
coreligionnaires, Ac 18:24-19:7). C'est pour la même raison que
des discours ou des récits soulignant l'attente de la parousie prochaine
du Seigneur, ou impliquant la croyance à la légitimité
d'un prophétisme indépendant de toute autorité ecclésiastique
extérieure, ou contenant l'aveu d'une attitude méfiante des chrétiens
de Jérusalem à l'égard de la mission en terre païenne, appartiennent,
en général, à des couches plus anciennes que celles où des
conceptions opposées s'accusent.

Judicieusement utilisé, le second tome de l'ouvrage de Théophile
peut donc, comme d'ailleurs le premier, fournir des enseignements
très précieux sur la vie de la primitive Église.

Valeur religieuse et pédagogique. Quiconque sait apprécier la
variété des tableaux pour la plupart fort dramatiques réunis dans ce
livre, et d'autant plus saisissants qu'ils sont plus sobres en
exagérations hagiographiques que les nombreux livres d'Actes
apocryphes, y trouvera, malgré certaines imperfections, des trésors
qui ne demandent qu'à être exploités. L'art chrétien ne s'y est pas
trompé (Raphaël, etc.). Mais la théologie de vulgarisation a parfois
rendu un mauvais service à notre livre en le considérant avant tout
comme une chronique donnant une vue d'ensemble exacte et complète de
l'histoire du christianisme primitif. Cette manière de voir non
seulement se heurte à des difficultés d'ordre critique, mais risque
de voiler l'originalité des péricopes et de fondre dans une vue
d'ensemble aux contours plutôt vagues et les faits et les personnes.
Les uns et les autres reprennent au contraire leur couleur originale
et parfois pittoresque, lorsqu'on se donne la peine d'étudier chaque
tableau pour soi et sans souci excessif de les harmoniser.

De cette manière, même des récits quelque peu contradictoires ou
d'une portée historique moindre que celle que suppose l'auteur,
pourront prendre une grande valeur comme témoignage de l'esprit
religieux et notamment de l'enthousiasme pour le Messie Jésus et la
puissance de son Évangile qui animait cette période classique du
christianisme. C'est cette foi que l'instructeur devra faire revivre
à l'aide des récits de ce livre unique. Jean H.
EXTRAIT DE BIBLIOGRAPHIE
E. de Faye, Origines des Églises de l'âge apost. Paris 1909;

A. Loisy, Les Actes (introd., trad. et comment.), Paris 1920;
Bible du Centenaire, t. IV, p. 177-228, Paris 1921;

E. de Faye, De la valeur documentaire du livre des Actes
(Rev. Strasb. 1921, p. 301-316);

M. Goguel, Introd. N.T., t.III, Paris 1922;

F. Jackson et K. Lake, The Acts of the Apostles
1re partie de The Beginnings of Christianity, vol. 1: Jewish, Gentile and Christian
Background,
London 1920; vol. 2: Criticism, 1922; vol. 3: Text, 1926;

Jacquier, Les Actes (Introd., trad. et comment., point de vue cathol.), Paris 1926;

P.-L. Codchoud et R. Stahl, Les deux auteurs du livre des Actes
Voir aussi les Commentaires sur le livre des Actes